On recherche le principe du mouvement sanguin. On prouve que le poids que possède le sang ne suffit pas à le faire circuler, même si les artères exerçaient un effet de siphon sur les veines. [1]
Tant qu’elle nous échappe encore, la cause visible d’une découverte [2] augmente le tourment. Le mouvement du sang est connu, mais son principe demeure obscur. Cela incite à entreprendre une nouvelle recherche, dont je vais m’efforcer de t’expliquer les difficultés par les avis que voici.Soit le sang s’écoule de son propre élan, soit il est aiguillonné par autre chose. Nous le lui connaissons aucune autre force propre que sa pesanteur, dont il me plaît de démontrer comme suit la faible efficacité. [3]
Le sang pourrait être emporté par son propre poids vers le bas quand il progresse dans les artères descendantes et dans la veine cave supérieure, [4] mais n’est certainement pas capable, sous la même impulsion, de s’écouler vers le haut, dans les artères ascendantes, non plus que dans la veine cave inférieure ; [5] à moins que tu n’attribues un tel effet à la disposition des vaisseaux, comme font certains philosophes de grand renom : ils prétendent en effet que les artères sont si intimement liées aux veines que tu n’aurais pas tort de dire qu’elles imitent la structure d’un siphon.
Ils appellent siphon un tuyau recourbé dont la plus longue des deux jambes [Page 44 | LAT | IMG] descend vers leur angle de jonction, et la plus courte en remonte. [1][6][7]
Ainsi donc, pour que de l’eau parvienne à monter après avoir franchi l’angle inférieur d’un siphon, faut-il que la jambe dans laquelle elle s’écoule soit moins haute que celle d’où elle sort, de façon que le poids du liquide l’emporte jusqu’au plus bas des deux orifices. C’est ainsi (disent-ils) que le sang s’écoule vers le haut dans la veine cave inférieure, parce que la providence de la nature l’a placée un peu plus bas que les orifices des artères ascendantes. [2][8]
Le liquide emporté par son propre poids se rue dans l’autre versant de l’angle inférieur du siphon, dont son propre élan l’éloigne, jusqu’à ce qu’il trouve le repos quand les niveaux des deux branches se sont équilibrés ; en revanche, si le tuyau de sortie est plus court et s’élargit en entonnoir pour procurer une issue plus basse que la jambe entrante du siphon, le liquide jaillira spontanément, toujours emporté par son propre poids. Ainsi donc, disent-ils encore, le sang de la veine cave inférieure, par écoulement naturel, remonte-t-il des profondeurs et bondit dans le gouffre du cœur, du fait que son ostium est un peu plus bas situé, et que la crosse ascendante de l’aorte et la veine cave supérieure précipitent le sang vers leurs avals respectifs. [3][9]
Souviens-toi cependant, pour que les ambiguïtés de mon vocabulaire ne te mettent pas dans l’embarras, qu’est dite ascendante la veine cave qui monte se jeter dans le cœur, et descendante, celle dont le tronc y déverse ses affluents vers le bas. Ces dénominations sont liées à leurs origines et non pas aux fonctions qu’elles accomplissent. [4]
Tu pourrais certes dire que le talent de la nature a en réalité [Page 45 | LAT | IMG] conspiré contre la sentence de ces philosophes, et trouver de très solides arguments pour réfuter les compliments que je leur adresse indûment.
Néanmoins, si comme moi tu observes que le liquide venant d’en bas monte vers la plus haute jambe du siphon, et qu’au contraire, celui qui s’y déverse descend de la plus basse jambe, tu verras à quel point une telle conjugaison d’écoulement dans le siphon n’est pas adaptée au mouvement du sang car, au même instant, il en pénètre tout autant dans le cœur qu’il en sort du cœur.
Les systoles éjectent autant de sang dans les artères que ce qu’au même moment les veines y ont injecté depuis les extrémités ; [10] mais il ne pénètre depuis les veines dans le cœur qu’une fois la systole achevée, quand il accorde une diastole aux parties qui le composent. [11] Il est donc patent que le sang n’imite en aucune façon le déplacement des liquides dans les siphons.
Puisque nous sommes en désaccord complet avec ceux qui se plaisent à croire le contraire, je leur demande : si les vaisseaux sanguins fonctionnent comme un siphon, et en vertu de la règle du contrepoids qui impose obligatoirement que le remplissage soit égal de part et d’autre, comment se fait-il que, chez le cadavre, la mort vide entièrement les artères dans les veines qui regorgent de sang ? [5][12][13]
Les expériences menées sur la circulation militeront aussi contre le siphon. [14] La veine jugulaire [15] représente la branche haute d’un siphon qui envoie le sang au cœur ; quand je l’ai liée au cou, du sang a néanmoins continué de monter dans les artères ascendantes et la veine jugulaire a énormément gonflé au-dessus du lien. [6][16]
La ligature serrée de veine crurale [17] m’a enseigné exactement la même chose : en aval, du côté du cœur, elle s’est affaissée par manque patent de sang ; je pense donc insensé [Page 46 | LAT | IMG] d’attribuer sa montée dans le cœur au poids de celui qui se rue dans l’aorte. [7]
Quand on lie l’artère qui irrigue le membre inférieur, [18] elle ne devrait pas pouvoir se vider (si on doit attribuer le mouvement au poids du sang, comme dans un siphon inversé), mais l’expérience prouve le contraire : la toute petite quantité de sang qui y subsiste ne peut égaler tout celui qui pèse dans la veine cave et dont la masse devrait remplir l’artère de bas en haut. [8]
Comme déjà dit, les artères des morts sont vides de sang, [5] mais garde-toi de rejeter cela en pensant que la subtilité du sang artériel s’est évanouie, car il n’est ni moins dense, ni peut-être moins épais que celui que contiennent la veine cave et même la veine porte. [19][20]
L’expérience en procurera un argument simple : blesse en même temps la veine cave et l’aorte d’un animal vivant, et aussi sa veine porte, si ça te fait plaisir ; le sang que contient chacun de ces vaisseaux s’épanche évidemment, mais sans jamais dégager la moindre vapeur ; celui qui sort des branches artérielles est certes d’un rouge plus soutenu, mais tu perdrais ton temps à chercher une autre différence entre eux. [9][21]
Chez un animal moribond, tu pourras aussi arrêter le sang artériel en lui liant une artère crurale : j’ai moi-même observé à maintes reprises qu’elle enfle alors un peu du côté qui regarde le cœur, mais je n’ai jamais vu le sang s’y dissiper.
Puisque le siphon ne permet pas d’expliquer le mouvement circulaire du sang, et que son propre poids ne semble pas non plus y contribuer, car souvent il l’entrave plutôt (comme le montre bien la flasque immobilité des membres chez les pendus), il faut donc conclure qu’il n’est pas spontané et invoquer l’intervention d’une force qui est extérieure au sang lui-même. [10]
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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