Abrégé d'histoire sur la fondation de la
première revue française de psychiatrie
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Presentation by Serge NICOLAS Professor of
history of psychology and experimental psychology. University Paris Descartes
- Institut de psychologie. Editor-in-chief of L’Année
psychologique Laboratoire Psychologie et Neurosciences
cognitives. CNRS – FRE 2987. 71, avenue Edouard Vaillant
92774 Boulogne-Billancourt Cedex, France.
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Pinel : Fondateur de la psychiatrie moderne
Philippe Pinel (1745-1826) partagea toujours la vision de Cabanis
(1757-1808) sur la médecine ; il donnera d'ailleurs à son livre le
plus fameux le titre de Traité médico-philosophique de
l'aliénation mentale (an IX, 1800). Cet ouvrage[1] était attendu dans les milieux
médicaux et philosophiques de l’époque car de larges extraits
avaient déjà été présentés à une société d’étudiants et à
l’Académie des sciences entre 1796 et 1800. Le livre est divisé en
six sections qui visent à présenter progressivement les bases et
les règles du traitement moral. Dans la première section, il
présente une étude sur la manie périodique ou intermittente[2] (pp. 7-47) qui
constitue pour lui la forme paradigmatique de l'aliénation
mentale. Dans la seconde section, il énonce les principes et les
règles du traitement moral des aliénés[3] (pp. 48-105) où il s'agit
d'ébranler fortement l'imagination du malade en exerçant sur lui
un ascendant moral qui lui inspire crainte et respect. Le
traitement moral consiste alors à remonter de l'imagination vers
le corps, siège du trouble épigastrique. Dans la troisième
section, sur les recherches anatomiques sur les vices de
conformation du crâne des aliénés[4] (pp. 106-134), il démontre que les diverses
formes d'aliénation mentale ne s'accompagnent presque jamais de
lésions physiques du cerveau (sauf dans le cas de l'idiotisme).
Dans la quatrième section, il aborde la division de l’aliénation
mentale en espèces distinctes[5] (pp. 135-176) dans le but de mettre en évidence
celles qui se prêtent le mieux au traitement moral. Suivant la
méthode de Condillac, il va classer l'aliénation mentale en cinq
espèces : la mélancolie, la manie sans délire, la manie avec
délire, la démence ou abolition de la pensée, l’idiotisme ou
oblitération des facultés intellectuelles et affectives[6]. Dans la cinquième
section, il s'intéresse à la police intérieure et à la
surveillance à établir dans les hospices d’aliénés (pp. 177-226).
Dans la sixième section, il aborde les principes du traitement
médical (pp. 227-304) pour ceux des aliénés dont le traitement
moral a échoué. Le livre de Pinel marquera une date dans
l’histoire[7] :
c’est à partir de cette époque que la psychiatrie française va
commencer à se développer.
De la fondation des annales médico-psychologiques (1843)…
Les successeurs de Pinel continueront le programme initié par
Cabanis et seront les premiers acteurs de la psychiatrie française
naissante. La classification des maladies mentales sera reprise
par son fameux élève Étienne Esquirol (1772-1840), l'inspirateur
de la fameuse loi française sur l'internement (30 juin 1838), qui
développera sa conception des monomanies dans le cadre de la
mélancolie (voir Des maladies mentales considérées sous les
rapports médical, hygiénique et médico-légal, 1838. En ligne dans
Medica:
) et à travers lui par Étienne Georget (1795-1828) qui
individualisa la confusion mentale dans le cadre de la démence
aiguë.
La fondation en 1843 des Annales Médico-Psychologiques, destinées
à s'occuper de l'étude des maladies mentales et nerveuses, par
Jules Baillarger (1809-1890), Laurent Cerise (1807-1869) et F.A.
