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L’ASPAD a eu la grande chance de pouvoir acquérir un remarquable ensemble
de bistouris et d’instruments pliants de trousse opératoire de chirurgie
marqués « Lüer ». Ces quatorze instruments sont d’une réalisation et d’une
finition très exceptionnelle, destinés très probablement comme pièces de
concours pour une exposition internationale et comme pièces de « montre »
d’un savoir-faire de coutelier chirurgical. Les dentistes, comme beaucoup de
praticiens médicaux, ont toujours utilisé des instruments tranchants ayant
même besoin d’instruments très efficaces comme des bistouris et lancettes
pour ouvrir des abcès, inciser des gencives malades, dégager des racines
récalcitrantes. Témoins en sont les lancettes et bistouris que l’on retrouve
souvent dans des coffrets de dentisterie 18ème et 19ème.
BISTOURI, SCALPEL ET LANCETTE
Consultons un document incontournable : « L’art du coutelier expert en
instruments de chirurgie » de JJ. Perret paru en 1772, avec son complément
de la même année exposé sur ce site
expo82.htm. Referons-nous aussi à
un remarquable article de Philippe Lépine, du musée d’histoire de la
médecine de Lyon intitulé « Bistouris, scalpels et lancettes » paru dans
l’excellente revue web « Clystère » (www.clystere.com)
N°20 de 2013, dont nous nous permettons de citer de nombreux passages, en
italique, bien précis sur le sujet. Avec P.Lépine revoyons les
définitions de trois petits instruments tranchants dont les noms sont
souvent pris les uns pour les autres.
BISTOURI
Le bistouri est un petit couteau dont se sert le chirurgien pour faire
des incisions dans les chairs. Le terme de bistouri pour désigner un couteau
chirurgical apparait chez Ambroise Paré au 16ème siècle. Son
étymologie un peu floue semble provenir de Pistoia (Pisto ville de Toscane)
réputée pour sa fabrication de petits couteaux : les « pistori » déformés
par l’intonation italienne en bistori, bistouri. En consultant le livre de
Perret on y trouve dans le vocabulaire, à la page 504, « Bistouri :
instrument de chirurgie pour faire des opérations, comme pour couper des
chairs ». Les bistouris sont donc, à cette époque, des instruments pliants
(vraisemblablement pour protéger le tranchant), ils n’ont pas la possibilité
de servir à disséquer. C’est seulement au 19éme siècle, que sont apparus les
bistouris à lame fixe. Dans le dictionnaire de Médecine de 1833 p 315 :« La
lame des bistouris est articulée d’une manière différente sur le manche et
parfois elle est immobile, ce sont des bistouris à lame fixe ou dormante.
Instruments qu’on devrait plutôt appeler des couteaux ou scalpels et qui ne
peuvent entrer dans la trousse que le chirurgien porte habituellement sur
lui. »
On ne peut pas être plus clair, jusqu’au 19ème les bistouris
étaient pliants. Mais comme il y a toujours des exceptions, nous devons
ouvrir de nouveau le livre de Perret page 361, planche 116 dans les
instruments pour la cataracte tous ceux qui ont un dos et un tranchant sont
appelés bistouris auquel on a ajouté celui de l’auteur. (voir photos plus
loin dans cet article). On peut raisonnablement en conclure que le bistouri
fixe a généralement été employé depuis le milieu du 19ème.
Cependant le caractère pliant des bistouris et autres instruments
tranchants reste toujours utilisé pour un côté pratique de transport, de
conservation de la qualité des tranchants, de sécurité et d’organisation de
trousse chirurgicale. Tout cela entrainera parfois une confusion des termes
scalpel et bistouri qui au 21ème siècle sont souvent employés les
uns pour les autres.
SCALPEL
Si nous reprenons le « Nouveau Larousse illustré » nous lisons :
« Scalpel
vient de scalpellum diminutif du mot latin scalpum (lancette, outil
tranchant) dérivé du verbe scalpere (gratter, creuser). Instrument en forme
de petit couteau, à manche étroit, à lame fixe, ayant un ou deux tranchants,
qui sert pour inciser et disséquer, c’est l’instrument de l’anatomiste, le
médecin emploi plutôt le bistouri. Le scalpel a bien une fonction de
dissection que n’a pas le bistouri. »
Perret écrit p. 266 : « Le premier instrument dont se servent les élèves en
chirurgie, c’est le scalpel, pour disséquer les cadavres ; ils emploient
avec celui-ci les errhines, les ciseaux, les pinces et les tubes » puis
p267 : « Il y a quatre sortes de scalpels, un à dos, un à lance, un à
lancette et un névrotome » La description ne dit rien du manche à extrémité
spatulée mais il en est question dans les opérations de fabrication.
