Texte
Jean Pecquet
Dissertatio anatomica
de circulatione sanguinis
et motu chyli
(1651)
Chapitre ix  >

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Les artifices tendant à prouver l’attraction s’écroulent[1]

Des expériences qui confondent les obstinés et soumettent les incrédules, ayant démontré que l’air écrase le globe terraqué parce qu’il est, plus encore qu’une poignée de laine, composé d’un amoncellement de parties intriquées et que son élasticité [2] le pousse naturellement à se dilater, j’entreprends d’examiner les artifices des partisans de l’attraction[3]

Force expériences font clairement voir que ce n’est pas l’horreur du vide [1][4] qui arrête la montée de l’eau dans les machines hydrauliques, mais la nécessité d’équilibrer les poids.

Le fonctionnement de la pompe [2][5][6] doit être examiné en premier, car c’est le principal argument de ceux qui, pensant en avoir fini avec notre sentence et que rien ne peut être opposé à la leur, [Page 63 | LAT | IMG] ont donné au cœur le titre de pompe vitale. De même, disent-ils, que le piston aspire l’eau en montant et l’expulse en descendant, de même le cœur aspire le sang en l’attirant pendant la béance de la diastole, puis l’éjecte pendant la contraction de la systole. [7]

Les ingénieurs font si communément mention des pompes, qu’ils appellent aspirantes, que ce nom parle aux oreilles de tout le monde ; mais bien qu’on les utilise fort souvent pour puiser les liquides, personne n’a encore identifié le véritable agent ou la cause authentique du mouvement fluide dans ces machines si couramment employées.

Ceux qui les conçoivent, comme tous ceux qui s’intéressent à l’hydraulique, [3][8] ont pensé que l’ascension du piston puise l’eau et la fait monter, et que l’horreur du vide [1] contrarie sa tendance naturelle à s’écouler vers le bas ; mais je démontre comme suit qu’ils raisonnent de travers.

L’air comprime partout le globe terraqué non seulement par son poids, comme nous l’avons prouvé, mais surtout par la très puissante poussée de son élasticité intrinsèque. En tout lieu où l’amas des parties de l’air agira avec la même force sur les eaux qui lui sont soumises, il sera donc vrai qu’elles s’équilibrent à la même hauteur. Si la poussée de l’air était inégale, il faudrait que les surfaces des eaux diffèrent en élévation, montant plus haut là où la pression de l’air est plus légère ; et ce jusqu’à ce que la masse de l’eau, avec l’air qui appuie sur elle, équilibre son poids avec celui d’un air plus lourd.

Il t’est facile d’apprendre cela en observant la mécanique d’un seau. [9]

[Page 64 | LAT | IMG] Prends-en un de forme cylindrique (A) et remplis-le d’eau au moins jusqu’à mi-hauteur, puis pose à sa surface un couvercle en forme de disque (BCD), dont le centre est perforé (D, pour y faire pénétrer verticalement un tube de verre DE), et dont le pourtour (BCD) jouxte la paroi du seau en restant capable de monter et descendre, tout en empêchant l’eau d’en déborder. Si tu alourdis franchement le disque en y plaçant des poids (FF), il s’enfonce en comprimant l’eau qui est au-dessous de lui, tout autour du trou (D), laquelle s’engouffrera dans le tube perpendiculaire (DE), jusqu’à atteindre, sous l’effet de la poussée, le point (G) d’équilibre des charges.

Telle est la force qui fait monter l’eau dans une pompe.

Quand la pompe est encore au repos, avant que le piston ne soit introduit dans son tube, la poussée [Page 65 | LAT | IMG] que l’élasticité de l’air exerce sur l’eau n’étant pas moindre dedans que dehors, les deux niveaux de l’eau sont égaux, à l’extérieur et à l’intérieur du tube ; mais quand un piston y est ajusté puis tiré vers le haut, il soulève aussi en même temps la colonne perpendiculaire d’air qui est dans le tube et emporte entièrement la charge qui s’y trouve, et l’eau, que comprime alors plus rudement la poussée inchangée de l’air extérieur qui la surplombe, se précipite dans le refuge aisément accessible que lui offre le tube ; et elle s’y élève jusqu’à atteindre la hauteur de trente-deux pieds, où son poids s’équilibre enfin avec celui de l’air ambiant ; car la règle du contrepoids (si nous en croyons les données expérimentales) ne permettra pas à l’eau qui jaillit dans le tube ou dans la pompe d’atteindre un niveau supérieur à celui-là, si haut que vous en éleviez le piston. [4]

Tu admireras aussi le même phénomène avec le mercure : dans un tube ou dans une pompe, sa colonne ne monte pas plus haut que vingt-sept pouces au-dessus de la surface de la cuve qui le contient ; car une telle colonne de mercure pèse à peu près aussi lourd qu’une colonne d’eau de trente-deux pieds.

