Texte
Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
3. Critique du chapitre vi (conclusion)
des Experimenta nova anatomica
et des Lettres de soutien  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean ii Riolan, Première Responsio (1652) aux Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet (1651). 3. Critique du chapitre vi (conclusion) des Experimenta nova anatomica et des Lettres de soutien

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=1002

(Consulté le 27/03/2025)

 

[Page 152 | LAT | IMG] [1]

Page 17. Voyez la vanterie de ce jeune homme : Plus de cent animaux vivants qu’il a éviscérés lui ont enseigné ce que t’apprendra le sacrifice des trois chiens que je présente ici ; [2][3] et il n’a pas ouvert et examiné que des chiens, mais un troupeau complet : bœufs, chevaux, porcs lui ont ensanglanté les mains[1] Il a néanmoins trouvé une différence chez les moutons [4] où, au lieu de deux, un seul canal monte jusqu’aux veines jugulaires, [5][6] comme il l’a aussi très rarement observé chez d’autres animaux. Je doute qu’il ait vu cela chez les bœufs, les porcs et les chevaux : les bœufs gonflent après qu’on les a tués d’un violent coup de massue, à moins qu’on ne les découpe dans un endroit frais ; il en va de même pour les porcs, si on ne les brûle pas avec de la paille enflammée ; quand la maladie les a rendus incapables de travailler, on envoie les chevaux mourir hors de la ville ; [7] dans tous les cas, les veines lactées auront disparu sans laisser de trace, immédiatement après la mort. [2] Vous auriez [Page 153 | LAT | IMG] mieux et plus sûrement fait d’opérer sur des agneaux, des veaux ou des chevreaux, après les avoir bien nourris, comme il est ordinaire de faire chez les chiens. Je suis surpris que vous ayez omis les chats, animaux domestiques qu’on trouve en grand nombre : si vous ne les avez pas mentionnés, c’est que vous n’y avez pas trouvé vos veines lactées[3][8]

Page 18. Vous prédisez hardiment que, chez l’homme aussi, l’officine de la substance chyleuse est la même. J’oserais moi, au contraire, affirmer que sa structure y est différente : il ne va pas de soi qu’on trouve chez l’homme ce qui existe chez les bêtes car, si on les examine avec soin, les structures de leurs parties internes sont dissemblables ; et à moins que vous ne disséquiez un homme vivant, jamais vous n’y trouverez ces veines lactées et ce réservoir du chyle, [9] étant donné que chez les bêtes, sitôt qu’elles ont trépassé, ils disparaissent entièrement, comme vous l’assurez, sans laisser aucune trace visible[4]

Quant à l’existence et à l’origine des veines lactées chez l’homme, votre sentiment s’appuie sur l’observation de Gassendi[10] mais vous les décrivez autrement et leur assignez d’autres fonctions. Il est vrai qu’elles y existent, telles qu’Aselli les a décrites, [11] comme je l’ai jadis démontré, avec l’admiration des Écoles, [12] avant même la publication d’Aselli. J’entreprendrai désormais d’observer cela sur des condamnés à la pendaison qu’on aura complaisamment nourris à satiété avant de les exécuter [Page 154 | LAT | IMG] et dont on aura ouvert le corps immédiatement après, s’il m’est permis (par les juges et les confesseurs) de gaver des suppliciés avant l’application de la sentence. [5][13][14][15]

Enfin, il produit les témoins de sa découverte, excellents observateurs et fins connaisseurs de l’anatomie qui ont approuvé son travail et affirment l’avoir vu opérer, dans les lettres qu’ils ont écrites et publiées.