LANCETTE
Reprenons le texte bien précis de P.Lépine. Le dictionnaire donne la
définition suivante : « Petit instrument de chirurgie ayant la forme d’une
petite lance, qui était utilisé pour la saignée, la vaccination et
l’incision de petits abcès. » La plus connue est la lancette à saignée
composée d’une lame d’acier enserrée dans une châsse permettent de mettre le
tranchant à l’abri. C’est un petit instrument qui une fois ouvert, a une
longueur d’environ 10 cm. En réalité les lancettes sont toujours des
instruments pliants avec deux volets mobiles de la châsse de chaque côté de
la lame servants de manche de manipulation.
Perret souligne : « La lancette est de tous les instruments de chirurgie,
celui qui exige la pointe et les tranchants les plus délicats et qui demande
aussi les plus grandes attentions en le fabricant ». Les exigences envers le
fabricant conduisent Perret à consacrer 12 pages à l’explication des
opérations successives de fabrication. Si la lancette à saignée est la plus
connue, il faut noter qu’il y eu aussi des lancettes à vaccin comportant une
extrémité tranchante en forme triangulaire.
Classiquement les lancettes sont dites à grain d’orge, à grain d’avoine,
ou à langue de serpent selon la forme de la pointe donnant des effets
différents fonction de l’angle d’attaque du praticien : la Saignée toute une
science ! Habituellement les châsses de protection étaient en écaille de
tortue, plus tardivement nombreuses étaient en corne et quelques-unes en
ivoire, ébène, nacre et rarement en métal. Les émouleurs de lancettes, en
les affilant, employaient le terme de « écorcher une lancette »
LE TRANCHANT, TOUT L’ART DU COUTELIER
Sans trop approfondir le sujet, maintes fois abordé par les spécialistes,
d’une manière simple une lame tranchante est caractérisée par sa dimension,
sa masse, sa forme, comme le soutien de son fil tranchant qui est la partie
la plus effilée qui effectuera la coupe. Ce fil pour être très efficace doit
présenter macroscopiquement des irrégularités de niveau (visibles à la
loupe), ces irrégularités étant bien alignées dans le sens de la lame :
action en dents de scie. Un fil de lame bien lisse sans irrégularité sera
moins efficace.
C’est à ce moment-là que la qualité du métal va jouer un rôle
déterminant. C’est tout l’Art du coutelier, de sa technique, de son
savoir-faire, de ses secrets d’élaboration. Les lames sont à l’origine des
lames forgées d’un acier avec un pourcentage plus ou moins important en
carbone avec modification de la dureté du métal influencée aussi par les
actions physiques de la trempe et de la chauffe de la lame. Une bonne lame
produira un bon tranchant en fonction de la qualité de son fil qui devra
être suffisamment tendre pour être irrégulier macroscopiquement et
suffisamment dure pour conserver les irrégularités de son fil. Le métal d’un
tranchant devra être suffisamment résistant pour permettre à la fois la
conservation d’un fil et pas trop pour pouvoir être redressé, retiré,
réguisé.
La forme, la taille, l’épaisseur de la lame va jouer un rôle important
pour diriger l’action du fil et son angle d’attaque. C’est le travail,
l’art, de l’émouleur qui va tailler cette lame à la lime et à la meule dans
le métal. L’émoulage forme le tranchant et contre tranchant, l’amincit, lui
donne une forme que le marteau n’a pu lui préparer. L’affilage donne à la
lame le fil qui sera ensuite préparé, étiré, dressé et après la réalisation
d’un morfil ou contre fil il sera terminé par un dernier affilage à plat à
la bande de cuir. Cette gestion métallurgique et la qualité du tranchant,
c’est tout l’Art du coutelier. Ce qui fait des couteliers chirurgicaux
une spécialité bien à part qui s’adaptèrent toujours aux demandes des
professionnels de santé. Certains petits ateliers de coutellerie au 18ème
et 19ème
s’étaient d’ailleurs spécialisés uniquement pour les rasoirs à barbe,
bistouris et lancettes (comme Michel à Paris) détenant un savoir-faire
spécifique. Ces pièces de qualité étaient souvent sous-traitées ensuite par
les couteliers.
Fréderic CHARRIERE, Georges LÜER, Louis MATHIEU, couteliers chirurgicaux
parisiens
Resituons la profession de fabricants d’instruments chirurgicaux au 19ème.Ce
n’est pas un hasard si c’est la corporation des artisans couteliers qui vit
certains des siens se spécialiser dans la coutellerie chirurgicale.
Importance de la maitrise des métaux, de la réalisation d’un bon tranchant.
Rappelons que le jeune apprenti Frédéric Charrière (qui deviendra un des
plus grands facteurs instrumentaux de chirurgie), a commencé en 1816 chez un
patron nommé Vincent qui était : « Artisan repasseur, aiguiseur ».
Georges Lüer fut apprenti et ouvrier chez Charrière de 1830 à 1837. Il
semblerait que ce soit ses qualités de finition des tranchants qui l’ont
orienté dans un premier temps vers l’instrumentation d’ophtalmologie lors de
son installation et à l’origine de sa renommée.
