Jean GRANAT
Docteur en Chirurgie-Dentaire, Docteur en Sciences Odontologiques,
Diplômé d’Anthropologie, Chercheur associé, GDR 1945, laboratoire d’Anthropologie biologique,
Musée de l’Homme, 75116 Paris. jgranat@noos.fr
L’Histoire de l’Art dentaire regroupe les techniques, leurs applications et les différentes formes de métiers relatifs aux dents. Il devient intéressant de connaître aussi l’évolution, les modifications et les maladies des dents humaines au cours du temps afin d’essayer de retrouver depuis quand ces dents faisaient l’objet d’attention et de soins.
En Paléoanthropologie les dents jouent un rôle important car :
Elles se conservent bien dans les sols fossiles
Très tôt elles marquent l’appartenance du fossile à la famille à laquelle il appartient.
Elles témoignent donc du buissonnement des lignées.
Elles conservent la trace du mode alimentaire et renseignent sur les conditions écologiques.
Des espèces ne sont connues que par une seule dent.
Notre recherche au Laboratoire d’Anthropologie Biologique du Musée de l’Homme nous a conduits à rechercher « l’Histoire de l’Homme au travers de l’histoire des dents » (1)
Ce nom « dent », d’abord masculin, dérivé du latin dens se retrouve depuis 1080, il existerait donc dès l’origine de la langue française, dérivée du Roman créé vers 813. C’est dire l’importance que la population attache à ses dents.
Cette étude est basée uniquement sur les dents humaines fossiles et modernes qui ont été regroupées chronologiquement et classées selon les caractères de spécialisation qu’elles présentent. Ainsi, nous avons pu réaliser des morphotypes dentaires.
Au cours de ce travail, il est apparu que l’Histoire de la Paléo-Odontologie rejoint celle de l’Art Dentaire.
Rappel de quelques faits historiques
C’est en 1856 que naît la Paléoanthropologie avec la mise au jour du premier fossile humain, l’Homme de Néandertal.( fig.1).
Figure 1 – Les ossements de Néandertal mis au jour en 1856
Le scandale fût énorme, il fallut admettre que l’Homme avait eu des ancêtres différents. Une bataille s’engagea, bataille qui devint celle de l’évolution en 1859, lorsque Charles Darwin publie son livre « L’Origine des espèces », cinquante ans après les premières tentatives d’explication de l’Évolution fournies par J.B. Lamarck. La course au chaînon manquant s’organise.A la même époque, P.Broca, célèbre chirurgien, dont les travaux sur les centres du langage sont encore d’actualité, fonde la Société d’Anthropologie de Paris.
En 1868, c’est la découverte aux Eyzies de Tayac, en Dordogne, du premier fossile humain anatomiquement moderne, l’Homme de Cro-Magnon ( fig.2).
Figure 2 – L’Homme de Cro-Magnon
En 1891 Eugène Dubois, médecin militaire Hollandais pense découvrir à Java ce chaînon manquant « Homme-Singe » redressé qu’il appelle « Pithecanthropus erectus » (fig.3).
Figure 3 – Les ossements découverts par Dubois
Le Pithécanthrope deviendra vite Homme et non singe ce sera Homo erectus.1866 est l’année de la publication des travaux de Gregor Mendel, mais ils sont ignorés. En 1900, trois nouveaux articles signés Hugo de Vries, Carl Correns et Erich von Tschermark aux résultats similaires à ceux de Mendel sont publiés. Les trois scientifiques reconnaissent aussitôt l’antériorité des travaux du moine-chercheur et le réhabilitent. La génétique est officiellement née, près de cinquante ans après l’élaboration des fameuses » lois de Mendel « , les théories de l’évolution se baseront sur les mutations.
Les découvertes se multiplient mais sont le plus souvent le fait d’amateurs.
