Texte
Jean Pecquet
Nova de thoracicis
lacteis Dissertatio
(1654)
Épître dédicatoire  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Nova de thoracicis lacteis Dissertatio (1654) : Épître dédicatoire

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=0040

(Consulté le 18/03/2025)

 

[Page 93 | IMG]

Ioan.
Pecqueti
Diepæi
Doct. Med. Monspeliensis
Nova
de thoracis lacteis
Dissertatio

In qua Ioan. Riolani Responsio ad G ejusdem Pecqueti refutatur, et inventis recentibus canalis Virsungici demonstratur usus, et lacteum ad mammas à Receptaculo iter indigitatur[1]

[Page 95 | LAT | IMG]

Jean Pecquet adresse toutes ses salutations au
très distingué M. Thomas Bartholin,
très honoré docteur en médecine et professeur royal en l’Université de Copenhague,
et anatomiste des plus expérimentés.

Très brillant Monsieur, [1][2][3]

Tandis que je m’apprêtais à soumettre aux jugements des amoureux de la vérité la réponse que j’avais depuis longtemps conçue contre l’ouvrage médisant de Riolan[4] dont une accumulation de très sérieuses affaires avait jusque là troublé la rédaction, j’ai tout d’abord reçu d’un ami votre traité sur nos < lactifères > thoraciques, [5] dans l’impression de Londres, puis le monument d’acharnement [Page 96 | LAT | IMG] riolanique qui a tout récemment paru contre nous à Paris. [2][6][7] Je me suis grandement réjoui que le poids de votre témoignage vienne freiner son ardeur, en confirmant mes expériences et en les enrichissant d’un prolongement si lourd de conséquence. [8] La primeur d’une découverte n’engendre pas toujours la gloire, car il lui faut être suivie d’une claire et indépendante confirmation. Je suis certes fort peiné de vous avoir devancé, mais aucun honnête homme n’est jamais en droit de taire impunément la très évidente vérité des preuves qu’il a mises au jour. Je pense néanmoins que vous n’avez pas à vous tracasser des mordantes insultes riolaniques car quelle serait la gloire de Pollux s’il n’avait osé défier Amycus ? [3][9][10] Le fleuve s’est cabré contre l’obstacle, non sans faire étinceler ses silex. Tous les gens savants en anatomie apprennent que nous sommes attaqués par Riolan, qui les mordille tous, et c’est ce qui nous donne courage. Nos doléances personnelles ne valent pas la peine que nous nous lamentions sur des désagréments que tous doivent endurer solidairement. En vérité, qu’espéreriez-vous et quel mal n’attendriez-vous pas d’un homme qui a poussé l’audace jusqu’à délirer par écrit sur sa propre Université de Paris[4][11] que pour ma part je vénère profondément ? Il n’hésite pas à tenir pour un monstre un homme que ladite Université a remarqué et jugé digne du grade de maître ès arts (ce dont attesteront les documents publics que je suis disposé à exhiber), [5][12] et quand sa découverte, dont il a publié la vérité au grand jour, a été approuvée et louée par les plus savants professeurs de médecine, [13] [Page 97 | LAT | IMG] à l’exception de Riolan. J’ai ri pourtant ou, pour le dire plus sincèrement, j’ai eu pitié de voir un gladiateur couronné de tant de lauriers porter des coups si faibles, se ruer dans le combat à la manière des andabates, et, dans un élan de colère plus furieux que celui de Polyphème lancer des volées de sarcasmes contre un Utis qui n’a rien à en craindre (c’est-à-dire contre un Ulysse qu’il n’a pas impunément méprisé). [6][14][15][16] Je pourrais certainement prendre la plume pour écrire un discours plus incisif contre ce bavard sénile, si j’avais la bonne fortune d’en avoir le temps, mais un cavalier perd le sien à cravacher sa bête qui rue ; Tirynthius n’a pas traîné Cerbère écumant de rage jusqu’aux charmes du grand jour en l’étranglant de trois nœuds, mais en lui donnant une friandise à manger ; [7][17][18] j’ajoute (pour que cet homme qui a déjà un pied dans la tombe n’aille pas s’indigner qu’un jouvenceau, comme il m’appelle, ne lui débite que des fables) qu’un sage médecin plaint la folie de son malade et ne se venge pas d’un coup qu’il lui donne, et qu’une défense n’est pas louable si elle riposte à l’affront par l’outrage. Mon existence ayant passé les sept lustres, [8] j’estime que me reprocher ma jeunesse et presque