Texte
Thomas Bartholin
Historia anatomica
sur les lactifères thoraciques (1652)
chapitre ix  >

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Nombreux avantages de la découverte[1]

Elle peut faciliter l’explication de nombreuses maladies du corps humain, que jusqu’à ce jour nous avons été contraints soit d’ignorer, soit de n’évoquer qu’en termes obscurs.

  1. La voie nouvelle est déjà manifestement établie comme la plus courte, grâce à laquelle pissent si rapidement et copieusement les grands buveurs qui, comme Promachus, [2][3][4] engloutissent quatre mesures de vin, ou qui, tel Bonose [5] qui buvait comme personne, ne sont pas nés pour vivre mais pour boire. [1][6][7] Plus longue en effet est la voie qui passe par le foie, le cœur, les artères émulgentes[8] les reins et la vessie, même si Aquapendens[9] avec les veines de l’estomac qui gagnent le foie, [10] et Le Pois [11] ou Conring[12] en passant par la rate, [13] se sont échinés à en trouver une plus courte. Cependant, le premier est mort avant la découverte de la circulation, [14] et les deux autres n’ont fait qu’imaginer des voies dont ils n’ont pas pu démontrer l’existence anatomique[2]

  2. Dans le diabète légitime, la vessie évacue la boisson telle et peu de temps après qu’elle a été absorbée, comme l’ont enseigné Galien [15] en plusieurs endroits, Trallianus[16] Aetius [17] et d’autres, et comme en atteste l’expérience. [3][18] Amatus Lusitanus, 2e centurie guérison lxxxxiv, relate la guérison d’un Romain, grand buveur de vin pur, qui fut atteint de diabète : il rendait sans délai dans ses urines tout ce qu’il avait bu, tel qu’il l’avait avalé. [4][19][20] Saxonia, 2e partie des Leçons pratiques, chapitre xxxv, a vu un gentilhomme vénitien qui, pendant plusieurs années, avait bu trente-quatre verres de vin au cours de chaque repas, en les expulsant aussitôt. [5][21] Trincavellius, au livre x de sa Pratique, chapitre xi, [Page 27 | LAT | IMG] écrit qu’un diabète apparut chez un homme qui souffrait de fièvre maligne et ne buvait rien d’autre que de l’eau glacée ; tout le liquide qu’il avalait passait dans ses urines, conservant intacts sa couleur, sa consistance, son goût et son odeur. [6][22] Zacutus Lusitanus, observation lxxi, livre ii de la Pratique médicale admirable, raconte celle d’un homme qui buvait du vin pur sans aucune retenue, capable de vider plusieurs immenses coupes en peu de temps ; mais quoi qu’il bût, il le pissait illico sans que ni l’odeur, ni le goût, ni la couleur en soient altérés ; et chose absolument incroyable, il avalait en l’espace d’une heure 20 livres d’eau, et rendait le même volume d’urine, parfaitement limpide et telle qu’il l’avait bue  [7][23] Salmuth, centurie ii, observation xci, a connu un homme qui après avoir ingurgité un grand volume de vin de Neustadt le rejetait tout cru dans l’urine, identique en substance, couleur et odeur (mais il n’a pas voulu y goûter). [8][24] Quand j’étais à Padoue, [25] l’éminent praticien Benedictus Silvaticus [26] m’a raconté s’être vu vider une urine qui avait la couleur et l’odeur du vin qu’il avait bu. Je n’en veux plus donner d’exemples autres que le mien car, pour ma part, ayant éprouvé depuis peu les assauts d’une lithiase urinaire, [27] qui me torturent de temps en temps, à la manière d’un bourreau (pour parler comme Érasme) [28] quand j’ai bu un peu de vin du Rhin, dans un but diurétique, il est ressorti peu après très clairement dans mon pot de chambre, en conservant exactement sa substance et sa couleur, et il y est resté tel pendant quelques jours. Les praticiens pourront travailler tant qu’ils voudront sur l’intempérie des reins, le relâchement de leurs voies excrétrices, l’affaiblissement de leur capacité à attirer ou à retenir, jamais ils n’expliqueront, sauf à prendre en compte le court chemin nouveau dont nous parlons, comment les boissons passent si vite dans les conduits corporels sans se mêler au sang ni subir un changement de substance. [9] [Page 28 | LAT | IMG]

