Texte
Jean Pecquet
Experimenta nova anatomica (1651)
Chapitre iii  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Experimenta nova anatomica (1651) : Chapitre iii

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=0013

(Consulté le 08/12/2025)

 
[Page 7 | LAT | IMG]

Deuxième dissection (début). [1]

Double cheminement des lactifères découvert dans le thorax, jusqu’à la quatrième vertèbre dorsale, où se déploie la source chyleuse des subclavières, et au-dessus de laquelle aucun rameau lacté ne se dirige plus vers le haut.

Ne disposant pas d’un cadavre humain, [2] je me contentai d’un chien que le hasard m’avait procuré à l’improviste. Une longue privation de nourriture m’ayant laissé prévoir que ses lactifères [3] seraient vides, je me disposais à gaver cet animal famélique ; mais je dus l’éviscérer à jeun pour soumettre sur-le-champ ma découverte à l’arbitrage de spectateurs que sa nouveauté avait attirés. [4]

Survint alors mal à propos ce que j’avais annoncé à ceux qui s’étaient précipités : l’estomac et les intestins étaient si absolument vides que, pour mon malheur, il ne subsistait aucune trace de lactifères, pas même dans le mésentère, qui s’offrît au regard de quiconque cherchait à les voir.

Aussitôt l’auditoire exprima son amère désapprobation, en refusant de croire ce qu’il ne pouvait regarder. Je les vis nombreux, sinon tous, se récrier vivement sans rien céder à mes arguments. Il est finalement bien (me dis-je à part moi) que vous ayez appris à vous servir de vos yeux ; mais peu m’importe car, par ces mêmes yeux, dont j’ai fort complaisamment subi les dédaigneux clignements, vous donnerez satisfaction à l’aruspice [5] qui reviendra opérer devant vous.

J’avais bien sûr prévenu ceux qui m’avaient témérairement pressé à me lancer dans une [Page 8 | LAT | IMG] dissection mal préparée, que les petits rameaux lactés étaient très menus, qu’on ne les distingue que grâce à la blancheur du suc qu’ils charrient, tiré des intestins remplis de nourriture digérée, et qu’il est tout à fait vain de chercher le chyle dans un ventre famélique. On perd son temps à démontrer l’existence d’une source quand elle est tarie. Le chyle n’est pas élaboré au cours du jeûne ; sans prise d’aliments, la substance qu’ils produisent disparaît aussitôt.

Sans en être empêché par l’exigence de quiconque, je soumis donc à ma diète un chien que j’avais capturé et, quatre heures après qu’il se fut rassasié du très copieux repas que je lui avais présenté, nous entreprenions l’examen de ses viscères.

L’essentiel de mon projet n’était pas d’observer les lactifères, ruisseaux d’Euripe [1][6] que je voyais en nombre infini se ruer de toute part dans le mésentère, mais de porter entièrement mon attention sur le thorax.

Le cœur, jusque là intact, continuait à battre. À son voisinage, les autres organes vitaux s’acquittaient chacun de sa fonction. [2] Jugeant qu’il ne fallait encore en léser aucun, je commandai à mon aide d’empaumer fermement le poumon droit pour le renverser dans la cavité thoracique gauche, afin d’exposer entièrement sa paroi postérieure au regard.

J’observai les affluents de la veine cave, [7] tous étaient bleuâtres. Aucun rameau des vaisseaux qui montent vers les orifices lactés, tels que je les avais récemment découverts, n’était visible. Je suivis des yeux les branches de la sixième paire intercostale, dont les unes étaient recouvertes par l’auvent du diaphragme, et les autres dissimulées par le contenu de l’abdomen. [3] Enfin, je découvris ce que je cherchais : en regardant les flancs des dernières vertèbres dorsales, mes yeux s’arrêtèrent sur je ne sais quelle blancheur, qui avait l’aspect d’un petit chylifère. Sinueux et entortillé, il rampait sur quelque distance, avant de se perdre au contact du rachis. [Page 9 | LAT | IMG] Sa ressemblance avec un nerf me faisait douter qu’il s’agît bien d’un vaisseau tel que j’étais habitué à en voir. Je serrai donc un lien un peu au-dessous des clavicules, et mes incertitudes se dissipèrent entièrement car, tandis que l’aval de la ligature s’était affaissé, mon petit vaisseau, en amont, enfla pour laisser place à une dilatation semblable à une tumeur. [4]

Il est pourtant mauvais de fonder une sentence définitive sur une minuscule anomalie et je n’osais pas encore me fier à mes seuls yeux, bien que leur témoignage fût flagrant. J’interrogeai le côté gauche : il y rôdait le même liquide qu’à droite ; et sous l’effet de la ligature, il s’avéra être un canal qui se drainait pareillement. À l’aide d’un scalpel, je me hâtai de séparer habilement les gros vaisseaux du médiastin de leurs attaches thoraciques. Le voisinage fut nécessairement inondé par l’intarissable irruption de sang qui jaillit du cœur ; mais son ablation eut bientôt le double effet de le châtier d’avoir troublé notre travail et de lever l’obstacle qu’il mettait à le mener plus avant.

Après avoir évacué le sang, je découvris enfin les canaux lactés, cheminant le long de la plèvre jusqu’aux deux liens que j’avais placés à la base du cou. À partir de la troisième vertèbre dorsale, ils cessaient d’être en contact avec le rachis, qui leur avait jusque là servi de support, et se glissaient obliquement sous l’œsophage, auquel ils adhéraient, puis progressaient vers chacune des deux clavicules. Solidement attachés au thymus, [8] ils se divisaient alors en quatre branches, ou même plus, et atteignaient les veines subclavières. [9][10] Aussitôt après les avoir ouvertes, j’en dénouai les ligatures, je les scrutai très avidement du regard, et voici qu’une fois encore, de part et d’autre, la veine cave fut immédiatement inondée par un torrent laiteux de chyle. [5]

Le mépris des spectateurs se transforma alors en émerveillement et en pressante exhortation à chercher si quelque canal chylifère ne s’élançait pas vers la tête ou ne s’était pas détourné vers les pattes antérieures. Après avoir coupé la tête et amputé les membres, pas une goutte d’humeur lactée [Page 10 | LAT | IMG] ne s’écoula autrement qu’en comprimant l’abdomen. Je prouvai ainsi que cette grande quantité de substance chyleuse qui s’était déversée dans la veine cave ne provenait pas de la tête ou des membres, mais uniquement des veines subclavières.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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