Marguerite ZIMMER
Le Savon Dentifrice
Depuis plus de trente ans, le » Savon Dentifrice » connaissait un réel succès dans les milieux médicaux et dans le monde dentaire. En 1931, Carl Naeslund, d’Upsal, entreprend des études expérimentales sur les produits dentifrices, mais quoiqu’il ait immédiatement dénoncé le caractère pernicieux du savon, ses conclusions ne suscitèrent aucune réaction de la part des autres chercheurs et son étude resta complètement méconnue. Ce n’est finalement qu’en 1933 qu’Etienne Camille André, pharmacien de l’Université de Paris, apportera la preuve expérimentale de la nocivité chimique du savon dentifrice. Camille André démontrera que l’hydrolyse savonneuse est génératrice de causticité, qu’elle s’exerce autant sur les sécrétions buccales que sur la muqueuse gingivale et sur le cément. L’apport répété d’eau tiède pour le brossage des dents a pour effet de libérer la soude, dont l’action caustique, en rapport avec la nature du savon, la durée du brossage, les lavages plus ou moins fréquents, voire l’élimination incomplète du résidu savonneux, provoque une irritation des muqueuses ou agit sur la dent. Pour Camille André il fallait entamer une lutte contre l’illusion depuis si longtemps entretenue de la neutralité savonneuse.
Physique des matériaux à usage prothétique
Les alliages métalliques
Depuis plusieurs années la chimie industrielle avait créé des alliages métalliques nouveaux dont les propriétés physiques intéressaient particulièrement les dentistes. Il convient cependant de faire remarquer que le praticien, confronté aux brevets qui protégeaient les marchands de métaux, n’avait pas la possibilité d’obtenir des indications précises sur les produits nécessaires à la confection des prothèses. A titre d’exemple, nous citerons les alliages d’or dits auto-trempants, qui étaient utilisés avec des alliages non trempants. Suivant la qualité exigée, ces alliages trempants, qui possédaient la particularité de durcir sous l’effet d’un recuit prolongé suivi d’un refroidissement lent après coulée en revêtement, comprenaient, en plus de l’or, de l’iridium, du palladium, de l’argent ou du cuivre. L’élasticité et la plasticité de ces alliages étaient donc extrêmement variables et de nombreux auteurs, intrigués par les variations inhérentes à la manipulation des matériaux, se penchèrent alors sur leurs caractères physiques. Parmi eux : V. Horn qui mènera des recherches sur la dilatation et la rétraction de la cire à inlays, Bakker qui étudiera la prise des métaux et préconisera leur fonte dans un anneau tiédi, Harder qui observera la réaction du plâtre à différentes températures. Avec la méthode de prise d’empreintes directes, il se produisait souvent un rétrécissement de 1% par contraction de l’or fondu ; après refroidissement le revêtement rétrécissait dans la même proportion. En 1930, Johan Van Den Bergh, d’Amsterdam, conscient des difficultés liées à la technique de l’inlay, détrônera la méthode de prise d’empreintes directes au profit de la méthode indirecte.
En prothèse et en orthodontie, dans la gamme des aciers inoxydables, seuls les aciers nickel-chrome étaient utilisables (l’acier au chrome étant réservé aux instruments chirurgicaux). La plupart de ces aciers nickel-chrome ne pouvaient pas subir de traitement thermique ce qui rendait leur manipulation difficile et limitait leur emploi. Le praticien se heurtait donc au problème des soudures (électriques ou à la flamme, ou par interposition d’un alliage fusible). Les nouvelles techniques de galvanoplastie ne donneront lieu à des essais encourageants qu’à partir de 1934.
