Les premières éditions imprimées de Galien à la BIU Santé |
Presentation by Véronique BOUDON
CNRS-Paris IV Sorbonne
email : medecine.grecque@paris4.sorbonne.fr
L'œuvre de Galien de Pergame (129 - c. 210) se distingue autant par son ampleur que par la diversité des sujets abordés. Rien ou presque n'a échappé à cet esprit curieux qui aborde avec une égale aisance la médecine et la philosophie, l'anatomie et la physiologie, la thérapeutique et la pharmacologie, mais aussi l'éthique et la rhétorique, ou encore la poésie et la comédie, pour ne citer que quelques-uns de ses principaux centres d'intérêt. Cette œuvre immense et multiforme, composée pour l'essentiel sous le règne des trois empereurs Marc Aurèle, Commode et Septime Sévère est aujourd'hui accessible dans les vingt et un volumes (plus un volume d'index) de l'édition de C. G. Kühn parus à Leipzig de 1821 à 1833. Les quelque 20 000 pages de cette édition qui continue de faire référence pour les traités de Galien qui n'ont pas encore fait l'objet d'une édition critique, c'est-à-dire une écrasante majorité, excluent cependant les nombreux traités non conservés en grec, mais seulement en traduction. Car une partie importante de l'œuvre galénique ne nous est pas parvenue, ou ne nous est parvenue qu'en traduction latine ou arabe, plus rarement hébraïque. Sont ainsi presque entièrement perdues la majorité des œuvres philosophiques et éthiques, et d'importants commentaires rédigés aux traités d'Hippocrate, comme le commentaire à Airs, eaux, lieux perdu en grec mais conservé en arabe. En réalité, tous les cas de figure ou presque coexistent : certains traités conservés en grec ont été traduits à la fois en latin et en arabe ; d'autres perdus en grec ne sont plus conservés que dans des traductions latines du Moyen Age comme dans le cas de la Subfiguratio empirica (1) ; d'autres enfin ne sont conservés qu'en arabe, alors que d'autres sont perdus à la fois en grec, en latin et en arabe (2).
Le paradoxe veut que cette œuvre médicale majeure qui représente à elle seule près du huitième de l'ensemble de la littérature grecque conservée d'Homère à la fin du IIe siècle de notre ère (3), manque dramatiquement d'éditions critiques et de traductions françaises pour une large majorité de traités. L'édition Kühn, sans doute pour longtemps encore irremplacée, est en effet à la fois dépourvue d'apparat critique (à une exception près) et de traduction dans une langue moderne. On ne peut donc que souhaiter la parution prochaine d'éditions scientifiques toujours plus nombreuses de l'œuvre de Galien. La tâche est immense et toute initiative visant à faciliter l'accès au vaste corpus galénique doit être saluée et soutenue. En ce sens, on ne peut que se réjouir de la mise en œuvre du programme de numérisation des principales éditions de Galien par la BIU Santé département médecine-odontologie.
Le texte de Galien tel qu'il nous est parvenu, et tel que nous pouvons aujourd'hui le lire dans l'édition Kühn, a en effet nécessairement subi bien des transformations et des altérations, au cours des différentes étapes de sa transmission. Qui plus est, la tradition du texte grec de Galien, relativement récente, remonte rarement au delà du XIIe siècle. Le futur éditeur aura donc à prendre en compte non seulement l'ensemble des manuscrits grecs conservés, mais aussi, quand elles existent, les traductions latines, arabes ou hébraïques auxquelles ont donné lieu de très nombreux traités. Cette enquête commencée par l'étude de la tradition directe et indirecte aura comme prolongement quasi naturel et indispensable l'étude des différentes éditions imprimées qui, en assurant à leur tour la survie du texte galénique, ont contribué à écrire de nouvelles étapes de son histoire. Car tout au long de sa transmission, le texte de Galien n'a cessé d'évoluer, d'être corrigé, commenté, annoté, traduit dans un souci d'exigence et d'exactitude toujours plus grand.
Or c'est précisément un accès direct au texte galénique imprimé que le site de la BIU Santé ménage aujourd'hui à ses lecteurs, philologues, historiens de la médecine, étudiants, hellénistes ou médecins, en mettant à leur disposition les principaux témoins de cette histoire.
De la première édition imprimée (editio princeps) des œuvres de Galien en grec, l'Aldine sortie à Venise en 1525 des presse du célèbre imprimeur Alde Manuce, jusqu'aux dernières éditions en date parues à Berlin dans le Corpus Medicorum Graecorum ou à Paris dans la Collection des Universités de France, long est le chemin parcouru. Le lecteur trouvera sur le site les principales éditions du texte galénique, celles qui ont marqué des étapes décisives comme celles qui ont plus modestement contribué à son histoire. Désormais sont ainsi directement accessibles, consultables et téléchargeables les cinq tomes in-folio de l'édition Aldine de 1525, l'édition due aux soins de L. Fuchs, H. Gemusaeus et J. Camerarius et parue à Bâle en 1538 (qui reprend pour l'essentiel le texte de l'Aldine tout en corrigeant cependant les fautes et les erreurs les plus manifestes), l'ambitieuse édition de R. Chartier (Paris, 1679) qui devait entraîner la ruine de son éditeur, et enfin celle de C. G. Kühn (Leipzig, 1821-1833) déjà citée.
Les éditions en langue latine n'ont pas été négligées, d'autant plus que la parution de ces traductions a parfois précédé celle du texte grec. Tel est le cas de l'édition de Diomède Bonardus (Venise, 1490), relativement rare et difficilement accessible, qui rassemble des traductions latines anciennes de la période antéhumaniste, de Constantin l'Africain à Nicolas de Reggio en passant par les traducteurs de Tolède. Tel est le cas des éditions dites Juntines car sorties à intervalles réguliers des ateliers des Juntes à Venise et qui se sont succédé tout au long du XVIe siècle et jusqu'au début du XVIIe siècle. Le choix fait ici de l'édition Juntine de 1565 a été guidé par l'intérêt philologique. Cette édition préparée et annotée par A. Gadaldini, fin connaisseur de l'œuvre galénique et remarquable érudit, ne peut que retenir l'attention du philologue qui y fera fréquemment d'importantes découvertes. La même logique a présidé au choix de l'édition parue à Bâle en 1549 chez Froben et préparée par le célèbre médecin de Zwickau, Janus Cornarius qui a lui-même rédigé un bon nombre de traductions. Enfin le lecteur ni helléniste, ni latiniste aura profit à consulter le choix de traductions françaises établies par Ch. Daremberg pour une dizaine de traités galéniques et parues à Paris en deux volumes en 1854-1856.
Le lecteur, qu'il désire obtenir une information précise ou procéder à une vérification ponctuelle, se voit ainsi réservé un accès rapide et facile à ces différentes éditions dont la consultation dans les bibliothèques françaises et étrangères est loin d'être toujours aisée. On ne peut donc qu'espérer le succès d'une entreprise destinée à rendre de si précieux services.
1) La Subfiguratio empirica nous est parvenue dans une traduction latine de Nicolas de Reggio.
2) G. Strohmaier a dressé des tableaux successifs de cette situation dans la Lettre du Centre Jean Palerne et plus récemment dans un article paru dans Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt (=ANRW), Band 37.2, Berlin, p. 1987-2017.
3) Voir J. Irigoin, " Hippocrate, Galien et quelques autres médecins grecs ", Annuaire du Collège de France 1988-89, Paris, 1989, p. 585. Les pages de l'édition Kühn sont, il est vrai, des demi-pages, le texte grec étant accompagné d'une traduction latine qui occupe le bas de chaque page de grec.