Texte : Jean Pecquet
Nova de thoracicis
lacteis Dissertatio
(1654)
Épître dédicatoire, note 9.
Note [9]

Jean Pecquet me semble avoir créé le mot misiatre, néo-hellénisme qui est le contraire de philiatre, en y remplaçant la racine philéô [j’aime] par miséô [je déteste] : le philosophe est « celui qui aime la sagesse » et le misiatre, « celui qui déteste l’art de soigner ».

Ce propos répondait à une attaque fielleuse que Jean ii Riolan avait portée contre Pecquet l’année précédente, dans ses Opuscula nova anatomica, pages 3‑4 : {a}

Postquam Bartholinus de viiis, per quas Chylus ad hepar deferri potest, disseruit ad libitum, agnoscit veras et legitimas vias Asellium deprehendisse, ac demonstrasse per venas lacteas, quæ sunt nunc omnibus notæ ac receptæ : iis adiunxit Pecquetus duas venas chyliferas, per thoracem traductas, vsque ad axillares venas : sed pag. 31. observationes suas Pecquetus, adeo verborum, sententiarúmque flosculis exornavit, ut Lectores repetitâ dubios semper dimittat, sic laudat Pecquetum, nec immeritò ; nam R. Iesuitarum Rhetorum ornamenta sunt, vbi aliquot annos vixit Parisiis, in Collegio Claromontano, Nobilium adolescentum pædagogus ; cùm scripsit erat adhuc philiater, nullum vnquam gradum in Academia Parisiensi est assequutus : Noli igitur ipsum appellare Medicum Parisiensem ; nam talia ingenii monstra nunquam nostra Schola protulit aut passa est.

[Après avoir amplement disserté sur les voies par lesquelles le chyle peut être transporté vers le foie, Bartholin convient qu’Aselli a découvert les veines lactées et démontré qu’elles assurent cette fonction, et tout le monde aujourd’hui les a vues et en a admis l’existence. Pecquet y a ajouté deux veines chylifères qui traversent le thorax pour le mener jusque dans les veines axillaires ; mais < Bartholin écrit > de Pecquet, page 31 : il a tant enjolivé ses descriptions de mots et de phrases fleuries qu’il laisse toujours place au doute, même après qu’on l’a relu plusieurs fois. {b} Voilà comme il fait la louange de Pecquet, et non sans qu’il le mérite car il a employé les fioritures des révérends jésuites, chez qui il a vécu quelques années à Paris dans le Collège de Clermont, comme pédagogue de jeunes gentilshommes. {c} Il était encore philiatre {d} quand il a écrit son livre, et n’a jamais obtenu aucun diplôme de l’Université de Paris. Je n’ai donc pas voulu l’appeler médecin de Paris car notre École n’a jamais produit ni toléré de telles monstruosités de l’esprit]. {e}


  1. « Opuscules anatomiques nouveaux » (Paris, 1653).

  2. Jean Pecquet a lui-même relevé ce propos de Bartholin : v. infra note [13] ; la page 31 de l’Historia anatomica (Londres, 1652), citée par Riolan, correspond à la page 16 du même chapitre v dans notre édition, qui a transcrit et traduit celle de Copenhague (même année).

  3. Vnote Patin 2/381 pour le Collège jésuite parisien de Clermont. Inférieur au régent qui prodiguait les cours, le pédagogue (ou répétiteur) était un jeune « maître à qui on donne le soin d’instruire et de gouverner un écolier, de lui apprendre la grammaire, et de prendre garde à ses actions » (Furetière). La première lettre de Pecquet au R.P. Marin Mersenne en mai 1648 atteste de fonctions pédagogiques qu’il remplissait alors (v. sa note [9]).

  4. Dans sa première Responsio de 1652, Jean ii Riolan a reproché à Jean Pecquet son jeune âge, mais sans le qualifier de « philiatre » (comme il l’a fait dans ses écrits ultérieurs).

  5. L’Université de Paris délivrait la maîtrise ès arts, diplôme indispensable pour enseigner dans un de ses collèges et pour entrer dans l’une de ses facultés (vnote Patin 8/679).

    Les jésuites étaient certes indépendants de l’Université, mais ne confiaient probablement pas leurs écoliers à des pédagogues sans maîtrise. En outre Pecquet a fréquenté les bancs de la Faculté de médecine de Paris où il a fait la connaissance de divers régents (comme Jacques Mentel ou Pierre De Mercenne) ou étudiants (comme Samuel Sorbière), et où les auditeurs libres n’étaient guère tolérés (et encore moins autorisés à disséquer des chiens). La médisance de Riolan était donc infondée et Pecquet a dénoncé son injustice (v. supra note [5]).


Étant donné sa syntaxe barbelée, j’ai beaucoup peiné à traduire et ne suis pas certain d’avoir correctement compris toutes les invectives de Pecquet contre le vieux Riolan qui lui reprochait d’être trop jeune pour avoir droit à la parole. Il est certain que sa plume n’avait pas l’agilité requise pour briller dans ce genre d’exercice.

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean Pecquet
Nova de thoracicis
lacteis Dissertatio
(1654)
Épître dédicatoire, note 9.

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(Consulté le 08/12/2025)

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