Les celluloses et les résines artificielles
En prothèse, deux groupes de substances non métalliques remplacent maintenant la vulcanite. Le premier groupe comprend les différents dérivés de la cellulose : les nitro-celluloses, fort en vogue en prothèse en 1868 et vers la fin du XIXème siècle, les acétates de cellulose susceptibles de contraction dans le milieu buccal et les viscoses additionnées d’un plastifiant mais elles aussi sujettes aux rétractions secondaires. Le second groupe comprend les résines artificielles : galalithes, bakélites, résines dérivées de l’urée, etc.. Les galalithes sont trop fragiles, les bakélites trop cassantes, se décolorent, prennent un aspect vitreux. Les résines vinyliques sont trop instables. La plupart de ces produits ne sont donc utilisables qu’au titre d’éléments de liaison entre la plaque-base métallique et les dents artificielles ou encore comme revêtement esthétique. En 1933, apparaissent aux Etats-Unis respectivement le Résovin et le Vydon et, en 1934, le Luxène. L’année suivante, ces produits, peu résistants à la flexion et issus de la série des Vinyls, sont rapidement abandonnés au profit des dérivés de la série acrylique. Le Néohécolite, association d’une résine acrylique et d’une résine vinylique, vient d’être inventé. En 1935, les laboratoires fabriquent le Kallodent, puis le Paladon ; en 1940, le Thermolit.
Rappelons encore qu’en 1935, l’allemand Kulzer avait montré qu’on pouvait obtenir une résine en mélangeant deux substances, l’une liquide, l’autre solide, c’est-à-dire sous forme de granules.
Le montage des prothèses
Pour le montage des prothèses, on savait maintenant qu’il était indispensable que le plan d’occlusion soit parallèle au plan de Camper. Pour établir ce parallélisme, la méthode la plus couramment utilisée est celle dite des réglettes. Elle demandait un certain doigté, prenait beaucoup de temps et surtout manquait de précision. C’est la raison pour laquelle René Marguerite inventera en 1931 un arc facial muni de ressorts.
Au laboratoire, le montage des prothèses se fera ensuite soit sur l’articulateur de Gysi, soit sur le stabiloccluseur de G. Villain.
Les dents artificielles
Les dents artificielles furent également l’objet de perfectionnements importants notamment en ce qui concerne le moyen de leur fixation sur les prothèses dentaires, le progrès le plus considérable étant celui de l’interchangeabilité de ces dents. Le praticien avait à sa disposition un large éventail de solutions qui lui permettaient de réaliser des prothèses plus ou moins fiables. La multitude de dents à tube et les facettes de porcelaine à rainure coulissant sur une glissière et scellées au ciment (dents à crampons de platine fixés à la prothèse par les crampons coulissant horizontalement dans deux vides cylindriques parallèles), les différentes sortes de facettes de porcelaine (à rainure verticale, ou fondue dans une coiffe en or fin, ou encore empruntée à une dent minérale ou à une dent naturelle) ne lui offraient que l’embarras du choix.
Les procédés d’ancrage
Depuis le début du siècle de nombreux procédés d’ancrage de bridges avaient faits leur apparition.
Nous citerons pour mémoire : ceux de Carmichael en 1906 ; ceux de Rhein en 1907 ; de Goslee en 1910 ; de Burgess en 1915 ; de Tinker en 1919 ; de Wassermann en 1923 ; de Boisson en 1933 ; de Loos, de Léger-Dorez, de Georges et Henri Villain, de Maurice Roy, de Paul Housset, de Filderman, de Henri Lentulo, de Brochier et de Roger Fraenkel, entre 1934 et 1936.
Un procédé original
A signaler encore un procédé original employé à l’Ecole Dentaire de Paris à partir du mois d’octobre 1934. La méthode habituelle de confection des porte-empreintes en vulcanite ou en métaux coulés ou estampés présentait l’inconvénient d’occasionner une perte de temps considérable. L’Ecole dentaire de Paris va résoudre ce problème en utilisant les disques de gramophone ramollis sur la flamme ou dans l’eau bouillante et pressés sur le modèle à l’aide d’un linge !
