Il y a ici beaucoup de monde affligé de la mort de M. de Beaufort. [1][2] On dit que les prêtres y gagneront d’autant que plusieurs font prier Dieu pour son âme : ainsi, quand l’un perd, l’autre y gagne ; mais quoi qu’il en soit, Sancta et salubris est cogitatio orare pro defunctis, ut a peccantis solvantur. [2][3] Cela ne saurait manquer d’être bon pour un prince, pour un général d’armée, pour un courtisan, mais en avait-il grand besoin, vu qu’il combattait contre le Turc [4] et qu’il défendait la chrétienté ? Hoc est dubium theologicum [3] que je laisserai résoudre à Messieurs de Sorbonne. [5]
Ce 22e d’août. Nous avons ici un médecin dangereusement malade ex fluxu dysenterico cum ατονια hepatis, [4][6] outre qu’il est détenu d’une maladie incurable à cause des années passées : il a 72 ans, c’est M. Jacques Mentel, [7] meilleur médecin qu’il n’est éloquent. Nous allons avoir un nouveau cardinal qui sera M. le duc d’Albret, neveu de M. de Turenne, [8] et qui sera nommé le cardinal de Bouillon. [5][9] Il est docteur de Sorbonne, [6] savant, libéral, agréable, aimé et prisé de tous ceux qui le connaissent. Dieu lui fasse la grâce de faire autant de bien à la France que les deux derniers lui ont fait de mal. [7] Il y a bien du monde ici qui veut que M. de Beaufort ne soit pas mort, mais seulement blessé et prisonnier à Candie, [10] plût à Dieu que cela fût vrai !
Le 25e de ce mois est mort un des nôtres nommé M. Chartier, [11] âgé d’environ 35 ans. [8] Il avait heureusement vendu sa charge de médecin par quartier il n’y a pas six mois. Il restait professeur du roi ; la charge est aujourd’hui perdue, au moins est-elle au pillage. Il était, à ce que j’entends, fort débauché. Inciderat in fluxum dysentericum, [9] ensuite la fièvre continue [12] l’attrapa, dont il est mort le neuvième jour, tant faute de bon appareil qu’autrement : [10] il n’a été guère saigné, [13] on dit qu’il a été purgé [14] trop tôt ; tant y a que, malo, imo pessimo suo fato transiit ad plures, imo illam regionem penetravit, unde negant redire quemquam. [11][15] J’ai vu le père, [16] les deux fils, [17] qui tous trois sont passés. De ces trois on n’aurait su en faire la moitié d’un bon médecin ; mais en ce monde, et les ânes et les chevaux meurent aussi bien que les mulets et les chartiers. [12] Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.
De Paris, ce 28e d’août 1669.
"Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.