L’expérimentation prouve que le mouvement du sang se fait depuis le cœur, par les artères, jusqu’aux extrémités, puis des extrémités au cœur, par les veines. [1]
Afin d’examiner où se rue le sang qui parcourt les artères, j’ai lié à l’aide d’un fil très serré l’artère d’un chien vivant que j’ai exposée soit à la patte arrière, soit à la patte avant, soit même au cou (pour ne négliger aucune possibilité). L’affaissement immédiat de son aval (avec dilatation de son amont, du côté du cœur, par accumulation du liquide dans le vaisseau occlus) m’a enseigné que le sang s’écoule par les artères depuis le cœur jusqu’aux extrémités. [2][3]Pour que tu n’ailles pas m’accuser de légèreté, j’ai incisé l’artère en aval de la ligature, soit dans son segment dirigé vers l’extrémité ; et même, pour que tu cesses désormais de contester mes dires, j’ai entièrement tranché le vaisseau, et cela n’a fait s’épancher que quelques gouttes de sang ; mais quand j’ai ôté le garrot, [Page 28 | LAT | IMG] à chacune des systoles du cœur, du sang a jailli en abondance de la plaie.
Après avoir examiné les artères, je me suis aussi permis d’explorer l’écoulement du sang dans le réseau cave : [4] aux mêmes endroits, j’ai pareillement exposé puis lié chaque veine (qui accompagne indépendamment chaque artère) ; mais l’effet y fut radicalement opposé, elle s’affaissa du côté du cœur, tandis que de l’autre, tourné vers l’extrémité, elle s’est enflée pour former une ampoule. Quand je l’eus incisée là où elle était affaissée, il n’en sortit aucun sang, bien que la patte de l’animal en fût encore presque entièrement emplie. [5]
Je dis donc que, puisque le sang se répand depuis le cœur dans les artères, il revient par les rameaux des veines dans la cave et se recueille à nouveau dans les ventricules du cœur.
Pour que nul ne doute que le sang jaillissant des veines est issu des artères homonymes, quand j’ai incisé une veine crurale, du sang s’est répandu prestement ; j’ai alors lié l’artère adjacente et, quelle merveille ! l’épanchement de sang veineux a entièrement cessé, après s’être réduit à un écoulement goutte à goutte, il s’est complet tari ; mais une fois l’artère libérée de son lien, l’hémorragie est réapparue, et le sang qui a coulé à nouveau de la veine avec une vigueur égale a démontré qu’il y a communication entre les artères et les veines.
Ne sois pas troublé par le fait que parfois, mais plus rarement, une effusion de sang survienne au delà du lien, c’est-à-dire du côté du cœur : cela vient de certaines branches éparses qui se déversent dans la veine cave ; ce que je ne dis pas en me fondant sur la croyance, mais sur l’expérience.
En disséquant, j’avais un jour incisé la veine de la cuisse de part et d’autre de la ligature que j’y avais placée ; et voilà que du sang jaillit non seulement en amont du lien, mais aussi en aval de lui, du côté du cœur [Page 29 | LAT | IMG] s’écoulant en un flux continu qui ne me semblait pas devoir se tarir, et j’en fus étonné. Je disséquai alors la veine vers le haut jusqu’à la confluence des branches iliaques, [1] en étranglant par des fils très serrés les rameaux que je rencontrais de part et d’autre : la fuite de sang en aval du lien cessa alors entièrement et la veine était vide depuis ce point jusqu’à la valvule qui est tapie au-dessus de l’aine, [2] qui dresse un obstacle infranchissable au reflux de sang vers le bas, ce qui démontrait l’impossibilité pour le sang de refluer vers le bas dans les veines.
Je me suis alors dit que, puisque le sang ne se répand dans le membre que par les artères, on pourra, après les avoir liées, l’amputer sans que du sang ne s’écoule de la plaie. Aussitôt dit, je liai l’artère crurale, sans du tout toucher aux veines, et je coupai la patte au jarret, un peu au-dessous de la ligature. De la plaie ne s’écoulèrent en tout et pour tout que quelques gouttes de sang : c’était celui que les valvules des veines sectionnées n’avaient pas retenu, lesquelles étaient remplies du sang destiné à nourrir la peau, diffusément issu des petites artères de la cuisse. [6] Toutefois, cet écoulement de sang cessa bientôt entièrement, après que se fut vidé le sang qui stagnait dans les veines, au-dessous de leurs valvules, et que les rameaux des artérioles cutanées furent obstrués sous l’effet de la contraction engendrée tant par la suppression de la chaleur résultant de la froidure extérieure, que par les douleurs provoquées par la blessure. [3][7] C’est ainsi que plus une goutte de sang ne s’écoula sur toute l’étendue de la tranche de section ; à moins de lever le lien crural pour faire réapparaître une effusion de sang artériel.
