Marguerite ZIMMER
Docteur en Chirurgie Dentaire,
DEA à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes,
Sorbonne, Paris

Au début du XIXème siècle, la pose de dents artificielles reste une affaire très délicate et leur fabrication exige encore beaucoup de patience. A cette époque peu de médecins-dentistes s’occupent exclusivement d’odontotechnie. Les dents prothétiques de remplacement ne sont plus sculptées à partir de dents de morses ou de défenses d’éléphants, mais proviennent de dents d’hippopotames (encore appelé cheval marin), de boeufs, ou de dents humaines. En 1774, Duchâteau s’adresse à la manufacture de porcelaine de Monsieur Guerrard. Il y fait sculpter un râtelier en porcelaine, qu’on fait cuire, qu’on émaille. Puis Duchâteau s’intéresse à la pâte à porcelaine tendre et réalise les premiers essais de fabrication de dents minérales. En 1779, Nicolas Dubois de Chemant y ajoute de la terre de pipe. L’éventail des possibilités de restauration s’en trouve alors considérablement augmenté. Ces dents incorruptibles sont lourdes, manquent d’éclat, et font très souvent tomber les dents adjacentes qui tiennent les ligatures. En 1808, Joseph Audibran-Chambly (1) reconnaîtra que «  les pièces minérales n’étant pas susceptibles de recevoir l’humidité de la bouche, ont toujours l’air postiche « . Ces dents connaîtront un certain succès en Angleterre vers 1791, mais dès 1814, les praticiens anglais, dégoûtés par leur aspect peu naturel, s’empresseront de les rejeter.Les dents d’hippopotame seront donc encore largement utilisées, quoiqu’elles aient la fâcheuse réputation de bleuir très rapidement. Elles sont réalisées dans ce qu’on appelle la  » lanière  » de l’hippopotame, c’est-à-dire à partir d’une défense de l’animal coupée en deux. Les dents de boeuf offrent un émail deux fois plus épais, moins cassant, mais bien plus difficiles à tailler. Quant aux dents naturelles humaines, elles ont l’inconvénient de noircir trop rapidement. Malgré celà, Laforgue (2), en 1802, n’hésitera pas à en donner la méthode de préparation.

Il était donc indispensable de changer très fréquemment de prothèse. Les personnes fortunées le feront chaque année; faute de moyens financiers, les ouvriers et les paysans resteront édentés.

En 20 années, l’art dentaire va énormément progresser. Le praticien connait à la fois les arts du fondeur, du mouleur, et du porcelainier. De Chément, Dubois-Foucou, Fonzi, Pernet, Dervaux, Desforges à Paris, Orange à Versailles, Schoeffer à Strasbourg, et Christophe François Delabarre à Rouen, fabriquent eux-mêmes de la pâte à porcelaine; les résultats sont cependant loin d’être satisfaisants. Les dents minérales sont presque toujours disparates et coûtent le double de celles qui sont fabriquées en os (3). Pour varier les teintes, il faut ajouter des oxydes minéraux à la pâte à porcelaine. A cet effet, on utilise le titane, le chlorure d’or ou muriate d’or, et le proto-muriate d’étain. Le chlorure d’or et le proto-muriate d’étain entrent dans la composition du précipité pourpre de Cassius.

Christophe François Delabarre, Médecin-Dentiste du Lycée, des Hospices, et du Dépôt de Mendicité de Rouen, puis Chirurgien-Dentiste de la Cour de Louis XVIII, fabrique des dents minérales à partir de 1815; il les exposera en séance publique le 24 Juillet 1819 (4). Sa formule de base comprend de la pâte à porcelaine: un gros, et de l’oxyde de fer: deux grains. Après avoir broyé les deux substances, il y rajoute divers oxydes de fer, et recouvre la surface supérieure avec de l’émail à porcelaine ou couverte. Il admettra cependant que  » jusqu’à ce qu’on soit arrivé à la perfection il faut préférer les dents naturelles, lorsqu’il ne faut en remplacer que quelques-unes; mais s’il s’agit d’un dentier complet, la porcelaine est préférable, parce que la personne n’ayant plus de dents, il n’existe alors aucun sujet de comparaison « .