Si fort qu’on tire un piston vers le haut, il ne fait monter l’eau dans un tube au-dessus de trente-deux pieds, ni le mercure au-dessus de vingt-sept pouces. Ainsi l’horreur du vide, qui se trouverait dans les plus hauts lieux de la Nature, n’impose-t-elle pas aux liquides de lui obéir ; et ainsi la poussée de l’air, dont la minime capacité à équilibrer les poids s’épuise vite, n’écrase-t-elle pas le monde terraqué sous l’effet de son élasticité illimitée. [5]

Puissent donc les fontainiers remarquer, comme tous les ouvriers qui espèrent tirer avantage du [Page 66 | LAT | IMG] siphon recourbé [6][10] pour faire monter les eaux d’un lieu à un autre plus élevé, qu’ils s’y échineront en vain si l’altitude du mont dépasse trente-deux pieds au-dessus de la source. Le même jugement ferme et irrévocable vaut pour la hauteur atteinte par ce qu’ils appellent des pompes aspirantes. Je laisse de côté les autres pompes, en particulier celles dont le godet plonge dans l’eau pour la puiser à la manière d’un seau, sans limite de hauteur hormis celle qu’impose la force qu’on applique sur le godet, mais ce mécanisme n’a rien à voir avec l’horreur du vide ou la pesanteur de l’air. [7]

Étant donné que, pour presser l’eau à monter, une pompe n’exerce pas une attraction, mais fait varier la pesanteur élastique de l’air ambiant, il n’y a aucune raison de nous attarder plus longtemps à réfuter les arguments que nos contradicteurs tirent de cette machine pour démontrer que le cœur agit par attraction.

Les soufflets n’aspirent pas l’air, ils ne font que recevoir celui qui les a pénétrés de l’extérieur[8][11][12]

Il n’est pas fort heureux d’arguer que le cœur se remplirait par un phénomène de succion ou d’attraction, car les soufflets n’attirent ni ne sucent l’air, mais le poussent à entrer sous l’effet d’une force extérieure.

L’air qui reste tapi dans les interstices d’un soufflet replié ou fermé possède la même élasticité que l’air ambiant qui l’entoure, et si on ne les met pas en mouvement, l’un et l’autre reposent en équilibre ; quand tu écartes ses flasques, le peu d’air qu’il contient se détendrait sous l’effet de sa dilatation spontanée (comme a prouvé la vésicule de carpe) [13][14] si l’air extérieur, comme tout fluide contenu dans un entonnoir et tout proche de sa sortie, ne subissait pas alors une très puissante poussée qui [Page 67 | LAT | IMG] le contraint à entrer dans le soufflet pour l’équilibrer.

La force de la dilatation aérienne, qui tient à son élasticité propre, ne s’exprime pas tant qu’une cause extérieure ne la réveille pas.

Celui qui me parlera de l’attraction que le feu engendre dans les éolipyles [15] ou les ventouses [16] n’aura pas non plus l’heur de me convaincre ; et pour que tu comprennes comment je le contredis, voici ce que je pense des effets de la chaleur.

Nul ne doute que l’air se dilate à la moindre chaleur, mais d’une manière différente de celle qui provoque parfois sa dispersion, parce que sa dilatation spontanée affaiblit la puissance de sa vertu élastique comme le prouvent les expériences de la vésicule de carpe et du vide dans le vide ; [17] mais en vérité cette dilatation provoquée par le chauffage, qui ne provient pas de l’air lui-même, renforce son élasticité quand la chaleur augmente, et la réduit peu à peu quand elle diminue.

Le thermomètre montre que la chaleur augmente non seulement la masse de l’air, mais aussi celle de l’eau.

Quand on maintient la main ou une braise au contact direct de l’ampoule supérieure d’un thermomètre, [18] l’eau qu’elle contient descend : c’est une solide preuve que la poussée engendrée par la dilatation de l’air, qui se trouve aussi à l’intérieur de l’ampoule, surpasse celle de l’eau, qu’elle chasse vers le bas.