Longet (1811-1871) portant le sous-titre "Journal de
l'anatomie, de la physiologie, et de la pathologie du système
nerveux, destiné particulièrement à recueillir tous les documents
relatifs à la science des rapports du physique et du moral, à la
pathologie mentale, à la médecine légale des aliénés, et à la
clinique des névroses" puis la fondation de la Société
médico-psychologique en 1852 feront partie de l'héritage de
Cabanis et de Pinel. L’établissement d’une identité
professionnelle à travers l’organisation d’une association de
psychiatres commença avec la création des Annales
médico-psychologiques en 1843. Cerise était responsable des
articles traitant des thèmes centrés autour des questions
générales de type médical et psychologique ; Baillarger était
responsable des articles traitant de pathologie mentale et Longet
était responsable des articles traitant plus spécifiquement de
l’anatomie et de la physiologie du système nerveux. Dans
l’introduction donnée par Cerise dans le premier numéro de janvier
1843, il est rappelé que ce « journal de l’anatomie, de la
physiologie et de la pathologie du système nerveux, destiné
particulièrement à recueillir tous les documents relatifs à la
science des rapports du physique et du moral, à la pathologie
mentale, à la médecine légale des aliénés, et à la clinique des
névroses », n’est pas la réalisation d’une pensée propre à
ses créateurs ; il fait partie de l’héritage de Pinel. Au
début des années 1840, la psychiatrie devient une science qu’il
convient de constituer ; la création des Annales en constitue
le premier acte. Le nouveau journal est d’emblée ouvert aux
débats. Dès les premiers numéros, une controverse apparaît sur le
thème des hallucinations après les publications de L. F. Lélut
(1804-1877) à laquelle vont participer Alfred Maury (1817-1892),
Louis Calmeil (1798-1895) et Alexandre Brierre de Boismont
(1797-1881). Ce débat ne sera que le premier, d’autres disputes et
discussions verront le jour tout au long de l’histoire de la revue[8], surtout dans le
cadre des travaux de la Société médico-psychologique publiés dans
les Annales. En fait, la revue et la société vont être intimement
associées par la suite.
…À la création de la société médico-psychologique (1852)
Baillarger, dans le premier fascicule de janvier 1843
, proposait de créer en France une association de médecins
aliénistes qualifiée par le même auteur de Société
médico-psychologique en juillet 1843[9]. Mais le projet sommeilla. En
1845, Bénédict-Augustin Morel (1809-1873) émit à son tour le vœu
de voir se fonder une société médicale, dont le but serait l’étude
de tout ce qui peut intéresser la pathologie et la physiologie du
système nerveux, ainsi que l’amélioration des maisons d’aliénés
mais dont le dessein serait aussi de se tenir au courant de tout
ce qui se fait et se publie à l’étranger dans le cercle de cette
spécialité. C’est dans ce contexte que Baillarger revint en 1846
avec insistance sur son projet initial : « les
conditions nécessaires à beaucoup de points de l’étude des
maladies mentales ne peuvent être obtenues que par une association
de médecins travaillant en commun à la solution de questions
discutées à l’avance. »
Dès ce moment, il déclara que les Annales pourraient assurer
la publication des travaux d’une telle association. Forts de
nombreuses adhésions, Baillarger et Cerise annoncèrent dans le
premier numéro de l’année 1848
des Annales que la Société médico-psychologique avait été
constituée à Paris, le 18 décembre 1847. « La société qui
vient d’être constituée comprend non seulement la plupart des
médecins dont la vie est consacrée à l’étude et au traitement de
la folie, mais encore un nombre déterminé de physiologistes,
d’administrateurs, d’érudits, de jurisconsultes, de moralistes, de
philosophes dont les travaux se rattachent plus ou moins
directement à la connaissance ou à la direction de l’homme moral
et intellectuel. »
Le règlement avait même été discuté et adopté par un comité
de membres fondateurs ; on avait défini l’objectif que l’on
voulait atteindre : « La Société a pour but l’étude et
le perfectionnement de la pathologie mentale. Elle comprend dans
ses travaux toutes les sciences accessoires qui peuvent en
favoriser les progrès. »
Mais avec les événements politiques et la Révolution de 1848,
la Société ne put se constituer officiellement. C’est d’ailleurs à
partir de 1848-1849 que des changements sont apportés à la
publication qui va se recentrer sur les maladies mentales en
laissant de côté l’anatomie et la physiologie du système nerveux
ainsi que la question des rapports entre l’âme et le corps ou
d’autres thèmes de nature métaphysique. Le sous-titre des Annales
va alors être : « Journal destiné à recueillir tous les
documents relatifs à l’aliénation mentale, aux névroses, et à la
médecine légale des aliénés. »
Il est aussi à noter qu’après 1849, les sections intitulées
« généralités médico-psychologiques » et
« physiologie » disparaissent définitivement. La revue
va ainsi devenir un journal totalement « aliéniste ».
