Texte
Jean Pecquet
Dissertatio anatomica
de circulatione sanguinis
et motu chyli
(1651)
Chapitre vii  >
[Page 47 | LAT | IMG]

La seule impulsion de la systole ne suffit pas au mouvement circulaire du sang. La diastole n’exerce aucune attraction[1]

De quelque manière qu’on les combine entre eux, l’impulsion de la systole, [2] l’attraction de la diastole, [3] le plissement des vaisseaux et des parties adjacentes semblent être autant d’influences extérieures qui animent le sang. [1][4] Il faut maintenant soigneusement examiner comment ces deux premières forces contribuent en quelque façon que ce soit au mouvement du sang.

Impulsion de la systole.

La systole chasse le sang, la partie qui en est éjectée propulsant celle qui l’a précédée. Néanmoins quand les artères se vident au moment de la mort, [5][6] celle qui a quitté le cœur en dernier, se hâte d’arriver dans les veines, bien qu’elle n’y soit poussée par rien qui la suive. Après avoir lié l’artère crurale d’un animal vivant, nous avons vu son aval se vider peu à peu de son sang jusqu’à sa terminaison car la ligature empêchait la systole suivante de l’emplir. [2][7][8]

Tu constates la même chose en interrompant, à l’aide d’une ligature, l’écoulement continu du sang dans la veine qui irrigue le membre inférieur : sa turgescence depuis sa terminaison jusqu’au fil te montrera qu’elle ne doit être attribuée ni aux seules systoles qui pressent le sang de se ruer dans les artères jusqu’aux extrémités, ni à l’obstacle qu’il rencontre pour remonter au cœur par les veines. [3][9]

[Page 48 | LAT | IMG]

Attraction de la diastole.

Il nous faut donc examiner la fonction de la diastole. Elle consiste à puiser le sang, mais il reste à savoir si, comme certains se sont plu à le dire, elle l’obtient ou le suce en l’attirant, et compense ainsi l’impulsion de la systole.

La diastole suit immédiatement la systole. Quand finit la systole, les canaux des veines sont déjà amplement dilatés et la masse de leur sang, prête à jaillir, se heurte aux portes du cœur ; et à leur ouverture, elle s’engouffre dans les ventricules, mais la diastole ne lui sert qu’à cela. [4][10][11][12][13] Il est donc indubitable de lui conférer une vertu attirante ou, si tu préfères, aspirante, expressions que j’ai certes toujours eu du mal à entendre dans les raisonnements sur les fluides[5][14]

L’expérience réfute et renverse fort éloquemment et solidement tous les arguments qu’on oppose à ce point de vue, et tout le soutien que la mécanique peut procurer en faveur de l’attraction. Il est plaisant de s’attaquer à ces machines : comme l’avouent d’eux-mêmes ceux qui ont fini par s’épuiser les bras à faire entrer de l’air dans des soufflets, ni l’eau dans l’éolipyle, [15] une pompe ou un chalumeau, ni la peau dans une ventouse [16] n’y sont attirées par une succion, mais bien par la violence d’une impulsion externe.

Pour renforcer plus heureusement ma tentative d’expliquer un mystère bien dissimulé, je dois supposer que la poussée vient non seulement du poids de l’air, mais du pouvoir de son élasticité innée [17] qui comprime le monde terraqué. Parce qu’il est toutefois malaisé de spéculer sur ce qui gît encore dans le doute, je te prie de t’ouvrir aux mêmes arguments que moi et de te laisser persuader par l’évidence des expériences. [6]


1.

Le précédent chapitre a conclu que le sang ne possède en lui-même aucune force qui lui permette de se déplacer.

Systole (συστολη, systole en latin, génitif systoles) et diastole (διαστολη, diastole, diastoles) sont des mots grecs qui signifient « contraction » et « dilatation ». Outre leur emploi en physiologie cardiaque (dès Hippocrate, au ve s. av. J.‑C.), ils servent respectivement, en métrique poétique ancienne, à désigner la « licence d’employer comme brève une syllabe longue », pour la systole (et inversement pour la diastole) et, en philologie, à insérer une « sorte de virgule par laquelle les grammairiens grecs séparaient deux syllabes susceptibles de se confondre en un seul mot » (Littré DLF).