  3. Nous cherchons depuis longtemps déjà à savoir comment du lait ou du chyle se mêle à l’urine de certaines personnes. [29] Nicolaüs Florentinus, en son 5e discours, traité x, chapitre xxi, a vu dans le château d’Itri un jeune trentenaire qui pissait en abondance toute la journée et dont l’urine produisait un sédiment blanc, semblable à du lait caillé, qui occupait la moitié inférieure de l’urinal. [10][30] Schenck rapporte que Petrus Sphererius l’a avisé du cas d’un Polonais, vu à l’hôpital du Saint-Sacrement, souffrant (pensaient-ils) d’une ulcération des reins, [31] qui rendait son urine blanche et épaisse, semblable à du lait, et dit qu’il a lui-même très souvent observé cela. [11][32][33] Pour que vous ne considériez pas que cette matière laiteuse est du pus, [34] Félix Plater, au livre iii de ses Observations, page 836, met en avant qu’il a lui-même constaté de fort longue date que son urine était laiteuse sans guère en éprouver d’inconvénient, et qu’en la laissant reposer, se déposait la valeur d’une ou deux cuillers d’une matière blanche semblable à du lait fort épais. [12][35] Sur l’épouse de M. Du Bourlabé, dont l’urine contenait quelque chose de laiteux, ressemblant à du pus véritable, par sa blancheur, et par sa substance unie et déliée, mais sans suspicion d’inflammation rénale, Ballou, au second livre de ses Consiliorum medicinalium, consultation xxxix, contre l’avis prononcé par des médecins plus anciens que lui, a déclaré qu’un abcès tapi dans le mésentère [36] était peut-être la cause de l’urine laiteuse, et nous ne sommes guère éloignés de cette opinion. [13][37] Après cette soigneuse étude, je passe outre les remarques qu’Actuarius[38] Præv. Urin., livre i, chapitre ii, et Theophilus [39] ont faites sur l’urine blanche, bien qu’elles puissent avoir trait à notre sujet. [14]

  4. Il nous est facile de voir pourquoi les néphrétiques sont promptement soulagés par la prise de médicaments lithontriptiques, [40] ou [Page 29 | LAT | IMG] comment les stimulants vénériens, [41] les légumes, etc. parviennent rapidement et sans ralentissement jusqu’aux artères émulgentes et spermatiques, [42] car s’ils cheminaient par les voies plus longues qu’on tenait précédemment pour admises, les vertus de ces remèdes s’émousseraient aisément. [15]

  5. Nous ne nous interrogeons plus sur la raison pour laquelle, après qu’on les a absorbés, les médicaments diurétiques transmettent leur odeur et leur couleur à l’urine, comme on le constate, entre autres, avec la térébenthine, [43] la casse, [44] le genièvre. [45] Au livre i de Urinis, chapitre xx, Actuarius relate là-dessus l’élégante histoire de son esclave à qui il avait ordonné d’avaler un trochisque amer mêlé d’oxymel [46] qu’un malade un peu délicat et chagrin rechignait à prendre, et qui, le lendemain, pissa noir sur le bord de la route, en craignant la mort avant de se rappeler la potion qu’il avait dû boire la veille. [16]