Le procédé de coloration de la plaque base reste secret. Chaque praticien perfectionne sa propre méthode de coloration. Delabarre (5) se servira de la garance, qu’il trouve facilement dans les environs de son officine, située au N°14, rue Voltaire, à Rouen. C’est une matière colorante solide, qui sert à obtenir une belle couleur rosée. Il suffit de la fixer, et de faire virer la couleur avec du muriate d’étain. Il dira que son procédé est supérieur à celui des confrères qui emploient la cochenille. La salive n’altère pas ses prothèses; au bout de quatre à cinq années la couleur n’a pas terni. Les critiques qu’il adresse aux confrères parisiens lui vaudront d’ailleurs quelques répliques acerbes. J.C.F. Maury, ancien chirurgien des Hôpitaux militaires, et chirurgien-dentiste du Bureau de la Charité du deuxième arrondissement et de plusieurs pensions de Paris, ne le ménagera guère.

Les praticiens étaient à la recherche d’un matériau résistant, inaltérable, proche de l’effet naturel.

Et c’est ainsi que le 27 septembre 1816 Brousson (6) dépose un brevet d’invention. Ce parisien, qui demeure au N°2 de la rue de Valois, imagine de fabriquer des dents avec un coquillage bien connu des marchands naturalistes, le Lambis. Les morceaux de coquillage, divisés à la scie, sont façonnés sur une meule, puis perfectionnés à l’aide d’un burin et d’une échope. Les dents ainsi sculptées sont ensuite vissées et fixées à l’aide de goupilles sur des bases métalliques en or. La variété de teintes obtenues permet de remplacer les dents, des plus blanches aux plus foncées.

Il faudra néanmoins attendre l’année 1820 pour que la fabrication des dents minérales atteignent une certaine perfection. Elles sont alors composées d’argile, de quartz, de gypse, et de divers oxydes métalliques pris parmi ceux qui résistent le plus au feu. J.C.F. Maury (7) en donnera une description détaillée dans le Manuel du Dentiste pour l’application des dents artificielles incorruptibles; y sont exposés les tailles, les soudures, le mode de préparation de l’émail blanc, la manière de peindre l’émail en rose, le mode de cuisson des dents, ainsi que la fabrication des moufles. Maury reprendra ce thème dans l’édition de 1822.

Les dents incorruptibles seront adoptées par Bernard Mayer à Offenbach, par Nopp et Offmann à Francfort sur le Main, et par Meyer à Stuttgart.

 

Méthodes de fixation des dents factices en porcelaine

Les dents terro-métalliques ou calliodontes de Fonzi présentent un petit crampon en platine enfoui dans la masse de porcelaine. Ce métal, qui offre pourtant la possibilité d’y souder très facilement d’autres métaux, ne tient pas toujours très bien dans la pâte à porcelaine. Au cours de la cuisson, il s’opère souvent une rétraction entraînant le décollement de la tige du crampon.

Ecoutons ce qu’en pense Alexandre Nasmith (8), dentiste à Edimbourg, représenté à Paris par l’étudiant en médecine Genest, et demeurant au N° 134 de la rue St. Jacques. Dans le brevet pris à Paris, le 16 août 1825, sous le titre  » Moyens de fixer solidement les dents artificielles « , Nasmith écrit:

 » L’objet des recherches de tous les dentistes de notre époque est de trouver les moyens de fixer solidement les dents artificielles, soit naturelles, soit faites d’une substance tirée du règne minéral, et surtout sans nuire à la monture, ni à la manière de les adapter à la bouche, soit avec une plaque, soit avec les autres pièces nécessaires « …  » Quant au moyen de fixer les dents naturelles à la plaque modelée sur la vraie forme de la brèche, on a regardé toutes les méthodes employées jusqu’ici à l’aide d’une vis ou de quelque’autre moyen, comme sujette à beaucoup d’objections et entraînant la destruction des dents « .

Une des techniques consistait en effet à fixer les dents naturelles sur une bande métallique d’environ 4 mm. On enfonçait une ou deux petites goupilles sur le côté palatin ou lingual de la dent, jusqu’au ¾ de son épaisseur. Il suffisait alors de riveter ces goupilles sur la lame en or, tout en assurant la solidité de l’ensemble. Le métal restait malheureusement visible au niveau des espaces interdentaires.

Une seconde méthode, ou procédé de Hellis, consistait à souder des languettes verticales à une barre horizontale. On réalisait ensuite des fentes verticales sur la face palatine ou linguale des dents, on y engageait les languettes, et on solidarisait le tout au moyen de deux goupilles.

