[Ms BIU Santé no 2007, fo 80 ro | LAT | IMG]
Au très distingué M. Vander Linden, docteur et professeur de médecine à Leyde. [a][1]
Même si j’ai peu à vous dire, je vous écris néanmoins pour vous faire savoir que je vous suis tout dévoué, que je suis en vie et me porte bien. À son retour d’Italie, quelqu’un m’a dit avoir quitté le Danois Johannes Rhodius à Padoue, cloué au lit et en péril de mourir. [1][2][3][4] Nous avons ici le nouveau livre de François Umeau, médecin de Poitiers, intitulé Exercitatio anatomica adversus circulationem sanguinis Harveïanam. [5][6][7] Il est le petit-fils de François Umeau, qui a écrit de Liene en 1578, et qu’ont cité Du Laurens, Riolan et d’autres anatomistes. [2][8][9][10][11] Nous avons aussi le Pietro Castelli de Hyæna odorifera, in‑12. [3][12][13] Vous avez sans doute déjà ce dernier, je vous enverrai l’autre. Je ne doute pas que vous ayez vu les deux livres de Chrysostome Magnen de Manna et Tabaco, réédités à La Haye, comme j’apprends, car l’exemplaire que j’en ai ne porte pas de nom de ville ni d’imprimeur. [4][14][15][16] Nos chefs se préparent à une nouvelle guerre, tam Ruber et talaris, quam atri et alte cincti ; [5][17] tous les discours sur la paix se sont évaporés. [18] Vale et aimez-moi.
De Paris, ce vendredi 28e de mars 1659.
Votre Guy Patin de tout cœur.
Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johannes Antonides Vander Linden, ms BIU Santé no 2007, fo 80 ro.
Johannes Rhodius (Rhodius) était mort à Padoue le 14 février 1659.
Ce voyageur revenant d’Italie qui avait renseigné Guy Patin devait être Johann Georg Volckamer, car au début de sa lettre du 10 janvier précédent, Patin lui avait explicitement demandé de prendre des nouvelles de Rhodius en passant à Padoue.Guy Patin reprenait mot pour mot ce qu’il avait écrit à Christiaen Utenbogard dans sa lettre du 20 mars 1659.
V. notes [10], lettre 560, pour l’« Essai anatomique contre la circulation harveyenne du sang » de François ii Umeau (Poitiers, 1659), et [6], lettre latine 119, pour le livre de son grand-père, François i, « sur la rate » (Paris, 1578), avec la critique de Caspar Hofmann.
Ce second sujet m’a paru mériter d’aller regarder ce qu’en ont dit les deux autres anatomistes cités par Guy Patin.
Pictauiensis quidam Medicus, Franciscus Vlmus, libello quem edidit de Liene, elegantissimo, nouum et inauditum Lienis usum commentus est. Vult præparari in Liene vitalem spiritum, id est, tenuissimum sanguinem, vitalis spiritus materiam, inde per Lienis Arterias in sinistrum Cordis sinum ferri, ibique cum aere misceri et perfici, perfectum in Arterias omnes, tanquam tubulos et aquæductus refundi. Rationibus satis validis et veri specie quadam adumbratis, nouum hoc dogma stabilit.[Un médecin poitevin, François Umeau, dans le très élégant opuscule qu’il a publié sur la Rate, a conçu une fonction nouvelle et inédite de la rate. Il veut qu’y soit préparé l’esprit vital, c’est-à-dire le sang très délié qui est la substance de l’esprit vital, lequel serait de là transportée par les artères spléniques dans la cavité gauche du cœur, pour y être mêlé à l’air et parachevé, puis une fois dans cet état, se répandre dans toutes les artères, comme autant de tubules et d’aqueducs. Il appuie ce dogme nouveau sur un raisonnement assez solide et dépeint avec quelque apparence de vérité].