  6. Tout le monde pourrait désormais deviner pourquoi et comment quantité de choses qu’on avale avec les aliments sont expulsées dans les urines : [47] Alexander Benedictus a raconté l’histoire de la jeune Vénitienne qui avait avalé une épingle à cheveux longue de quatre travers de doigt, laquelle deux ans plus tard et sans dommage, est sortie de la vessie avec l’urine, enveloppée de matière calculeuse ; [17][48] et parmi d’autres, Schenck, livre iii, observation x, Sanctorius, livre xiv de sa Methodus vitandorum errorum, chapitre xi[49] Paré, livre xxiv, chapitre xix, l’ont commentée. [18][50] Claudinus, Responsio Medicinalis xxxx[19][51] Langius, dans ses Épîtres, page 745, [20][52] ou Sanctorius, cité plus haut, [18] s’échinent à découvrir des voies de passage, mais quel que soit leur choix, elles sont longues et jamais à l’abri de provoquer des blessures ; tandis que la nôtre est très courte et n’est pas aussi périlleuse, et ce jugement vaut pareillement pour ce que d’autres en ont écrit. Rien n’est plus trivial que la présence de poils dans l’urine. Tulpius, livre ii, observation lii en a rapporté un cas récurrent chez le fils d’un conseiller [Page 30 | LAT | IMG] de Horn qui, environ tous les quatorze jours, pissait pendant quatre jours, avec notable dysurie, des poils longs d’un doigt entier. [21][53][54] Nic. Florentinus en a lui aussi vu d’une telle taille, et Schenck a soigné une femme qui voyait sortir de sa vessie des mèches de poils. [22] Zacutus, au livre ii de sa Pratique admirable, observation lxiii, a constaté l’expulsion de poils longs d’une palme, épais et durs comme des soies de porc. [23] Dans ses observations adressées à Horst[55] Hildanus soutient certes qu’il ne s’agit que d’humeurs, mais son effort s’avère vain puisque de véritables poils avalés avec les aliments se distinguent aisément d’humeurs rôties dans l’urine. Ils sembleraient tenir du miracle si nos voies récemment mises au jour ne faisaient venir dans ces parties du corps les matières rejetées par l’urine qu’on lit ici et là chez d’autres auteurs : racines de persil, au témoignage de Julius Alexandrinus ; [56] champignons, chez Nic. Florentinus ; mouches, au rapport de Zacutus, livre ii de sa Pratique admirable, observation ci ; graines d’anis après en avoir mangé dans un repas, charbons et graines d’alkékenge, selon Hildanus dans ses Observationes ;  [24][57] épis d’orge dans Plutarque, au livre viii de Symposiaques, problème ix ; [25] et une arroche entière qu’une jeune fille d’Amsterdam avait mangée à table, comme Jan van Horne, anatomiste de Leyde, [58][59] l’a récemment observé. [26]

  7. Nous discernons en outre maintenant plus clairement pourquoi dans l’hydropisie [60] le ventre se distend parfois aussitôt après avoir bu, comme je l’ai vu il y a peu de temps chez un de mes intimes amis : cela tient à la réplétion de l’espace péritonéal où sont tapies les glandes lactées. Il n’est pas non plus difficile d’expliquer comment les diurétiques viennent à bout de l’hydropisie, en l’évacuant par l’urine.

  8. J’en viens finalement à l’atrophie [61] des parties, principalement [Page 31 | LAT | IMG] thoraciques, qui aspirent le chyle des glandes lactées : l’atrophie comprime le réservoir du chyle [62] et ralentit sa distribution ; engendrée par les inflammations et les autres tumeurs, elle provoque l’obstruction. Nous avons vu cela sur un cadavre humain où, à l’exception d’un foie sain, l’atrophie consumait tout, avec des poumons flasques et bigarrés, comme du marbre, des bubons dans l’aine, une gangrène d’un pied et d’autres signes de très profonde altération corporelle. Une glande lactée était saine, mais l’autre était rouge, comme enflammée et phlegmoneuse. Comme le foie, de nombreux lactifères mésentériques étaient sains, mais ceux du thorax n’étaient pas aussi pleins et gonflés de chyle. [27] À l’instar des chaumes qui restent après une immense moisson, je reporte à une autre occasion bien des commentaires sur les utilités de ce qui vient d’être découvert.



Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Thomas Bartholin, Historia anatomica sur les lactifères thoraciques (1652), chapitre ix

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(Consulté le 08/12/2025)

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