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Un coffret de dentisterie de
Charrière
à Genève
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Un
médecin dentiste suisse de Genève, correspondant de l'ASPAD, a dans sa
collection un magnifique coffret d'instruments de dentisterie exécuté par
Charrière à Paris.
J.F. CHARRIĒRE
Joseph Frédéric Charrière naît à Cerniat
(Suisse) en 1803 et vient à Paris en 1816 comme apprentis coutelier. En 1821 il
reprend la suite de son patron au 34/35 cour St Jean de Latran. Il se
spécialise dans les instruments de chirurgie. Il est vite remarqué par des
chirurgiens comme Civiale, Ségalas ou Dupuytren qui lui offrent leur patronage
ainsi que de nouvelles idées de création pour de nombreux instruments.
En 1833 il transfère son établissement au n°9
(7 bis) rue de l'Ecole de médecine. En 1842 on le retrouve au n°6, en face
dans la même rue. Il reçoit de nombreuses récompenses avec honneurs ; il
est unanimement reconnu pour l'excellence de sa production. Son fils lui
succède en 1852, et lui décèdera à Paris en 1876.
c'est incontestablement un des plus
remarquables fabricants d'instruments médicaux du 19ème siècle.
Il sut tout particulièrement adapter son savoir-faire artisanal à l'évolution
des progrès de la chirurgie, par sa technicité, par un sens de la qualité et
de la finition en y ajoutant une recherche esthétique permanente. c'est ce
qui fait que de nos jours ses instruments sont toujours appréciés et admirés
pour leur qualité, leur ingéniosité et leur beauté.
(cliquer sur les vignettes pour les
agrandir)
DĒCOUVRONS LE COFFRET
Cet important coffret de grandes dimensions (48
x 30 x 11 cm), d'une belle ébénisterie en palissandre, est bordé d'une
garniture en laiton avec serrure et une poignée escamotable dans son couvercle.
Il n'est pas signé.
(cliquez sur les vignettes pour
les agrandir)
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Le coffret en palissandre
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Le coffret avec son rabat
de
protection du couvercle
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Le coffret complètement ouvert
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A l'ouverture du coffret on est stupéfait par
une magnifique gainerie en velours vif, à bordure frappée d'une frise de
décoration, mettant en valeur les instruments que l'on découvre. L'ensemble
est saisissant : Les instruments sont tous en acier poli brillant avec
tiges taillées facette diamant et manches en ivoire d'éléphant, tous
marqués " Charrière " . Ils sont d'une exceptionnelle
qualité de finition, en excellent état, travail évident d'une petite série
de fabrication. |
Dans ce coffret on distingue deux parties :
Tout d'abord un plateau situé dans le couvercle protégé par un rabat en
velours, puis l'autre partie, le corps du coffret, avec un plateau central
soulevable laissant la place en dessous à un compartiment pour les daviers.
Quatre autres petits compartiments latéraux sont réservés à des rangements.
Malheureusement quelques manques d'instruments inévitables, que l'on
rencontre dans quasiment tous les coffrets de dentisterie importants, nous
laissent des emplacements de gainerie vides permettant de deviner les pièces
manquantes.
CONTENU DU PLATEAU
SITUĒ DANS LE COUVERCLE DU COFFRET
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Les instruments du plateau
du couvercle
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Sur la droite :
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Une scie de grande taille, avec tension en fin de
manche. (cf.Maury planc 16).
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Quatre manches porte-fraise, foret, trépan ou
taraud, avec vis de serrage.
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Deux fouloirs plats.
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Un excavateur, une spatulette, trois fouloirs
pointus.
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Cinq fouloirs cautères pointus à boule réserve
calorifique.
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Scie de
Maury
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Petite scie de bouche
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Sur la gauche :
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Un porte-fraise à angle droit, rotatif activé
par archet, avec manche et anneau de préhension.
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Deux portes-taraud ou foret radiculaire, rotatifs
pour archet, avec deux tarauds pour tenons radiculaires. (cf. Maury, Planche
n°21)
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Deux portes-lame lime.
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Une série de onze rugines à détartrer.
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Deux instruments "vis de Morrison" pour extractions radiculaires.
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Porte-fraise angle droit pour
archet
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Portes-foret et taraud rotatifs
pour archet
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Au milieu subsiste :
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Une petite scie pour travail en bouche.
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Trois sondes exploratrices doubles, dites de
"Ricci".
