La médecine pratique et ses genres littéraires en France à l'époque moderne |
|
Mars 2008 |
Voir aussi : |
Le concept de genre littéraire, même s’il est flou et fait toujours l’objet de discussion dans les études littéraires, présente un intérêt indéniable pour l’analyse phénoménologique des productions littéraires d’une époque ou d’un groupe [1]. Il rend compte des conventions normatives ou régulatrices qui déterminent la création des formes – au nombre toujours limité – que peuvent prendre cette production, mais aussi leur reconnaissance par les lecteurs qui en ont une pré-compréhension qui les porte vers elles : ce que Jauss a appelé l’"horizon d’attente" des lecteurs. Ce concept présente aussi un grand intérêt pour l’analyse historique, enseignant sur les pratiques intellectuelles, culturelles et sociales de "production" et de "consommation" des œuvres, sur leur encadrement par des conventions ou au contraire, sur les possibilités de dépassement ou de transgression autorisées.L’initiative visant à valoriser le patrimoine de la BIU Santé et à mettre à disposition de la communauté des chercheurs les œuvres les plus significatives dans le champ de la pratique médicale de l’espace français de l’époque moderne nous donne l’occasion de tenter d’appliquer le concept de genres littéraire dans ce champ. Bien que la production médicale pratique ne présente pas la diversité et la complexité formelle de la Littérature – avec un grand "L" – il nous a semblé que le concept de genres littéraires et les approches méthodologiques qui ont été développées pour leur étude [2] méritaient de lui être appliquée, particulièrement dans une perspective d’histoire des idées et d’histoire culturelle de la médecine. L’époque moderne, qui couvre conventionnellement les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, et qui est traversée de phénomènes culturels de grande ampleur, la Renaissance et le mouvement des Lumières, nous a paru offrir le cadre temporel idéal pour une telle application [3]. Pour des raisons pratiques, l’enquête a été restreinte à la production médicale imprimée de l’espace français, c’est-à-dire imprimée ou distribuée en France, et aujourd’hui conservée dans les collections françaises, notamment à la Bibliothèque Nationale de France (BNF), dont le catalogue, systématique et maintenant électronique, fournit un instrument de travail unique pour une telle étude [4].
Si l’identification chronologique de la production imprimée est assez simple à réaliser (la date d’impression des ouvrages étant presque toujours connue pendant l’époque moderne), l’identification thématique l’est un peu moins, et conduit à considérer la définition de la médecine pratique, particulièrement au cours de la période considérée. En effet, la démarcation entre pratique et théorie, art et science, pour ancienne qu’elle soit en médecine –elle est probablement d’origine hellénistique – n’a pas été sans fluctuation ni débat quant à sa position voire même quant à sa pertinence [5]. Sans entrer dans les arcanes des débats que les médecins de l’époque moderne ont hérités de leurs prédécesseurs médiévaux, particulièrement pour la question du statut "libéral" ou "mécanique" de la pratique médicale (question très sensible en termes de prestige et de hiérarchisation sociale), nous avons opté pour une définition pragmatique de la pratique médicale – et qui transcende les époques – comme l’activité de prise en charge de malades particuliers avec ses différentes composantes de caractérisation pathologique (en termes actuels de diagnostic et de pronostic), de traitement et prévention. Pour limiter l’hétérogénéité de la production littéraire, nous avons écarté de l’analyse la littérature traitant de chirurgie ou de traitements spécifiques (tels le thermalisme, l’électrothérapie, etc.) de même que les écrits sur des maladies particulières et les écrits rituels qu’étaient les "questions" et les "thèses" des étudiants des Ecoles de médecine.Une double exploration du catalogue électronique des imprimés de la BNF a donc été conduite pour la période antérieure à 1800 : la première considérant les mots du titre en relation avec la pratique et ses composantes ("pratique", "diagnostic", etc. et leurs équivalents latins de l’époque "practica" ou "praxis", "dignotio", etc.), la seconde considérant les cotes de la série T des "sciences médicales"
en rapport avec la pratique et ses composantes, selon les catégorisations établies par les bibliothécaires de la BNF (alors bibliothèque impériale) au milieu du XIXe siècle. Une attention particulière a été portée aux discordances entre les résultats de ces deux explorations et aux cotes qui cessèrent d’être incrémentées ou au contraire qui commencèrent à l’être au cours de la période.