En orthodontie
Lorsque Edward H. Angle meurt en 1930, ses élèves, Noyes, Hellman, Ketcham, Strang, Weinberger, Dewey, Rogers, Stanton, Mershon, et Young, diffuseront dans le monde entier les techniques du maître. D’un cours de deux semaines en 1900, Angle était passé à une formation spécialisée qui durait une année ou plus. Le mécanisme de l’arc Edgewise, mis au point et diffusé par Angle en 1928 marquera un tournant capital dans l’histoire de l’orthodontie. De plus, en 1931, on se préoccupera non seulement de la rééducation respiratoire (Georges A. Richard), mais aussi de l’hypertrophie mandibulaire du nourrisson et tout particulièrement de la glossoptose congénitale (Cannon Eley, Sidney Farber, Pierre Robin, 1931). Pour l’orthodontiste il est indispensable de pouvoir se référer à des repères osseux extrêmement précis. Au cours du VIIIème congrès dentaire international de 1931, G. Korkhaus (de Bonn) affirme que seule la téléradiographie permet d’obtenir des images présentant le minimum de déformations. La même année, Schwartz différencie la prognathie inférieure vraie de la prognathie inférieure. Il l’appellera prognathie articulaire. En 1937, Korkhaus parle de verrouillage du maxillaire (le » locked jaws » des Anglais, ou » locked bite » des Américains) pour désigner ce que certains auteurs appellent la pseudo-prognathie inférieure. En 1938, B. de Névrezé adoptera le terme d’antéposition mandibulaire par propulsion condylienne et par proglissement cuspidien.
Les appareils d’orthodontie sont alors dotés de nombreux types de verrous, de tubes verticaux et horizontaux permettant de fixer l’arc vestibulaire et lingual. Nous nous contenterons de relever le nom de quelques spécialistes de l’histoire de l’orthodontie : Mershon, Hamilton, Bertrand de Névrezé, Kohagen, Philbrook, Porter, Butz, Cools, Fraenkel, etc.).
En 1931, John J. Fitz-Gibbon, de Holycke (Mass., U .S.A.) présentera un nouvel appareil prothétique pour corriger les troubles phonétiques dus à une fissure congénitale de la voûte palatine.
Fitz-Gibbon conseillait au patient d’écouter sa propre voix à l’aide du phonographe, d’en corriger les défauts de timbre, et de faire des exercices à l’aide d’un dilatateur de narines. La même année Victor Veau et Paul Blessier présenteront de nouvelles techniques chirurgicales pour le traitement du bec de lièvre unilatéral.
Les débuts de la pédodontie
A l’heure où la santé infantile préoccupe particulièrement le monde médical, il faut bien reconnaître que le traitement des dents des enfants se faisait encore de manière empirique. Les dents temporaires étaient abandonnées à leur triste sort sous prétexte qu’elles étaient amenées à disparaître. Le remède contre cette situation lamentable aurait bien évidemment été d’organiser de manière permanente, dans tous les centres hospitaliers, dans les Ecoles dentaires, et les cliniques spécialisées de dentisterie infantile, des services aptes à procurer soins et conseils préventifs. Le philanthrope George Eastman (1854-1932), créateur de la firme photographique Kodak, mais aussi fondateur de l’Institut Eastman, à Rochester, avait compris toute l’importance d’assurer les soins dentaires chez l’enfant. Ayant remarqué, lors de la publication des premières statistiques de l’Institut de Rochester, que la santé bucco-dentaire des enfants s’étaient sensiblement améliorée, Eastman décida de créer d’autres institutions en Europe. C’est ainsi que furent fondés successivement les Instituts Eastman de Londres, de Rome, de Bruxelles, de Stockholm, et finalement de Paris, le 21 octobre 1937.
Les anesthésiques
La cause première des infections post-opératoires était souvent liée au fait que les ampoules pour anesthésies locales contenaient de trop fortes concentration de suprarénine (= adrénaline) par centimètre cube de novocaïne. Les plaies ne saignaient pas suffisamment, s’infectaient par la salive en donnant lieu à ce que nous appelons aujourd’hui une alvéolite. L’adjonction d’adrénaline aux solutions anesthésiques en vue d’obtenir l’ischémie du champ opératoire pouvait être un facteur propre de toxicité. Les fortes concentrations d’adrénaline étaient toujours dangereuses, exposaient aux accidents d’oedème aigu et à la fibrillation ventriculaire. L’étude expérimentale de la toxicité des anesthésiques locaux, le recensement des accidents mortels ou tout simplement des accidents inquiétants, étaient d’un intérêt capital. Les solutions d’anesthésiques locaux devaient donc être rigoureusement dosées, fraîchement préparées et stérilisées.
