Jean Pecquet résumait, en y introduisant des variantes, l’observation qui figure dans les Petri Gassendi Animadversiones in decimum librum Diogenis Lærtii, qui est de Vita, Moribus Placitisque Epicuri, {a} après une explication du vide qui se fait dans les élolipyles : {b}
Quanquam sum iam nimius, addendum est tamen experimentum singulare, quo visus sum mihi deprehendere interspersa hujusmodi spatiola inaninia intra Aquam dari. Nôram pridem non posse aquam quantitatem salis quantamlibet exsolvere, ac in se tranfusam veluti concipere ; sed ad certam solùm mensuram, adeò ut satiata, quicquid superest, inexsolutum relinquat. Id cùm demirarer, et causam tacitus perpenderem, nihil aliud subiit cogitare, nisi quòd abeunte sale in particulas minutissimas, deberent esse intra aquam consimilia spatiola ipsis excipiendis capacia, quibus repletis exsolutio, conceptióque illa cessaret ; eo modo, quo stomachus plenus super-iniectum cibum eructat, aut vasa liquore oppleta superinfusum non admittunt. Verùm, aiebam, cùm sint salis corpuscula cubica (id nempe aliunde pernôram) poterunt ea quidem replere spatiola, quæ et ipsa cubica fuerint ; at cùm non modò commune Sal, sed alumen etiam, quod est octahedricum, halinitrum item, et sal Ammoniacum, saccarúmque et alia, quæ aliarum sunt figurarum, eâdem aquâ exsolvi possint, erunt ergo etiam in aqua spatiola octahedrica, atque id genus alia ; adeò ut aqua, tametsi sale saturata fuerit, nihilominus et alumen, et cætera omnia exsolvere possit, ac in sese transfundere. Itaque, experiundi gratiâ alumen conieci in aquam per complureis dies sale imprægnatam ; ac tum, non sine quodam stupore succedere coniecturam vidi ; scilicet alumen perinde, ac si aqua sale caruisset, exsolutum fuit. Neque id modò, sed et consequenter alios præterea saleis exsolvit ; et ut paucis dicam, ostendit quàm varia, insensibilia licet, loculamenta contineret. Quâ ratione etiam intellexi, cur aqua satietur tincturis, ut appellant, rerum, veluti Senæ, Rhabarbari, aliorum, quæ per infusionem, ut vocant, solent exprimi ; et quamobrem non ita illam capiat unius satietas, quin ad aliam adhuc idonea remaneat.
[Bien que j’en aie déjà trop dit, il me faut ajouter une expérience singulière, qui me semble montrer que ces sortes de petits espaces vides sont aussi dispersés dans l’eau. Je savais depuis quelque temps que l’eau n’est pas capable de dissoudre autant de sel {c} qu’on veut, ou d’absorber entièrement la quantité qu’on y a déversée, mais que cela se limite à une certaine dose et qu’une fois l’eau saturée, elle n’en dissout pas davantage. Comme je m’en étonnais et en pesais silencieusement la raison, la seule idée qui me vint à l’esprit fut qu’il devait exister dans l’eau des petits espaces tout à fait similaires, ayant la capacité de recevoir les minuscules particules de sel qui s’y sont dispersées, et qu’une fois pleins, l’eau cesse de dissoudre et d’absorber ; à la manière d’un estomac plein qui vomit la nourriture qu’on y rajoute, ou des vases remplis de liquide qui ne peuvent contenir le surplus qu’on y déverse. Je me disais pourtant que, puisque les corpuscules du sel sont cubiques (ce que j’avais appris d’autres expériences), ils n’ont pu remplir que de petits espaces de même forme cubique ; mais étant donné qu’outre le sel, la même eau est capable de dissoudre l’alun, qui est octaédrique, ainsi que le salpêtre, {d} le sel ammoniac, le sucre, et autres substances de configurations diverses, elle possédera donc des petits espaces octaédriques, et ainsi de suite. Il en résulte que l’eau, même quand elle est saturée en sel, reste capable de dissoudre et répandre en son sein non seulement l’alun, mais toutes ces autres substances. Pour en faire l’expérience, j’ai jeté de l’alun dans une eau que j’avais imprégnée de sel depuis plusieurs jours ; j’ai alors vu, non sans quelque étonnement mais suivant ce que j’avais conjecturé, l’alun se dissoudre dans cette eau comme si elle n’avait pas contenu de sel ; et le même phénomène s’est reproduit avec les autres composés salins que j’y ai ensuite ajoutés. En somme, cela montre que l’eau contient une grande diversité de logettes, bien qu’elles échappent à la perception de nos sens. Le même raisonnement m’a aussi permis de comprendre pourquoi l’eau se sature de ce qu’on appelle les teintures des choses, comme le séné, la rhubarbe ou d’autres médicaments qu’on a l’habitude d’exprimer par le moyen de ce qu’on appelle l’infusion ; et que, même rassasiée d’une substance, l’eau conserve sa capacité à en dissoudre une autre]. {e}
- « Remarques de Pierre Gassendi sur le dixième livre de Diogène Laërce qui traite de la vie, des mœurs et des maximes d’Épicure » (Paris, 1649, v. note Patin 1/147), tome premier, page 174, De Physiologia Epicuri, Animadversiones [Remarques sur l’histoire naturelle d’Épicure], Dari præter corpora, etiam Inanie in rerum Natura [Il est montré qu’outre les corps, il y a du vide dans les choses de la nature].
Les variantes apportées par Pecquet peuvent laisser penser qu’il avait discuté du sujet avec Gassendi.
- V. note [3], Experimenta nova anatomica, chapitre 3.
Gassendi fondait en bonne partie ses Animadversiones (ici consacrées à la structure supposée des atomes) sur ce que Lucrèce a dit des théories d’Épicure dans son De Natura Rerum (v. note Patin 131/166).
- Gassendi trouvait inutile de préciser qu’il s’agissait de sel ordinaire (marin).
- V. note Patin 3/1340 pour l’alun, le salpêtre est le nom courant du nitrate de potasse.
- L’observation de Gassendi est juste, mais l’explication « atomique » n’est qu’une ingénieuse vue de son esprit : on sait à présent que la saturation d’une solution tient aux propriétés physiques du soluté (concentration massique) et non du solvant (ici l’eau).
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