Texte : Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
seconde Responsio
au livre de Jean Pecquet (1654)
4. Seconde partie, note 11.
Note [11]

Jean ii Riolan reprochait à Pecquet le barbarisme anatomista, au lieu d’anatomicus, pour dire « anatomiste » : v. notule {a}, note [3], Nova Dissertatio, expérience iv.

Paul Gilis, le biographe montpelliérain de Jean Pecquet (1923, première partie, page 274), ne l’a pas entendu de la même oreille quand il a cité ce même passage  :

« Ce passage montre que Pecquet a toujours été accueilli et écouté avec faveur dans notre École. »

Je n’ai pas identifié le « docteur de Montpellier » qui a informé Riolan, mais l’Observatio xxx (pages 31‑33) des Joh. Nicolai Binningeri, Medicinæ Doctoris, Observationum et curationum medicinalium, Centuriæ quinque… [Cinq Centuries d’observations et traitements médicaux de Joh. Nicolaus Binningerus, {a} docteur en médecine…] {b} est intitulée De Receptaculo Pecquetti [Le Réservoir de Pecquet] et relate sa première démonstration montpelliéraine :

Sub finem anni 1651. Monspessulum appulit Cl. Ioh. Pecquettus Diæpeus, qui, Chyli hactenus ignoti Receptaculi invento inclarescens, obtinuit ut ibi ejus veritatem in Theatro anatomico ad oculum demonstrare posset. Congregatis ergò 3. die Ianv. 1652. post meridiem, Nob. et Excell. D. Simeone Curtaud Decano, et Seniore Universitatis, Lazaro Riverio, Jacobus Duranc, Ludovico de Solignac, Petro Sanchez, Professoribus Regiis, licuit et mihi, ex paucissimis medicinæ Studiosis, locum ingredi. Ubi postquam eruditissimus Pecquettus exposuisset, nec chylum ad jecur, nec lacteas venas pervenire ; sed has in certam glandulam inter musculos psoas, sub renibus depleri : unde, per ductus peculiares, albescens succus secundum spinæ longitudinem protruderetur ad subclavias, et indè immediatè ad cor : ut illìc in sanguinem excoqueretur : Sumpsit è duobus illuc adductis molossis, unum. Hunc mensæ convenienter alligat, et aperto vivi abdomine, repletas lacteas innumeras ostendit, nulla hepar petere ; sed infra renes in glandulosum quoddam corpus, quod illis copiosissimis et lacte turgentissimis circumducebatur, terminari. Hoc facto, aperit canis thoracem, et ligatâ supra cor venâ cavâ, intestina et impedimenta semovet. Hinc, digiti leviter gravitantis compressu, ut naturalem iuvaret functionem, in languente animali imminutè factam, monstravit per albos canales, substantiam lacteam juxta viam spinalem immediatè ad subclavias venas adscendentem : et scissâ supra ligaturam venâ, eiusdem candidissimæ effluxum, quæ citra omne dubium, ordinariè et naturaliter in cor lapsura erat, ut ibi, tanquam in sanguinis genuinâ officinâ cruentaretur. Solutis constricti canis laqueis, simile in altero experimentum, omnium oculis dissectione comprobavit : et sanctè asseruit, se idem in felibus, ouibus et innumeris aliis animalibus (uti domi nostræ et alibi patefecit) observasse : paratum quavis horâ, rei ostendere porrò veritatem : His Doctorum unus : At fortè inquit sola bruta, ita constituta sunt, in homine longè aliter res sese habet ! Ad hæc Pecquettus : Non sanè per Christianam charitatem, licuit unquam vivos homines exenterare. At constater et verè dixerim, me in innumeris illorum, quæ Parisiis et alibi per annos aliquot dissecui, cadaveribus, eadem ferè organa reperijsse : quæ, dubio procul, eidem functioni in vivis subjectis inserviebant. Regerit Doctorum alter : Si se sic res habet, quid tandem de nostra fiet medicina ? Modestè Riverius : Medici sunt, respondet, Philosophi sensati ; credunt quod vident. Amicus Plato, amicus Galenus etc. sed magis amica veritas. Non possumus illius veritatem negare, quod ipsissimis oculis cernimus : multa veteribus occulta juniorum sedulitate nobis innotescunt, etc. Ita, salutato Pecquetto, in diversum abierunt attoniti Professores, qui illum in Doctorem medicum, summa cum laude, finito cursu, non longe post admiserunt, hactenus de anatomia meritissimum et Doctis notissimum.