Le praticien avait également la possibilité de faire une rainure horizontale ou transversale sur les 2/3 de l’épaisseur de la dent, à environ 4 mm. de la gencive; puis d’y engager une plaque, qui décrirait le même arc de cercle que la gencive, et de fixer l’ensemble à l’aide de deux goupilles perpendiculaires.

Lorsqu’il manquait deux ou trois dents, une quatrième méthode consistait à forger et à découper une bande de métal d’environ 4 mm., de biseauter la plaque de manière à ce que la face supérieure soit moins large que la face inférieure, de couper ensuite les dents de la hauteur nécessaire et d’y pratiquer sur la base une coulisse transversale en forme de queue d’aronde. Il suffisait d’engager ensuite l’arc métallique dans la coulisse de chaque dent et de fixer celles-ci à l’aide de deux coaptateurs. La plaque était alors couchée à plat contre la gencive.

On pouvait également souder des pivots sur un arc en or ou en platine, sortes de pointes verticales qui correspondaient au nombre de dents à remplacer. Sur la base de chaque dent, on pratiquait une coulisse, dans laquelle on logeait par force le pivot. Pour le maintenir en place, il n’y avait plus qu’à placer un rivet ou une goupille transverse.

Toutes ces méthodes étant sujettes à caution, Alexandre Nasmith propose d’adopter un nouveau procédé :

 »  Après avoir modelé et adapté la plaque, mis chaque dent dans la position qui lui est propre, et fait dans la plaque des trous qui doivent recevoir les pivots « , il suggère de «  souder le pivot de chaque dent sur la plaque en le fixant solidement dans les canaux dentaires « . On fait ensuite un essayage en bouche. Lorsque tout est bien positionné, il suffit de faire de petites entailles sur les pivots à l’aide d’une lime, et de rouler un peu de coton autour de chacun d’eux. On y verse ensuite un peu de vernis de copale, puis on fait  » entrer de force les dents sur les pivots. L’esprit de vernis sera bientôt évaporé ou absorbé, et laissera une couche dure qui retiendra fortement la dent en place, et l’empêchera d’être jamais ébranlée, contribuera aussi à conserver la dent et résistera à l’action des sucs de la bouche d’une manière étonnante « . C’est la première fois qu’on parle de l’utilisation d’un vernis; les encoches contribuent à assurer la rétention.

Nasmith confirmera que :  » Les dentistes de nos jours se sont beaucoup occupés de perfectionner l’art de faire des dents minérales artificielles, quant à ce qui regarde la ressemblance de la couleur naturelle et la forme des dents, mais ils n’ont pas encore perfectionné cette partie si importante de l’art de faire les dents, de les établir d’une manière solide, sûre « .  »  On a proposé beaucoup de méthodes pour arriver à ce but, mais sans succès, et on a combiné le service de l’ancienne qui consiste à pratiquer une rainure sur la partie postérieure de la dent autour de laquelle on fixe des crampons de platine et dans laquelle on soude une queue avec l’or, en y attachant toutes les autres pièces de la monture, qui doivent nécessairement être de platine « . En France, en effet, Christophe François Delabarre s’était beaucoup préoccupé du problème de la fixation des dents, ainsi que de leur ajustage sur la plaque base.

Cette plaque avait presque toujours été réalisée en platine. Or Nasmith trouvait que les qualités de l’or dépassaient celles du platine. L’or  » présente plus de force, de solidité et est plus susceptible d’être travaillé avec beaucoup plus de soins « . La bande métallique, qu’il fallait impérativement ajuster du côté lingual ou palatin, était des plus inesthétique; des matières alimentaires s’y amassaient, la langue s’y accrochait, provoquant des irritations fort désagréables.

«  La facilité avec laquelle les dents se détachent de leurs montures, puisqu’elles ne sont fixées par aucune autre force que par la prise qu’ont celles des crampons et qui a été causée par la contraction de la pâte pendant la cuisson  » va l’inciter à modifier la conception de l’appareil prothétique. Nasmith façonne donc des dents en y aménageant un simple canal, semblable au canal dentaire. Il se sert ensuite d’un tube de platine, ou de quelqu’autre métal, pour former un pivot. Celui-ci peut aussi être réalisé en roulant une plaque de platine autour d’un fil d’acier; dans ce cas, on passera le tube dans une filière afin de lui donner une dimension appropriée. Lorsqu’il est prêt, il suffit de l’introduire à faible profondeur dans le canal, et d’y faire entrer jusqu’au fond un fil d’argent (ou tout autre métal aisément fusible). La fusion de ce dernier, obtenue à l’aide d’un chalumeau, permet de réaliser un pivot qu’on ne pourra plus retirer sans briser la dent. Il ne reste plus qu’à positionner la dent et à souder le pivot à la plaque. Cette nouvelle technique de fixation évite l’application de la bande métallique, et diminue par la même occasion le coût de la prothèse.