2.

Cette expérience est triviale et n’explique pas vraiment la vacuité des artères après la mort, que Jean Pecquet semblait croire rapide, sinon immédiate, alors qu’il s’agit d’un phénomène sûrement moins prompt que l’affaissement du lit d’une artère qu’on a liée chez un être vivant. La vidange artérielle qui suit la mort est due à la disparition du tonus vasculaire (vasoplégie générale), qui permet au sang de fuir des artères dans les veines puis de s’épancher dans les tissus déclives à partir des capillaires engorgés : les lividités cadavériques qui en résultent apparaissent 12 heures après le décès. En revanche, le sang reste piégé dans les veines car leurs valvules l’empêchent de refluer dans le lit capillaire.

3.

Dans cette autre expérience triviale, le seul phénomène qui m’aurait semblé mériter une remarque est l’immobilité de la veine stagnante, sans transmission des ondées systoliques, qui ne franchissent pas la barrière capillaire ; mais Jean Pecquet voulait prouver, sans vraiment y parvenir, que les artères se vident très rapidement dans les veines après la mort. Tout son paragraphe sur la systole ne pouvait convaincre personne de quelque découverte que ce soit, mais la suite est plus originale.

4.

Comme l’avait établi William Harvey, la systole du ventricule, qui l’a vidé, est suivie de la systole de l’oreillette, phénomène actif, qui le remplit de nouveau (v. infra note [5]).

Pendant la systole ventriculaire, les valves atrio-ventriculaires (tricuspide à droite, mitrale à gauche) sont fermées et les valves ventriculo-artérielles (pulmonaire à droite, aortique à gauche) sont ouvertes, permettant au sang d’être éjecté. La diastole commence par l’ouverture des valves atrio-ventriculaires combinée à la fermeture des ventriculo-aortiques, qui permettent aux oreillettes de chasser le sang qu’elles ont accumulé pendant la systole (venu des veines caves à droite et pulmonaires à gauche) pour remplir les ventricules dont les voies d’éjection (artère pulmonaire à droite, aorte à gauche) sont closes.

5.

En réfutant l’attraction, Jean Pecquet suivait la démonstration de William Harvey dans le chapitre iv, « Des mouvements du cœur et des oreillettes d’après les vivisections », de son Essai anatomique sur le Mouvement du cœur et du sang, pages 78‑79 : {a}

« Il y a dans le cœur deux mouvements, l’un pour les oreillettes, l’autre pour les ventricules qui se passent presque au même moment, mais qui ne sont pas néanmoins tout à fait simultanés. En effet, le mouvement des oreillettes précède, et celui des ventricules suit. Le mouvement semble partir des oreillettes pour gagner les ventricules. Si l’on observe ces phénomènes sur des poissons et des animaux à sang froid, on voit que lorsque le cœur plus languissant commence à mourir, entre ces deux mouvements de l’oreillette et du ventricule, il y a une certaine période de repos : le cœur excité à se mouvoir répond plus lentement à cette excitation. Enfin, touchant de plus près encore à la mort, il cesse ses contractions, faisant comme une légère inclinaison de tête ; les oreillettes font encore quelques obscurs mouvements, mais si peu perceptibles qu’il semble que ce soit plutôt un signal de mouvement pour l’oreillette que le mouvement lui-même. Ainsi le cœur cesse de battre avant les oreillettes, qui semblent survivre aux ventricules. Le ventricule gauche cesse de battre le premier, puis l’oreillette gauche, puis le ventricule droit, et enfin, comme Galien l’avait remarqué, lorsque tout mouvement a cessé et que tout est mort, l’oreillette droite continue à battre. Il semble que les dernières traces de la vie s’y soient réfugiées ; et quand le cœur paraît tout à fait mort, deux ou trois pulsations des oreillettes le réveillent. Alors il commence lentement une dernière pulsation qu’il achève lentement et avec peine.