Une analyse morphologique multicritères des titres, de la structuration et du contenu des ouvrages, jointe à une analyse chronologique fine ont été conduites, dans une approche à la fois typologique et phylogénique des genres, pour identifier les continuités comme les processus de transformation interne et les ruptures fondatrices de nouveaux genres.Pour la sélection des titres inclus dans la série numérisée, nous avons privilégié les "œuvres-phares" ayant bénéficié de rééditions multiples ou éloignées dans le temps et/ou de traductions françaises si elles avaient été rédigées initialement en latin ou en une autre langue vulgaire. La nécessité de ne retenir que 6 à 12 ouvrages par genre, en visant une répartition équilibrée des auteurs du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe siècle a évidemment conduit à des choix difficiles.
Les derniers siècles du Moyen Age avaient vu croître, et même s’hypertrophier la médecine pratique [6]. Avec le développement d’un enseignement universitaire de pratique médicale et la multiplication des professeurs in practica dans les universités, la production d’ouvrages liés à la pratique augmenta et se diversifia, selon quatre genres principaux constitués dès le début du XIVe siècle : les practicae, les recueils de consilia, les regimina et les antidotaires ou pharmacopées. Ces quatre genres se retrouvèrent, inchangés, dans la production imprimée des premières décennies de l’époque moderne. En effet, la diffusion de l’imprimerie occasionna d’abord une recirculation des textes disponibles, dont beaucoup étaient déjà anciens. La Practica, seu lilium medicinae (Pratique ou fleur de lys de la médecine) , du montpelliérain Bernard de Gordon, rédigée en 1305, et dont 8 éditions différentes, latines ou françaises, imprimées entre 1480 et 1574, sont conservées dans les collections de la BNF, est un exemple de cette recirculation observée pour tous les domaines de la littérature et du savoir.
Le genre de la Practica medicinae, fréquenté avec assiduité par les maîtres du XIVe et du XVe siècle, a été repris et illustré par nombre de leurs successeurs de l’époque moderne. La forme typique médiévale de la Pratique médicale, caractérisée par un titre explicite, et une structuration en chapitres courts comportant des développements étiologiques, sémiologiques et surtout thérapeutiques sur les maladies, ordonnées a capite ad calcem – les fièvres et les maladies "générales" étant présentées avant, ou après l’inventaire topographique, ou au chapitre "cœur" – fut souvent illustrée au XVIe siècle, de Symphorien Champier (Practica nova in medicina, 1507) à Jacques Fontaine (Practica curandum morborum corporis humani 1591) et encore jusque très avant au XVIIe siècle, où par exemple, la Medicina practica de Daniel Sennert (première édition, 1629) et la Praxis medica de Lazare Rivière (première édition, 1640, traduite en français en 1682) présentaient une structuration très similaire à celle de la Practica de Bernard de Gordon ou de la Praxis medicinalis d’Arnaud de Villeneuve (rédigée avant 1300 et rééditée pour la dernière fois en 1586).Toutefois, la forme type médiévale de la Practica a été sérieusement contestée au milieu du XVIe siècle par plusieurs auteurs, et non des moindres, qui abandonnèrent l’ordre a capite ad calcem au profit de regroupements reposant sur des considérations étiologiques ou physiopathologiques, comme Laurent Joubert en 1572 (Medicinae Practicae priores libri tres… ), qui séparait les fièvres, les intempéries et divers symptômes et troubles des fonctions) ou, plus rarement, de regroupements par activité pratique comme Jacob Wecker en 1589 (Practica medicinae generalis, qui présentait les différentes sortes de maladies localisées et générales, puis les pronostics et indications pour ces maladies, les régimes, les remèdes simples, les remèdes composés, les instruments de chirurgie, les traitements d’affections externes). D’autres auteurs abandonnèrent le qualificatif même de Practica. Si les titres des ouvrages ayant la forme d’une Pratique d’Alexandre Benedetti, Omnium a vertice ad calcem morborum signa, causae, indicationes et remediorum compositiones utendique rationes… (1539), de Jacques Houllier, De morbis internis… (1571) [7] et de Guillaume Rondelet, Methodus curandorum omnium morborum corporis humani… (1573) , suggèrent seulement l’évitement d’un terme déjà usé (de manière révélatrice Rondelet ajouta au titre interne de son ouvrage "Curandi morbo Methodus, quae vulgo practica dicitur), ceux de Jacques Dubois et de Leonhart Fuchs, respectivement Ratio medendi morbis internis prope omnibus... (1549) , et De Medendi methodo (1539) révèlent clairement la concurrence du modèle que représentait le Methodus medendi de Galien. Ce texte majeur, "restitué" par Linacre en 1519, eut en effet un impact profond sur la réflexion et l’écriture de la thérapeutique au XVIe siècle [8]. Il contribua probablement à détourner nombre d’auteurs de la rédaction de Pratiques au profit d’ouvrages au contenu exclusivement thérapeutique, dont l’exemple le plus connu, et imité en France fut certainement la Thérapeutique de Jean Fernel, troisième partie de sa Medicina (1554, complétée après sa mort et traduite en français en 1655) [9].