A partir de 1933 un nouvel anesthésique apparaît dans le monde médical : c’est l’Evipan sodique. Fort apprécié des stomatologistes, dont le statut différait de celui des chirurgiens-dentistes, l’évipan fut employé en injection intra-veineuse pour les anesthésies générales de courte durée. En Angleterre, entre 1931 et 1936, on assiste à une augmentation notoire du nombre d’anesthésies au protoxyde d’azote, par rapport au nombre d’anesthésies locales. Ces anesthésies sont essentiellement prévues pour les extractions de dents de sagesse incluses. Pour les interventions dentaires de longue durée, une prémédication au Pantapon et à la Scopolamine est conseillée ; elle sera suivie d’une inhalation au protoxyde d’azote-oxygène par voie nasale à l’aide d’appareils séquentiels tels que ceux de McKesson ou de Magill. Pour les interventions de courte durée, on administrait habituellement séparément du protoxyde d’azote et de l’air atmosphérique. Les anesthésistes étaient confiants : administré correctement, le protoxyde d’azote semblait être l’anesthésique le plus sûr. Seule contre-indication à l’anesthésie générale: le patient présentant des cardiopathies.
Multiplication des techniques de stérilisations radiculaires
A partir de 1930, à l’Ecole dentaire de Paris (sous la direction de G. Martinier, de Pont, de Raton, de A. Marmasse et de Jacques Lubetzki), le traitement des dents à pulpe infectée se fait de la manière suivante :
extirpation de tous les débris pulpaires. Pendant 24 heures mise en place d’un tampon de coton imbibé de tricrésol et de formol à parts égales (le rockle’s, l’osomol, le tricrésol-formol sont déjà bien connus).
Stérilisation par les méthodes de J. R. Callahan (à l’aide de l’acide sulfurique) ou de Siffre, complétée par l’air chaud et les vapeurs iodées ou formolées. Elargissement des canaux.
Obturation des canaux jusqu’à l’apex, soit avec de l’eugénate de zinc, soit avec une pâte au trioxyméthylène à 1%. L’obturation est ensuite complétée avec un cône de gutta tout en veillant à ne pas refouler la pâte au-delà de l’apex.
Obturation au ciment provisoire, suivie d’un contrôle radiologique.
A noter que pour la stérilisation des canaux on parle à nouveau de l’iodoforme, un produit tombé dans l’oubli depuis 1900 et repris en 1911 par Siffre, Bonnard, Payne, Darcissac, et Patrone.
Pour Jacques Lubetzki, vouloir élargir un canal avec des moyens mécaniques est une grande erreur ; le risque du refoulement des matières septiques vers l’apex est alors bien plus grand. L’élargissement mécanique doit suivre l’élargissement chimique. C’est par la décomposition chimique des parois du canal qu’on va atteindre l’apex. L’élargissement peut se faire avec le bioxyde de sodium-acide sulfurique, substance qui aura en même temps l’avantage de stériliser les parois radiculaires.
Les courants à haute fréquence, et tout particulièrement les procédés de diathermo-coagulation, pouvaient être des auxiliaires précieux pour stériliser le canal radiculaire. Découverte française due à l’éminent professeur Arsène d’Arsonval, qui l’appliqua en médecine, la haute fréquence trouvait des adeptes parmi les chercheurs allemands : H. J. Mamlok (Berlin), Feiler, les frères Flohr, Müller, Münzesheimer, Henseler, Prinz, Kowarschick, Nagelschmits, Walkhoff, Schliephake, Pflomm, Le Mée, etc. En France, la technique fut essentiellement développée par P. Bertrand et Michel Dechaume. Pour ces auteurs, elle constituait un progrès considérable de la thérapeutique conservatrice. La diathermie pouvait avoir un effet analgésique et décongestionnant dans des affections telles que le trismus, les sinusites d’origine maxillaire, les arthrites temporo-maxillaires, les débuts de névralgie du trijumeau, les suites des fractures mandibulaires. Simens, Ratron, Sanitas, Elema avaient construit des appareils connus sous le nom de Dentotherme, Néopulpatherme, Ratron-diadent, Pénétrotherme, Néo-Pulpatherme-Standart, ultrathermie dentaire de Siemens, appareil O B 250 watts de Walter, etc. Signalons encore qu’en 1938, Dechaume songea à associer la haute fréquence à une solution d’ozonide terpénique.