Mais ce qu’il faut surtout noter, c’est que lorsque les ventricules ont cessé de battre, les oreillettes continuent encore leurs pulsations. Si on met le doigt sur les parois des ventricules, on sent dans le ventricule des sortes de pulsations analogues aux pulsations que produit dans les artères la contraction des ventricules, ce qui est dû à la distension des artères par l’impulsion du sang. Et si, au moment où l’oreillette se contracte, on coupe la pointe du cœur, on voit le sang en jaillir à chaque contraction des oreillettes. Ce fait nous démontre comment le sang arrive dans les ventricules : c’est par la contraction des oreillettes, et non par l’attraction que produirait la distension des ventricules. »


  1. Traduction de Charles Richet, Paris, 1879, v. note [14], Responsio ad pecquetianos, 6e partie.

6.

Ces expériences sont exposées dans les trois chapitres suivants. Dans sa Dissertatio de 1628, William Harvey s’était beaucoup plus intéressé au trajet circulatoire du sang (qu’il découvrait) qu’aux forces qui le meuvent (hémodynamique). Il tenait la systole pour son moteur principal, sans s’attarder beaucoup sur la question, alors fort obscure, des forces qui le font revenir (et surtout remonter) des veines périphériques dans le cœur.

V. notes [2][4], résumé de la Dissertatio anatomica, pour l’élasticité (elater), l’éolipyle et les ventouses.

a.

Page 47, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

Caput vii.

Circulari Sanguinis motui sola Systoles Impulsio non
sufficit. In Diastole
Attractio nulla.

Sanguinem extrinsecùs impulsio sy-
stoles, diastoles Attractio, rugosa va-
sorum contractio, et adjacentium par-
tium quâlibet ex causâ connixus, viden-
tur afficere. Harum utrum, et quid quæ-
libet ad Sanguinis motum conferat exacto discutien-
dum venit examine.

de systoles impulsione.

Systole Sanguinem pellit, trusáque pars præce-
dentem abigit partem ; sed illa, quæ cor ipsum
postrema deserit, dum in moribundis Arteriæ va-
cuantur, quamvis nullâ corruat insequente, nihil
minùs in venas festinat ; et dum cruralem Arteriam
in Animali vivo ligavimus, trans vinculum eam ad
extrema inclusum sensim flaccescendo Sanguinem
absque sequantis, quem filum inhibebat, incitamen-
to, vidimus effundere.

Experieris idem in venâ, quæ crus perluit, inter-
rumpente continui Sanguinis tenorem ligamine,
tum enim ad filum ab extremis turgida, properante
nihilominus versùm cor Sanguine, non soli Systoles
urgentis impulsui decursum per Arterias ad extrema,
nec ad cor inde per venas refugium tribuendum de-
monstrabit.

b.

Page 48, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

de diastoles attractione

Diastoles ergo munus observandum. Hujus est
Sanguinem excipere ; Sed num, ut quibusdam
placuit, Attrahendo pelliciat, exugátve, sic-
que Systoles Impulsui subsidium ferat, vestigandum.

Diastole Systolen immediatè sequitur ; Ergò cum
Systole desinit, jam turgidis venarum urgentium ca-
nalibus, parata eruptioni Sanguinis moles ad cordis
fores pultat, illiúsque dato aditu ingurgitat ventri-
culos, Diastole solùm obsequij vices conferente ; si-
cut indubitatè pateat, quam sit superfluum Attrac-
toriam
aut Suctoriam, si mavis virtutem consti-
tuere, quam in fluidorum quidem negotio ægris sem-
per auribus toleravi.

Et certè quidquid Adeversarij argutentur, et quas-
cunque in Attractionis opem machinas adhi-
beant, eloquentior experientia refellit, diruítque.
Iisdem machinis pugnare libet, sicut suismetipsis tan-
dem armis prostrati fateantur aërem in Folles, quos
adducunt ; aquam in Ælopilas, aut Antliam, Cala-
múm-ve ; carnem demùm in Cucurbitulas nullâ
Suctionis illecebrâ, sed Externæ duntaxat
Impulsionis violentiâ succedere.

Vt feliciori conatu valeam involutum hactenus ex-
plicare mysterium supponendum venit ab aëris non
pondere tantùm, sed et Elateris eidem innati virtute
comprimi terraqueum orbem : verùm quoniam ægrè,
quidquid etiam num est in dubio, supponitur, patere,
sodes iisdem te mecum argumentis, et experimento-
rum evidentiâ suaderi.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et motu chyli (1651): Chapitre vii

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=0027

(Consulté le 11/12/2025)

Licence Creative Commons "Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.