Un membre de l'ASPAD détenant un coffret de dentisterie et d'oto-rhino-laryngologie provenant de la remarquable collection du Dr Angot nous le présente. c'est un
important coffret d'une riche ébénisterie en placage d'acajou flammé, fretté de laiton incrusté avec figures géométriques étoilées et cornières. Il fait en épaisseur 9.5 cm, pour 43 cm en
longueur et 25 cm en largeur. Deux côtés sont équipés de poignées escamotables en laiton. L'écusson d'entrée de la serrure est surmonté d'une plaque à encoche de préhension sur la quelle
est gravé : Instrumens à dents & à polippe (sic).
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L'encoche de préhension gravée |
Au centre du coffret une belle plaque incrustée et magnifiquement gravée aux initiales J.G. souligne le caractère tout à fait Empire de cet ensemble. A l'ouverture on
découvre deux niveaux d'instruments or et acier étincelants gainés de velours vert.
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L'ensemble des
deux niveaux |
LE PLATEAU SUPERIEUR
L'étage supérieur comprend vingt deux instruments pour nettoyage de dents et soins opératoires : grattoirs, rugines, polisseurs, fouloirs, déchaussoirs, porte-lime. Les
tiges instrumentales sont d'un acier de belle qualité et on y retrouve les formes instrumentales typiquement fin 18ème, tout début 19ème, comme par exemple celles du
livre de J.B.Gariot de 1805. Les manches sont en ivoire incrustés d'écus empire en or avec des embouts et de viroles aussi complètement en or. La forme de ces instruments est tout à fait
semblable à ceux d'un autre prestigieux nécessaire à dents effectué par Grangeret pour Louis XVIII.
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Les instruments à mains du plateau supérieur |
Sur ce même plateau un choix de trois belles canules de Belocq, dont une plaquée or, et autres sondes opératoires d'oto-rhino-laryngologie.
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Les sondes et canules de Belocq |
LE PLATEAU INFERIEUR
Il est en grande partie composé d'instruments de chirurgie dentaire dont on distingue :
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Deux clefs de Garengeot avec manches en ivoire. Une à tige en forme de baïonnette avec son levier à glissière pour changer les quatre crochets disponibles. L'autre clef est droite avec
son système à la « noix » pour modifier l'orientation de son crochet.
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Quatre daviers dont deux insculpés « Grangeret » avec l'H couronnée.
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Deux importants élévateurs déchaussoirs, manches ébène et viroles argent.
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Deux élévateurs |
Les daviers et le Pélican
dans le coffret |
Un exceptionnel Pélican à fonctions multiples
c'est un Pélican de grande taille avec un manche ivoire en forme de poire, de type Heister avec de nombreux accessoires.
Trois supports amovibles : deux supports d'appui convexes et articulés équipés de velours rouge, un support de tige d'élévateur.
Huit branches amovibles à crochet : trois branches droites, trois autres branches droites articulables sur le champ, deux branches à décalage en baïonnette.
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Trois branches
droites |
Trois branches
articulables sur le champ |
Branches en
baïonnettes |
Le corps du Pélican est gravé latéralement : « Grangeret coutelier de S.M. et sur l'autre face « rue des Saints-Pères à Paris ». Sur une troisième face une « H » couronnée » d'une
couronne à huit arceaux et une croix en son sommet, célèbre marquage des Grangeret. Naturellement on doit rapprocher cet instrument à deux autres Pélicans très semblables réalisés par
Grangeret à la même époque pour deux autres nécessaires bien répertoriés : celui dit de la Reine Hortense au musée de l'APHP à Paris, et celui dit de l'Empereur détenu dans une collection
privée.
Il est à souligner la taille importante de ces Pélicans, plus que d'habitude, probablement pour obtenir une excellente prise en main et un bras de levier encore plus efficace et prompt.
Ce Pélican est d'une rare adaptabilité à la topographie anatomique de l'espace extractionnel. Son exceptionnelle finition prouve une métallurgie et une mécanique complètement maitrisées.
On trouve aussi
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un abaisse langue à décrochement complètement en vermeil.
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deux grands cautères manches ébène viroles argent.
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deux speculi de protection des cautères aussi en vermeil.
Les speculi et l'abaisse langue en vermeil sont frappés de deux poinçons de garantie (faisceau et tête d'empereur) d'application 1798-1909.
Un espace du gainage est malheureusement vide : il manque le tonsillotome à guillotine qui devait complèter l'instrumentation d'ORL.
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Les cautères et leurs
protections |
Ensemble de l'instrumentation
ORL du coffret |
AU SUJET DE CE COFFRET
LE COUTELIER PIERRE-FRANCOIS GRANGERET
En ouvrant le coffret on découvre la plaque de serrure gravée : « Grangeret, Coutelier de S.M. l'Empereur, à Paris ». Comme le confirme les différents marquages de
nombreuses pièces du coffret, l'instrumentation a bien été réalisée par Pierre-François Grangeret. C'était le représentant de la troisième génération de couteliers-orfèvres parisiens,
installé au 45 rue des Saints-Pères, à coté de l'Hôpital de la Charité. La marque de coutellerie de l'H couronnée avait été accordée à son père Pierre Grangeret et servait aussi d'enseigne
à cette prestigieuse maison chargée de commandes des plus grandes maisons d'Europe.
On avait aussi attribué à Pierre-François Grangeret un poinçon d'orfèvre en 1806.
Comme coutelier de Sa Majesté l'Empereur Napoléon 1er ce coffret a donc été réalisé entre 1804 et 1815, dates de l'Empire. Les éléments précieux poinçonnés ne
portent pas le poinçon d'orfèvre qu'ils auraient du porter dès 1806. On serait donc amené à avancer une date autour de 1805 pour la réalisation de ce cet ensemble de coutellerie
chirurgicale.
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Marquage de la plaque
de serrure |
QUEL PROPRIETAIRE POUR CE COFFRET ?
Sur le coffret la plaque monogrammée JG nous pose la question de l'heureux propriétaire et utilisateur de cet ensemble.
Ce remarquable coffret qui a certainement couté une somme importante n'a pas été réalisé par n'importe quel orfèvre, pour n'importe quel praticien et destiné aux soins
de n'importe quelle clientèle.
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La plaque du coffret
aux initiales J G. |
Parmi les praticiens, d'initiales JG, de l'époque soignant des gens de qualité on pourrait penser à Gourreau, dentiste associé à Dubois-Foucou lui-même dentiste de Sa
Majesté, qui d'ailleurs fréquentait la maison Grangeret comme l'atteste une facture du coutelier de 1815.
On pourrait penser aussi à Jean Baptiste Gariot, dentiste français du roi d'Espagne bien connu, qui commandait à Paris des instruments de qualité destinés à soigner les
grands et la maison royale d'Espagne. De nombreux instruments du coffret sont visibles sur les planches de son livre « Traité des maladies de la bouche » de1805. De plus D'après ce même
traité on sait que son exercice ne se limitait pas aux seules dents et que le traitement des polypes faisait aussi partie de ses possibilités. Ce qui pourrait expliquer la présence des
instruments d'ORL dans ce coffret.
Naturellement ce ne sont que des suppositions qui demanderaient à être étayées par des éléments plus probants, tout en restant ouvert à d'autres propriétaires éventuels.
Quel que soit le commanditaire, ce remarquable coffret, par sa belle ébénisterie, par l'exceptionnelle qualité de l'instrumentation, nous confirme l'excellence des
réalisations de la coutellerie chirurgicale parisienne au tout début du 19ème.
BIBLIOGRAPHIE