Thomas Bartholin a résumé dans le désordre le commentaire de Prospero Marziano (Martianus) sur Hippocrate sur la Nature de l’enfant, page 43, repères B‑E :
Si lac ex sanguine generaretur, non ex succo à cibis et potibus expresso, impossibile esset odorem, et facultatem ingestorum adhuc retinere, quandoquidem nullus odor, aut qualitas manifesta oberuatur in sanguine cibariorum è quibus conflatus est, et multò minus in ijs, quæ ex sanguine generantur. Contrà verò lac sæpe odorem retinet, et facultatem ingestorum ; ut docet experientia Hipp. ipso assentiente lib. enim 6. Epid. sect. 2. vers. 38. legimus ; Mulier, Capra elaterium, aut cucumerem siluestrem comedentes, pueris purgatio. Idque mihi cognitum est experimento. D. Francisca, vxor magistri Baptistæ de Castellis cementarij in Vrbe, assumpto medicamento purgante, statim mammam porrexit puellæ aniculæ, quam lactabat, non existimans, tam citò virtutem medicamenti ad mammas peruenire posse (nam id à me vetitum fuerat ante) quæ adeò fortiter purgata est, vt de superpurgatione læthali dubitatum sit. Matri verò ne semel quidem aluus subducta est, signum euidens medicamentum ad mammas functionis violentia statim raptum fuisse, quemadmodum etiam euenit D. Pompiliæ vxori D. Adami Melsi aromatarij in urbe notissimi, quæ cum purgandi gratia lactis caprini sex libras vnica vice assumpsisset, vi suctionis totum conuersum est ad mammas, ita vt cum puella, quam lactabat, sugendo non sufficeret, coacta est plures adhibere infantes, qui sugerent : aliàs mammæ disrumpi præ turgentia videbantur. Hæc et alia multa his similia quotidiè obseruantur, quæ sicuti Hipp. sententiam indubitatam faciunt, ita contrarias penitus euertunt, vt non satis mirari possim, non dicam tot medicos, quando plerique à Gal. placitis obcæcati, sæpe ne lucem quidem Solis videre possunt ; sed principem philosophorum Arist. si lactis totam materiam credidit sanguinem ; non portionem tantummodo exiguam ab vtero ascendentem ad mammas, Hipp. consentiens, quæ et ipsa tandem in lac transmutatur, cognouit enim, à ventriculo ad mammas per substantiæ porositates ferri, non succum modo tenuem iam dictum ; sed etiam crassiora corpuscula, nam 7. de Hist. anim. cap. 11 testatur, si lactans pilum cum cibo, aut potu ingerat, ad mammas pervenire, in earumque papillis consistentem, morbum inducere, quem τριχιας vocat. Sed longè pilis crassiora è mammis cum lacte exijsse cognoui. Narrauit enim mihi illustriss. et admodum Excell. Prosper Cechinus Chirurgus in Vrbe primarius aliquando è papilla mulieris extraxisse surculum cicorij, quod vesperi præcedenti comederat, præsente D. Antonio eius alumno, qui idem mihi affirmauit, in cuius rei confirmationem Domina Domitia de Griffonibus matrona nobilis, et omni fide dignissima obseruauerat, puerulum filium suum adhuc menstruum sæpius cum stercore excreuisse furfures quam pane furfuraceum comedebat nutrix, vt alui adstrictioni immodicæ occurreret. Quæ omnia palam faciunt materiam lactis esse succum alimentorum, nondum concoctum à ventre ad mammas per carnis porsitates attractum, ita vt quò mulier carne rarior est, eò maiorem lactis copiam producat, vt Hipp. testatur, et ideò non sunt necessarij ductus conspicui, qui præfatum succum deferant ad mammas : per quos si lactis materia procederet, non obseruatum fuisset à præceptore, carne rariores, lacte magis abundare ; sed quæ venas amplas habent, quæ sunt illis contrariæ.