Les résultats expérimentaux des travaux de Müller (à Bâle), de Willner et de Rebel (à Zürich), en 1935, sur les différentes techniques d’amputation vitale employées depuis une dizaine d’années, conduiront Rebel à émettre la conclusion suivante : » une pulpe lésée est un organe perdu « . W. Hess (de Zürich) avait montré que la vitalité des pulpes saines pouvait être maintenue dans 85% des cas si l’on avait préalablement posé un diagnostic exact et si le traitement avait été effectué avec soin.
En 1937, Oppenheim développe une méthode tout à fait originale de traitement des racines infectées. L’agent thérapeutique est constitué par une tige métallique composée de deux métaux précieux différents juxtaposés bout à bout et réunis par une soudure spéciale. La méthode consiste, après désinfection du canal avec de l’hypochlorite synthétique (eau de javel) et passage à l’eau oxygénée, suivi de quatre ou cinq mèches d’eau bouillie et de quelques mèches de chloroforme, en un scellement dans les canaux radiculaires d’aiguilles » argent-or » enrobées d’un ciment à l’acide phosphorique (l’extrémité argent étant dirigée vers la chambre pulpaire). La technique de l’ionisation d’Oppenheim sera diffusée en France par Maurice Coën et contestée par Henri Lentulo. Elle fut utilisée pendant plus de trente à quarante ans.
Les amalgames en question
Depuis plusieurs années les revues dentaires publiaient des articles sur les effets toxiques des amalgames. Mis en avant par Stock, de Berlin, le danger des amalgames avait provoqué une campagne médiatique sans précédent dans les grands quotidiens allemands. Très rapidement, les travaux de Sterner-Rainer et de Borinski vont permettre de conclure que ces craintes sont injustifiées, qu’on trouve du mercure dans les excréments d’individus qui n’ont aucun amalgame en bouche ou qui n’ont jamais été en contact avec le mercure. Borinski montrera que les taux élevés de mercure chez certaines personnes (généralement de 5 µg) provenaient des aliments. En Amérique, on s’applique alors à fabriquer des amalgames à durcissement rapide ; en 1930, à Vienne, Fritz Schenk, met au point la formule du citamalgam.
Histologie de l’émail
Au début des années 30, admettre qu’une dent, par sa forme et sa couleur, ne constitue pas un organe isolé chez l’homme, est une notion récente. En 1931, Bertrand De Névrezé conteste encore l’opinion de son confrère anglais, Léon Williams, qui s’était efforcé de démontrer qu’il n’existait aucun lien entre la morphologie dentaire et celle du corps humain. Il fallait prouver que les dents étaient soumises aux mêmes conditions biologiques et pathologiques que le corps humain. Deux conceptions s’affrontaient. La première théorie, dite classique, voulait que la formation de l’émail soit le résultat de la sécrétion des cellules épithéliales de l’organe adamantin. La deuxième théorie, plus mécaniste, supposait que l’émail se forme constamment aux dépens de la couche externe de la dentine, sous l’influence des pressions qui s’exercent sur la dent. De 1931 à 1935 les publications sur l’émail dentaire seront particulièrement nombreuses. Parmi les travaux les plus remarquables, on peut signaler les recherches menées par Fischer sur la biologie de l’émail dentaire, celles de Boedecker, Hollaender et de Diener, les études de l’Ecole de Greifswald, celles de Gysi qui étudiait les lignes de Schreger, celles de Meyer, de Schoenbauer, de Blinder sur la décalcification et la recalcification de l’émail, etc.
Pour Edouard Retterer, l’excitation mécanique était la condition sine qua non de la survie de la dent. Chaque praticien devait être en mesure de reconnaître la valeur de l’émail d’une dent, et a fortiori, d’arriver à évaluer l’épaisseur de l’émail des dents de chaque patient. Or, jusque là, il n’existait aucune étude statistique sur les différentes épaisseurs du tissu adamantin. En 1928, Frey, Ed. Aubert, Herpin, puis Retterer et Artura Beretta s’étaient occupés de la vitalité de l’émail ; puis, Arthur Black, Georges Villain, Morelli, Heinz Paschke, avaient étudié les pressions supportées par les dents. Ce n’est finalement qu’en 1933 que Roger Fraenkel mettra en évidence les rapports qui existent entre l’épaisseur de l’émail et les différentes morphologies dento-maxillaires.