Galeni sententiam Franciscus Vlmus multis rationibus destruxit, quibus Laurentius non satisfecit. […]Vlmus diligens et fervidus est in refellenda Galeni opinione, sed frigidus in sua confimanda. Nam ut probet Lienem sanguinis arterialis officinam, docet arteriosum sanguinem spiritu et humore constare, spiritus materiam, aërem in Pulmonibus præparari, priusquam ad lævum Cordis Ventriculum accedat ; ideoque humorem pari elaboratione indigere, quæ fit in Liene venis et arteriis innumeris frondose implicito. Siquidem Natura nunquam istos plexus efformare solet, sine alicuius præparationis maxima necessitate
[François Umeau a opposé quantité de raisons contre la sentence de Galien, {a} mais elles n’ont pas satisfait Du Laurens. (…)
Umeau met diligence et ardeur à réfuter l’opinion de Galien : pour prouver que la rate est l’officine du sang, il enseigne que le sang artériel est composé d’esprit et d’humeur ; que la matière de cet esprit est l’air procuré dans les poumons, avant qu’il ne parvienne au ventricule gauche du cœur ; et que cette humeur a donc besoin d’une préparation égale à celle qui se fait dans la rate où s’entortille un réseau touffu d’innombrables veines et artères ; étant donné que la Nature n’a jamais coutume de former de tels plexus sans nécessité absolue d’opérer une telle préparation]. {b}
- Selon laquelle la principale fonction de la rate est d’accumuler l’atrabile.
- Dans ce qui suit, Riolan cherche à modérer l’hypothèse d’Umeau, qu’il jugeait exagérée, pour conclure :
Nunc autem legitimum Lienis officium exponamus, quod est hæmatosi opitulari.Exposons toutefois maintenant la légitime fonction de la rate, qui est de contribuer à la fabrication du sang].
Toutes ces spéculations étaient erronées : dans les circonstances normales, la rate n’a plus de fonction hématopoïétique après la naissance, et les cellules du sang ne se forme alors ni dans le foie ni dans le cœur, mais dans la moelle des os (v. note [1], lettre 369).
De Hyæna odorifera zibethum gignente, quæ Civetta vulgo appellatur, Εξετασις Petri Castelli, Romani : Figuris æneis adornata.
[Recherche de Pietro Castelli, {a} natif de Rome, sur le chat musqué, qu’on appelle communément la civette et qui produit le zibethum, {b} illustrée de gravures]. {c}
- Sans lien de parenté établi avec Bartolomeo Castelli (v. note [4], lettre 771), le médecin italien Pietro Castelli (Rome vers 1590-Messine 1661), élève d’Andrea Cesalpino (v. note [55], lettre 97), avait d’abord pratiqué et enseigné la botanique à Rome, puis s’était établi à Messine, ville dont il fonda le Jardin des plantes (qui porte toujours son nom).
- La civette désigne à la fois le mammifère (chat musqué, hyæna en latin pour sa lointaine ressemblance avec la hyène) et la base de parfum (zibethum, encore employée de nos jours) qu’on en tire (Furetière) :
« Petit animal dont on tire un parfum de même nom. Elle est de la taille d’un chat ou d’une grosse fouine. Elle a d’ordinaire vingt pouces de long, et sa queue dix. Son poil qui est court sur sa tête et aux pattes, est fort long par le reste du corps, ayant quatre pouces et demi sur le dos. Il est dur et rude, et entremêlé d’un autre plus court et plus doux, frisé comme de la laine, qui est gris brun. Le grand poil est de trois couleurs faisant des taches et des bandes, les unes noires, les autres blanches, et les autres roussâtres ; mais le noir est la couleur dominante sur le corps. Le nez, le ventre, le dessous de sa gorge sont noirs, aussi bien que ses pieds qui sont courts, qui aboutissent en