ÉDITORIAL "L’autobiographie académique" des soutenances de HDR : un nouveau genre historique et littéraire ?, par D. Becquemont, J.-P. Bouilloud, J. Carroy |
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I. TEXTES |
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Recherches et réflexions |
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Histoire sociale et histoire des sciences sociales : De la démographie historique à l’histoire des populations | P.-A. Rosental | 5 |
Brèves notes sur une œuvre souveraine : A propos d’Etre sans destin de Imre Kertész |
O. Le Cour Grandmaison | 16 |
Écrire les sciences de l’homme : pour un Dictionnaire Historique des Sciences de l’Homme | L. Loty et M.-F. Piguet | 27 |
Notes de lecture |
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Fétichisme, Philosophie, Littérature, de Fedi L. | D. Becquemont | 29 |
Etudes saint-simoniennes, de Regnier P. (dir.) |
L. Clauzade | 34 |
Les manuels de pédagogie, 1880-1920, de Roullet M. | A.-M. Drouin-Hans | 38 |
Science(s) de l’éducation. XIXe-XXe siècles. Entre champs professionnels et champs disciplinaires, de Hofstetter R., Schneuwly B. | A. Ohayon | 44 |
Résumés de thèses |
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L’univers du préhistorien. Science, foi et politique dans l’œuvre et la vie d’Edouard Desor (1811-1882) | M. A. Kaeser | 49 |
Résumé de DEA | ||
La phrénologie dans la littérature française de la première moitié du dix-neuvième siècle (autour du "cas" Balzac) | I. Kiriow | 53 |
II. BIBLIOGRAPHIE |
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Articles | 57 | |
Ouvrages, ouvrages collectifs, rééditions, classiques et anthologies | 66 | |
Revues spécialisées et numéros spéciaux de revues | 81 | |
III. INFORMATIONS |
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Activités de la SFHSH | 96 | |
Colloques récents et à venir | 97 | |
Appel à soutien de la revue "Genèses" | 107 | |
Nouvelle Association | 108 | |
Enseignements et séminaires | 109 | |
Maîtrises – Thèses - Habilitations à diriger des recherches | 127 | |
Divers | 129 | |
La SFHSH | 131 |
Dans le dernier numéro du Bulletin (printemps 2002, n°23), on a pu lire deux textes, l’un de François Dosse et l’autre de Fernando Vidal, qui étaient des exposés de soutenance d’habilitation. Dans ce nouveau Bulletin, on lira un autre exposé de soutenance signé de Paul-André Rosental. Et nous attendons des textes du même type pour les prochains numéros…Ainsi après s’être singularisé en publiant des résumés de thèse et de D.E.A., Pour l’histoire des sciences de l’homme ajouterait un autre genre littéraire à son actif. Dans ces trois cas, nous donnons directement la parole à des chercheurs. Ils peuvent ainsi donner envie de lire leurs travaux à d’autres personnes qu’aux membres de leurs jurys. Et quand on sait les difficultés qu’il y a à publier à partir d’un travail académique, il est précieux de faire connaître rapidement D.E.A., thèses et documents d’habilitation.
L’exposé de soutenance constitue l’ouverture décisive et en tous les cas très attendue d’une cérémonie plus ou moins solennelle, mais toujours destinée à faire date, puisqu’elle habilite officiellement à diriger des recherches. Contrairement à la thèse, l’habilitation est un exercice académique relativement nouveau. Elle obéit à des exigences variables selon les disciplines, pour ne parler que du secteur des lettres et sciences humaines. Elle repose dans tous les cas sur l’injonction de dégager une synthèse de ses travaux : injonction à la fois rigide et floue, car on peut interpréter de bien des manières le propos de faire une synthèse.
Plus peut-être qu’une thèse, un dossier d’habilitation demande donc à être renforcé ou repris autrement par une réflexion plus personnelle sur un parcours de recherche, ce que permet l’exposé de soutenance, prononcé en première personne, généralement du singulier. L’auditeur d’une habilitation a le privilège d’entendre un chercheur rendre publique « une micro ego-histoire », ou encore une autobiographie intellectuelle qui sera ensuite enfouie dans des archives privées si elle n’est pas publiée. Les exposés de soutenance ont en effet souvent une tournure et une saveur personnelles assez peu courantes dans le monde des discours académiques. Les travaux, désormais classiques, de Philippe Lejeune nous ont appris que l’autobiographe peut jouer de façon variable et subtile avec des « je », des « moi je » et des « moi aussi », mais encore avec toutes les personnes grammaticales. Et sans doute pourrait-on transposer certaines de ces analyses à notre « genre littéraire ». D’autres questions surgissent, que connaissent bien les historiens : comment faire l’histoire de soi, comment peut-on reconstruire un itinéraire sur lequel les possibilités d’une distance par rapport à l’objet étudié sont si faibles ?
Mais Philippe Lejeune nous a aussi appris à incarner socialement et culturellement le genre autobiographique. A cet égard, l’exposé de soutenance relève d’une écriture sous contrainte. Risquons une comparaison impertinente à bien des égards, mais peut-être par là même éclairante, en nous inspirant librement du Livre des vies coupables. Autobiographies de criminels (1896-1909) de Philippe Artières (Paris, Albin Michel, 2000). De façon analogue aux criminels lyonnais de la fin du XIXe siècle auxquels le docteur Alexandre Lacassagne commandait des autobiographies, les candidats à l’habilitation seraient soumis à une injonction à l’écriture de soi liée aux exigences académiques de la synthèse. En d’autres termes, après avoir commis des recherches il leur faudrait en assumer un récit personnel cohérent. Néanmoins, contrairement aux prisonniers lyonnais qui avaient pour la plupart déjà été jugés et condamnés lorsque Lacassagne leur demandait d’écrire, les candidats à l’habilitation sont censés parler avant sanction. Leurs autobiographies s’apparenteraient donc plutôt à des plaidoiries. Les termes consacrés sont à cet égard significatifs. Avec des stratégies et des tactiques de toutes sortes, l’habilitant soutient une cause qui s’identifie avec sa cause. Et, comme dans un procès, il s’adresse à un jury. Ainsi on voit peut-être apparaître le développement d’une rhétorique de la soutenance qui méritera des études approfondies dans l’avenir. Au-delà, nous retrouverons probablement dans ces documents si particuliers la trace ou le reflet des enjeux de pouvoir, des luttes académiques et des confrontations intellectuelles qui animent les différentes disciplines.
Ces évidences sociologiques sont bonnes à rappeler, mais il faut sans doute aussi aller plus loin. Car, à l’intérieur d’un genre tout à la fois codifié et quelque peu flou, le chercheur qui soutient dispose d’une considérable liberté : en tout premier chef, celle de faire une autobiographie intellectuelle originale, de tenir des discours stimulants et audacieux, et de s’adresser à un public plus large que celui auquel son propos est institutionnellement destiné. Textes de circonstance, mais aussi textes cruciaux à bien des égards, les exposés de soutenance méritent donc de ne pas demeurer des pièces uniques ou des chefs d’œuvres d’artisans remisés au grenier. On peut espérer que ceux que nous publions et publierons captivent les lecteurs du Bulletin. On peut supposer aussi qu’ils puissent constituer, d’ici peu ou plus tard, des documents précieux pour les historiens des sciences de l’homme.
Daniel BECQUEMONT
Jean-Philippe BOUILLOUD
Jacqueline CARROY