Alors, il faut faire appel à des médecins, des anatomistes, des dentistes, pour rechercher ce qui diffère entre ces Hommes fossiles et l’Homme moderne. Ainsi, en 1907 des fossiles néandertaliens mis au jour à Petit-Puymoyen, en Charente, ont des dents difficiles à interpréter (fig.4), on fait appel au Docteur Siffre, Professeur de l’École de Chirurgie Dentaire, qui réalise ainsi la première description complète de dents humaines fossiles (2).
Figure 4 – Prémolaire mandibulaire de Petit-Puymen bifide
Ce fut le premier grand rendez-vous entre la Dentisterie et la Paléontologie humaine. Nous avons repris l’étude de ces fossiles et montré, à l’aide du scanner, que, contrairement aux descriptions d’alors qui leur trouvaient un aspect simiesque, les dents entraient parfaitement dans la variabilité néandertalienne, voire moderne, tant pour leur morphologie que pour leur taille. (3)Cinquante ans après la première découverte, trois morphotypes humains se reconnaissent, l’Homme de Néandertal, le Pithécanthrope de Java qui sera Homo erectus et Homo sapiens fossilis.
1924 est la date de la découverte d’un nouvel Hominidé en Afrique australe, différent de ceux trouvés jusqu’alors, il est baptisé par Raymond Dart Australopithecus africanus. Il s’agit d’un enfant avec ses dents lactéales et ses premières molaires permanentes en début d’éruption (fig.5).
Figure 5 – Dents de l’enfant de Taung, Australopithecus africanus
Un nouveau morphotype enrichi la Paléoanthropologie.
Les questions se multiplient sur les dents de ces Hommes, dates d’éruption, durée de la croissance dentaire, différence entre dents de singes et d’hominidés, forme des arcades alvéolo-dentaires.En 1927, Davidson Black, médecin canadien, est nommé Professeur d’anatomie à Pékin. Là, il s’interroge sur « les dents de dragon » vendues en pharmacie avec des vertus aphrodisiaques et décide d’ouvrir un site de fouilles. On y découvre une dent humaine qui montrait beaucoup de caractères différents de ceux des dents modernes dont il disposait. Il propose alors de créer une nouvelle espèce d’après cette seule dent, espèce qu’il nomme « Sinanthropus pekinensis » (fig.6a). L’année suivante, un crâne est mis au jour avec des dents semblables à la première (fig.6b).
Figure 6a – Molaire découverte à Choukoutien près de Pékin Figure 6b – Crâne du Sinanthrope (reconstitution de Weindenreich)
Il s’agissait bien d’une espèce nouvelle proche du Pithécanthrope de Java. Aujourd’hui ces deux espèces sont regroupées dans l’espèce Homo erectusIl a fallu attendre 28 ans( 1956) pour mettre au jour des mandibules géantes aux « dents de dragon ». En hommage à D.Black on créa une nouvelle espèce « Gigantopithecus blacki ». Son appartenance aux singes ou à l’homme est toujours discutée (fig.7)
Figure 7 – Dents et mandibule du Gigantopithèque
1950, la génétique fait un bond avec la découverte de la structure des gènes. La théorie darwiniste devient la « théorie synthétique de l’évolution » à laquelle participent des paléontologues, des systématiciens et des biomolécularistes. Aujourd’hui, deux courants se reconnaissent:• le gradualisme phylétique qui propose une évolution graduelle. L’accumulation de micro-évolutions débouche au bout d’un temps très long sur une macro-évolution ouvrant la porte aux spéciations nouvelles.
• les équilibres ponctués qui correspondent à une évolution saccadée, procédant par bonds. Ici, les micro-évolutions ne sont considérées que comme des adaptations successives à des changements de mode de vie. La création d’espèces nouvelles n’est pas le résultat de l’accumulation graduelle de mutations mais se fait par un processus différent
En 1960 Louis Leakey découvre une nouvelle espèce d’ Hominidés qu’il appelle Homo habilis. A côté des fossiles il y avait des pierres taillées dont le faciès devient l’Oldowayen. A partir de cette époque, on considérera que seuls les représentants du genre Homo fabriquaient des outils et que Homo habilis était le premier Homme.