Je reproduisis la même expérience à l’épaule ; puis au cou, mais avec plus de difficulté, parce que celui du chien est court ; néanmoins, j’y parvins plus aisément en opérant sur celui d’une oie.
Et pour que tu ne contestes pas ce que j’ai démontré chez les animaux domestiques, regarde, je te prie, ton propre bras : s’il est maigre, [Page 30 | LAT | IMG] il y saille des veines bien dessinées ; si tu les comprimes de ton index en frottant vers le bas, tu verras avec étonnement et les renflements créés par l’obstacle de leurs valvules, et la vacuité de la veine jusqu’à l’endroit où appuie ton doigt. Regarde aussi le chirurgien qui pratique la phlébotomie : après avoir placé son garrot autour du bras, il empêche le retour du sang de la main vers le cœur ; puis il desserre un peu le lien pour alléger la compression qu’il exerce sur l’artère, offrant au sang un lit plus libre pour s’engouffrer dans les veines qui demeurent comprimées. [4][8]
Ne va pourtant pas penser que j’ai seulement fait l’expérience de la circulation sanguine dans les plus gros vaisseaux artériels ou veineux : l’ayant soigneusement recherchée, je l’ai aussi trouvée partout dans leurs ramifications les plus éloignées (dans la mesure bien sûr où le regard m’a permis de l’observer) : en plaçant des ligatures aux mains ou aux pieds, et même aux doigts, la section et les valvules de n’importe quelles veines la démontreront. [5][9]
Quand elle franchit l’aine pour entrer dans l’abdomen, la veine fémorale devient iliaque externe ; un peu plus haut, elle est rejointe par la veine iliaque interne, ou hypogastrique, qui draine le sang venu du bassin (pelvis), pour former l’iliaque primitive, laquelle s’unit à son homologue venue de l’autre côté pour donner naissance à la veine cave inférieure (dite postérieure chez le chien).
Cette valvule s’insère à la terminaison de la veine iliaque externe, là où elle s’unit à l’iliaque interne. Comme partout ailleurs dans l’arbre veineux, elle empêche le reflux du sang vers l’extrémité (son amont).
Vasoconstriction (spasme artériel) réflexe des artères provoquée par le froid et la douleur.
V. note Patin 7/28 pour la phlébotomie (saignée veineuse) et la place éminente qu’elle a très longtemps occupée en thérapeutique.
Toutes les expériences que Jean Pecquet (après plusieurs autres auteurs) présentait dans ce chapitre reproduisaient celles que William Harvey avait publiées dans son Exercitatio anatomica de Motu Cordis et Sanguinis in animalibus [Essai anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux] (Londres, 1628, v. note Patin 12/177). En 1651, la circulation harvéenne était encore loin d’avoir convaincu toute l’Europe savante, essentiellement parce qu’il y manquait la démonstration anatomique des capillaires, qui n’était encore que fonctionnelle (v. note [2], Dissertatio anatomica, chapitre v).
Dans le chapitre suivant, Pecquet allait magistralement en appliquer le principe à l’écoulement du sang dans les viscères digestifs.
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Caput primum.