Deux ans plus tard, en 1935, E. Wilfrid Fish démontre expérimentalement que les vitamines n’agissent ni sur la dentine ni sur un émail déjà formé, contredisant ainsi les propos de Mac Beath (1932) et surtout ceux de Mellanby (1917). Dans un rapport présenté au cours du congrès de la FDI à Berlin en 1936, Russell W. Bunting et le groupe de recherches sur les caries dentaires de Ann Arbor (Michigan) arrivaient aux conclusions suivantes : la carie dentaire résulte de la destruction des substances dures de la dent, d’une décalcification du tissu dentaire par la fermentation acide des aliments, comme l’avait décrit W. Miller. La carie ne dépend pas du taux de calcium, de phosphore ou de l’alcalinité des fluides de l’organisme. Dans le milieu buccal, la multiplication du nombre de lactobacilles acidophiles pourrait éventuellement être contrôlée par la vaccination ou par un régime pauvre en sucre.
Les nouvelles thérapies parodontales
En 1934, Charles Hulin propose une nouvelle nomenclature de l’étiologie des parodontopathies tout en adoptant la définition du terme » paradentose » suggéré par O. Weski. Le traitement local préalable à toute intervention sur les gencives consiste à faire un détartrage soigneux. Puis, après avoir prescrit des bains de bouches journaliers d’hyposulfite de soude à 10% ou de magnésie, suivis d’applications topiques gingivales deux fois par jour d’une solution alcoolique de teinture de quiquina, de sauge, de rathania, d’arnica et d’essence de menthe, Hulin pratique sous anesthésie locale le curetage chirurgical de ce qu’il appelle la » cryptulie « . Il remplit ensuite cette cryptulie avec de la pâte blanche styptique et étanchéifie le tout avec un vernis sclérogène. Dans les cas les plus sévères, l’exérèse du lambeau se fera au couteau (selon l’expression employée par l’auteur).
En 1936, E. Eutin, de Leningrad, établit sa propre terminologie en divisant les parodontopathies en parodontopathies destructives, inflammatoires et mixtes. Sa classification tient compte à la fois de l’anatomie et de la symptomatologie, dans la mesure où il classe les parodontopathies en fonction de la forme et de la répartition des capillaires sanguins. Les travaux d’Eutin tendaient à montrer que les facteurs neurotrophiques jouaient un rôle essentiel dans la pathogénèse et la thérapeutique parodontales, la pandémie infectieuse parodontale des années 1914-1918, qui avait frôlé la catastrophe sociale, étant venu accréditer sa thèse.
Signalons encore qu’en 1936, A. Wisotzky (de Tel-Aviv) démontre que dans les cas de diabète l’injection directe d’insuline dans la gencive apporte une nette amélioration de la pyorrhée.
Application de l’ozone à l’hygiène et
à la thérapeutique dentaires
Plus d’un siècle s’était écoulé entre la synthèse de l’ozone par Berthelot et son application pratique dans le monde médical. En 1886, l’ingénieur français Meridens eut l’idée d’employer l’ozone pour la stérilisation de l’eau. On utilisera ensuite les propriétés désodorisantes et désinfectantes de ce gaz dans les salles de spectacles et dans les hôpitaux, pour le blanchiment industriel des cotons, des laines, des pâtes à papier, etc., pour la conservation du poisson ou du fromage. On insufflait aussi de l’ozone dans certaines migraines ou névralgies. Les applications odontologiques de l’ozono-thérapie, préconisées par Fisch, de Zürich, à la fin du mois de juillet 1934, puis, en 1936 par Dechaume et Vandrepote, de Boulogne sur Mer, ouvriront des voies thérapeutiques absolument nouvelles. Les propriétés physico-chimiques de ce gaz vont en effet permettre d’obtenir des résultats favorables dans les cas d’alvéolites, de pyorrhées, dans les troubles oculaires d’origine dentaire et dans certaines névralgies ; l’ozone atténuait non seulement les douleurs péridentaires et les inflammations du parodonte mais avait également la propriété de blanchir les dents (et le tartre).
