Texte
Jean Pecquet
Nova de thoracicis
lacteis Dissertatio
(1654)
Expérience ii  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Nova de thoracicis lacteis Dissertatio (1654) : Expérience ii

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=0043

(Consulté le 22/05/2025)

 

[Page 119 | LAT | IMG] [1]

Après avoir ouvert le thorax et l’abdomen tout ensemble, [2] je ligature immédiatement les lactifères thoraciques, [1][3] et j’ordonne à mon aide de soulever la plus grande partie du mésentère (pour que j’en entrave ensuite la racine avec un lacs très serré), et ce afin qu’ayant ainsi lié ensemble tous les vaisseaux qui se rejoignent en son centre, le chyle que peuvent contenir les lactifères mésentériques soit empêché de s’en écouler. [4]

L’ordre que j’ai suivi dans cette expérience est [Page 120 | LAT | IMG] néanmoins à bien noter car si je n’avais pas en premier posé mes liens sur les lactifères thoraciques, tout le chyle qui se trouvait en aval du nœud mésentérique se serait librement enfui vers les cavités du cœur : si tu avais lié le mésentère en premier, tout le chyle contenu dans le réservoir [5] s’en serait échappé et la vanité de ta tentative m’aurait fâché. Accomplis donc l’opération de la manière que je vais exposer.

Toutes mes ligatures étant posées, je résèque le diaphragme et je dégage le réservoir du mieux que je peux, surtout son ampoule, sous le milieu du mésentère, où s’insèrent les deux canaux lactés qui montent dans le thorax. À cet endroit, je perce l’un d’eux d’un petit coup de lame et tout le lait ou chyle contenu dans le réservoir s’écoule sans délai ; puis afin qu’il n’en reste pas une goutte, en pressant avec une éponge, j’absorbe entièrement tout le liquide qui peut en sourdre. Je dénoue alors le lacs placé sur le mésentère et le contenu de ses lactifères s’en répand jusqu’à leur complète vacuité. J’inspecte les lactifères thoraciques, ils demeurent pleins, sans aucune fuite du chyle que retiennent le lien du haut près du cœur et la fermeture de leurs valvules, [6] en bas au-dessus de l’incision.

Déductions de cette expérience.

  1. Tout le chyle que contiennent les lactifères mésentériques se vide dans la cavité du réservoir, aucun d’eux ne rejoint donc le foie, [7] la veine cave inférieure, [8] le tronc de la veine porte, [9] la rate, [10] ou enfin le pancréas, [11] comme certains le soupçonnent.

  2. Tout le chyle du mésentère remonte dans les lactifères du thorax en passant par le réservoir. On voit bien qu’il [Page 121 | LAT | IMG] fait communiquer les lactifères mésentériques et thoraciques, et qu’il s’agit du seul chemin et de l’unique réceptacle par où progresse le chyle.

  3. Une fois enfermé dans les lactifères thoraciques, le chyle ne peut refluer en bas vers le réceptacle (car la barrière des valvules l’en empêche) ; ni même s’échapper de cette cavité car, après avoir lié les canaux thoraciques, j’ai très souvent vainement appuyé sur le réservoir qui en était rempli, mais sans jamais parvenir à en en chasser vers le mésentère ; ce qui prouve très manifestement que des valvules situées dans le réservoir, aux abouchements des lactifères mésentériques, s’opposent aussi à son reflux. [12]

    Pour ne rien laisser sans démonstration en une affaire de si grande importance, j’ai aussi à maintes reprises entièrement réséqué le diaphragme, ainsi que le mésentère sans pourtant jamais voir une seule goutte de chyle suinter hors du réservoir ; et je n’ai certainement pas moins bien exploré ces valvules que celles que Fabrice d’Aquapendente [13] a décrites dans les veines sanguines [2][14] et que j’ai moi-même observées dans les veines jugulaires externes. [15] Riolan [16] ne dirait sûrement pas le contraire si son talent opératoire chancelant l’autorisait encore à pratiquer l’anatomie avec discernement. Je ne disconviendrai pourtant pas que, comparées aux hommes, les bêtes ont bien plus besoin de ces valvules, parce qu’elles ont la tête penchée vers le sol et que leur pesante masse de sang ou de chyle doit être empêchée d’y monter. [3]

  4. J’aurais souhaité que Riolan eût tenté cette expérience essentielle, ou qu’il n’en eût du moins pas jugé le spectacle indigne de sa présence, car il eût alors reconnu que, quand on rompt la cavité du réservoir, une grande abondance de chyle s’en écoule après qu’on a libéré le lien qui embrassait les lactifères du mésentère ; et que, [Page 122 | LAT | IMG] confronté à l’étroitesse des lactifères thoraciques, le chyle stagne dans le réservoir ; ou alors que l’excédent s’en déverse dans les reins voisins par les artères qu’on appelle émulgentes et dont il est impossible de le décoller ; [17] ou encore qu’il y subit une digestion plus poussée et s’épaissit en exhalant les vapeurs de son sérum superflu, comme nous faisons en cuisine ; ou enfin qu’il fermente, à la manière du vin qu’on obtient en mettant des grappes de raisin dans une cuve ; à moins de préférer penser que le ralentissement du chyle dans le réservoir ne tienne pas à la taille des lactifères, mais à la vigueur de son mouvement.

    Le fait est que le réservoir et les canaux thoraciques sont attachés à l’aorte, ce dont j’infère que le chyle issu du mésentère se déplace plus rapidement dans les canaux que dans le réservoir : les lactifères mésentériques ne sont les proches voisins d’aucune artère, et ce sont les mouvements que la respiration imprime aux parties adjacentes qui les ébranlent ; [18] tandis que ceux du thorax sont agités à la fois par tous les viscères qui les entourent et par la pulsation continue de l’aorte ; [19] outre ces forces motrices, par son insertion sur les psoas, le réservoir expulse avec plus de force encore le chyle qu’il contient. [20] Et voilà comment Riolan aurait pu venir à bout des doutes qu’il expose aux pages 167 et 168. [4]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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