 

Le teno-crampon de Desirabode

La solidité des dents minérales, ainsi que leur rétention par rapport à la plaque base, semblent avoir beaucoup préoccupés les praticiens. Antoine Malagou Desirabode (9), domicilié à Paris, 194 rue du Palais Royal,  » frappé des inconvénients qui résultaient pour le public du peu de solidité des crampons destinés à fixer l’appareil dentaire des dents factices, qui résistent rarement au travail de la mastication « , et  »  mettait les dentistes dans la nécessité de les remplacer, en même temps qu’elles faisaient renoncer le public à leur usage « , invente alors un crampon à pattes, qu’il appelle teno-crampon. (Fig 1).


Fig 1

 

Il le fera breveter le 24 juillet 1835. Ce crampon, d’une seule pièce, exécuté mécaniquement, présente l’avantage de la solidité. Il résiste à toute épreuve,  » attendu qu’il se trouve adapté à la pâte minérale lors du montage, et qu’il s’y fixe invariablement pendant la cuisson, par suite du retrait qu’éprouve la dite pâte « . Le travail en est simplifié  puisque les deux crampons ou agrafes employés jusque-là nécessitaient l’ouverture d’une coulisse dans laquelle s’adaptait une petite branche de métal. Aucune détérioration ne sera apportée à la dent, puisqu’il est désormais inutile de la présenter au feu.  » Le teno-crampon est adapté à la pâte avant la cuisson tandis qu’auparavant il fallait au moins deux crampons dans la pâte, une coulisse, un tenon en métal et trois ou quatre pailles d’or pour souder le dit tenon aux crampons. De sorte qu’il arrivait que si un des crampons était arraché ou que si le tenon était mal soudé, ou se détachait, la dent tombait« .

 

Le procédé de Jean Henri Chrétien Weber

Le chirurgien-dentiste parisien Jean Henri Chrétien Weber (10), dépose un brevet le 3 août 1839. Il est intitulé:  » Procédé perfectionné pour adapter les dents artificielles sur les bonnes racines des dents naturelles sans employer de pivot ni de crochets « . Weber affirme que les dents placées au moyen de pivots tombaient après quelques années, ou tenaient rarement plus de dix ans. En 1839, certains praticiens se servaient encore de chevilles en bois, qu’ils ajustaient au canal dentaire au moyen de lames de bois, de soie, ou de métal. La salive imprégnait bien sûr tous ces matériaux; en se dilatant sous l’action de l’humidité, le pivot se décomposait, et la racine de la dent éclatait.

Le procédé de Weber consiste à limer ou à couper une dent pilier jusqu’au ras de la gencive, puis d’agrandir le canal dentaire à l’aide d’équarrissoirs de diverses grosseurs et de différentes longueurs. Au moyen d’un crochet à double pointe, on pratique une incision verticale à la partie postérieure du canal dentaire (Fig 2 -3).


Fig 2-3

 On réalise ensuite de petites incisions transversales dans toute la profondeur du canal avec un crochet tourné en panneton de clef et muni de trois pointes. L’étape suivante consiste à préparer un tube de 4 à 6 mm. de long en contournant une petite lame d’or ou de platine sur un mandrin de grosseur appropriée (Fig 4)


Fig 4

, tout en laissant déborder de chaque côté les extrémités du métal. En saisissant ces extrémités avec une pince – tout en laissant la partie tubulaire en dehors de ses mâchoires – on taraude l’intérieur du tube avec un taraud en acier trempé, au filet très serré et très prononcé. Il suffit alors de diminuer les extrémités saillantes de la lame de métal, et de l’ajuster à la lime pour qu’elle puisse entrer dans l’entaille verticale du canal dentaire. La rétention du tube est assurée par les encoches, soigneusement exécutées sur toute la circonférence (Fig 5). 


Fig 5

On imbibe ensuite l’extérieur de ce tube de ciment dentaire, tout en l’introduisant avec un peu de force dans la racine. Lorsqu’il est en place, on y introduit un mandrin fileté en acier trempé. On ajuste ensuite la dent artificielle sur la racine en perçant dans la couronne une rainure suffisamment large de manière à pouvoir y introduire le mandrin. La rainure de la dent artificielle sera fraisée à sa partie supérieure. Une tête de vis en or viendra s’y noyer. Cette vis sera ensuite serrée jusqu’à ce que la dent soit immobilisée.