Voilà une solide attestation, surtout quand elle émane de médecins de Paris, [6][16] qui donc après cela oserait la mettre en doute ? Il devait pourtant prendre avis d’encore meilleurs observateurs, comme sont les anciens maîtres de l’École, parfaitement rompus à la pratique de l’anatomie et aux opérations de l’art, car, dit Platon, l’œil du corps s’affaiblit quand celui de l’esprit resplendit. [7][17][18] L’âge, selon Plaute, est le condiment de la sagesse [8][19] Vous auriez dû solliciter l’opinion de ces anciens avant de statuer, tel un juge suprême, sur l’utilité des dites veines et sur la nouvelle action du foie, puisqu’il s’agit d’une question de grande importance en médecine, et celle que vous lui attribuez, fictive et obscure, nous fait clairement prendre pour de ridicules imposteurs et des meurtriers. Votre théorie est plus effrontée que les livres de Van Helmont[9][20] Le ton est tout autre dans la première de vos lettres, écrite par Jacques Mentel, homme de noble lignée, très digne arrière-petit-fils de celui à qui le monde doit la création de l’imprimerie ; [21][22] j’ajoute qu’il a été l’inventeur [Page 155 | LAT | IMG] d’un bienfait à rendre jaloux même les dieux, car outre qu’il a donné aux écrits un accès à l’immortalité, il les a envoyés par toute la terre, afin que partout on pût les croire présents (Pline, livre xxxv, chapitre ii, sur la peinture). [10][23] Voici ses mots :

Le cœur assure seul l’hématose : telle est la découverte de Pecquet, anatomiste de talent peu commun, dont le mérite est d’avoir pénétré l’immensité de la nature, comme si l’esprit du chef des péripatéticiens [24] était venu habiter le sien. Tous mes compliments pour cette illumination, très clairvoyant jeune homme, et pour votre compréhension inouïe de ce que l’anatomie avait de mieux caché ! Votre découverte, incontestablement fort admirable, représente un progrès dans toute la connaissance de l’économie naturelle, pour le grand profit de la médecine[11][25]

Le deuxième < de vos correspondants > fait remonter la structure de ces veines à Adam, le premier géniteur des hommes : [26] Parce que par cette découverte, la nature semble bien plutôt nous reprocher en quelque façon de juger que, depuis que le monde est monde, elle a pour habitude de contrarier l’ordre établi[12][27][28][29]

Votre troisième panégyriste s’exprime ainsi : [30] Notre siècle n’a rien vu de plus fameux que la découverte des veines lactées, elle doit être préférée, je pense, à celle de mondes nouveaux ou aux plus brillantes inventions, dans la mesure où elle garantit à notre santé un avantage et une volupté qui dépassent la valeur de l’or. Tout ne doit pas être maintenant modifié en médecine, même si les jugements qu’on a admis sur la transformation du chyle en sang s’appuient entièrement sur l’idée qu’elle est accomplie par le foie, bien qu’il n’y [Page 156 | LAT | IMG] prenne à l’évidence qu’une part minime ; de là vient pourtant aussi qu’il est désormais difficile de trouver dans les livres de médecine et d’anatomie une page qui ne contienne pas maintes grossières erreurs[13]

Après ces débiteurs de louanges, qui donc ne s’exclamerait pas Tu es Pecquete, Gallinæ filius albæ, nos viles pulli, nati infelicibus ouis ? [14][31] et pour le vénérer bien haut, comme le nouveau fondateur de la médecine :

—————— tibi lilia plenis
Ecce ferent Nymphæ calthis, tibi Candida Naïs
Pallentes violas, et summa papauera carpens,
Narcissum, et florem iunget bene olentis anethi
[15][32]

Ainsi donc, la véritable doctrine et la science anatomique reposent-elles désormais sur l’éventration des animaux vivants pour explorer les actions des viscères : je ne désapprouve pas cela si l’animal ne trépasse pas dès qu’on lui a ouvert le thorax et l’abdomen, pour en retirer et déchirer les organes, mais il est impossible de procéder ainsi sur une bête en vie. [16] Il faut donc s’en tenir à la véritable anatomie du corps humain pour y connaître la conformation naturelle des viscères, la position, le trajet et les connexions des vaisseaux, et les communications qu’ils ont entre eux, les origines et insertions des muscles, afin que [Page 157 | LAT | IMG] le médecin et le chirurgien sachent comment soigner les lésions et les blessures des parties, et prévoir l’issue favorable ou funeste des maladies. Seuls les anatomistes aguerris ont la compétence requise pour étudier les vaisseaux lactés et la circulation du sang chez des animaux vivants. Le profit qu’en tire la pratique médicale est sans commune mesure avec le nombre et la durée des autopsies humaines qu’on y a consacrées. Je souhaiterais que les admirateurs de cet ouvrage démontrent en quoi cette observation nouvelle est utile à la pratique médicale et à la guérison des maladies qui altèrent ou abolissent la sanguification, dont on établit ordinairement le siège dans le foie. [17][33][34]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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