Une collection de tours dentaires à pédale
 

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Ensemble de trois tours dentaires. Musée médecine Rouen.

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Lors d’un précédent exposé sur ce même site : Porte-fraises et porte-forets dentaires manuels,  nous avions évoqué les premières utilisations des fraises manuelles, des porte-fraises et porte-forets. Mais en cette fin 18ème et début 19ème tout va basculer avec le concept d’une nouvelle dentisterie réparatrice et constructive. Les dentistes ne vont plus se limiter à pratiquer des extractions et se tournent vers une dentisterie plus conservatrice avec de nouvelles possibilités de soins conservateurs et prothétiques.

Cela va entrainer une mutation complète de la profession avec une instrumentation bien plus importante, un exercice sédentaire en cabinet autour d’un fauteuil et des meubles dentaires spécifiques équipés d’un éclairage.

Le nouveau concept d’excaver les zones cariées des dents pour les obturer entraine l’usage de mini curettes, d’excavateurs, secondés par des fraises rotatives, sortes d’excavateurs à multi facettes. Mais cette dentisterie réparatrice se trouve vite face au problème de la dureté de l’émail difficilement attaquable. En réalité, jusqu’en 1947 avec les premières fraises en carbure de tungstène, l’émail sera le plus souvent effondré, clivé, taillé grâce à une multitude de forme de ciseaux à émail manuels, plutôt qu’éliminé à la fraise.

La première fraise manuelle dentaire est commercialisée en 1846. Elle est d’un emploi limité et de nombreux porte-fraises manuels essayent de prendre le relais (1850-1870). Viennent des porte-fraises activés par des mouvements d’horlogerie comme l’Erado d’Harrington en 1864. George F.Green produit en 1868 un premier moteur à air provenant d’un soufflet à pédale faisant tourner une fraise.(L’ancêtre de la turbine à air de J.V.Borden 1957). Puis il présente en 1872, chez S.S.White, l’Electric buring engine, le premier petit moteur électrique dentaire avec son axe de rotation directement sur le porte-fraise. (L’ancêtre du micromoteur électrique de Siemens 1965). Ce moteur est alimenté par une batterie. Mais concurrencé par les tours à pédale, il fut abandonné en 1875.

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Mécanisme d’horlogerie
entrainant des fraises.
L’Erado d’Harrington 1864.
Premier moteur
électrique dentaire
de F.Green 1872 :
 Electric burning engine.
L’ «Electro-fraise » de
Gustave Trouvé 1888.
Moteur dentaire électrique
par Coxeter apparenté à
celui de Nehmer 1890.BDA

 

Ces différents moteurs, relativement lourds, peu maniables, se montrent difficilement utilisables en bouche surtout à cause d’un manque de puissance pour travailler les tissus dentaires. L’idée de moteurs électriques est reprise et améliorée comme avec les moteurs de Nehmer à Berlin 1887 ou comme avec l’«électro-fraise» de Gustave Trouvé, génial inventeur, en 1888. Ce remarquable moteur miniaturisé de moins de 150gr, d’une puissance de travail de 2KgF par mètre, n’est cependant toujours pas d’une puissance suffisante, malgré une batterie spécifique Trouvé de deux heures d’autonomie.

LES TOURS À PÉDALE

La solution d’obtention d’une puissance suffisante pour un travail sur les tissus dentaires viendra du tour dentaire à pédale qui n’est pas une idée nouvelle. En effet comme on peut le retrouver dans les planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (parues décennie1750) de très nombreuses professions artisanales utilisent alors, en plus des porte-forets à main, des tours pour leurs exercices avec différentes forces motrices. Retenons : les orfèvres, les bijoutiers, les jouailliers, les diamantaires, les tabletiers cornetiers, les polisseurs, les tourneurs, les couteliers, les rémouleurs, les luthiers, les ébénistes, les horlogers, etc. Leurs appareillages rotatifs s’améliorent considérablement en adoptant progressivement une structure métallique, le plus souvent en fonte. Leur force motrice est basée sur un système à pédale faisant tourner une roue de grande inertie entrainant une courroie démultiplicatrice en liaison directe avec une « poupée » de transmission équipée des différents outils à faire tourner. Si tous les laboratoires dentaires possèdent déjà des porte-fraises et des porte-forets ils adoptent tous alors ces tours d’atelier indispensables à l’Art Dentaire.