Louis Mathieu, qui lui aussi montera une importante entreprise de
matériel médical, fut formé par Lüer, puis passa chez Charrière. Installé à
son compte Il se retrouvera souvent en concurrence avec ce dernier pour des
prévalences de brevets, notamment avec différents systèmes de verrouillage
des lames coupantes et les articulations instrumentales démontables.
Charrière fut certainement un des plus novateurs. Il comprit la grande
importance des qualités métallurgiques de ses instruments. Dès 1837 il se
rendit à Sheffield en Angleterre pour s’intéresser à la qualité des métaux
britanniques et leurs traitements. Il en ramènera de nombreuses
améliorations métallurgiques. Le traitement thermique doit concilier deux
impératifs contradictoires : dureté et souplesse de la lame par la trempe
(acier brulant refroidit brutalement) et le revenu (chauffe et
refroidissement progressifs). Un détail par exemple, Il imposa à ses
émouleurs de changer leurs habitudes pour émoudre à l’anglaise, c’est-à-dire
à utiliser des meules qui tournaient d’arrière en avant, pour éviter les
accidents des émouleurs français qui tournaient dans l’autre sens.
UN ENSEMBLE D’INSTRUMENTS TRANCHANTS PAR LÜER
Il s’agit d’un exceptionnel ensemble de quatorze instruments tranchants
et pliants de petite chirurgie tous insculpés Lüer, probablement des années
1860, certainement pièces de « montre » destinées à remporter des concours
lors d’expositions internationales comme cela se faisait beaucoup à
l’époque.
L’ensemble représente toute la variété d’une instrumentation pliable et
tranchante destinée à garnir des trousses chirurgicales. Ces instruments
sont montés sur platines métalliques de précision (base de la coutellerie
pliable de qualité) équipées d’un axe très ajusté avec une encoche à la base
de la lame, une butée ou clou d’arrêt pour talon intercalaire, permettant un
verrouillage parfait de la lame par une glissière mobile externe aussi bien
en position ouverte active que dans celle repliée où la lame n’a aucun
contact avec la platine de protection évitant l’altération du tranchant.
C‘est l’articulation à verrou coulissant. Il semblerait que ce système de
blocage par glissière fasse partie d’un brevet de 1850 : cocking pin.
Excepté un instrument double, équipé d’une aiguille de
Deschamps et d’une aiguille de Cooper, dont la platine est garnie de
magnifiques plaquettes en nacre, les autres instruments ont des platines
équipées de plaquettes en écaille de tortue rivetées permettant d’assurer
une excellente prise en main. (Voir les instruments sur les photos
ci-dessous). Ces instruments sont par leurs mécanismes, leur précision, leur
finition d’une manipulation remarquable. N’oublions pas l’esthétique des
garnitures, les formes instrumentales, le poli des lames.
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De gauche à droite : tenaculum, bistouri
courbe mousse,
bistouri double lentille, bistouri double à serpette pointue
et serpette adoucie. |
INSTRUMENTS D’OPHTALMOLOGIE PAR LÜER
L’ASPAD possède aussi un coffret d’ophtalmologie des
années 1850-1860 garni d’instruments par Lüer, Mathieu et Charrière. Les
instruments de coupe, bistouris et mini lancettes à cataracte de Lüer sont
remarquables par leur forme, leur montage sur ivoire avec virole or.
Manifestement ce sont des instruments utilisés comme des bistouris, donc des
bistouris non pliables étant donné leur dimension spécifique pour
l’ophtalmologie.
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Coffret d’ophtalmologie par
Mathieu, Charrière et Lüer,
à Paris vers 1850. Exceptionnelle instrumentation
bistouris pour cataracte de Lüer en acier, or et ivoire |
TROUSSE D’ANATOMIE MICROSCOPIQUE PAR CHARRIERE
L’ASPAD possède aussi une intéressante trousse pour recherches,
préparations et dissections d’anatomie microscopique par Charrière de 1867
(marquage Robert et Collin sur paire ciseaux). C’est un ensemble de six
scalpels fins montés sur manches en ébène striés d’un remarquable équilibre
et d’une excellente prise en main, d’un porte aiguille, d’aiguilles à
dissection lancéolées, d’une lame style rasoir montée sur manche pour
préparation de coupes microscopiques. Deux paires de ciseaux très fines de
précision nous rappellent le rôle important de la cisellerie dans
l’instrumentation médicale. En effet celle-ci demande encore d’autres
qualités de tranchants, d’angles d’attaque, d’axe de rotation, d’efficacité
des anneaux de préhension. Cette dernière trousse représente bien toute une
panoplie de la coutellerie de précision du 19ème siècle.
DOCUMENTATION PHOTOGRAPHIQUE DE
L’ASPAD
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