[Si le lait provenait du sang, et non du suc extrait des aliments solides et liquides, le lait ne pourrait pas conserver l’odeur et la faculté de la nourriture ingérée, puisque ne s’observe dans le sang aucune odeur ou qualité manifeste des mets qui l’ont formé, et moins encore dans les matières qui dérivent du sang. Tout au contraire, le lait retient souvent l’odeur et la faculté de ce qui a été mangé ou bu, comme nous l’enseigne l’expérience d’Hippocrate, au livre vi des Épidémies, section 2, § 38, où nous lisons : Mulier, capra, elaterium aut cucumerem siluestrem comedentes, pueris purgatio. {b} Je sais cela d’expérience : à Rome, Donna Francesca, épouse du maître maçon Battista de Castellis, ayant pris un médicament purgatif, tendit aussitôt son sein à la fillette d’un an qu’elle allaitait, pensant que la vertu du médicament ne pouvait se transmettre si rapidement au lait (mais en dépit de l’interdiction que je lui en avais faite) ; l’enfant en fut si rudement purgée qu’on craignit qu’elle en mourût ; la mère alla plusieurs fois à la selle, ce qui est un signe évident qu’emporté par sa violence, le médicament s’était sur-le-champ précipité vers les mamelles. {c} La même chose arriva à Donna Pompilia, épouse d’Adamo Melsi, épicier {d} d’excellente réputation à Rome : pour se purger, elle avait avalé d’un trait six livres de lait de chèvre ; {e} en tétant vigoureusement, la fillette qu’elle allaitait puisa tout ce liquide dans ses mamelles, si bien que, la petite ne suffisant pas à le boire, cette femme vit ses seins enfler jusqu’à être près de rompre et elle fut contrainte de nourrir plusieurs autres enfants. {f} On fait tous les jours quantité d’observations semblables, qui rendent si indiscutable la sentence d’Hippocrate qu’elles réduisent à néant les arguments de ceux qui la contredisent, sans avoir à dire mon étonnement devant tant de médecins qu’ont aveuglés les décrets de Galien, à tel point qu’ils sont incapables de voir la lumière du Soleil. Si Aristote, le prince des philosophes, a pourtant cru que le sang procure toute la matière du lait, Hippocrate est convenu qu’une partie non négligeable en monte de l’utérus aux mamelles pour y être finalement transformée en lait ; tout en sachant, comme j’ai déjà dit, que ce qui y vient de l’estomac, par les porosités des tissus, n’en représente pas seulement la portion déliée, mais aussi les grumeaux les plus épais, comme en atteste le livre vii, chapitre xi de l’Histoire des animaux : si une femme allaitante ingère un poil en mangeant ou en buvant, il parvient et se fixe dans ses mamelons pour y provoquer une maladie qu’il appelle trichiase. {g} Pour ma part, j’ai vu sortir des seins, avec le lait, des matières bien plus épaisses que des poils, et Prosper Cechinus, très illustre et excellent premier chirurgien de Rome, m’a raconté avoir un jour extrait du mamelon d’une femme un brin de la chicorée qu’elle avait mangée la veille, et ce en présence du signor Antonio, son élève, qui me l’a lui-même confirmé. {h} À l’appui de cela, la Donna Domitia Griffoni, noble dame absolument digne de confiance, a très souvent observé la présence de bran de son dans les fèces de son petit garçon, qui n’était encore âgé que d’un mois et dont la nourrice mangeait du pain de son pour se soigner d’une constipation opiniâtre. {i} Tous ces faits démontrent que la matière du lait est le suc des aliments que les intestins n’ont pas encore digérés et que les mamelles attirent à elles par l’intermédiaire des porosités de la chair. Il en résulte que plus la chair d’une femme est flasque, plus elle produit de lait, comme en atteste Hippocrate, {j} sans qu’il soit nécessaire de bien voir les conduits qui portent ledit suc dans les seins ; et même si le grand précepteur de notre art n’a pas remarqué que la matière du lait emprunte ces canaux, où le lait abonde d’autant plus que la chair des femmes est lâche, à l’inverse de celles qui ont des veines de gros calibre].
- Rome, 1626, v. note [2], Historia anatomica, chapitre v.
- Dans Littré Hip, ce passage correspond à la 15e section du livre (volume 5, page 323) :
« Une femme, une chèvre, ayant mangé de l’élatérium ou du concombre sylvestre, {i} les enfants mêmes sont purgés. »
- Dénominations communes d’un puissant purgatif végétal, dont Littré a traduit les noms grecs en latin de Linné : ελατηριον, momordica elaterium, et σικυον αγριον, momordica claterium.
- Première histoire de Marziano que Bartholin a résumée (et modifiée).
- V. note Patin 15/544.
- Environ 2,7 litres.
- Quatrième histoire de Marziano que Bartholin a résumée.
- Aristote, loc. cit. (mais chapitre x dans l’édition de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, 1883) :
« La mamelle est tellement spongieuse que, si une femme avale un poil dans sa boisson, elle ressent une douleur dans les seins (ce qui s’appelle “ avoir le poil ”), et la douleur persiste jusqu’à ce que le poil soit sorti spontanément avec le lait, ou qu’il en ait été tiré par l’enfant qui tète. »
Trévoux sur la trichiase (trichiasis, v. notule {b}, note [21], Historia anatomica, chapitre ix) : « signifie encore une maladie des mamelles, appelée vulgairement “ le poil ”, parce qu’on croit qu’elle est causée par un poil avalé par hasard en buvant, qui étant conduit par la voie de la circulation à ces parties, s’y arrête, y excite une grande douleur, une tumeur inflammatoire, un abcès, à moins que le poil n’en sorte par expression ou par succion avec le lait. C’est une maladie assez ordinaire aux nourrices, qui vient plutôt d’un lait grumelé que d’un poil. »
- Troisième histoire de Marziano que Bartholin a résumée.
- Deuxième histoire de Marziano que Bartholin a résumée.
- De la Nature de l’enfant, § 21 (Littré Hip, volume 7, page 513) : « Chez la femme à chair dense, le lait donne signe et coule plus tard ; chez les femmes à chair lâche, plus tôt. »
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