Les découvertes se multiplient en Afrique de l’Est , Afrique de l’Ouest et en Eurasie.
Nos connaissances sur les dents se sont multipliées, la recherche a changé de méthodes et touchent de nouveaux domaines mais les travaux anciens présentés par des Chirurgiens-Dentistes conservent encore toute leur importance et sont des références incontournables en paléoanthropologie.
L’Histoire de l’Art dentaire rejoint celle de la Paléoanthropologie. Parmi ces travaux, nous trouvons des ouvrages destinés aux Chirurgiens-Dentistes, comme ceux de E.Bourdelle, Ch.Bennejeant, et Wicart, de G.Beltrami, de E.Marseillier, de L.Lebourg, de J. Anthony, de F. Twiesselmann, de H.Brabant de P.Legoux dont E.Genet-Varcin et A.M. Tillier n’ont cessé de reconnaître sa participation importante à la connaissance de la croissance dentaire des Hommes fossiles. Si les appareils de radiographie dentaire apparaissent entre 1905 et 1917, déjà avec un bras mural, leur utilisation pour la paléontologie n’est pas fréquente. Legoux a aussi fait beaucoup en ce domaine (4).
En 1967, la création du Doctorat en Sciences Odontologiques ouvre officiellement les laboratoires d’Anthropologie et de Paléontologie aux Chirurgiens-Dentistes. Une longue et fructueuse collaboration va s’établir entre Chirurgiens-Dentistes et Paléontologues, collaboration qui existait déjà mais à un moindre degré et à titre personnel..
En 1973, Un groupe de dentistes entouré du Professeur G Olivier, crée la « Société Française d’Anthropologie et de génétique dento-faciales » et édite en 1975 le numéro 1 des Cahiers de la Société (fig.8), il y en a eu 6 numéros.
Figure 8 – Couverture des Cahiers de la Société Française d’Anthropologie et de Génétique-Dento-faciales
La création du Doctorat d’exercice éloigne les confrères des Laboratoires d’anthropologie.La mise en place de Certificats (C4) de Biologie de la Bouche, d’Odontologie médico-légale, d’Orthodontie a introduit, dans les programmes, un enseignement de paléoanthropologie.
En 1990 l’Information Dentaire me demande d’organiser une série d’articles sur ce sujet. Les articles ont été regroupés dans une rubrique que j’ai nommée « Spécial Odontologie Anthropologique » à laquelle ont participé de nombreux confrères ( fig.9).
Figure 9 – Couverture de l’Information dentaire du 31 mai 1990. représentant le crâne de Faïd Souar avec une seconde prémolaire implantée
En 1996, en Angleterre, S.Hillson publie un livre fort intéressant pour les anthropologues, « Dental Anthropology ». Le rôle et la place des dents dans la recherche paléontologiques deviennent importantes.En 2001, paraît « La Paléo-Odontologie » ouvrage auquel ont participé des confrères de Paris, Nice, Toulon, Montpellier, Marseille.
Yves Coppens, dans la Préface, écrit : « Voici donc un beau nouveau volume de la Collection de Paléoanthropologie et de Paléopathologie osseuse, en hommage à l’histoire des dents, aux méthodes de leur étude et à certaines de leur maladies ».
L’Histoire des dents s’intègre naturellement dans l’Histoire de l’Art dentaire et la Paléo-Odontologie représente sans aucun doute, une source d’intérêts pour la Société Française d’Histoire de l’Art Dentaire.
De plus, la paléogénétique s’affirme chaque jour davantage mais chez les Hommes fossiles la recherche d’ADN est très difficile car les risquent de contamination sont très grands, étant donné les nombreuses manipulations qu’ont subies les pièces fossiles. Le meilleur matériau pour les recherches d’ADN fossile, reste la dent dont les cavités internes, camérales et radiculaires sont généralement préservées et contiennent des parties organiques.
