Texte : Thomas Bartholin
Historia anatomica
sur les lactifères thoraciques (1652)
chapitre iii
Note [6]
Je remets dans l’ordre chronologique de leur parution les trois références que Thomas Bartholin citait sur l’anatomie, alors encore très mystérieuse, du canal de Wirsung.
Ductus hic venarum lactearum maxima, magno sibi cum meatu biliario communi, hiatu ab intestino jejuno satis conspicuè incipit, secundum corporis latitudinem et pancreatis longitudinem, calami scriptorii ferè crassitiem adæquans, extenditur : in cadavere nihil quicquam, dum aperitur, continet, aliarum lactearum more, quæ tamen omnes, ob exiguitatem, et quod membranis quibus fulciuntur, nimis sint similes, inanitæ disparent, visumque nostrum effugiunt ; hic verò, propter magnitudinem et quia per carnem, à qua facilè discernitur excurrit, satis est conspicuus : in animali vivo, aliquot post pastum horis, aperto, albo humore impletus tumet, ligaturâ constrictus, intestinum versus intumet magis, ultra verò statim inanitur.[On voit assez clairement que ce très grand canal {b} des veines lactées commence au niveau de l’intestin grêle par un orifice qu’il partage en grande partie avec le méat biliaire. Il se déploie sur toute la longueur et la largeur du corps du pancréas, et son calibre égale presque celui d’une plume à écrire. Quand on l’ouvre chez le cadavre, il est absolument vide, comme sont les autres lactifères, lesquels échappent à notre vue, en raison de leur exiguïté et des membranes auxquelles ils adhèrent, qui leur ressemblent beaucoup et dont il est vain de vouloir les séparer ; en revanche, le lactifère du pancréas est assez visible en raison de sa taille et parce qu’on le distingue bien de la chair pancréatique dans laquelle il chemine. Il est gonflé chez un animal vivant, quand on l’ouvre quelques heures après l’avoir nourri, et plein d’une humeur blanche ; {c} et si on le lie, il enfle du côté de l’intestin, mais s’aplatit en amont]. {d}
- Chapitre intitulé Venarum lactearum usus : quis pancreatis : et gladularum mesenterii usus : chymosis rudior sanguinificatio : quid chymus : sanguinis in jecore uterino præparatio : naturæ circa alimentum ordo [Utilité des veines lactées ; ce qu’est celle du pancréas et des glandes du mésentère ; la chymose est plus grossière que la sanguification ; ce qu’est le chyme ; la préparation du sang dans le placenta ; ordre de la nature concernant l’aliment].
- De Back a curieusement tenu le mot ductus [canal] pour masculin (hic) puis féminin (maxima), en parlant du canal de Wirsung qui draine le chyme que les lactifères ont mené dans le pancréas.
- Confusion entre le chyle et le suc pancréatique (que personne n’avait alors bien caractérisé).
- Bartholin jugeait cette expérience impossible (v. infra) ; elle voulait prouver que le chyle pénètre dans le canal pancréatique après les repas.
Cujus orificium amplo hiatu in intestinum duodenum aperitur, juxta meatus bilarii ingressum, cum quo nonnunquam eodem osculo jungitur, frequentius vero, quod cum Autore deprehendi, diverso sed vicino circulo copulatur. Valvula ante exitum sita extrorsum spectans, quæ stylum ex duodeno adactum in sinum novum non admittit, unde in animali vivo ligatura constrictus intestinum versus intumescit magis, ultera verò statim inanitur, si crediumus Iac. Baccio, quod experimentum difficile est, ante enim quam separetur ductus impeditior, vel ligetur, exspirat animal. Inde totum Pancreatis corpus meatus perreptat, utrinque infinitos dispergens ramulos, donec angustioribus, sed ordinatis surculis et recto ductu sensim taciteque lienem versus terminetur. Lienem autem non ingreditur, licet id se observasse fidem mihi Folius fecerit : fortassis id præter naturam, nec debuisse videtur, quia ante obliterantur rami ordinato defectu, quam lienem tangant, et cavitas deficit versus intestina eminens. In qua quidem capacitate, humor conspicuus est nullus, nisi quod immissus stylus flavo plerunque biliosoque colore tingatur, parietibus ejusdem simili tinctura infectis, ut bilis hic contineri ordinaria naturæ lege videatur, quod ad oculum pleno bilis vase in biliosa diarrhæa Venetiis quoque Ioannes van Horn amicus vidit. Unde novi ostenti.[Son orifice s’ouvre largement dans le duodénum, à côté de celui du canal biliaire. Ils partagent parfois la même embouchure, mais plus souvent, comme je l’ai vu avec son découvreur, {b} leurs ostiums sont voisins mais distincts. Une valvule regardant vers l’extérieur les recouvre, qui empêche de faire pénétrer un stylet depuis le duodénum dans ce conduit nouveau. Si nous en croyons Jacobus de Back, sa ligature chez un animal vivant enfle sa partie dirigée vers l’intestin, mais il s’affaisse en amont. Il s’agit pourtant là d’une expérience difficile car l’animal meurt avant qu’on ait dégagé le canal de Wirsung et pu le ligaturer. Il parcourt le corps du pancréas sur toute sa longueur, en dispersant de part et d’autre une infinité de petites branches de plus en plus étroites, mais en suivant un trajet rectiligne, jusqu’à se terminer peu à peu et insensiblement non loin de la rate. Il n’y pénètre pourtant pas, bien que Folli {c} m’ait affirmé avoir observé le contraire : peut-être s’agissait-il d’une communication contre nature, qui ne doit pas exister naturellement, parce que les ramifications du canal s’épuisent avant qu’il n’atteigne la rate, que les intestins séparent du pancréas. La lumière du canal ne contient aucune humeur ; toutefois un stylet qu’on y a introduit en ressort très souvent jaune, en prenant une teinte bilieuse, qui donne aussi sa couleur aux parois du dit canal. Il semble donc normalement contenir de la bile, comme mon ami Jan van Horne {d} l’a vu de ses propres yeux à Venise, dans un cas de diarrhée bilieuse, et voilà un nouveau prodige].