Fig 6
Prothèse de sept dents artificielles fixée au maxillaire supérieur. Trois racines servent de pilier. La prémolaire et les deux incisives latérales sont armées de leur tube et de leur vis, alors que les quatre dents minérales transparentes sont soudées sur une plaque en or; la canine est saine.

 

Perfectionnements apportés à la prothèse complète

Différents types de ressorts ou  » réacteurs  » servent à réunir la prothèse supérieure à la prothèse inférieure. Ce sont des agents élastiques, qui prennent appui sur la pièce opposée à celle qui doit être tenue en équilibre.

Les ressorts plats, élastiques, sont ajustés dans une fente horizontale située à l’arrière de chaque dentier. Ils sont réalisés avec des fanons de baleine, ou avec l’extérieur des cornes de boeuf, et mesurent environ trois à quatre centimètres de longueur et un demi-centimètre de largeur. Fauchard les remplacera par des lames d’acier, et Bourdet par du fil en or recroui. Alors que Fauchard les glisse dans les fentes, Bourdet les noue sur une sorte d’anse.

Les ressorts tireboudins ou spiral fixe. L’auteur de ce type de ressorts est inconnu, mais Laforgue affirme qu’on les fabriquait déjà avant 1785. Ils sont réalisés avec un fil d’or à 18 carats, de grosseur moyenne, recroui à deux traits et demi et même jusqu’à trois. On peut faire varier sa flexibilité en jouant sur la grosseur du fil, et le degré de recrouissage. Ils sont vendus et fabriqués par les orfèvres-bijoutiers.

Les réacteurs à tige cylindrique et contournée, ou ressorts en pince à feu du fumeur, sont peu utilisés car ils ne permettent que des mouvements latéraux de faible amplitude.

Les ressorts à barillet, semblables aux ressorts des montres, sont trop difficiles à fabriquer.

Le ressort à cliquet, muni d’un taquet comme celui qui empêche une roue dentée de tourner, sont cassants et se déforment; les axes des rivures ou leurs trous s’usent trop facilement.

Les extrémités des ressorts sont fixés dans des canons. Leur fabrication nécessite un carré d’or ou d’argent finement laminé, d’un centimètre carré, qu’on roule et qu’on soude à l’aide de deux ou trois paillons d’or et de borax.

 

L’innovation de Ricci (Fig 7)

En 1807, Ricci (11), dentiste de son Altesse Royale Monseigneur le duc de Berri, apporte une modification au système des ressorts à boudins en y ajoutant une lame coudée tournant sur un pivot.  » Considérant que la perfection des râteliers artificiels ne dépend pas seulement de la précision des formes; que les ressorts à boudin dont on fait le plus d’usage n’ont cessé jusqu’ici de mettre les ouvrages des meilleurs artistes en défauts; qu’ils ne sont susceptibles que de s’élever ou s’abaisser; que la précision de ces mouvements souvent insuffisant décrit une ligne verticale contraire à la situation de la mâchoire supérieure, que privé du mécanisme nécessaire pour correspondre à l’action des muscles de la mâchoire inférieure, les pièces artificielles quelque bien ajustées qu’elles puissent être, se dérangent, quittent les gencives et les blessent; que ces ressorts occupent sur les dentiers une étendue qui les font appercevoir; une épaisseur qui empêche la mastication, frotte l’intérieur des joues et y produit des excoriations, des plaies etc… « . Ricci ajoute par soudure deux nouvelles branches aux extrémités du tireboudin.


Fig 7

Ces lames percées d’un trou sont montées sur un pivot; la rotation qu’elles donnent au ressort permet d’assurer tous les mouvements de la mâchoire inférieure. C’est un ressort à levier, très utilisé par les dentistes, comme le confirme Christophe François Delabarre (12).

 

La modification de Joseph Audibran

Cinq ans plus tard, le 30 novembre 1812, Joseph Audibran (13) apporte une nouvelle modification à la technique de fixation de la prothèse supérieure. Audibran critique violemment le procédé de Pierre Fauchard:

«  Si l’on voit nombre de personnes perdre les dents inférieures, en conservant les supérieures, on en voit un bien plus grand nombre perdre celles-ci, tandis qu’elles conservent les inférieures. Mais s’il est facile de garnir le bord alvéolaire inférieur par un dentier artificiel, ce n’est qu’avec peine que l’on parvient à en adapter un au bord supérieur.