Motus Sanguinis à Corde per Arterias ad extrema,
et ab extremis per Venas in Cor, Experimentis
demonstratur.Ut, quorsus proruat per Arterias San-
guis, experirer, vivi Canis evolutam
modò in crure, modò in lacerto, mo-
dò etiam in ipso (ne quid intentatum
effugeret,) Iugulo, Arteriam strictis-
simè filo ligavi ; hæc brevi extrema
versus sidens (gliscente cor versus, ob inclusi liquo-
ris aggestum, canali) docuit à corde per Arterias ad
extrema Sanguinem profundi.Sed ne insimulares levitatis inferentem, diffissa
trans ligamen ad extrema videlicet : imò, ut reclama-
re tum demum desineres, abscissa prorsus Arteria
vix aliquo tabo vulnus infecit ; exiliente cis vincu-
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lum ad Cordis Systolas, ex eâdem apertâ, erumpen-
tis cruroris scaturigineFacto Arteriarum examine libuit etiam in Cava
Sanguinis decursum contemplari : Hanc iisdem in lo-
cis similiter involucris expeditam (liberâ, quæ comes
est, Arteriâ) constrinxi ; sed, effectu superiori pror-
sus contrario, Cor versùs concidit, turgescente,
qui aliorsùm ad extrema vergit, alveolo. Tum vul-
nerata quà flaccescebat, nullum sanginem emisit,
quanto vix tota cruralis tergoris capacitas suffecisset.Ergo, inquam, ut à corde per Arterias diffunditur
Sanguis, per venarum ramusculos in Cavam redux,
intra cordis ipsius ventriculos denuò colligitur.At ne cui veniret in dubium exilientem è venis
Sanguinem, ab Arteriis consortibus in easdem venas
successisse ; cruralem quà turgebat venam findo, sca-
turivit alacriter Sanguis ; tum ligo comitem Arte-
riam, mirùm ! extincto prorsùs impetu Sanguis veno-
sus guttatim primum exstillans, demùm penitus flu-
xum compescuit : At relaxatæ libertas Arteriæ fluo-
rem renovavit, et iterum ex venâ pari vigore Sanguis
erumpens demonstravit Arteriarum cum Venis com-
mercium.Nec te turbet rariùs quidem, sed tamen nonnun-
quam cis vinculum nempe cor versus eveniens è ve-
nâ, quà tum certè flaccidior est, Sanguinis effugium ;
hunc in Cavam effundunt ejusdem quaqua versum
sparsæ propagines, nec dicenti crede sed experto.Operabar, ut dixi, quadam die, ligatamque cruris
venam utrinque vulneraveram ; Ecce non solum trans
vinculum Sanguis erupit, sed et eundem versum cor,
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indefecturo (ut videbatur) effluxu, miratus sum
emanare. Tum eandem sursum versùs evolutam, ad
Iliacorum usque ramorum dissidium prosecutus, ob-
vios hinc et inde venæ surculos strictissimis filis suf-
focavi : stetit tunc profecto cis vinculum Sanguinis
fuga, et, ab eo loci, canalis ad usque valvulam in In-
guine latitantem exhaustus est ; ejus offendiculum
prementi deorsum Sanguinem penitus obsistens, nul-
lam planè demonstravit descensuro per venas Sangui-
ni facultatem.Ac tum ego, si Sanguis, inquam, per solas fundi-
tur arterias, Ergo ligatis poterit incruento vulnere
membrum amputari. Citiùs dicto cruralem Arteriam
strinxi, liberis penitus venis, et ad suffraginem paulo
infra vinculum sæviens, abstuli pedem. Effluxerunt
sanè cruoris aliquot guttulæ, nempe quas extremæ
resectarum venarum valvulæ non retinebant, et qui-
bus in nutrimentum cutis, diffusi per crus Arteriola-
rum ramusculi complebantur. Ast ubi residuum in-
fra valvulas Sanguinem abscissæ venæ deposuerunt,
et cutanearum Arteriolarum flagella, cùm frigoris
calorem reprimentis occursu constrictorio, tùm
etiam dolentium ex vulnere partium contractione
fuerunt præpedita, stetit prorsùm Sanguinis effluxus ;
nec ullus insuper ex vasculis per totam sectionis lati-
tudinem sparsis cruor emicuisset, nisi laxato cruralis
Arteriæ vinculo, Arterioso Sanguini patuisset exitus.Id ipsum in Axillâ periclitor ; id ipsum in Iugulo ;
sed quoniam in canis breviori collo fuerat operiosius,
tentatum in ansere facili negotio successit.Ac ne demonstratum in pecore, inficieris in ratio-
nali, specta, sodes, brachium tuum, si fortè macies
Page 30, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.
elevet tornatiles venas ; illic si turgidissimam Indicis
pressurâ perfrices deorsum, miraberis et valvularum
obstantium tubercula, et ab iisdem inferiùs ad usque
digiti gravamen vacuum venæ canaliculum. Specta
et phlebotomiam obeuntem Chirurgum ; is, arctâ
circùm lacertum institâ, Sanguinis â manu versum
cor prævertit refugium : strictiorem institam paulùm
relaxat, ut expeditâ compressorum tororum angustiis
Ateriâ, liberiori Sanguinis alveo præfocatas venas in-
gurgitet.Nec verò me putes in majoribus Arteriarum dun-
taxat, aut venarum canalibus sanguineæ circulationis
fecisse periculum ; hanc profectò tentatam ubique,
etiam in exilissimis (quantùm quidem perspicacitas
sivit) utrarumque ramusculis, eandem ubique pari-
ter expertus sum. Hoc in ligatis manibus, pedibusve ;
hoc vel in digitis venarum quarumlibet et sectio et
valvulæ demonstrabunt.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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