Après avoir ouvert le thorax et l’abdomen tout ensemble, [2] je ligature immédiatement les lactifères thoraciques, [1][3] et j’ordonne à mon aide de soulever la plus grande partie du mésentère (pour que j’en entrave ensuite la racine avec un lacs très serré), et ce afin qu’ayant ainsi lié ensemble tous les vaisseaux qui se rejoignent en son centre, le chyle que peuvent contenir les lactifères mésentériques soit empêché de s’en écouler. [4]L’ordre que j’ai suivi dans cette expérience est [Page 120 | LAT | IMG] néanmoins à bien noter car si je n’avais pas en premier posé mes liens sur les lactifères thoraciques, tout le chyle qui se trouvait en aval du nœud mésentérique se serait librement enfui vers les cavités du cœur : si tu avais lié le mésentère en premier, tout le chyle contenu dans le réservoir [5] s’en serait échappé et la vanité de ta tentative m’aurait fâché. Accomplis donc l’opération de la manière que je vais exposer.
Toutes mes ligatures étant posées, je résèque le diaphragme et je dégage le réservoir du mieux que je peux, surtout son ampoule, sous le milieu du mésentère, où s’insèrent les deux canaux lactés qui montent dans le thorax. À cet endroit, je perce l’un d’eux d’un petit coup de lame et tout le lait ou chyle contenu dans le réservoir s’écoule sans délai ; puis afin qu’il n’en reste pas une goutte, en pressant avec une éponge, j’absorbe entièrement tout le liquide qui peut en sourdre. Je dénoue alors le lacs placé sur le mésentère et le contenu de ses lactifères s’en répand jusqu’à leur complète vacuité. J’inspecte les lactifères thoraciques, ils demeurent pleins, sans aucune fuite du chyle que retiennent le lien du haut près du cœur et la fermeture de leurs valvules, [6] en bas au-dessus de l’incision.
Déductions de cette expérience.
- Tout le chyle que contiennent les lactifères mésentériques se vide dans la cavité du réservoir, aucun d’eux ne rejoint donc le foie, [7] la veine cave inférieure, [8] le tronc de la veine porte, [9] la rate, [10] ou enfin le pancréas, [11] comme certains le soupçonnent.
- Tout le chyle du mésentère remonte dans les lactifères du thorax en passant par le réservoir. On voit bien qu’il [Page 121 | LAT | IMG] fait communiquer les lactifères mésentériques et thoraciques, et qu’il s’agit du seul chemin et de l’unique réceptacle par où progresse le chyle.
- Une fois enfermé dans les lactifères thoraciques, le chyle ne peut refluer en bas vers le réceptacle (car la barrière des valvules l’en empêche) ; ni même s’échapper de cette cavité car, après avoir lié les canaux thoraciques, j’ai très souvent vainement appuyé sur le réservoir qui en était rempli, mais sans jamais parvenir à en en chasser vers le mésentère ; ce qui prouve très manifestement que des valvules situées dans le réservoir, aux abouchements des lactifères mésentériques, s’opposent aussi à son reflux. [12]
Pour ne rien laisser sans démonstration en une affaire de si grande importance, j’ai aussi à maintes reprises entièrement réséqué le diaphragme, ainsi que le mésentère sans pourtant jamais voir une seule goutte de chyle suinter hors du réservoir ; et je n’ai certainement pas moins bien exploré ces valvules que celles que Fabrice d’Aquapendente [13] a décrites dans les veines sanguines [2][14] et que j’ai moi-même observées dans les veines jugulaires externes. [15] Riolan [16] ne dirait sûrement pas le contraire si son talent opératoire chancelant l’autorisait encore à pratiquer l’anatomie avec discernement. Je ne disconviendrai pourtant pas que, comparées aux hommes, les bêtes ont bien plus besoin de ces valvules, parce qu’elles ont la tête penchée vers le sol et que leur pesante masse de sang ou de chyle doit être empêchée d’y monter. [3]
- J’aurais souhaité que Riolan eût tenté cette expérience essentielle, ou qu’il n’en eût du moins pas jugé le spectacle indigne de sa présence, car il eût alors reconnu que, quand on rompt la cavité du réservoir, une grande abondance de chyle s’en écoule après qu’on a libéré le lien qui embrassait les lactifères du mésentère ; et que, [Page 122 | LAT | IMG] confronté à l’étroitesse des lactifères thoraciques, le chyle stagne dans le réservoir ; ou alors que l’excédent s’en déverse dans les reins voisins par les artères qu’on appelle émulgentes et dont il est impossible de le décoller ; [17] ou encore qu’il y subit une digestion plus poussée et s’épaissit en exhalant les vapeurs de son sérum superflu, comme nous faisons en cuisine ; ou enfin qu’il fermente, à la manière du vin qu’on obtient en mettant des grappes de raisin dans une cuve ; à moins de préférer penser que le ralentissement du chyle dans le réservoir ne tienne pas à la taille des lactifères, mais à la vigueur de son mouvement.