[M. Jean Pecquet, natif de Dieppe, arriva à Montpellier à la fin de 1651. {c} Célèbre pour avoir été le premier à découvrir le réservoir du chyle, il obtint la possibilité d’en faire la démonstration dans l’amphithéâtre anatomique. S’y réunirent donc, l’après-midi du 3 janvier 1652, {d} le célèbre et éminent M. Siméon Courtaud, doyen et plus ancien maître de l’Université, Lazare Rivière, Jacques Duranc, Louis de Soliniac et Pierre Sanchez, professeurs royaux ; {e} et avec un très petit nombre d’étudiants en médecine, je fus autorisé à y être présent. Le très savant Pecquet exposa d’abord que ni chyle ni lactifères ne parviennent au foie, mais qu’ils se vident dans une certaine glande située sous les reins, entre les muscles psoas, puis que, de là, le suc blanc progresse le long du rachis, à l’intérieur de canaux particuliers, jusqu’aux subclavières, pour se rendre directement dans le cœur, où il est digéré pour se transformer en sang. Il se saisit alors d’un des deux molosses qu’on avait menés là ; une fois la bête vivante convenablement liée à la table, il lui ouvre l’abdomen et en montre les innombrables lactifères remplis de chyle, dont aucun ne gagne le foie, car ils se terminent sous les reins, dans un corps glanduleux, qu’ils encerclent de toutes parts, gorgés de lait. Cela fait, il ouvre le thorax du chien, lie la veine cave supérieure au-dessus du cœur, et enlève les viscères et ce qui fait obstacle au regard ; puis en comprimant légèrement d’un doigt les canaux blancs, pour aider la fonction naturelle déclinante de l’animal à l’agonie, il montre que la substance laiteuse monte le long du rachis pour gagner directement les veines subclavières ; et ayant incisé la veine cave au-dessus de la ligature, on y voit jaillir le même liquide parfaitement blanc, qui va sans le moindre doute s’écouler en bon ordre et naturellement dans le cœur pour y être transformé en sang, comme en l’officine authentique de la sanguification. Ayant détaché le premier chien, il procède de la même façon sur le second et reproduit sa dissection sous les yeux de tous, en affirmant solennellement avoir confirmé son observation chez des chats, des moutons et d’innombrables autres animaux (qui se sont présentés à lui dans notre École ou ailleurs), et être disposé quand on voudra à prouver la vérité de sa découverte. Un des docteurs lui objecta que seules les bêtes sont ainsi conformées et qu’il en va bien différemment chez l’homme ; à quoi Pecquet répondit : « La charité chrétienne ne ma jamais autorisé à disséquer des hommes vivants, mais je dirais que les très nombreux cadavres que j’ai examinés pendant quelques années, à Paris et ailleurs, m’ont fermement convaincu qu’on y trouve presque les mêmes organes, sans douter qu’ils assurent des fonctions identiques. » Un autre docteur lui demanda alors, si tel était le cas, ce qu’il adviendrait de notre médecine. Rivière lui fit cette humble réponse : « Les médecins sont des philosophes raisonnables, ils croient ce qu’ils voient ; aimer Platon, aimer Galien, etc., c’est aimer la vérité plus que tout, sans pouvoir nier ce que nous voyons de nos propres yeux ; le zèle des jeunes nous fait voir bien des choses qu’ignoraient les Anciens ; etc. » Après avoir salué Pecquet, les professeurs stupéfaits levèrent la séance, sans opinion unanime. Peu après, à la fin de ses études, ils le reçurent docteur en médecine avec la plus haute distinction, {f} et il a jusqu’à ce jour hautement mérité de l’anatomie et joui d’un très grand renom parmi les savants]. {g}


  1. Jean-Nicolas Binninger, docteur de l’Université de Bâle et professeur en celle de Montbéliard (alors ville du Saint-Empire).

  2. Montbéliard, Typis Hyppianis, 1673, in‑8o de 122 pages.

  3. Sic pour 1650 car, selon les registres de l’Université de Montpellier (recueillis par Louis Dulieu), Pecquet y a été immatriculé le 5 juillet 1651, puis reçu bachelier le 12 et licencié le 22 du même mois

  4. Contrairement à la précédente, cette date est vraisemblablement exacte car postérieure à la parution des Experimenta nova anatomica.

  5. V. notes [26], lettre de Sebastianus Alethophilus, pour Siméon Courtaud, et Patin 5/49 pour Lazare Rivière, 2/135 pour Jacques Duranc, 35/309 pour Louis de Soliniac, et 55/223 pour Pierre Sanche.

    Mathieu Chastelain assistait aussi à cette dissection et en a donné une brève relation au début de sa lettre à Pecquet (v. sa note [2]), en confirmant les remous qu’elle a provoqués.

  6. Pecquet fut reçu docteur le 23 mars 1652. Le 5 mai suivant paraissait l’Historia anatomica de Thomas Bartholin qui confirmait la voie thoracique du chyle chez l’homme.

  7. Les témoignages de Riolan, Chastelain et Binninger me semblent plus solides que la bienveillante affirmation de Gilis.

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
seconde Responsio
au livre de Jean Pecquet (1654)
4. Seconde partie, note 11.

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(Consulté le 08/12/2025)

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