En fait, les résultats d’études conjointes entre Odontologistes et Paléontologues, relatives aux dents, devraient servir autant aux uns qu’aux autres.
En effet, l’odontologie anthropologique qui s’intéresse à l’ensemble des groupes humains actuels, évoque des sujets souvent méconnus de nos confrères. Je ne citerai ici que la différence des âges de maturation dentaire selon les différentes populations et l’erreur d’employer les tables de Nolla ou de Demirjian pour n’importe quelle population d’enfants. Ce problème me préoccupe depuis plus de 10 ans et tout récemment trois articles démontrent que ces tables donnent des résultats erronés pour l’Australie de Sud, l’Inde et le Brésil. De même, la forme de l’arcade alvéolo-dentaire et ses variations ethniques est un problème important pour les orthodontistes (5). La très forte variabilité intra-populationnelle de tous les caractères dentaires masquant la variabilité inter-populationnelle ou encore le rôle de la structure de l’émail dentaire avec les périkymaties et les stries de Retzius pour l’identification des espèces humaines sont aussi des sujets intéressants.
L’Histoire de l’Homme par les dents
Les premiers Hominidés se reconnaissent, pour le moment, vers 8 ma environ et leurs dents interviennent toujours dans les déterminations phylétiques.
La molaire de Lothagam (8m.a) montrerait que le genre Australopithecus existait à cette époque (fig.10a) et celles d’Orrorin (7 m.a) que le genre Homo ( fig.10b) était aussi présent (6).
Figure 10a – molaire de Lothagam Figure 10b – dents de Orrorin
Les 2 genres séparés depuis fort longtemps ont donc évolué parallèlement et ont été contemporains pendant 6 millions d’années environ. Les dents des Australopithèques ont montré qu’ils étaient végétariens, même s’ils se nourrissaient parfois de très petits animaux. Les molaires et prémolaires sont, en volume, deux fois à deux fois et demi supérieures aux nôtres tandis que le groupe incisivo-canin se retrouve à la limite inférieure de la variabilité actuelle (fig.11).
Figure 11 – Arcades dentaires d’Australopithèques
Par leur spécialisation dentaire, les Australopithèques ne sont pas sur la liste de nos ascendants potentielsLes dents du genre Homo présentent de fortes ressemblances d’une espèce à l’autre mais, selon les lois de l’évolution, aux caractères d’origine dits, primaires, primitifs, généralisés ou plésiomorphes se sont ajoutés, selon des adaptations différentes, des caractères secondaires, dits apomorphes, de plus en plus spécialisés permettant de distinguer les différents morphotypes. Il faut bien réaliser qu’un seul caractère ne suffit pas à caractériser un groupe, il faut toujours une association constante de plusieurs de ces caractères.
Le genre Homo, avec Orrorin et les premiers Homo habilis d’il y a 2 millions d’années, possèdent des dents témoignant d’un régime alimentaire omnivore.
Les dents du genre Homo confirme qu’il se serait séparé en trois morphotypes, celui d’Homo erectus africain et asiatique, celui de l’Homme de Néandertal, retrouvé en Europe, au Proche et Moyen-Orient jusqu’aux portes de l’Asie et celui d’ Homo sapiens fossilis, « Hommes anatomiquement modernes », connu au Proche-Orient depuis 100.000 ans mais dont les formes plus archaïques se reconnaîtraient depuis bien plus longtemps et dans des aires géographiques différentes. Aujourd’hui, avec les fossiles caucasiens de Dmanisi, il est de plus en plus admis qu’Homo habilis serait venu en Europe vers 2 millions d’années et aurait donné naissance aux Néandertaliens et à Homo sapiens (7).