- V. note [5], lettre d’Adrien Auzout à Jean Pecquet.
- Bartholin a dit quelques lignes plus plus haut avoir en personne assisté à la démonstration du canal par Johann Georg Wirsung, à Padoue en 1642.
- Cecilio Folli, v. note [3‑2], Experimenta nova anatomica, chapitre vi.
- V. note [49], lettre de Sebastianus Alethophilus à Pecquet.
In canibus, ovibus, hominibus et aliis stilum facile recipit, et ureteribus magnitudine non multum cedit. Quando in meatum biliarem inseritur, neque inter tunicas ejus decurrit, neque valvula adstat ; sed bilis in illum facilè remeare poterit ; licet Bartholinus (illlustrissimi Bartholini filius non minus insignis) valvulam in exitu potuisse videtur : Nullam verò stilo, vel sectione, vel inflatione explorare potuimus : sed immissâ fistulâ totum ab intestino, vel meatu biliari, usque ad extremitates capillares inflatione distentum reperimus. Si autem tunicam intestini interiorem valvulam esse velit, non multum contendemus, ejus vicem supplere facilè concedemus. In illo humor conspicuus nullus invenitur, licet in vivis dissectionibus stilo statim ad intestinum connectatur. Bartholinus bilem in illo ordinariâ naturæ lege contineri dicit, quia stilum immissum tali plerumque colore inficiat ; Et illum bile plenum, Venetiis in diarrhæa biliosâ inventum fuisse ab amico ejus, narrat. Cùm in meatum biliarem inhiat, ut in hominibus, facilè in dissectione contingere potest, ut partium commotione bilis à meatu biliari in illum refluat, uti nobis in dissectione sæpius accidisse observavimus. Atque hinc tinctura illa flava in ductus hujus parietibus enasci poterit : Quod verò in diarrhæâ biliosâ, humore tali plenus inventus fuerit, si non eodem errore accidisset ; illud fieri dicamus, quia totum venosum genus infectum fuerat, totaque massa sanguinis biliosa facta, ut in ejusmodi affectibus contingit ; natura per omnes vias humoris vitiosi expulsionem molitur, atque sic per ductum hunc etiam bilem expurgare conatur.[Chez les chiens, les moutons, les hommes et d’autres animaux, on y introduit {b} facilement un stylet et son calibre n’est guère inférieur à celui des uretères. Quand il est inséré dans le méat biliaire, le stylet ne chemine pas entre ses tuniques et ne rencontre pas de valvule. La bile pourra donc facilement y refluer, bien que Bartholin (qui n’est pas moins remarquable que son père, le très illustre Bartholin) semble penser qu’il puisse être pourvu d’une valvule, mais nous ne sommes pas parvenus à la mettre en évidence, que ce soit à l’aide d’une sonde, de la dissection ou de l’injection d’air. En revanche, en insérant un chalumeau, nous avons gonflé la totalité des canaux biliaires depuis l’intestin, c’est-à-dire depuis leur méat jusqu’à leurs plus fines extrémités. Si Bartholin veut néanmoins qu’une telle valvule existe dans la tunique interne du duodénum, nous n’en débattrons pas longuement et admettrons quelle en tient lieu. On n’y trouve {b} aucun liquide, même si, en disséquant des animaux vivants, l’insertion d’un stylet montre qu’il est en connexion directe avec l’intestin. Bartholin dit qu’il contient naturellement de la bile car elle teinte ordinairement la sonde qu’on y a introduite, et raconte qu’un de ses amis l’a vu rempli de bile dans un cas de diarrhée bilieuse observé à Venise. Puisque, chez les animaux, il s’ouvre, comme chez l’homme, dans le méat biliaire, il peut facilement arriver, comme nous l’avons très souvent observé en disséquant et manipulant ces parties, que la bile du méat biliaire y reflue, {b} ce qui pourrait expliquer la couleur jaune du canal et de ses parois. Quant au fait de l’avoir trouvé plein de bile dans un cas de diarrhée bilieuse, s’il ne s’est pas agi d’une erreur, nous dirions que tout le compartiment veineux était contaminé et que toute la masse du sang avait été rendue bilieuse, comme il arrive dans ce genre de maladie. La nature met en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour expulser l’humeur peccante, et s’efforce donc aussi de purger l’excès de bile par ce canal]. {c}
- Ce livre (v. note [22], préface de la première Responsio de Jean ii Riolan) a paru juste après l’Anatomia reformata de Bartholin, qui n’avait donc pas pu y répondre aux remarques de Highmore. Aussi le faisait-il très brièvement dans son Historia anatomica.
- Dans le canal de Wirsung.
- Plus loin, pages 46‑47, Highmore concluait, comme bien d’autres avant la découverte de Jean Pecquet, que le pancréas était là pour purifier le chyle que lui délivraient les lactifères mésentériques d’Aselli, avant qu’il ne gagne le foie. Son propos est illustré par une belle planche, dont plusieurs figures montrent (repères k k k) des petites veines imaginaires qui quittent le pancréas pour rejoindre la veine splénique et le foie par la veine porte.
Il a plus tard été bien établi que le canal de Wirsung ne charrie ni chyle (comme pensaient de Back et Highmore) ni bile (comme pensait Bartholin), mais délivre dans le duodénum le suc élaboré par le pancréas pour assurer l’essentiel de la digestion des aliments.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.