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Trois scalpels pliables.
Manquent deux miroirs de bouche et deux paires de
ciseaux.
Une réserve de forets, lames de lime pour
porte-lime, et limes de toutes sortes sans manche, se trouvent dans les quatre
compartiments fermés par des couvercles de gainerie.
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Partie centrale du plateau du
couvercle
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CONTENU DU CORPS DU COFFRET
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Plateau central du corps
du coffret
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Un grand archet, non pliable, pour entraînement
des instruments rotatifs.
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Trois clefs dentaires de Garengeot avec 18
crochets de préhension !
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Une grande clef, fine, droite, à manche transfixiant.
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Une petite clef droite, à manche transfixé.
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Une grande clef coudée, à manche transfixé, et
panneton gainé.
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Une langue de carpe.
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Un élévateur pied de biche, et un élévateur
droit à viroles métal argenté.
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Un élévateur coudé.
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Un tiretoire adaptable équipé de deux branches.
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Deux boites en ivoire contenant de la grenaille d'alliage
de Darcet.
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Une lampe à "esprit de
vin" (alcool) pour chauffer les métaux à obturations fusibles (cf. Maury, planche 40).
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Deux espaces vides pour précelles métalliques.
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Une seringue en métal argenté, avec embouts,
pour irrigations gingivales.
Dans les quatre compartiments à rangement,
encadrant le plateau central, se trouvent des fils de remplacement pour l'archet
et de nombreuses feuilles d'étain pour obturations ainsi que d'autres
forets et limes.
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Deux clefs de
Garengeot
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Une clef de Garengeot, et une
langue de carpe
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Les trois
élévateurs
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Le tiretoire
adaptable
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Cette partie centrale se laisse soulever pour
découvrir tout un compartiment de daviers. La collection se compose de onze
daviers, tous en acier poli avec des manches à reliefs rétentifs très
élégamment travaillés, et d'une pince à décapuchonnage emporte-Pièce à
manche simple guillochage. Parmi ces daviers se trouvent trois
" daviers sécateurs " très puissants pour sectionner les
dents au niveau des collets (cf.Maury, pinces à exciser, planche 20). Ces
douze pièces sont frappées " Charrière à Paris " avec le
sigle de la maison, à l'exception de la pince à décapuchonner sans marquage
mais typiquement de fabrication Charrière. Deux emplacements restent vides.
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Le compartiment des daviers
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Pinces à
" exciser "
de Maury
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Daviers avec
manches
travaillés
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Pince à
décapuchonner
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OBSERVATIONS AU SUJET DE CE
COFFRET
Proposition d'une datation
Un des membres de l'ASPAD possède un petit
coffret de Charrière avec des pièces quasiment identiques au coffret de
Genève, mis à part les daviers dont les manches ne sont que guillochés. Ce
coffret garni de cuir porte au verso le marquage de la maison Charrière à
Paris, 9 rue de l'Ecole de médecine. Ce coffret a donc été réalisé entre
1833 et 1842.
En faisant le rapprochement des deux coffrets, en
prenant en compte la qualité de finition des manches de daviers, la qualité de
la garniture du velours de la gainerie, on peut estimer raisonnablement que
cette production exceptionnelle date des années 1835 environ.
Le coffret de Oudet, dentiste de Louis Philippe,
détenu par un collectionneur parisien, lui aussi avec des pièces de
Charrière, d'une facture probablement antérieure au coffret de Genève, avec
son porte-fraise angle droit à archet identique, incline à la même estimation
de datation.
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Un petit coffret de Charrière d'une
autre collection
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Marquage sur le verso du
coffret
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Contenu de cet autre
coffret contemporain
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Utilisation du métal fusible de
Darcet
Avec la présence de feuilles d'étain et de
grenaille d'alliage de Darcet pour "plomber" les dents,
technique bien décrite par Maury dans son Traité complet de l'Art
du dentiste de 1831, nous sommes encore dans la même période.
Maury parle de "plomber"
des dents avec des morceaux de feuille d'étain de "job"
(employé par les miroitiers pour l'étamage) fortement écrasés dans la
cavité. Il préconise aussi pour les obturations le métal fusible de Darcet
(se composant de 8 parts de bismuth, 5 de plomb et 3 d'étain), alliage
fusible à 95° auquel Louis Nicolas Regnart ajoute un dixième de mercure pour
le rendre plus fusible à 76°. La dent ayant été préparée, on remplit la
cavité avec des morceaux de grenaille de métal de Darcet puis on chauffe les
fouloirs cautères avec la lampe à esprit de vin, on ramollit le métal dans la
cavité que l'on foule complètement : c'est le nouveau mastic
métallique de Regnart.