Le fait est que le réservoir et les canaux thoraciques sont attachés à l’aorte, ce dont j’infère que le chyle issu du mésentère se déplace plus rapidement dans les canaux que dans le réservoir : les lactifères mésentériques ne sont les proches voisins d’aucune artère, et ce sont les mouvements que la respiration imprime aux parties adjacentes qui les ébranlent ; [18] tandis que ceux du thorax sont agités à la fois par tous les viscères qui les entourent et par la pulsation continue de l’aorte ; [19] outre ces forces motrices, par son insertion sur les psoas, le réservoir expulse avec plus de force encore le chyle qu’il contient. [20] Et voilà comment Riolan aurait pu venir à bout des doutes qu’il expose aux pages 167 et 168. [4]
Jean Pecquet jugeait inutile de préciser que, comme la première, cette deuxième expérience portait sur un chien qui avait été copieusement nourri avant d’être ouvert.
La suite laisse aussi entendre que les deux canaux thoraciques n’avaient été liés qu’à leur extrémité supérieure, près des veines axillaires.
V. note Patin 13/8146 pour l’opuscule de Fabrice d’Aquapendente de Venarum ostiolis [sur les Ostioles des veines] (Padoue, 1603) ; sa découverte des valvules en 1579 a ouvert la voie à celle de la circulation sanguine par William Harvey.
Jean ii Riolan s’est là-dessus injustement moqué de Jean Pecquet dans la 2e partie de sa première Responsio (v. sa note [8]), en écrivant : « Notre admirable anatomiste ignore que les jugulaires externes sont dépourvues de valvules. » Ces valves existent bel et bien et empêchent le chyle de remonter dans les veines jugulaires, en ne lui laissant que la possibilité de descendre dans la veine cave supérieure pour gagner le cœur droit.
En se fondant sur des arguments plus ou moins crédibles, Jean Pecquet entendait répondre ainsi aux nombreuses objections que Jean ii Riolan lui a opposées aux pages indiquées de la 4e partie de sa première Responsio.
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Nova de thoracicis lacteis Dissertatio.
experimentum ii
Aperto cum thorace simul abdomine, thoracis
lacteas statim innodo, et maximam mesenterij
partem (ut ejus centrum strictissimo filo illaqueem)
jubeo ministrum attollere, atque eo consilio id, ut
quotquot eo centri vascula coeunt obligaca chylum
effluxu interdictum in mesentericis valeant lacteis
continere.Sed ordo experimenti, quod exhibeo, notandus
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Nova de thoracicis lacteis Dissertatio.
est : nisi enim primo loco thoracis lacteis vincula in-
jeceris, effluet interim chyli quantumcunque à no-
do ad dextrum cordis sinum reperiet liberum effu-
gium : ita si mesentericum priùs ligaveris, quidquid
Receptaculum habet chyli penitus effundetur, et vano
conamine irritam, quæ sequitur, operationem ag-
grediêre.Factis ergo duobus ejusmodi ligatrarum nodis,
abseco diaphragma, et quantum licet detego rece-
ptaculum, quà præsertim in ampullarem formam sub
mesenterij centro eius in thorace lacteæ incipiunt
excrescere. Alterutram illic lanceâ libo, nec mora
contentum in receptaculo lac sive chylus prorsus
effluit, et ne quid in eo remaneat, premente spongiâ
quiquid scaturire potest liquoris exsicco : tum laxo
mesenterij nodum et per idem receptaculi vulnus,
quidquid chyli retinebatur in mesenterij lacteis ad
integram usque earum vacuitatem emanat. Specto
thoracis lacteas ; perseveranti plenitudine nihil la-
ctis deponunt, nimirum vinculo sursum ad cor, val-
vulis deorsum ad vulnus cohibitæ.Ex eo Experimento sequitur.