Il fallut attendre quelques années avant que soit publié dans les
Annales le rapport d’une commission composée d’Amédée Dechambre
(1812-1886), Édouard Carrière (1808-1883) et Claude-François
Michéa (1815-1882), chargée de préparer un nouveau règlement et de
faire le nécessaire pour constituer enfin une Société
médico-psychologique largement interdisciplinaire
. Le 26 avril 1852, les fondateurs se réunissaient et
procédaient à la nomination du bureau. Ils choisirent pour
président Guillaume-Marie-André Ferrus (1784-1861), pour
vice-président Pierre-Nicolas Gerdy (1797-1856). Le journaliste
Dechambre fut élu secrétaire général ; Brierre de Boismont
(1798-1881), secrétaire-trésorier ; Michéa, secrétaire
archiviste. Le comité de rédaction fut composé de Buchez,
Baillarger et Cerise. La Société médico-psychologique tint sa
première séance de travail le 28 juin 1852
. Depuis sa fondation, ceux qui ont eu la charge de diriger
les Annales ont toujours placé au premier rang de leurs devoirs la
publication des actes de la Société : Baillarger et ses
collaborateurs pendant 48 années ; Ritti ensuite pendant 35
ans, etc. À travers la lecture des différents volumes des Annales,
on pourra étudier l’évolution historique de
« l’aliénisme » et accéder à de très nombreux articles
fondateurs de la psychiatrie.
Liste des présidents de la société médico-psychologique
(1852-1937)
1852-53 |
FERRUS |
1853-54 |
GERDY |
1854-55 |
BUCHEZ |
1855-56 |
PARCHAPPE |
1856-57 |
PEISSE |
1857-58 |
BAILLARGER |
1858-59 |
CERISE |
1859-60 |
TRÉLAT |
1861 |
BRIERRE DE BOISMONT |
1862 |
A. GARNIER |
1863 |
DELASIAUVE |
1864 |
MOREAU DE TOURS |
1865 |
GIRARD DE CAILLEUX |
1866 |
F. VOISIN |
1867 |
JANET |
1868 |
BROCHIN |
1869 |
CONSTANS |
1870-71 |
LASÈGUE |
1872 |
FALRET |
1873 |
LUNIER |
|
1874 |
LOISEAU |
1875 |
BLANCHE |
1876 |
DUMESNIL |
1877 |
BILLOD |
1878 |
BAILLARGER |
1879 |
LUCAS |
1880 |
LEGRAND DU SAULE |
1881 |
LUYS |
1882 |
DALLY |
1883 |
MOTET |
1884 |
FOVILLE |
1885 |
DAGONET |
1886 |
SEMELAIGNE |
1887 |
MAGNAN |
1888 |
COTARD |
1889 |
FALRET |
1890 |
BAILLARGER |
1891 |
BOUCHEREAU |
1892 |
ROUSSEL |
1893 |
CHRISTIAN |
|
1894 |
A. VOISIN |
1895 |
MOREAU DE TOURS |
1896 |
CHARPENTIER |
1897 |
P. GARNIER |
1898 |
MEURIOT |
1899 |
J. VOISIN |
1900 |
MAGNAN |
1901 |
JOFFROY |
1902 |
MOTET |
1903 |
BALLET |
1904 |
BRUNET |
1905 |
VALLON |
1906 |
BRIAND |
1907 |
DENY |
1908 |
SÉGLAS |
1909 |
LEGRAS |
1910 |
ARNAUD |
1911 |
SÉRIEUX |
1912 |
KLIPPEL |
1913 |
R. SELEMAIGNE |
1914-16 |
VIGOUROUX |
|
1917 |
CHASLIN |
1918 |
COLIN |
1919 |
DUPAIN |
1920 |
TRÉNEL |
1921 |
PACTET |
1922 |
TOULOUSE |
1923 |
ANTHEAUME |
1924 |
TRUELLE |
1925 |
ROUBINOVITCH |
1926 |
SOLLIER |
1927 |
LEGRAIN |
1928 |
LEROY |
1929 |
Pierre JANET |
1930 |
CAPGRAS |
1931 |
CLAUDE |
1932 |
MARCHAND |
1933 |
G. DUMAS |
1934 |
MIGNOT |
1935 |
Th. SIMON |
1936 |
VURPAS |
1937 |
CHARPENTIER |
|
Notes
[1]
Pour une réédition fac simile récente de l’édition
originale : Pinel, Ph. (2006). Sur l’aliénation mentale.
