Galien, Vésale et la Renaissance de l’Anatomie

On a longtemps dit que la Fabrica dans son ensemble et son frontispice en particulier étaient un véritable manifeste contre l’anatomie galénique. En fait, si ce livre, le premier qui corrige et dépasse largement Galien, est bien la pierre fondatrice de l’anatomie moderne, il ne rejette pas en bloc toute la tradition antique.

En effet, en replaçant au centre de la science médicale la connaissance précise de l’anatomie, obtenue par la pratique de la dissection, Vésale renouait avec la démarche de Galien en l’améliorant considérablement car il disséquait presque exclusivement des corps humains, ce que n’avait semble-t-il jamais fait le maître antique qui s’en était tenu aux animaux.

A droite et à gauche au premier plan, un singe macaque et un chien, repoussés par deux spectateurs, sont là pour souligner ce progrès essentiel qui permit à Vésale de corriger plus de deux cents erreurs dans le texte de Galien… ce qui fit un tollé à l’époque !

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Soulignons cependant qu’il a aussi utilisé des animaux, notamment des porcs, mais surtout dans le cadre de vivissections. Avec ces rectifications, Vésale s’est en fait placé plus dans un esprit d’émulation que de rejet envers l’Antiquité, esprit de " Re-naissance " qui anima toutes les disciplines du savoir au 16e s. Pour certaines des illustrations du texte de la Fabrica, on s’est également aperçu qu’il avait détourné en modèles anatomiques des figures de la sculpture antique récemment redécouvertes.

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Sur le frontispice, le respect de l’antique se devine aussi dans le costume de la grande figure de droite qui porte la barbe caractéristique des sages dans l’iconographie de la Renaissance.
Le frontispice de la Fabrica est en fait plus en rupture avec les pratiques médiévales qui avaient dénaturé le legs anatomique de l’Antiquité. Que l’on compare avec la leçon d’anatomie de Berengario Da Carpi que nous venons de voir. Ici, plus de lector en haut de sa chaire, de demonstrator ni de sector. Vésale s’est moqué de ce cérémonial dans la préface de la Fabrica, comparant ses prédécesseurs et collègues à des " corneilles " qui répétaient de mémoire l’enseignement appris dans les textes anciens, sans connaissance directe de l’anatomie.

Au contraire, il s’est fait représenter disséquant en personne, avec seulement deux assistants qui, sous la table, aiguisent ses instruments.

Il est vêtu d’un pourpoint élégant, sans tablier ni autre protection. Cet habillement est sans doute réaliste car on sait que son habileté était légendaire.

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Sur la table, à côté de lui, sont disposés scalpel, rasoir, éponge et chandelle allumée (pour brûler la peau et décoller les chairs) mais aussi une feuille de papier et un encrier, prêts à recueillir ses observations. Pour Vésale, le texte procède de la dissection, et non l’inverse.

C’est ce que montre aussi l’usage des livres dans ce frontispice : trois spectateurs consultent un livre (les deux jeunes hommes à gauche et le vieil homme à droite du squelette), sans doute un manuel galénique, dans lequel ils ne peuvent que constater les erreurs à la lumière de la démonstration de Vésale.

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Tout à fait à droite, un homme a fermé son livre et pointe son doigt vers la dissection, seule source du savoir anatomique.

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Vésale a commencé par le bas-ventre du cadavre, où se trouvent les organes qui se conservent le moins facilement. En cela, il ne diffère pas de ses prédécesseurs médiévaux. Mais ceux-ci mettaient en parallèle la vitesse de corruption des parties internes et leur relative " noblesse ", et organisaient leurs (rares) dissections en trois jours, chacun dévolu à une " cavité " particulière du corps : ainsi on commençait par le ventre, la zone qui assouvit les besoins du corps ; ensuite on passait au thorax, contenant l’" esprit vital " animant le corps ; enfin, on disséquait la tête, zone de l’âme.

On s’intéressait très peu aux membres et au squelette. Cette démarche hiérarchique disparaît tout à fait chez Vésale qui disséqua toutes les parties du corps et privilégia l’étude des os, des muscles et des nerfs, comme l’avait fait Galien. Ce postulat se lit clairement dans le frontispice où l’on voit un squelette (sans doute celui que Vésale avait monté et articulé pour ses cours) dominant le cadavre disséqué.

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Sous la table, sur une étagère, on distingue quelques os. L’étude de l’anatomie superficielle et fonctionnelle, préoccupant plutôt les artistes est moins importante aux yeux de Vésale : elle est néanmoins symbolisée sur le frontispice par la figure d’un homme nu, aux muscles saillants, accroché à la première colonne à gauche.

Le cadavre du frontispice est celui d’une femme dont Vésale raconte l’histoire au Livre VI de la Fabrica. Cette prostituée de Padoue s’était rendue coupable, avec deux autres consœurs, du crime horrible d’un petit garçon, perpétré dans le but de récupérer le cœur et le petit os du pouce, chargés de propriétés magiques. Afin d’éviter la pendaison, elle avait prétendu qu’elle était enceinte. Une sage-femme appelée en consultation l’avait démentie et la sentence avait été exécutée. Le juge de la cour criminelle de Padoue, Marcantonio Contarini, avait ordonné qu’elle soit dépendue pour être disséquée à l’Université.

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On distingue la trace de la corde sur le cou.

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La silhouette féminine furtive à l’arrière-plan est peut-être celle de la sage-femme venue assister à la dissection, à moins qu’il ne s’agisse d’une prostituée connaissant la condamnée…