Jean ii Riolan était convaincu que le mouvement du sang dans le corps était comparable à celui des marées. {a} Entre autres endroits, il a expliqué ses conceptions non harvéennes en 1649 dans ses notes sur les deux lettres de Jan de Wale à Thomas Bartholin : {b}
Admitto quidem circulationem sanguinis, sed non eo modo quem describunt Harueus et Valæus, volunt enim totum sanguinem ex omnibus corporis partibus circulari, id est, ab Hepate ad Cor traductum per arterias in corpus vniuersum celeri cursus distribui. Dein ab extremis partibus ad Cor pari cursus per venas totum sanguinem redire, hancque viam ire, ac redire intra dimidiam horam, in suo fluxu et refluxu, si credimus Valæo : spatium amplius assignat Harueus, sed vterque sanguinem è dextro Cordis ventriculo ad sinistrum deriuat per pulmones, secundum ductum venæ arteriosæ, quæ refundit in arteriam venosam, vt deducat in sinistrum ventriculum, inde in aortam celerrimè quoquouersum distribuitur, sicque solus sanguis arteriosus nutrit ex eorum opinione. Ego verò iam demonstraui totum sanguinem non circulari, nec per medios pulmones secundum naturam, transire à dextro Cordis ventriculo in sinistrum, sed per medium septum Cordis, porosum, ac foraminulentum, nec solum arteriosum nutrire, verumetiam venosum, ac proinde constituo duplicem sanginem corpus nutrientem et viuificantem, Venosum et arteriosium, huncque solum posse nutrire, sed illum non sufficere absque arterioso. Vtrumque diuersis canalibus coërceri, quamuis in Hepate prius elaboretur, sanguinis purè venosi canales sunt ex vena porta : sanguinis purè arteriosi canales maiores sunt ex aorta : sanguinis arteriosi mixti canales sunt ex vena caua, qui quidem canales directè à Corde tanquam à fonte perenni ad extremos artus, et caput excurrunt : Intra quos absoluitur circulatio sanguinis, bis terve intra diem naturalem iterata, in minoribus ramis Aortæ et Cauæ nulla fit circulatio sanguinis, quia in istos canales diffusus sanguis tam venosus, quàm arteriosus, est nutritius ac vitalis, alendis partibus destinatus, nec refluit ad Cor nisi per accidens. Venosus sanguis venæ Portæ nullam habet circulationem, siue recursum ad Cor, sed fluit ac refluit intra suos canales, et habet comitem et socialem sanguinem arteriosum, intra cœliacam arteriam amplissimam inclusum, qui similiter non circulatur.
[J’admets certes la circulation du sang, mais non comme Harvey et Wale la décrivent, car ils veulent que tout le sang circule dans toutes les parties du corps, c’est-à-dire qu’il s’y distribue partout, par les artères, en un rapide mouvement circulaire, depuis le foie jusqu’au cœur ; puis il revient en totalité par les veines, en suivant un parcours identique, des extrémités au cœur, allant et venant ainsi en une demi-heure, par flux et reflux, si nous en croyons Wale. Harvey lui accorde un temps plus long, {c} mais tous deux font traverser les poumons par le sang pour passer du ventricule droit au gauche, en empruntant la veine artérieuse ; {d} puis, du ventricule gauche, il gagne l’aorte pour se distribuer à très grande vitesse en tous sens. Ainsi le sang artériel est-il, selon eux, le seul qui nourrisse les parties corporelles. J’ai démontré, pour ma part, que tout le sang ne circule pas et que, dans les conditions normales, il ne passe pas du ventricule droit au gauche en traversant les poumons, mais en passant par la cloison médiane du cœur, qui est poreuse et percée de petits orifices ; ainsi le sang artériel n’est-il pas le seul qui nourrisse, car le sang veineux le fait aussi ; j’établis donc que les deux sangs, veineux et artériel, alimentent et vivifient le corps ; le second peut à lui seul le nourrir, mais le premier ne peut y suffire sans le second. L’un et l’autre sont contenus dans divers canaux, bien qu’ils soient primitivement élaborés dans le foie : les canaux du sang purement veineux sont issus de la veine porte ; ceux, plus amples, du sang purement artériel naissent de l’aorte ; ceux du sang artériel mêlé sont issus de la veine cave, et le conduisent directement depuis le cœur, qui est comme la source perpétuelle, jusqu’aux membres et à la tête ; la circulation s’y accomplit itérativement deux ou trois fois par jour, {e} mais dans les plus petites branches de l’aorte et de la veine cave il n’y a pas de circulation, car le sang qui s’y répand, veineux comme artériel, est nourrissant et vital, destiné à alimenter les parties, et sauf accident, il ne reflue pas vers le cœur. Le sang de la veine porte ne circule pas non plus : soit il retourne au cœur, soit il va et vient dans ses propres vaisseaux ; et il a pour compagnon et associé le sang artériel contenu dans la très grande artère cœliaque, et qui, de même, n’a pas de mouvement circulaire]. {f}
- Riolan la prétendait déduite des écrits d’Hippocrate : v. note [9], appendice de sa lettre à Charles Le Noble. Hyginus Thalassius s’en est fait l’écho railleur dans le chapitre iv de sa Brevis Destructio : v. sa note [12].
- Pages 605‑606 des Opera anatomica vetera et nova, v. note [52], Responsio ad Pecquetianos, 1re partie.
- Il s’est depuis avéré qu’il faut au sang bien moins d’une demi-heure pour passer du ventricule gauche au droit (v. note [8], appendice de la réponse de Riolan à la lettre de Charles Le Noble).
- L’artère pulmonaire.
- Comme font les marées de l’Océan atlantique et, avec une bien moindre amplitude, celles de la Méditerranée : v. infra note [10], notule {d} pour une fumeuse reconnaissance de ce contraste.
- Cette conception de Riolan, principalement fondée sur l’ignorance des capillaires pulmonaires et périphériques (dont Harvey n’avait prouvé que l’existence fonctionnelle, sans les mettre anatomiquement en évidence), ne lui a heureusement pas survécu car elle était inintelligible et contraire à tous les constats expérimentaux.
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