Note [14]
Pour conclure sa leçon de physiologie générale, {a} Hyginus Thalassius renvoyait au livre de Gaspare Aselli sur les veines lactées du mésentère, {b} dont le chapitre vingtième, page 44, {c} est d’inspiration entièrement galénique :
Actio partis antecedit vsum > Sequitur Historiam, seu Structuram actio, et Vsum præcedit. Vt enim sine Historia Actionem cognoscere non est, ita nec Vsum sine Actione. Eius naturam, vim, varietatem definiendo, diuidendoque aperire, atque explanare, nec fert instituti nostri ratio, et res est longior, difficiliorque, quàm vt paucis tota transigi possit. Egimus de re vtilissima, et haud scio, an nunquam satis explicata, alibi. < Quid ea nobis ? > Nunc id dicere sufficit. Actionem partis intelligere nos cum Galeno κινησιν δραστικην, motionem efficientem, id est efficienter à parte ipsa profectam, non ab alio : (id enim verè agere dicitur, quod ex se ipso motum obtinet) cæterùm non id solùm, sed cum hoc addito, vt sit naturæ coniuncta, quod vulgò dicunt esse secundum naturam. Quæ enim talis non est, vt immoderatus arteriarum motus, quem pulsum vocant, vitiosus crurum incessus, et similia, affectio, quàm actio censenda est. < Eius explicatio Anatomico quàm necessaria > De hac diligenter cum primis agendum nobis. Vt enim rectè Galenus in essentiam cuiuslibet instrumenti deducimur, non tàm ex fabrica, quàm ex actione. Et sine actione, inquit Aristoteles, nulla pars rectè definitur. Vnde, quæ actione priuata est pars, nisi ομωνυμως pars non appellatur. < Quotuplex sit ? > Iam cum duplex actio partium sit, vna cummunis omnibus, quæ et principalis dicitur, et prima, et per se actio, Nutritio puta, qua sibi ipsi pars quæque consulit, familiaria attrahendo, adijciendoque, aliena pellendo, et abijciendo : altera propria instrumentorum, quam secundariam vocat, et consequentem, quasi quæ ad illam primam accedat, ad totius vtilitatem comparata ; nobis vtique, qui venas has in instrumentorum numero collocauerimus, vtraque examinanda est.[L’action d’une partie précède sa fonction > L’action d’un organe suit sa description ou structure, et précède sa fonction. De même en effet que sans description on ne peut connaître l’action, de même la fonction n’est pas accessible sans l’action. Mettre au jour l’action et l’expliquer, pour définir et discerner sa nature, sa force et sa diversité, n’est par à la portée de notre raisonnement ordinaire, et c’est une affaire trop longue et difficile pour qu’elle puisse être entièrement élucidée en peu de phrases. Nous avons porté attention au plus utile et je ne sais pas si cela a jamais été bien expliqué ailleurs. < Qu’en apprenons-nous ? > Il suffit ici de dire ce qui suit. Comme Galien, nous entendons l’action d’un organe comme son “ mouvement efficient ”, kinêsin drastikên, c’est-à-dire qui émane effectivement de l’organe lui-même, et non d’un autre (on dit qu’agit vraiment ce qui tire son mouvement de soi-même), et sous condition formelle que ladite action soit unie à la nature ou, pour le dire vulgairement, conforme à la nature ; et quand tel n’est pas le cas, l’action est à tenir pour une affection, comme l’immodération du mouvement des artères qu’on appelle le pouls, les anomalies des jambes qui perturbent la marche, etc. < Expliquer l’action est plus que nécessaire pour l’anatomiste > Tel doit être notre principal souci, puisque Galien a justement dit que “ l’essence de n’importe quel instrument ne se déduit pas tant de sa structure que de son action ”, et Aristote, que “ sans son action, aucun organe n’est correctement défini ” ; un organe dénué d’action n’en est pas un, sauf par homonymie. {d} < Combien d’actions ? > Qu’on se contente ici de distinguer deux actions des organes : {e} tous en possèdent une première, qui est l’action à proprement parler, dite principale, et qui s’exerce conjointement avec toutes les parties du corps, comme est, par exemple, la nutrition à laquelle participe chacune d’elles, soit en attirant et absorbant ce qui est utile, soit en repoussant et rejetant ce qui ne l’est pas ; l’autre action, appelée secondaire et conséquente, est particulière aux instruments et permet de mettre l’action première de l’organe au service de tout le corps. Nous avons classé les lactifères mésentériques parmi les instruments, mais devons examiner les deux modalités de leur action]. {f}
- Du grec φυσις, « nature », et λογος, « doctrine », la physiologie humaine est la « partie de la médecine, qui apprend à connaître la nature par rapport à la guérison de l’homme » (Furetière).
Claude Bernard en a donné une perspective historique : {i}
« Dans l’étude analytique des phénomènes qui l’entourent, l’homme a compris d’abord les choses les plus simples pour n’arriver que successivement aux plus compliquées. Il en est résulté que les sciences ont suivi la même loi dans leur évolution, et que celles qui reposent sur des notions très générales et peu nombreuses se sont formées les premières, tandis que celles qui renferment des conditions très multiples n’ont pu se constituer que les dernières. Sous ce rapport, la physiologie, qui est la connaissance et l’explication de toutes les manifestations de la vie, embrasse incontestablement les phénomènes les plus complexes de la nature. Il n’est pas étonnant que sa marche ait été si lente et son apparition si tardive dans l’ordre des sciences définies ; il lui fallait, pour prendre son essor, attendre que des sciences plus simples, {ii} qui devaient lui servir de points d’appui ou d’instruments, fussent elles-mêmes constituées. »
- De la physiologie générale, Paris, Hachette, 1872, pages 1‑2.
- L’anatomie, l’histoire naturelle, la pathologie et la chimie ont été les principales.
- Milan, 1627, v. note [1], Experimenta nova anatomica, chapitre i.
- J’ai inséré dans le texte et mis en exergue, entre chevrons, les quatre intertitres qui composent le titre de ce chapitre, qui est le premier de la section intitulée Lactium seu venarum lactearum actio [Action des lactifères ou veines lactées]. Je n’ai pas poussé le zèle jusqu’à y insérer les 13 références (dont 12 à Galien et une à Aristote) qui sont imprimées dans la marge de droite.
Aselli expose sa méthode pour expliquer la fonction des lactifères mésentériques, et Hyginus Thalassius suit son raisonnement pour comprendre celle des lactifères thoraciques.
- C’est-à-dire par confusion des termes, par abus de langage provoquant une équivoque.
- Contre trois pour Hyginus Thalassius.
- Le propos d’Aselli simplifie celui d’Hyginus Thalassius, sans en éclairer absolument toutes les subtilités. On y perçoit la double distinction moderne entre, d’une part, l’anatomie (structure) et la physiologie (fonction qui engendre l’action), et d’autre part, entre l’ensemble qui concourt à assurer une grande fonction du corps (nutrition, genèse du mouvement et des sensations, reproduction, etc.) et les fonctions individuelles des organes qui le composent, pour former un système (si les organes sont de même nature tissulaire, comme dans le système nerveux) ou un appareil (s’ils sont de natures différentes, comme dans l’appareil digestif).
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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