I. Totum quem habent mesentericæ lacteæ chy-
lum in Receptaculi capacitatem easdem ef-
fundere, atque adeò singulas non ad hepar, non ad
cavam descendentem, non ad portæ truncum, non ad
lienem, non denique, sicut quidam suspicantur, ad
pancreas convenire.II. Totum mesenterij chylum per receptaculum
in thoracis lacteas succedere. Evidenti scilicet cum
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Nova de thoracicis lacteis Dissertatio.
receptaculo mesenterij nec non et thoracicarum la-
ctearum commercio, atque unicum id esse, quà chy-
lus devolvitur, demeaculum et unicum iter.III. Inclusum semel thoracis in lacteis chylum
non posse deorsum ad receptaculum (obstantibus vi-
delicet valvularum obicibus) atque adeò ne à rece-
ptaculo ipso refluere : pressi nimirum sæpius post li-
gatas thoracis lacteas turgidum lacte receptaculum,
irrito tamen semper inde mesenterium versùs repel-
lendi chyli conamine : manifesto sanè argumento
etiam esse intra receptaculi cavitatem valvularum
objectacula in mesentericarum ostiis ad excubias seu
regressûs interdictum constituta.Atque ne quid in re tanti ponderis intentatum re-
linquerem, et diaphragma sæpius et unà mesente-
rium penitus abscidi, nec tamen ex receptaculo vel
minima lactis guttula visa est destillare ; et certè mihi
non sunt exploratæ minùs ejusmodi valvulæ, quàm
quas in venis descripsit Fabricius ab Aquapendente : eas
sæpius observavi vel in jugularibus ipsis exterioribus.
Nec profectò contradiceret Riolanus, si ætatis imbe-
cilla ad operandum virtus exacto Anatomes labori
posset etiamnum sufficere. Non tamen diffitebor
bruta magis, quàm homines, ejusmodi valvulis in-
digere, prona scilicet, nec refluentis sanguinis aut
chyli ponderosâ mole gravanda.IV. Vtinam tentasset eximium hoc experimen-
tum Riolanus ; aut saltem sua non indignum existimas-
set præsentiâ spectaculum : Receptaculi nempe am-
plitudinem ex effluentis, dum rumpitur, chyli copiâ
cognovisset, et ex eâdem copiâ, si cum eâ, quæ me-
sentericis lacteis laxato vinculo influit, et cum tho-
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Nova de thoracicis lacteis Dissertatio.
racicarum lactearum exilitate comparetur, moram
in Receptaculo chylum facere, velut in vicinos renes
superfluos humores per adhærentes eidem insepara-
biliter arterias, quibus emulgentium nomen est,
transfundant ; vel ut exactiorem illic coctionem ob-
tineat, et exhalatis seri superflui vaporibus, eorum
instar, quæ arte decoquimus, conspissetur ; vel de-
nique, ut ad modum vini, quod in cupa cum race-
mis perficitur, valeat fermentari ; nisi malit chyli mo-
ram in receptaculo non à vasorum magnitudine, sed
à motûs impetu æstimandam afferere.Et verò aortæ subjacent et receptaculum et gemi-
næ thoracis lacteæ ; unde infero celeriori profluvio
chylum in easdem thoracis lacteas incitari, quàm in
receptaculum è mesenterio ruat. Mesenterici lactea-
rum canales nullius arteriæ viciniâ, sed ob respiratio-
nem proximarum partium compressione concutiun-
tur ; at vero thoracis lacteæ vicinorum compressione
viscerum, quotquot thorax includit, cum aortæ
continuo pulsu agitantur ; Receptaculum autem præ-
ter eadem incitamenta etiam psoarum connixu im-
petuosiùs exceptum chylum effundit. Ex hoc sanè
habuisset Riolanus, quo paginarum 167. et 168. dubia
potuisset dissolvere.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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