Il ne manquait plus, pour compléter la si belle circulation du sang, qu’à discerner comment il passe des veines aux artères en traversant le cœur. L’évidente différence des orifices et anfractuosités qu’il présente chez les fœtus et chez les adultes plongeait tout esprit dans la perplexité. [2]
L’ouverture ovale (dite de Botal), qu’on peut préférer appeler anastomose, ne subsiste pas ordinairement chez les adultes ; [1][3][4][5] mais chez le fœtus, elle permet au sang de la veine cave, qui pénètre tout droit dans le cœur droit, de gagner le ventricule gauche en passant directement dans l’artère veineuse. [6][7]
[Page 34 | LAT | IMG] Un petit chenal, qui ne reste pas perméable, mais dégénère en un cordon, permet aussi à l’aorte du fœtus de recevoir le sang de la veine artérieuse sans qu’il ait à passer par les cavités gauches. [2][8][9][10][11]
Comme font les anatomistes, j’examine donc attentivement la structure intérieure du cœur, le plus noble des viscères, pour découvrir comment les orifices caves se lient à lui. Tout d’abord le triple obstacle des valvules tricuspides se dresse à la limite entre lesdites veines caves et le ventricule droit, et je me permets ici de remarquer leur fonction : elles offrent au sang une facile entrée dans le cœur, mais l’empêchent entièrement de refluer vers les veines caves. [3][12][13][14]
Toute l’épaisseur du septum qui sépare les deux ventricules est impénétrable et n’offre absolument aucun passage au sang : il ne peut donc sortir du ventricule droit que par la veine artérieuse, dont les trois valvules sigmoïdes sont ouvertes pour permettre son éjection et se ferment seulement pour l’empêcher de refluer. [4][15][16]
Néanmoins, après avoir ouvert la barrière du septum, j’inspecte le ventricule gauche. [17] Il diffère peu du droit par sa longueur, mais sa capacité est plus grande. Comme lui, il possède deux issues, dont les berges sont pourvues de valvules : l’une est celle de l’artère veineuse, avec les deux concierges que sont les triglochines qui, à l’instar de sentinelles, assurent la pénétration du sang dans le cœur, mais interdisent son reflux ; [18] l’autre est celle où s’insère l’aorte, avec trois sigmoïdes (comme pour la veine artérieuse), dont la fonction est pareillement de permettre le passage du sang et de s’opposer à sa régurgitation. [5][19]
Cette structure du cœur et les fonctions de ses composants ne permettent plus [Page 35 | LAT | IMG] aux sceptiques de nier l’écoulement du sang depuis le cœur dans le poumon par la veine artérieuse, et du poumon dans le cœur par l’artère veineuse. [6][20]
Afin que des obstinés ne nous fassent pas reproche de ces conjectures, j’en procure maintenant la démonstration expérimentale. [21] Après que j’eus ligaturé aussi près que possible des deux poumons le vaisseau qui s’y rend, la veine artérieuse s’est dilatée depuis le cœur jusqu’au lien, lequel a entièrement affaissé les petites branches situées en aval de lui ; mais le tube de l’artère veineuse s’en est au contraire d’abord trouvé fort dilaté, puis s’est affaissé à son tour. [7]
Puisque, toutefois, mon discours porte sur les deux veines des poumons, je pense (pour ma part) que les anatomistes les ont chacune affublées de vocables ineptes. Pourquoi, comme a fait le très subtil Descartes, [22] n’appellerai-je pas tout simplement artère celle par où le ventricule droit du cœur se décharge dans le poumon, puisque tant la densité de sa paroi que la disposition de ses valvules et son office d’entonnoir recevant le sang du cœur l’assimilent tout à fait aux autres artères qu’on trouve partout ailleurs dans le corps ? Et pourquoi intitulent-ils artère veineuse celle par où le poumon régurgite son sang pourpre dans le cœur, quand et sa paroi, et ses valves et ses fonctions attestent qu’il s’agit d’une veine ? [8] De quelque manière qu’ils l’entendent, sachez que je m’en tiendrai à leur vocabulaire tant qu’ils n’y auront pas vu plus clair ; mais dans ce débat l’évidente vérité ne devrait pas être sacrifiée au bon plaisir d’Harpocrate. [9][23]