cinq doits et un ergot, et qui ont des ongles noirs, non crochus et peu pointus. Ses oreilles sont plus petites et moins pointues que celles d’un chat, noires par dehors, bordées de blanc, et blanches par dedans. Sa queue est noire par dessus, et mêlée d’un peu de blanc par dessous. Elle a les yeux enfermés dans deux taches noires, et on dit qu’ils éclairent la nuit comme ceux des chats. Le dessus de la tête jusqu’aux oreilles est gris. Elle a sur le col quatre bandes noires sur un fond fort blanc. Elle a aussi quelques taches, que Pline appelle des yeux dans la panthère, mais qui ne sont point isolées. Ses dents sont canines et souvent rompues, car c’est un animal farouche qui se les rompt en mordant les barreaux de fer de sa cage, quand il est enfermé. La poche ou le sac où est le réceptacle de la civette, est au-dessous de l’anus. Elle a deux pouces et demi de large et trois de long. Sa capacité peut contenir un petit œuf de poule. On en fait sortir la liqueur odorante d’un grand nombre de glandes qui sont entre les deux tuniques de ses poches. Scaliger et Matthiole croient que le parfum de la civette n’est rien autre chose que sa sueur ; mais cela est faux, aussi bien que ce qu’ils disent qu’elle se perfectionne avec le temps et que le reste du corps sent bon ».- Messine, veuve de Io. Franciscus Bianco, 1638, in‑4o, et Francfort, Wolfgang Hoffmann, 1641, in‑12.
Jean-Chrysostome Magnen (Luxeuil, en Franche-Comté, alors espagnole, vers 1590-Pavie vers 1679) avait étudié à l’Université de Dôle, puis était parti à Pavie où il professait la médecine et la philosophie. Guy Patin citait ici deux de ses traités, dont certains exemplaires des premières éditions (Pavie, Io. Andrea Magrius, 1648, in‑8o) ne portent ni lieu ni nom :
[Livre unique sur la Manne. Par Jean-Chrysostome Magnen, originaire de Luxeuil en Bourgogne, philosophe, médecin et professeur royal de médecine en l’Université de Pavie. Dernière édition où l’on a corrigé de nombreuses fautes] ; {a}
[Quatorze essais sur le Tabac. Par Jean-Chrysostome Magnen…] {b}
« tant l’homme vêtu d’une longue robe rouge, que les nobles portant le court manteau noir » : Ruber et talaris désigne le cardinal Mazarin, qui portait une robe rouge descendant jusqu’aux chevilles (tunica talaris, tunique talaire, attribut efféminé chez les Romains) ; et atri et alte cincti, les officiers civils et militaires vêtus d’un manteau noir et court (alte cinctus, signe d’intrépidité).
Ms BIU Santé no 2007, fo 80 ro.
Clariss. viro D. Vander Linden, Medicinæ Doctori et Prof. Leidam.
Etiam si pauca mihi suppetant ad Te scribenda, scribo tamen, ut scias me Tuum
esse, vivere et valere. Quidam nuper mihi narravit ex Italia redux, se Patavij
reliquisse Ianum Rhodium, Danum, lecto affixum, et de vita periclitantem.
Hîc habemus librum novum Fr. Ulmi, Medici Pictaviensis, nempe Exercitationem
Anatomicam adversus Circulationem sanguinis Harveïanam : ille avo natus est Fr.
Ulmo, qui scripsit de Liene, anno 1578. cujus meminerunt Laurentius, Riolanus,
et alij Anatomici. Habemus quoq. Petrum Castelllum de hyæna odorifera. 12.
Secundum illum haud dubiè vidisti : alterum mittam. Nec dubito Te vidisse libros
duos Chrysost. Magneni de Manna et Tabaco, denuo typis mandatos Hagæ
Comitis, ut audio : neq. enim meum exemplar præ se fert ullum nomen Urbis aut
Typographi. Ad novum bellum sese accingunt Duces nostri, tam Ruber,
et talaris, quàm atri et alte cincti : omnes de Pace sermones evanuerunt. Vale et me ama.
Parisijs, die Ven. 28. Martij, 1659.
Tuus ex animo Guido Patin.