Du point de vue morphologique, les dents d’Homo habilis, sont morphologiquement comparables aux nôtres, mais chez certains les dimensions des prémolaires sont fortes. En revanche, celles d’Homo erectus présentent réunis plusieurs carctères qui les différencient. Les incisives sont en » pelle », l’émail dentaire est fortement ridulé, les couronnes sont brachyodontes avec une hauteur faible par rapport aux autres dimensions, la face vestibulaire est relativement plane, inclinée de dehors en dedans et du collet vers le bord libre. Il existe au niveau cervical un bourrelet cervical qui rappelle celui des dents lactéales. A la radiographie, les dents sont taurodontes avec une très vaste cavité pulpaire qui se prolonge dans la racine avant de se séparer dans les différents ramifications radiculaires. Ceci explique la morphologie particulière des molaires avec un tronc commun de la racine ( fig.12).
Figure 12 – Dessin de molaires d’Homo erectus sur lesquels il est possible de remarquer les caractères de spécialisation. Radiographies montrant un taurodontisme chez Néandertal et chez l’Homme actuel
Chez les Néandertaliens, la variabilité est forte et nous retrouvons, mais isolés, certains des caractères énoncés pour Homo erectus. Un caractère domine, la largeur des incisives latérales est toujours importante.Chez Homo sapiens, depuis les Hommes anatomiquement modernes les dents sont toutes identiques à celles de l’Homme actuel.
Cette étude, de plus, nous a permis de différencier les Homo erectus d’Afrique du Nord de ceux d’Afrique du Sud, de l’Est et d’Asie.
Force est de reconnaître que malgré ces différences, au sein du genre Homo il existe une certaine unité dentaire.(fig.13).
Le nombre des racines est avancé parfois comme caractère spécifique (8), mais la variabilité est telle que cela demande à être confirmé et nous savons que chez l’Homme actuel, il n’est pas aussi rare que cela de rencontrer des canines et des prémolaires mandibulaires avec 2 voire 3 racines. Notons aussi que toutes les dents des fossiles anciens n’ont pas subies d’examen radiologique.De plus en plus, les paléontologues utilisent l’instrumentation, les matériaux et du matériel conçus et réalisés pour les cabinets dentaires.
Par exemple, nos techniques et matériaux d’empreintes m’ont permis de mieux visualiser la morphologie intérieure des alvéoles déshabités, et de reconstituer les racines manquantes. De même réaliser en positif, d’après leur emplacement, les germes dentaires disparus permet de les mesurer et de les examiner. Ce qui apporte des éléments très importants pour la recherche, comme l’estimation de l’âge au décès du sujet. Ainsi, les fossiles néandertaliens de la grotte du Coupe-Gorge (fig.14 ) nous ont été d’une aide précieuse dans l’élaboration d’une nouvelle méthode d’estimation de l’âge des Néandertaliens (9)
Figure 14 – Positifs au silicone des alvéoles et des empreintes des germes du Coupe-Gorge
Souvent aussi nous nous heurtons à des définitions ambiguës comme celle de la cyrtodontie, angle obtus que font l’axe de la couronne et l’axe de la couronne, qui selon les auteurs est employée avec d’autres sens. Ce serait l’angle de Mac Collum ou angulation corono-radiculaire. Elle a été décrite chez les grands singes, chez l’Homme de Néandertal, absente chez Homo erectus et sapiens. En fait, cette cyrtodontie est due à l’obliquité de la région alvéolaire sous-nasale, permettant aux couronnes des dents maxillaires de rentrer en contact avec leurs homologues mandibulaires ( fig.15).
Figure 15 – La cyrtodontie
Les dimensions des dents ont aussi été considérées comme caractères discriminants. Notre étude montre qu’en ce domaine, la variabilité moderne est très forte et que très peu de dents du genre Homo s’y trouvent en dehors. Là encore, les recherches biométriques faites par des confrères sur ce sujet ont permis une meilleure connaissance des dimensions dentaires de la population humaine actuelle dans son ensemble.L’apport des études de paléopathologie est aussi considérable.
Chez tous ces Hommes fossiles, la carie dentaire et ses complications ne semble pas avoir existé.
