L'émergence d'un discours médical sur les monstres

Séparation de la médecine et de la théologie sur la question des monstres

L'influence de la conception augustinienne des monstres, exprimée dans la Cité de Dieu, se retrouve implicitement chez Montaigne. Au chapitre XXX du livre II des Essais, après avoir décrit "un enfant monstrueux", un hétéradelphe, et "un pâtre en Médoc" doté d'une malformation génitale, Montaigne explique, sans citer Augustin ni se référer explicitement à son œuvre : "Ce que nous appelons monstres ne le sont pas à Dieu, qui voit en l'immensité de son ouvrage l'infinité des formes qu'il y a comprises ; et est à croire que cette figure qui nous étonne, se rapporte et tient à quelque autre figure de même genre inconnu à l'homme. De sa toute-sagesse il ne part rien que bon et commun et réglé; mais nous n'en voyons pas l'assortiment et la relation." Montaigne invoque ensuite Cicéron qu'il cite, comme à son habitude, dans son latin d'origine. Extraite du De Divinatione, (De la divination), la phrase de Cicéron indique : "Ce qu'il voit souvent, même s'il en ignore la cause, ne l'étonne pas ; mais si ce qu'il n'a jamais vu arrive, c'est pour lui un prodige (ostentum)". Montaigne enchaîne pour conclure son chapitre : "Nous appelons contre nature ce qui advient contre la coutume ; rien n'est que selon elle, quel qu'il soit. Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous l'erreur et l'étonnement que la nouvelleté nous apporte." L'analyse de Montaigne, qui n'est postérieure que de quelques années à publication du traité de Paré sur les Monstres et prodiges, est intéressante en ce qu'elle s'éloigne de la vision du chirurgien Ambroise Paré qui privilégiait "l'étonnement" par rapport à la "raison universelle et naturelle" et invoquait la colère de Dieu et l'intervention du démon parmi les causes des monstres. Le traité Des monstres et prodiges montre l’importance de la théologie chez Paré et la fascination du chirurgien pour les collections de monstres et prodiges produites par Nature ou la Nature, une entité toute puissante disposant de pouvoirs magiques.