Texte : Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
5. Discours contre la nouvelle
doctrine des veines lactées

Note [33]

Jean ii Riolan a ainsi poursuivi dans son Encheiridium anatomicum posthume de 1658 : {a}

« Si quelqu’un me demande à quoi sert en la pratique de médecine la recherche si curieuse des veines lactées, il le pourra connaître par les remarques suivantes et autres semblables. Il y a vingt ans qu’Aselli a mis au jour son livre des Veines lactées chylifères, lesquelles il a trouvé à la dissection des animaux vivants, et les < a > destin<ées> à porter le chyle, ayant montré qu’elles sont différentes et séparées des veines mésaraïques. Telles veines lactées sont si bien reçues et approuvées en toutes les académies que personne n’en doit désormais plus douter, bien que de Wale décrive autrement leurs distribution et progrès que n’a fait Aselli, leur inventeur ; {b} mais outre les veines lactées, je crois que les veines mésaraïques, en cas de nécessité, c’est-à-dire quand les lactées sont entièrement bouchées, peuvent faire le même office, suppléant au défaut des lactées afin que la distribution du chyle, qui est intercepté dans les veines lactées, ne cesse point entièrement.

Il me souvient d’avoir jadis souvent vu et montré publiquement dans les cadavres des hommes pendus auxquels on avait fait faire un bon repas un peu devant leur supplice, des veines blanches parsemées dans le mésentère, lesquelles j’ai toutefois prises pour les mésentériques, sans avoir recherché leur origine ni leur distribution ; mais je souhaiterais à présent qu’on fît bien dîner les hommes destinés au gibet, trois ou quatre heures devant leur supplice, afin qu’on pût, incontinent après qu’ils sont morts, observer ces veines lactées ; {c} car cela servirait beaucoup à la connaissance et à la guérison des maladies, d’autant que l’on peut connaître du mouvement du chyle les indispositions de l’estomac, les maladies des boyaux, du mésentère et des parties concaves du foie ; car plusieurs de ces maladies dépendent du vice de la concoction dans l’estomac. D’autres viennent des empêchements qu’il y a en la distribution du chyle au foie, étant très certain que la seconde digestion ne corrige pas les défauts de la première ; et par conséquent, le chyle qui est corrompu, ou dès l’estomac, ou pendant le chemin qu’il fait pour se porter à la partie concave du foie, retombe comme inutile dedans les gros boyaux ; ou bien, s’il est porté par les veines lactées jusqu’au foie, soit il obstrue les veines lactées, soit il imprime son vice à la partie concave du foie et gâte ces parties. C’est d’où proviennent ces divers flux de ventre qui sont produits aussi bien du foie et du mésentère, que de l’estomac et des boyaux. {d}

Or, pour bien discerner, vous devez considérer à l’estomac la constitution de sa substance membraneuse, la digestion, la dissolution et la distribution de l’aliment ; et dans sa distribution la vertu péristaltique ou astringente des boyaux, leurs plis et replis, ou rugosités destinées à retarder ou arrêter le chyle en iceux autant qu’il est nécessaire. Puis vous examinerez la liberté des conduits jusqu’au foie, c’est-à-dire si les veines lactées ne sont pas bouchées depuis leur principe jusqu’au foie ; si pareillement les autres conduits, qui rapportent le sang du foie, et les autres humeurs superflues, sont libres. Par ce moyen, vous discernerez plus facilement le flux cœliaque du lientérique, et tous ces deux de la diarrhée chyleuse, ou séreuse, < et > du flux mésentérique et hépatique ; et par conséquent, vous remédierez avec beaucoup plus de facilité et de succès à chacun de ces flux de ventre, pourvu que vous ayez la connaissance de toutes ces choses, à laquelle est absolument nécessaire celle des veines lactées. Voilà ce qui oblige les véritables médecins à les rechercher dans le corps humain avec tant de curiosité, qui ne peut être excessive, < et > beaucoup moins inutile < encore >, puisqu’elle peut rapporter tant d’utilité au public. »


  1. V. supra note [30], toujours ici dans la traduction de Sauvin (1661).

  2. V. supra note [18].

  3. Riolan ruminait son remords de ne pas avoir porté une suffisante attention aux veines lactées qu’il disait avoir observées chez les pendus gavés de nourriture avant leur trépas : v. note [5], 3e partie de sa première Responsio.

    Les dissections de condamnés réalisées par Thomas Bartholin à Copenhague en 1652 (chapitre v de son Historia anatomica) et par Charles Le Noble à Rouen en 1655 (seconde partie de sa lettre à Riolan) avaient clairement convaincu Riolan, mais un peu tard, de leur intérêt pour comprendre la physiologie du chyle.

  4. V. le point vi de la Nova dissertatio, expérience i, de Jean Pecquet pour son long développement (difficilement intelligible aujourd’hui) sur les diarrhées chyleuses et hépatiques (ou bilieuses).

Telles sont les toutes dernières pensées de Riolan sur le chyle. Sa conclusion et ses prolongements revenaient sur ce qu’il avait dit au début de son Discours quant à l’intérêt des veines lactées pour la compréhension des maladies digestives (v. supra note [4]), mais sans y apporter d’arguments plus convaincants, ni céder un pouce à la sanguification cardiaque de Jean Pecquet.

Le point essentiel, hélas, est que, mis à part Le Noble, ni Riolan ni aucun de ceux qui débattaient alors âprement sur le chyle (Pecquet, Thomas Bartholin, William Harvey, Jacques Mentel, Pierre De Mercenne, etc.), n’ont imaginé que les aliments puissent passer des intestins dans le sang par deux voies distinctes : veines mésaraïques allant au foie pour les sucres et les viandes (au sens restreint de protides) ; veines lactées allant au cœur (puis au foie) pour les graisses.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
5. Discours contre la nouvelle
doctrine des veines lactées
, note 33.

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(Consulté le 08/12/2025)

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