En revanche, les dents cariées s’observent avec une fréquence importante au Néolithique vers 5.000 ans, avec la sédentarité et la culture des céréales. Tout porte à croire que le développement de la carie dentaire soit liée à ces 2 facteurs. L’Art Dentaire, en conservant le sens de métier, technique, qu’il avait jusqu’au XVIIème siècle pourrait éventuellement remonter à cette époque.
De même on ne connaît pas les techniques de certaines pratiques utilisées bien antérieurement, comme des avulsions dentaires intentionnelles de type rituel vers 6.000 ans en Afrique du Nord, voire 15.000 ans. La conformation de l’os alvéolaire laisse à penser que ces avulsions se pratiquaient lorsque la dent commençait son éruption.
Des abrasions par bâtonnets ont été relevées et même un « implant » sur un crâne vieux de 7.000 ans (10). En revanche certaines pathologies de type parodontal existaient, comme à La Chapelle aux Saints ou des complications infectieuses suite à des mortifications pulpaires par traumatisme ou forte usure.
Seul, à notre connaissance, le crâne de Broken Hill (Kabwe), présente de nombreuses caries (fig. 16) et certainement une mastoïdite d’origine dentaire.
Figure 16 – Arcade maxillaire du crâne de Broken-Hill avec de nombreuses caries
Certains le considèrent comme relativement moderne, d’autres comme un erectus évolué et d’autres enfin comme très ancien, représentant un ancêtre africain des Hommes modernes. Une nouvelle étude des dents de ce fossile s’impose mais sur les Hommes fossiles nous n’avons relevé aucun signe de soins dentaires et aucune pierre taillée n’a été décrite comme outil dentaire.Notons que les singes en liberté n’ont pas de caries, alors que dans les parcs zoologiques ils en souffrent. On relate même qu’il y a plus de 30 ans, au Centre d’Observation et de Recherche sur les Primates de delta Régional., à l’Université de Tulane (USA) des singes femelles s’amusaient à « jouer au dentiste » en nettoyant les dents de leurs congénères avec des petites baguettes et agitaient les dents de lait pour accélérer leur chute.
Les filiations établies d’après les morphotypes dentaires (fig.17) confirment les études que nous avions faites précédemment (11), notamment sur les rapports phylétiques entre les grands morphotypes humains et la place que devait occuper les fossiles de Dmanisi qui deviennent nos ancêtres directs d’il y a 2 millions d’années (12).
Figure 17 – Schéma évolutif des Hominidés établi d’après les dents
Les dents nous ont donc permis de retracer l’Histoire de l’Homme et de son évolution. Cette étude, il me semble, s’inscrit dans la lignée de l’Histoire de l’Art Dentaire.
BIBLIOGRAPHIE
1 Heim J.-L., Granat J., 2001- Les Dents humaines, origine, morphologie, évolution. in Paléo-Odontologie. Analyses et méthodes d’étude. édit Artcom
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4 LEGOUX P., 1966 – Détermination de l’âge dentaire de fossiles de la lignée humaine. Paris, Maloine, 308 p.
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8 LUMLEY de M.A, 2002- Georgicus, le premier européen, in La Recherche,n° 359
9 GRANAT J., HEIM J.-L. 2001- Croissance dentaire chez l’homme de Néandertal – Élaboration d’une nouvelle méthode d’estimation de leur âge dentaire. Biom. Hum. et Anthropol. 19, 3-4, p. 205-215 10 GRANAT J., 1990 – L’Implantologie aurait-elle 7000 ans . in :L’Information Dent., Paris, n° 22: 1959-1961 11 GRANAT J., HEIM J.L., 2000 – Détermination de l’âge dentaire des Néandertaliens. In: L’identité en question. Ed. Artcom. Paris : 112-127.
12 GRANAT J., GENET-VARCIN E., HEIM J. L . -1992 – Evolution de la denture permanente des hominidés. Encycl. Méd. Chir., Stomatologie et Odontologie, 22003, S10 : 11 p