Il semblerait que ce soit chez C.F.Delabarre, dans son « Traité de la partie mécanique de l’Art Dentaire » de 1820, que l’on découvre la première représentation d’un tour à pédale d’atelier en plus du porte-fraise, du drille manuel à petit volant d’inertie et porte-foret manuel à archer que l’on trouve déjà chez Fauchard. Toutes les récentes maisons de fournitures dentaires proposent dés la décennie 1830, jusqu’aux années 1950, ce type de tour à pédale d’atelier, lourd, en fonte, avec volant d’inertie, simple, robuste et efficace.

UNE COLLECTION DE TOURS À PÉDALE DE LABORATOIRE DENTAIRE

Quelques modèles de la collection de l’ASPAD.

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Tour de laboratoire ca.1860

 

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Tour d’atelier des années 1870 avec CA pour Claudius Ash à Londres

 

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Tour de laboratoire ca. 1895

 

Splendide tour d’atelier ca.1850. Musée médecine Rouen. Highslide JS Highslide JS Tour prothétique de cabinet dentaire ca.1900

 

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Tour prothétique pour cabinet de consultation ca. 1870

 

LE TOUR À PÉDALE DE MORRISON

Ces tours d’atelier développent, avec une certaine inertie, une certaine puissance. C’est très probablement leur principe et la petite taille de certains qui inspirent des adaptations pour une possibilité de travail en bouche.

Classiquement, avec son brevet du 7 février 1871, le tour de James B.Morrison est le premier tour dentaire à pédale pour travail en bouche. Il est constitué d’un trépied avec l’arbre d’un lourd volant d’inertie. Un ressort de rappel relie l’arbre à la pédale et aide à positionner le volant en situation haute décalée pour un démarrage dans le bon sens et plus efficace. Un bras horizontal mobile axé sur l’arbre supporte six poulies dont deux reliées à la pièce porte-instrument activée par une corde de transmission entrainée par le volant d’inertie.

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Tour à pédale de Morrison 1872

N’oublions pas que le 20 mai 1856, quinze ans avant Morrison, le dentiste écossais d’Aberdeen Henri A.Dewar avait déposé un brevet pour « Un appareil destiné à transmettre un mouvement rotatif à un foret d’usage dentaire » auquel celui de Morrison s’apparente fortement, mais il fut sans suite directe. Manifestement l’idée est dans l’air du temps.

Les praticiens apprécient alors tout de suite les qualités de puissance du nouveau tour qui rendent nettement plus efficace le travail rotatif des fraises, des meulettes et pointes montées pour la taille des cavités. Mais ils découvrent aussi qu’ils sont condamnés à travailler avec un déséquilibre inconfortable sur un pied augmenté par un facteur de tension sur l’autre pied en mouvement. De nombreuses améliorations les rendent rapidement plus confortables. Dés 1872, St.George Elliot propose chez Johnston Brothers un tour à pédale à suspension plafonnière qui augmente le débattement de la pièce à main avec un astucieux système de poulies et contre poulies.

Samuel Stokton White présente en 1874 un modèle à transmission flexible, « transmission par câble souple gainé ». Cet arbre de transmission flexible est constitué d’un câble torsadé en forme de ressort non actif situé à l’intérieur d’un fourreau flexible dans lequel il tourne en liaison directe avec la pièce à main et la poulie démultiplicatrice en sommet du tour. Ce dispositif améliore le confort des mouvements de la pièce à main, mais génère des vibrations réduisant l’efficacité du fraisage. L’obligation d’une importante lubrification du flexible entraine des projections d’huile noirâtres !

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Tour dentaire 1880.

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Tour de E.Billard avec logo B sur la pédale.
C’est le même logo que la marque
automobile d’Ettore Bugatti. 1880

Pour la petite histoire rappelons que la Société SSWhite, au cours de la deuxième guerre mondiale participa activement à l’effort de guerre américain en produisant ce qu’elle savait faire, de très nombreux systèmes de transmission par flexible, notamment pour l’aéronautique, l’armement et l’automobile. Dans les années 1960 pour différentes raisons SSWhite abandonnera le domaine dentaire mais cependant elle gardera sa branche transmission flexible qu’elle continuera à élargir.