Le dentier inférieur tient par son seul ajustement et par son propre poids, et lorsqu’il est bien ajusté sur son bord alvéolaire, il sert à la mastication; au contraire, le supérieur ne peut être fixé sur le sien, qu’au moyen de ressorts, et c’est pour adapter ces ressorts d’une part au dentier et de l’autre à la mâchoire inférieure que Fauchard, qui est je crois le premier qui s’en soit occupé, a imaginé un mécanisme; mais il est bien loin d’avoir réussi. Pour le prouver, il suffit de jeter un coup d’oeil sur son procédé. Il emploie un cercle métallique plat, qu’il fait régner en dedans de la mâchoire inférieure, sur la gencive, et qu’il fixe aux dernières dents molaires; ensuite il fait passer au dehors un autre cercle, plus grand, qui se rattache au premier en le soudant. Quant aux caissons ou boîtes qui fixent les ressorts, ils sont soudés parallèlement au cercle extérieur.C’est ainsi que Fauchard prétend maintenir en place le râtelier supérieur pendant l’exercice de la mâchoire inférieure ».

Audibran est convaincu que ces cercles métalliques sont néfastes; ils compriment la gencive, ébranlent les dents, ou les entretiennent dans un étau. Il propose de perfectionner l’invention de Fauchard et de faire  » un cercle métallique en demi-jonc, qui règne intérieurement et qui prend toutes les inégalités de chaque dent; arrivé aux deux extrémités de la mâchoire inférieure, ce cercle se replie sur la surface des deux dernières grosses molaires, où il est surmonté d’une calotte qui offre toutes les cavités et éminences de la face mâchelière de ces deux molaires, quelquefois aussi des avant dernières, si les dernières sont mauvaises. Enfin, à ce cercle sont adaptées deux boites pour recevoir les bouts des ressorts. Ce mécanisme réuni a l’avantage de maintenir le dentier supérieur sur son bord alvéolaire, ceux non moins précieux de ne point gêner les mouvements de la mâchoire inférieure, de ne point comprimer les gencives, et de faciliter le déplacement du dentier pour pouvoir le nettoyer « . Audibran suit donc le contour gingival des dents.

Cette prothèse fut jointe au brevet d’invention, afin de convaincre le Ministère des Manufactures et du Commerce, représenté ce jour là par Bardet et Molave, et de comparer la pièce au dessin de Fauchard. Elle ne fut pas conservée.

 

Les ressorts à double charnière, ou ressorts dits à jambes de sauterelles

Christophe-François Delabarre y fera allusion en 1815 dans  » Odontologie, ou observation sur les dents humaines  » (14); il les décrira avec force détails dans l’édition de 1820 (15) consacrée au  » Traité de la partie Mécanique de l’art du dentiste « . En 1815, Delabarre admettait qu’il s’était inspiré des idées de Massé de Versailles, alors qu’en 1820, il écrira qu’il ne sait plus qui eut le premier l’idée des ressorts à doubles lames articulées. Il exécutera aussi bien des réacteurs en lames superposées, que des limitateurs et des stateurs.

1  AUDIBRAN-CHAMBLY, Essai sur l’art du Dentiste, Paris, 1808
2  LAFORGUE, L’art du Dentiste, Paris, 1802.
3  MAURY (J. C. F.), Manuel du Dentiste, Pari, 1822, p. 8.
4  MAURY (J. C. F.), Manuel du Dentiste pour l’application des dents artificielles incorruptibles, Paris, 1820, p. 16-17.
5  DELABARRE (Christophe François), Odontologie ou observation des dents humaines, Paris, 1815.
6  BROUSSON, Brevet d’Invention du 27 septembre 1816.
7  MAURY (J.C.F.) op. cit., 1820.
8  NASMITH (Alexandre), Brevet d’Invention N°2737.
9  DESIRABODE (Antoine Malagou), Brevet d’Invention N°6491.
10  WEBER (Jean Henri Chrétien), Brevet d’Invention N°10094.
11  RICCI, Brevet d’Invention N°288-356.
12  DELABARRE (Christophe François), op. cit., Paris, 1815.
13  AUDIBRAN (Joseph), Bevet d’Invention N°2484.
14  DELABARRE (Christophe François), Odontologie…, op. cit.,p. 70-71, Planche 4ème.