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métal fusible de Darcet et
feuille d'étain pour "plombages"
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Choix de l'instrumentation
Pour un coffret d'une telle importance le
praticien devait choisir et commander lui-même ses instruments , le coffret
étant réalisé sur mesure. Dans le cas présent, on remarque le grand nombre d'instruments
en plusieurs exemplaires, ce qui n'est pas fréquent dans la composition des
coffrets de l'époque, donc sans doute réservé à un usage relativement
intensif d'activité.
Une conception du coffret pas
très rationnelle
Autre chose étonnante, le coffret n'est pas
vraiment conçu pour un usage très rationnel. Charrière a utilisé le
couvercle pour y loger une partie de l'instrumentation protégée par un
rabat. C'était une solution employée pour des coffrets d'instrumentation
légère comme en ophtalmologie ou pour des accessoires, mais mauvaise solution
pour des instruments beaucoup plus lourds.
De plus l'ouverture à plat du coffret ne peut
pas se faire simplement, et il y a risque de forcer sur les charnières qu'accentue
l'ouverture du rabat de protection en complet porte à faux ! L'intégration
d'une lampe à alcool, même très étanche, dans un tel coffret semble
hasardeuse, bien qu'aucune trace d'auréole sur le rabat ou dans le
compartiment ne soit repérable.
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La lampe à esprit de vin pour le
métal de Darcet et la seringue en métal argenté |
Le rabat du coffret complètement
ouvert en porte à faux
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Au sujet de l'absence de signature du coffret
Tous les instruments du coffret sont marqués
" Charrière ". Or tous les coffrets bois étaient
gravés " Charrière à Paris " sur la partie interne
de la serrure.
Y aurait-il eu un oubli de gravure de la
serrure ? c'est peu probable.
Le coffret aurait-il été réalisé par un
gainier non affilié à Charrière, sur demande du praticien ? Ce n'est
pas impossible.
Essayons d'être plus réaliste : Ce
coffret est manifestement de Charrière. Ce coffret important est lourdement
chargé. Si on le prend par la poignée du couvercle toute la tenue dépend du
système d'accrochage de la serrure.
Il existe dans la collection de l'ex musée
Pierre Fauchard un coffret de Charrière plus modeste mais de la même époque,
le coffret du Dr Ricord . Ce coffret comporte sur le côté un petit verrou
supplémentaire destiné à soulager l'accrochage de la serrure. Ce système
supplémentaire de fermeture n'existe pas sur le coffret de Genève pourtant
beaucoup plus lourd. Tout tient par deux petits ergots coincés par deux petits
cliquets de serrure fermée à clef !
On serait tenté de penser, qu'étant donné le
poids du coffret, la serrure originale, gravée Charrière, aurait pu montrer
quelques faiblesses et que l'on aurait été obligé de changer cette serrure.
Ce qui expliquerait peut être tout simplement l'absence de signature avec une
nouvelle serrure. Naturellement simple hypothèse que vient conforter l'imperfection
d'adaptation de la serrure actuelle au coffret.
CONCLUSION
Quoi qu'il en soit ce coffret de dentisterie
est réellement exceptionnel, c'est une démonstration de l'excellence du
travail de Charrière à la meilleure période de sa production.
Ce coffret, avec une instrumentation aussi
complète, est le reflet d'un praticien actif, très au courant des techniques
de l'époque. Un tel praticien, avec un coffret aussi impressionnant ne
pouvait que s'adresser à une patientèle de qualité.
Pour terminer remercions notre confrère genevois
pour nous avoir permis de présenter son coffret et d'avoir pu en faire
profiter les amateurs.
Documentation photographique de l'ASPAD
avec la très aimable autorisation du collectionneur du coffret.
BIBLIOGRAPHIE
MAURY , F. - Traité
complet de l'Art du dentiste à
Paris. 1833.
Librairie des sciences médicales. |
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musée Pierre FAUCHARD. - Plaquette de présentation du musée.
C.N.O. des
chirurgiens dentistes. Paris 1992. |
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Catalogue CHRISTIE'S. - Medical instruments.
MSI 7741. Auction
11 july 1997. London. |
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