Autour de 1875, la maison Ash & Sons de Londres propose des tours propulsés par une pression hydraulique supprimant le pédalage déstabilisateur. Malheureusement malgré les surpresseurs, même en ville, la pression hydraulique est inconstante et souvent insuffisante pour une bonne puissance. L’idée est bonne mais les résultats trop irréguliers.

Le modèle de tour de Parsons Shaw est commercialisé en 1881. Il répond au désagrément des premiers tours à transmission flexible souple en supprimant la gaine et ses frottements. Il est composé de deux tringles jouant le rôle d’arbre de transmission du tour. Elles sont articulées par un court ressort à spirale gainé. Ce dispositif relie aussi la deuxième tringle à la pièce à main.

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Tour de Parsons Shaw 1881

G. Arlington Bonwill propose en 1882 plusieurs améliorations au tour à transmission flexible de SSWhite. L’ancienne fourche en appuis sur l’axe du volant est remplacée par une potence unique avec dégagement permettant une mise en place rapide d’une corde légèrement élastique d’une seule boucle sans extrémités raccordées. Solution qui remplace avantageusement les cordes métalliques de transmissions constituées d’un très long et fin ressort. Ce dernier système de transmission permettant d’ouvrir la corde ressort métallique pour la changer, sa faible élasticité amortissant quelques vibrations. Le volant est augmenté en taille et en poids donnant plus d’inertie. L’écartement et l’agrandissement du trépied avec abaissement du centre de gravité améliore la stabilité de l’appareil.

La substitution du palier lisse de rotation par un roulement à bille augmente aussi beaucoup le confort. La gorge du volant est aussi reprofilée pour un meilleur gripping d’une corde élastique calibrée. Le système de transmission par arbre flexible va encore progresser et équipera la plupart des tours à pédale dentaires jusqu’en 1958 où il figurera toujours dans le catalogue de SSWhite Europe.

Highslide JS Premier modèle avec nouvel enfourchement par Billard 1885.

Autour de ces mêmes années le Berlinois Telschow propose d’adjoindre aux tours à pédale un moteur auxiliaire entrainant la corde de transmission. Il est adaptable à tous les tours existants, alimenté par batterie, débrayable en cas de besoin. Le système se révèle peu pratique et doit quand même être lancé à la pédale, avec un arrêt difficilement maitrisable à cause de l’inertie du volant. La position haute du moteur entraine une instabilité du tour. C’est une solution hybride adoptée par peu de dentistes.

Tour avec moteur électrique auxiliaire, apparenté à celui de Telschow.

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Notons en 1893 les modifications importantes du tour à pédale par Constant Doriot qui reprend le concept de transmission par corde par un dispositif activant la corde sur 5/6 de la circonférence de la gorge du volant. Mais surtout il supprime l’arbre flexible en le remplaçant par une complexe transmission cordes poulies améliorant considérablement la force motrice, le confort du praticien et du patient. Ce fameux bras Doriot équipera tous les moteurs électriques des cabinets dentaires jusqu’à l’arrivée des micromoteurs dans les décennies 1980 1990.

UNE COLLECTION DE TOURS À PÉDALE DENTAIRES

Quelques modèles de la collection de l’ASPAD :

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Modèle SSWhite à bascule pour un meilleur accés, par Malmezer à Paris vers 1880.

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Autre modèle à bascule plus tardif.

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Deux tours des années 1900.

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Tour 1900 par Reymond frères à Genève.

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Base de tour 1940.

Tour à pédale démontable dans sa valise. Leymann 1900

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Le célèbre petit tour de SSWhite démontable
avec sa valise de transport 1910.