La chaleur n’augmente pas seulement le volume de l’air, mais aussi celui de l’eau, comme le montre aisément l’expérience qui suit : [19] au milieu du tube du thermomètre, veuille mettre en suspension [Page 68 | LAT | IMG] une petite quantité d’eau (C), de manière qu’une bulle d’air l’empêche de descendre ; le chauffage de l’ampoule supérieure (A) non seulement pousse vers le bas l’eau qui est en C (sous l’effet soit de la dilatation de l’air qui est en A, soit de la raréfaction des parties aériennes de l’eau qui descend), mais augmente sa taille, en la faisant passer d’à peine deux à près de trois graduations.

Je ne formule aucune loi sur le mouvement de l’eau qui est en C, car j’ai observé qu’il lui arrivait très souvent de rester suspendue à bonne distance de l’eau qui émerge du réservoir B, mais en dépit de toute ma diligence, je ne suis pas parvenu à la réduire. [9]

Quand l’air s’est refroidi en A, l’eau C a reflué vers le haut : la chaleur ayant augmenté son élasticité, l’effet inverse s’observe quand elle se dissipe. [Page 69 | LAT | IMG]

Comment la chair et le sang font intrusion dans une ventouse.

La chaleur chasse d’une ventouse la plus grande partie de l’air qui y est répandu. La flamme s’éteint quand on appuie ensuite fortement la ventouse sur la peau, l’air extérieur ne pouvant plus y pénétrer, car le verre empêche peut-être le mouvement des esprits ignés qu’il contient. [10][20][21] Ensuite, la chaleur que provoquait ce mouvement s’atténue, l’air contenu dans la ventouse refroidit, il se détend en perdant la force que la chaleur lui avait procurée, et la poussée de l’air extérieur surpasse la sienne ; cet air du dehors, comprimant de manière égale la peau qui entoure l’espace enclos par la ventouse, y fait pénétrer la chair et le sang (à la manière des liquides dans les pompes).

Ajoutons-y que les particules d’air contenues dans l’ampoule de verre n’ont pas une moindre propension que celles du dehors à se dilater sous l’effet de l’élasticité, et font saillir la chair et le sang qui leur sont soumis sous la forme d’une enflure. Lorsque l’air enfermé dans la ventouse aura commencé à refroidir et que, de ce fait, sa pression aura diminué, l’air qui s’est égaré dans les pores cutanés [22] en sera libéré et, du fait de sa propre élasticité, fera à son tour saillir la peau.

Certains disent néanmoins que, la neige ou tout objet froid mis au contact de la ventouse la détache de la chair ; et qu’au contraire, l’application d’un linge chaud, comme les chirurgiens ont coutume de faire, augmente l’attraction qu’exerce la ventouse en empêchant que le refroidissement ne diminue l’élasticité de l’air qu’elle contient.

J’ignore en vérité dans quelle intention ils m’objectent cela car l’expérience m’a maintes fois convaincu du strict contraire : [Page 70 | LAT | IMG] j’ai très souvent mis de l’eau froide ou même de la neige sur la peau où je posais une ventouse, mais l’air qu’elle contenait s’est alors densifié si rapidement qu’il a sur-le-champ soulevé la chair, non sans provoquer une très vive douleur ; mais elle a disparu et l’enflure a diminué aussitôt que j’ai couvert la ventouse avec un linge très chaud. Il n’est pas étonnant que les chirurgiens recourent au même procédé de réchauffement pour ne pas provoquer de douleur trop violente ou ne pas induire une saillie excessive des chairs, ou même pour que le sang ne s’épanche pas en trop grande abondance. [11]

Ne va pas non plus penser que je n’ai appliqué la ventouse que sur des corps vivants, je l’ai fait avec le même résultat sur des cadavres, et même sur des liquides : poses-en donc une à la surface d’une marmite d’eau qui bout sur un feu bien nourri ; quand tu auras éteint le feu et que l’eau aura tiédi, tu seras très étonné de la voir monter dans la ventouse ; et si tu poses dessus un linge mouillé d’eau froide, voire de la neige ou de la glace, tu la verras se remplir plus encore, sous l’effet de la contraction supplémentaire de l’air qu’elle contient, provoquant la diminution de son élasticité.

Comment l’eau pénètre dans un éolipyle qu’on a chauffé.

