Note [12] | |
William Harvey (Folkestone 1578-Londres 3 juin 1657) est le très illustre médecin et anatomiste anglais qui avait fait en 1619 l’une des plus remarquables descriptions médicales de tous les temps : la circulation du sang. L’aîné de neuf enfants, il avait renoncé à la carrière du commerce qui lui promettait une belle fortune pour se livrer à la médecine. Après de bonnes études primaires à Cantorbéry, il s’était rendu en 1593 au Collège de Cambridge. Y ayant obtenu son baccalauréat (1597), il avait parcouru la France et l’Allemagne pour arriver à Padoue, où il avait étudié pendant cinq ans, notamment auprès de Fabrizio d’Aquapendente (v. note [10], lettre 86) pour obtenir le grade de docteur, puis s’en retourner à Cambridge. En 1603 Harvey s’établissait à Londres et devenait médecin de l’hôpital Saint-Bartholomew. En 1615, il était nommé professeur d’anatomie et de chirurgie. Premier médecin du roi Jacques ier, il avait conservé ce titre sous Charles ier qu’il suivit dans sa fuite à Oxford quand la guerre civile éclata. Reçu docteur en médecine de cette Université, il y avait été nommé en 1645 président du Merton College. Après la reddition d’Oxford aux troupes parlementaires (bataille de Naseby, 14 juin 1645, v. note [5], lettre 124), Harvey, dépouillé de tous ses titres, mena une vie très retirée, tantôt à Londres, tantôt à Lambeth ou chez un de ses frères à Richmond. Admiratifs et reconnaissants de ses mérites, les membres du Royal College of Physicians décidèrent en 1652 que son buste serait placé dans leur salle de réunion. Deux ans après, cette Compagnie lui offrit la présidence qu’il refusa pour cause de santé, tout en continuant d’assister aux assemblées. Son attachement pour le College était si grand qu’en 1656 il lui fit don de sa propriété de Burmarsh (Kent) pour en tirer une rente perpétuelle destinée à couvrir les frais d’une réunion mensuelle (avec collation) et d’une grande célébration annuelle (avec banquet) le jour de la Saint-Luc, durant laquelle devait être prononcée une harangue en latin (la Harveian oration qui existe toujours, mais en anglais),
Outre la circulation, Harvey fit quelques observations bien moins marquantes dans le domaine de la fécondation et de la reproduction. Jean ii Riolan mettait alors la dernière main à son Liber de Circulatione sanguinis (v. note [18], lettre 192), destiné à contredire Harvey. Contre les notions floues et contradictoires qu’on admettait depuis Galien (iie s. de notre ère, v. note [6], lettre 6) sur le mouvement du sang dans le corps, Harvey a établi que, propulsé par le cœur, il n’oscille pas en un va-et-vient continu dans les vaisseaux, mais accomplit un double mouvement circulaire (v. La circulation du sang expliquée à Mazarin) :
Cette découverte révolutionnaire reposait entre autres sur la déduction rigoureuse que Harvey avait tirée de l’orientation des valvules veineuses décrites en 1574 par son maître Fabrizio (v. note [13] de la Consultation 16) : les valvules destinent les veines à ramener le sang vers le cœur ; leur disposition est incompatible avec le dogme galénique voulant que les veines conduisent le sang depuis le centre (cœur et foie) vers la périphérie du corps. Ainsi qu’on ne manqua pas de le lui reprocher, Harvey avait évidemment eu des prédécesseurs : les Italiens Matteo Realdo Colombo en 1559 et Andrea Cesalpino en 1571 avaient publié sur le sujet (v. notes [55], lettre 97 et [49] du Procès opposant Jean Chartier à Guy Patin) ; mais aucun n’en avait fourni la démonstration méthodique, ni exactement décrit la double boucle du sang. Harvey commença à enseigner publiquement la circulation à Londres en 1619, mais ne la fit imprimer qu’en 1628 : Exercitatio anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in animalibus, Guilelmi Harvei Angli, Medici Regii, et Professoris Anatomiæ in Collegio Medicorum Londinensi. Ce traité de Harvey, que Guy Patin n’a jamais explicitement cité dans sa correspondance, est sans conteste et de très loin le phare médical du xviie s., et même l’un des livres médicaux les plus novateurs de tous les temps. Avec une maîtrise et une clarté qui, près de quatre siècles plus tard, émerveillent encore le lecteur, Harvey fait émerger du magma incohérent qui existait avant lui la véritable circulation du sang. Fondant son raisonnement sans faille sur l’observation anatomique, embryologique et physiologique (vivisections de toutes espèces d’animaux, expérience du garrot), il décrit la circulation du sang chez l’homme, avant et après la naissance, en énumérant avec douceur et confiance les erreurs qu’on y a commises avant lui. Le monde médical accueillit diversement la nouvelle théorie. Jean ii Riolan mena la troupe virulente de ses détracteurs acharnés. Leur premier grief était que la circulation constituait une hérésie : malgré toutes les précautions que Harvey avait prises pour ménager les Anciens (chapitre 17), sa découverte contredisait les enseignements d’Aristote et de Galien :
Harvey répondait (Seconde réponse à J. Riolan, ibid. page 221) que :
Un autre reproche majeur était la futilité apparente d’une circulation aussi rapide du sang dans le corps (et encore Harvey estimait-il son débit bien au-dessous de la réalité) : faute d’avoir pressenti les échanges gazeux (hématose) qui assurent, grâce à l’hémoglobine des globules rouges sanguins, la respiration continue des tissus, Harvey n’a trouvé que des arguments théoriques pour répondre à ses contradicteurs (ibid., pages 220‑221) :
Dans les cinquante ans qui suivirent la parution du De Motu cordis, les opposants à la circulation harveyenne se firent de plus en plus rares. Après la mort de Riolan (1657), il ne resta qu’un nombre infime d’obstinés, dont en France, Guy Patin est resté comme l’archétype (v. Thomas Diafoirus et sa thèse). Nul pourtant n’est sans tache : Aselli, Pecquet et Bartholin découvrirent les voies du chyle et de la lymphe, du vivant de Harvey et dans son sillage, « mais ce dernier – par malheur pour sa gloire – n’accepta pas leurs découvertes et les traita aussi injustement qu’il avait été traité lui-même » (Ch. Richet, De Motu cordis, page 35). Harvey resta fidèle à la conception erronée qu’il a écrite dans le chapitre 16 de son Exercitatio : le chyle, mélangé au sang, passe directement des intestins au foie par la veine porte (v. notes [26], lettre 152, et [1], lettre latine 45). |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À André Falconet, le 28 mai 1649, note 12.
Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/patin/?do=pg&let=0177&cln=12 (Consulté le 08/02/2025) |