Traité médico-philosophique (1800). Paris : L’Harmattan. -
Voir aussi en ligne sur le site de Gallica
l’édition de l’an IX
et la seconde édition de 1809. |
[2]
Il s’agit de la réédition d’un texte antérieur : Pinel, Ph.
(1797, an V-VI). Mémoire sur la manie périodique ou
intermittente. Mémoires de la Société Médicale d’Émulation, 1,
94-119. [Cote BIUM : 90.090] |
[3]
Il s’agit de la réédition d’un texte antérieur : Pinel, Ph.
(1798, an VI-VII). Recherches et observations sur le traitement
moral des aliénés. Mémoires de la Société Médicale d’Émulation,
2, 215-255. |
[4]
Il s’agit de l’édition d’un mémoire lu à l’Académie des Sciences
le 7 mars 1800 (16 ventôse an VIII). |
[5]
Il s’agit de la réédition d’un texte antérieur : Pinel, Ph.
(1799, an VII-VIII). Observations sur les aliénés et leur
division en espèces distinctes. Mémoires de la Société Médicale
d’Émulation, 3, 1-26. |
[6]
Dans la seconde édition (1809) Pinel propose la classification
suivante : "Avec une attention suivie et une étude
approfondie des symptômes qui leur sont propres, on peut les
classer d'une manière générale, et les distinguer entre eux par
des lésions fondamentales de l'entendement et de la volonté, en
écartant d'ailleurs la considération de leurs variétés sans
nombre. Un délire plus ou moins marqué sur presque tous les
objets s'allie, dans plusieurs aliénés, à un état d'agitation et
de fureur : ce qui constitue proprement la manie. Le délire peut
être exclusif et borné à une série particulière d'objets, avec
une sorte de stupeur et des affections vives et profondes :
c'est ce qu'on nomme mélancolie. Certaines fois une débilité
générale frappe les fonctions intellectuelles et affectives,
comme dans la vieillesse, et forme ce qu'on appelle démence.
Enfin, une oblitération de la raison avec des instants rapides
et automatiques d'emportement, est désignée par la dénomination
d'idiotisme. Ce sont là les quatre espèces d’égarements
qu'indique d'une manière générale le titre d'aliénation
mentale" (Pinel, p. 5). Voir Pinel, Ph. (2005). Traité
médico-philosophique sur l’aliénation mentale (2e édition de
1809). Paris : Les empêcheurs de penser en rond / Le
Seuil. [Cote BIUM : 189.059] |
[7]
Pour une biographie et une analyse de l’œuvre de Pinel :
Pigeaud, J. (2001). Aux portes de la psychiatrie. Pinel,
l’ancien et le moderne. Paris : Aubier. [Cote BIUM : 185777
/ Armoire 5 HM Psychiatrie 23] - Postel, J. (1998). Genèse de la
psychiatrie. Les premiers écrits de Philippe Pinel. Le
Plessis-Robinson : Institut Synthélabo. [Cote BIUM :
176122] - Sémelaigne, R. (2001). Philippe Pinel et son œuvre au
point de vue de la santé mentale. Paris : L’Harmattan.
[Cote BIUM : 232931-47] - Weiner, D. B. (1999). Comprendre et
soigner. Philippe Pinel (1745-1826). La médecine de l’esprit.
Paris : Fayard. [Cote BIUM : 233230-8 / Armoire 5 HM
Psychiatrie 14] |
[8]
Ritti, A. (1902). Histoire des travaux de la Société
médico-psychologique (1852-1902). Annales Médico-Psychologiques,
8e série, tome 16, soixantième année, 27-131 [ https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/page?90152x1902x16&p=27
]. |
[9]
Pour un historique :Dowbiggin, I. (1989).French psychiatry
and the search for a professional identity : The Société
Médico-Psychologique, 1840-1870. Bulletin of the History of
Medicine, 63 (3) 331-355. [Cote BIUM : 110.014A] |
|