Placés dans un feu bien nourri, l’éolipyle perd la plus grande partie de l’air qu’il renferme ; et lorsque le peu d’air qu’il contient encore a refroidi et perdu de sa force élastique, et qu’on plonge le petit canal qui forme la queue de la machine dans l’eau, elle s’y rue non sans grande impétuosité, comme en atteste le bruit éclatant qu’elle produit alors. [12][23]

Ainsi l’argument de l’attraction [Page 71 | LAT | IMG] qui s’appuyait sur l’effet de la chaleur s’écroule-t-il aussi. [13]

D’autres manières dont l’air dispose pour sortir de l’éolipyle sont proposées et expliquées.

Un autre moyen permet de remplir les éolipyles, qui est la succion. S’il est confirmé, un très solide argument contre l’impulsion que je défends est que, comme tout le monde le pense, quand nous suçons, l’air est entraîné en arrière vers la gorge. Je prends donc la liberté d’élucider ce profond mystère.[24]

Mets-toi dans la bouche la queue d’un éolipyle, de manière à établir une intime continuité de l’air contenu dans ces deux cavités. Tant que tu ne bouges pas la langue et ne gonfles pas la poitrine, l’air (c’est-à-dire celui de ta bouche et celui de l’éolipyle) reste en repos en respectant la loi de l’équilibre ; mais si tu bouges la langue ou la poitrine, l’air se mobilisera nécessairement dans les deux cavités. Cherchons maintenant, s’il te plaît, à comprendre comment l’un ou l’autre de ces deux mouvements permet de vider l’air de l’éolipyle.

Utilise seulement soit la dilatation de tes poumons, en gonflant la poitrine, [14] soit la succion de ta seule langue, en la collant contre le palais, comme il vient à l’idée de n’importe qui.

Dans le premier cas, toute la poitrine se distend, sans qu’en même temps ne s’insinue le moindre souffle d’air (extérieur à la bouche et à l’éolipyle) par les lèvres serrées ou par les narines. Le thorax élargi ouvre à l’air éolipylaire [15] un espace plus vaste que la cavité contiguë de la bouche. Disposant de place, l’air de la bouche se répand en direction de la poitrine, ce qui rend son élasticité moindre que celui qui est enfermé à l’intérieur de l’éolipyle ; lequel, [Page 72 | LAT | IMG] percevant alors qu’il n’est plus contenu par aucune contrainte, se dilate et se répand hors de l’éolipyle, tant que la poussée plus faible de la bouche le lui permet.

Dans le second cas, toute la langue se colle à la voûte entière du palais, ainsi qu’à la queue de l’éolipyle, dont l’orifice se place sur le milieu de la langue qui la sépare du palais, et où son appui très serré creuse un sillon ; en sorte que c’est cette force de succion, en agissant dans l’espace qui s’ouvre à l’air éolipylaire, bien qu’il ne soit pas vide, mais empli des particules d’air piégées dans les anfractuosités des téguments de la langue et du palais, qui provoque la dilatation du dit air (je veux parler de l’air éolipylaire) sous l’effet de son élasticité, et l’invite ou incite spontanément à sortir (c’est-à-dire à passer de l’éolipyle dans la cavité buccale) ; sans qu’il soit contraint à jaillir en y étant attiré, comme le pensent nos contradicteurs.

Quand, par l’un ou l’autre procédé, autant d’air qu’on voudra se sera écoulé hors de l’éolipyle, s’il est subitement [16] plongé dans l’eau, elle sera pressée d’y pénétrer sous l’effet de l’air ambiant qui se trouvera alors plus dense que dans la machine ; et ce jusqu’à ce qu’elle trouve le repos, après que les forces des deux airs, intérieur et extérieur, se seront équilibrées.

C’est par le même procédé que tu as jadis tété ton lait, et que bien souvent les enfants d’un grand buveur percent furtivement ses tonneaux pour y puiser à l’aide d’un chalumeau, ou les vident avec un siphon : [17] l’écoulement des liquides est dû à la poussée de l’air ambiant, et proportionné à l’aspiration de la bouche ou de la gorge.

Ainsi donc s’écroulent les principaux artifices que nos contradicteurs avaient mis en avant pour établir l’attraction : si en effet le cœur attirait, il devrait s’acquitter de cette tâche de la même façon qu’un piston de pompe, un soufflet, une ventouse ou enfin une bouche qui hume ; [Page 73 | LAT | IMG] mais puisqu’il est clair qu’un liquide ne pénètre par attraction ni dans une pompe, ni dans un soufflet, ni dans une ventouse, ni dans la bouche de celui qu’on dit sucer, je pense qu’il est faux de dire que le cœur est doté d’une faculté attractive. [18]



Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et motu chyli (1651) : Chapitre ix

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(Consulté le 08/12/2025)

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