mon adolescence, sans parler d’être encore un enfant, voire un nourrisson, est pitoyable à maints égards : parlant d’âge, il dit qu’un jeune homme n’est pas encore capable d’écrire car la sagesse se compte au nombre des années ; il oublie que ne plus faire de différence entre les vétilles et les affaires sérieuses a abouti plus d’une fois à établir des enfants comme juges des vieillards et comme pasteurs de leur peuple ; en s’acharnant à accabler la jeunesse de paroles terriblement amères, au lieu de l’amadouer par la modération de ses propos, [Page 98 | LAT | IMG] un vieillard ne l’incite pas à travailler pour se couvrir de gloire, mais à tout le contraire, et c’est ainsi qu’il empêche les plus jeunes d’accéder à la vérité. Il me fait grief du titre de philiatre, noble vocable qu’il espère pourtant être profondément dégradant pour mon honorabilité ; comme si tout sage qui se dit philosophe méritait l’opprobre, quand il devrait légitimement envier à Riolan le titre de misiatre[9][19] Mais, de grâce, qu’est-ce que cela a donc à voir avec les lactifères ? Eh bien, j’étais philiatre quand j’en écrivais, mon crime est d’en avoir écrit (conclurait Riolan), je n’ai donc pas trouvé ceux du thorax. J’ai pourtant des témoins de ma découverte, et Riolan en aurait augmenté le nombre si je m’étais soumis à lui genoux pliés et tête fléchie. Il est vain de s’interroger sur leur bonne foi, et c’est pécher contre la vérité quand les yeux de Son Altesse Armand de Bourbon ne laissent aucune place au doute. [10][20] Pour les talents que nous partageons, au nom de la France xénophile, [11] et pour la purger de la terrible honte que lui vaut la grossièreté riolanique à votre encontre, je vous donne, dédie et soumets cet opuscule, quelle qu’en soit la valeur. Comprenez ainsi que je vous le donne comme votre ami, dédie comme votre admirateur, et soumets comme celui qui désire ardemment vos remarques. Je n’ambitionne pourtant pas d’inciter Riolan à vous harceler, mais je pense que nous devons craindre les effets de vos sagaces attaques. Elles vous ont jusqu’ici valu ma profonde admiration. Puisse tout le monde clairement percevoir à quel point est digne de respect [Page 99 | LAT | IMG] un arbitre qui, contrairement à la coutume riolanique, ne veut pas se fier à un vieillard qui tient pour faux ce qu’il a appris d’un autre, certes jeune, mais qui sait s’en remettre à la seule vérité. Je ne vous remercie pas moins d’égratigner l’obscurité de mon style (sans parler de mes autres défauts) que de confirmer ma découverte, et il n’est que juste de vous en louer doublement. Je suis certes capable de montrer la véritable cause d’un phénomène obscur aux hommes qui consacrent leur talent à étudier âprement ce qui est difficile à comprendre, mais j’avoue ingénument qu’il manque à mes écrits ce qui caractérise un bon auteur, devant ces lacunes autant à ma personne qu’à mon pays natal. La coutume de France, j’ai failli dire sa calamité, est que ses grands personnages farcissent presque impunément leur discours de mots latins ; au mépris des étrangers, ils cultivent leurs idiotismes et, faute de bonne pratique, les tournures vicieuses y fourmillent. [12] Puisque le charme de la vérité est sa simplicité, je ferai en sorte que les mots fleuris, comme vous les appelez, n’obscurcissent plus mon propos. [13][21] Il est bien vrai que la parure dénonce l’imparfaite beauté et que l’accessoire aggrave franchement le défaut d’élégance. Pour que l’ennuyeuse longueur de mon verbiage n’abuse pas plus longuement du temps que vous me consacrez généreusement, je conclurai cette petite lettre maussade en souhaitant que tout comme, selon l’habitude établie, le bûcher [Page 100 | LAT | IMG] transmet la chaleur de ses flammes aux gens qui entourent celui qu’on va y brûler, nous, que la subite explosion de la jalousie riolanique a embrasés, soyons désormais bons amis et que ses ardeurs nous consument tous deux pour l’avantage du monde anatomique, et même de la Terre entière.

Vale.

De Montpellier, le 1er janvier de la 1654e année suivant l’Incarnation.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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