 

LES VRAIS DÉBUTS DES MOTEURS ÉLECTRIQUES

Les irremplaçables tours dentaires à pédale seront naturellement remplacés par l’évolution des tours électriques. En 1884, SSWhite commercialise un moteur électrique à double induction avec fixation murale, plafonnière ou sur fauteuil avec bras flexible entre le moteur et la pièce à main. Il fonctionne avec une batterie spéciale de 6 éléments de 6 volts. La pédale de contact active l’immersion des électrodes dans le liquide électrolytique ! On obtient environ 10 000 tours/minute mais sans modulation.

Friedrich Schneider d’Erlangen présente en 1887 un moteur dentaire qui se déplace sur un rail plafonnier, alimentation par batterie. C’est un moteur fiable et puissant, avec un succès certain car fabriqué en série dés 1891 par Reiniger, Gelbert und Schall.

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Highslide JS Highslide JS Au premier plan, moteur dentaire avec rhéostat intégré et bras Doriot ; 1930.
Ensemble électrique
de Schneider 1891-92
avec sa batterie. Siemens.
Moteur électrique de
Cuttriss des années 1890.
BDA

En 1888, SSWhite propose un moteur à usage dentaire, alimentation sur batterie, fabriqué par la Detroit Motor Company, assisté par une pédale rhéostat contrôlant la vitesse du moteur. Les premières centrales électriques aux USA datant des années 1880, SSWhite propose une nouvelle version adaptée au courant urbain de 110 v avec une nouvelle pédale encore plus performante pour le réglage des vitesses.

Signalons le tour électrique de Cuttriss, fabriqué à Leeds à partir de 1891 avec ses nombreuses ventes en Grande Bretagne et Allemagne. D’un certain poids, il est monté sur potence ou colonne avec un nouveau rhéostat sophistiqué, à régulation de vitesses et contrôle marche arrêt, qui en fait son succès. Un inverseur manuel de courant permet de changer le sens de rotation. En 1893 est commercialisé un nouveau modèle de Cuttriss et Wallis pour courant alternatif ou continu avec moteur à la base de la colonne pour une meilleure stabilité de l’appareillage, équipé d’un bras de transmission flexible ou bras Doriot à poulies et corde avec une rotation dans les 10 000 t/minute.

Le tour à pédale dentaire de Morrison est dans l’histoire de l’Art Dentaire l’événement majeur des années 1870 1880 en permettant une révolution vers une dentisterie rotative. Il supportera longtemps la concurrence avec les moteurs électriques, et il faudra en réalité attendre les années 1890 pour que ces derniers deviennent plus puissants, pilotés par des rhéostats performants, et alimentés par des courants urbains pour l’emporter grâce au confort d’emploi.

N’oublions pas qu’aux extrémités des pièces à mains et angle-droits, qui aussi progresseront rapidement, tournent les premières fraises en acier, au début fabriquées à la main, peu coupantes et qu’il faudra attendre 1947 pour avoir les premières fraises en carbure de tungstène. Il en est de même pour les premiers disques et pointes en carborundum de 1890 pour pouvoir les remplacer par les premiers disques diamantés en 1930 et les fraises diamantées vers 1950 1960.

Le succés du tour de Morrison est principalement dû à sa simplicité, sa robustesse et son efficacité.

Ce n’est pas un hasard si de nombreuses autres professions artisanales l’ont adopté pour leur spécialité. Ce n’est non plus un hasard si de nombreux tours à pédale fonctionnent encore pour un exercice dentaire dans des endroits pas toujours si reculés du monde au XXIème Siècle. La plupart des tours à pédale ne pouvaient dépasser 200 à 300t/minute à cause des vibrations. D’ailleurs lorsqu’actuellement on essaye de faire tourner un tour à pédale en tenant une pièce à main équipé d’un disque en rotation, en équilibre sur un pied, l’autre naturellement en mouvement, on se demande vraiment comment nos confrères de l’époque pouvaient travailler. On est complètement admiratif !

Le tour à pédale dentaire est aussi une belle leçon de modestie et d’Histoire.

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Evolution des tours à pédale chez
SSWhite à Philadelphie, de 1872 à 1909
Evolution des systèmes de moteurs
électriques chez SSWhite, de 1874 à 1899
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Evolution des moteurs d’entrainement
chez SSWhite, de 1899 à 1940

DOCUMENTATION PHOTOGRAPHIQUE DE L’ASPAD

 

 

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