Les sulfamides : leur apport en art dentaire
En 1932, Mietsche et Klarer, de l’I. G. Farben Industrie, synthétisent la sulfamido-chrysoïdine, et en février 1935, les travaux de Domagk révèleront au monde médical toute l’action bénéfique de ce composé contre les infections streptococciques de l’animal. En novembre 1935, J. Trefouël et son épouse, Nitti et Bovet, qui travaillaient dans le laboratoire de Fourneau, en France, pensèrent que dans la molécule complexe à double liaison azoïque seul le para-amino-benzène sulfamide, aussi dénommé paraminophénylsulfamide (1162 F), était actif. Ce fut le début de la fabrication industrielle des sulfamides. Les composés de sulfamides des firmes Septoplix, Neo-coccyl, Lysococcine, initialement expérimentés et exploités en Allemagne sous le nom de Prontosil, puis en France, sous l’appellation Rubiazol, donnaient d’excellents résultats dans les cas de méningites purulentes à streptocoques ou à pneumocoques ainsi que dans les cas de blennorragies et de colibacilloses, etc. Arme hautement efficace dans le traitement médical des maladies infectieuses, les composés sulfamidés allaient inévitablement rendre des services tout aussi appréciables en stomatologie et plus particulièrement dans les septicémies à streptocoques d’origine bucco-dentaire (phlegmons gangreneux diffus, ostéite, ostéomyélite mandibulaire, angine de Ludwig, accidents de la dent de sagesse, prophylaxie des accidents infectieux post-opératoires, pyorrhée alvéolaire, etc.). Le traitement était généralement interne, les indications d’application locale externe beaucoup plus rares.
Evolution des appareils de radiologie
A partir de 1931, l’appareil de radiologie de Ritter évolue considérablement.
On peut enfin prendre des radiographies dans le silence, tout en assurant une meilleure sécurité au patient. Le transformateur et les câbles de haute tension ne sont plus visibles mais intégrés dans un meuble. C’est aussi le cas pour l’appareil mis au point aux Etats-Unis en 1931, le Victor CDX (Victor X-Ray Corporation). Son prix est trop élevé pour le marché européen, et ce n’est qu’à la suite du congrès de radiologie de Zürich de 1934 que des appareils de conception européenne viendront concurrencer cet appareil américain. Le transformateur et les câbles seront intégrés dans un cylindre ou dans un globe et la base de l’appareil sera mieux stabilisée. L’appareil Lysholm va enfin permettre de réaliser des radios de haute précision.
Dans le domaine orthodontique, les propositions de Hofrath, de v. Simon, de Rehäk, et les améliorations de Broadbent, de O. Meyer, de Korkhaus et de Teschendorf, vont autoriser un enregistrement convenable des différents profils faciaux.
A cela il faut encore ajouter les améliorations apportées aux films radiologiques par Adam, Greineder, Cramer et Wilke. Parallèlement de nombreux auteurs apportent leur contribution au développement des techniques intra et extra orales ; parmi eux, citons : Janisch, Parma, von der Plaats, v ; Reckow, Bosworth, Brunetti, Gauer, Kneucker, Robinsohn, Schindler, Selbach, etc.
Ces nouvelles techniques de prises de vues auront assurément aidés Henri Chenet dans l’établissement d’une nomenclature des différents types de fêlures dentaires (en 1939).
1939 : mobilisation générale des praticiens européens
A partir de septembre 1939, pour la seconde fois, les praticiens européens sont contraints d’abandonner foyer, famille et intérêts professionnels pour assurer le salut de la Patrie. Peu de temps après le déclenchement des hostilités, les pertes humaines sont si nombreuses que le 16 mars 1840, la Société Odontologique de Paris transmet aux Ministères de la Guerre, de la Marine et de l’Air les informations suivantes :
» l’inaltérabilité des dents par les agents de destruction permet de reconstituer après la mort la formule dentaire d’un individu… ;
la recherche de quelques données anthropométriques simples, précises et indépendantes des parties molles complèteraient utilement le signalement des individus… ;
considérant que la plaque d’identité ne suffit pas toujours dans les cas de carbonisation pour assurer la reconnaissance des victimes ;
…que dans ces Armes spéciales la fiche dentaire signalétique complétée par quelques chiffres anthropométriques, soit systématiquement établie par le Service de Santé, révisée périodiquement et utilisée pour contribuer à établir l’identité des victimes « .
Que pouvait faire de plus le monde dentaire au début de cette deuxième catastrophe mondiale ?