Ce samedi 2d d’avril. Je vous envoyai hier de nos nouvelles telles quelles, car on ne dit plus rien qui vaille. Le roi [2] reçoit force requêtes et promet de faire justice, et en l’attendant, on s’amuse à des badineries : on parle de la loterie, [3] du jubilé, [4] du voyage de Fontainebleau, [5] de la comète [6] et autres signes qui ont paru au ciel. [1] Les trésoriers de France [7] se sont plaints au roi, mais ils n’ont pas obtenu ce qu’ils demandaient ; on les a renvoyés à M. Fouquet, [8] le surintendant des finances, qui n’est pas ce qu’ils voulaient car ils prétendaient que le roi lui-même leur accorderait ce qu’ils demandent.
< Ce lundi 4e d’avril. > Je soupai hier avec M. le premier président [9] qui me dit qu’il y avait un arrêt du Conseil pour le rabais [2] des tailles [10] de l’an 1662 de trois millions, mais c’est si peu que ce n’est point la peine d’en parler ; que le roi a aussi accordé une surcréance sur les francs-fiefs [11] et autres affaires du Domaine, [12] mais c’est bien tard, après qu’on a bien tourmenté du monde et que l’on n’en peut plus guère tirer. Il me dit aussi des vers latins qui ont été faits sur l’épiscopat de Zongo Ondedei, [13] dont l’on fait ici auteur M. Gaulmin, [14] homme fort savant et doyen des maîtres des requêtes :
Nunc commissa lupo pastoris ovilia cernis,
Dedecus unde hominum, dedecus unde Dei. [3]
Il est vrai que Noël Falconet [15] étudie bien et qu’il écoute attentivement ce que je dis à mes leçons, [16] et même qu’il en confère avec moi par après, o utinam bene ! [4] Il ne manque pas d’esprit, mais l’application est souvent distraite ; il n’y a que vous qui puissiez fixer le mercure de cet esprit, [5] ce qui arrivera heureusement par votre autorité et par votre exemple. Paris fournit trop de distractions aux jeunes gens, qui ne se peuvent pas retenir d’eux-mêmes. Cet âge est sujet à des emportements, quibus delendis aut averruncandis non tam Herculis Alexicaci, quam paterna clava requiritur. [6][17] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 5e d’avril 1661.
"Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.