Le genre de la Practica n’en resta pas moins illustré au XVIIe siècle, tant sous sa forme ancienne (avec Sennert et Rivière, déjà cités) que sous une forme qu’on pourrait qualifier de modernisée, par exemple chez Felix Platter (Praxeos medicae, 1625 ) et François De Le Boë dit Sylvius (Praxeos medicae idea nova, 1671-4 ) qui présentèrent tous deux une catégorisation des maladies reposant principalement sur la déclinaison des sens et des fonctions lésés, puis des douleurs et des troubles des excrétions (pour Platter) ou des humeurs affectées (pour Sylvius), ou encore sous une troisième forme que l’on pourrait qualifier d’hybride, caractérisée par l’ajout de consultations ou de cas illustratifs. Cette dernière forme apparut semble-t-il en France avec Les loix de médecine pour procéder méthodiquement à la guérison des maladies, pratiquées sur toutes sortes de maladies, es consultations faites avec des plus célèbres médecins de ce temps de Nicolas Abraham de La Framboisière (1608, plusieurs fois rééditées) qui proposa trois chapitres méthodologiques généraux ("Pour les discerner [les maladies]", "Pour juger l’issue de la maladie", "Pour bien penser la maladie") avant de suivre l’ordre a capite ad calcem pour la présentation des maladies, chacune illustrée en fin du chapitre par une ou plusieurs consultations personnelles (les fièvres étant ici abordées au chapitre des maladies du cœur). Cette forme fut aussi adoptée par Abraham Zacuto ou Zacutus, dont la Praxis historiarum, in qua morborum omnium internorum curatio ad principum medicorum mentem explicatur… (1643, plusieurs fois rééditées) est composée d’une série d’observations prises chez les "princes de la médecine" (Galien, Avicenne, Rhazès, etc.) classées dans l’ordre a capite ad calcem et suivie (ou précédée selon les éditions) d’une Practica tout à fait classique, structurée en petits chapitres selon le même ordre. Felix Platter, quant à lui, composa un ouvrage séparé d’observations, Observationum, in hominis affectibus plerisque, corpori et animo, functionum laesione, dolore, aliave molestia et vitio incommodantibus, … ad Praxeos illius tractatus tres... accommodati , qu’il classa, comme le titre l’indique, dans l’ordre des sens et des fonctions lésées énoncé dans sa Pratique.Le genre de la Practica, avec ses différents attributs précédemment mentionnés, connut ensuite une éclipse de près d’un siècle, commençant dans les dernières décennies du XVIIe siècle. Hermann Boerhaave, l’inventeur de la médecine clinique, utilisa bien le terme de Praxis medica pour certaines éditions de ses aphorismes commentés (Praxis medica, sive commentarium in aphorismos Hermanni Boerhaave De cognoscendis et curandis morbis, 1728 ) mais ni le contenu ni la structuration de l’ouvrage ne correspondaient aux formes de la Practica, pas plus qu’ils ne firent eux-mêmes école [10]. Il en est de même des ouvrages traitant de divers aspects de médecine pratique au XVIIIe siècle, et notamment de deux ouvrages très influents de médecins allemands, la Medicinae rationalis systematicae de Friedrich Hoffmann (traduite en français par la Médecine raisonnée en 1739 ) et le Traité de l’expérience en général, et en particulier dans l’art de guérir (1774) de Johann Georg Zimmermann (traduction du Von der Erfahrung in der Arzneykunst... de 1763-4, réédité jusqu’aux années 1820) [11]. C’est avec la traduction française du Synopsis nosologiae methodicae de l’écossais William Cullen en 1785, par Pinel, sous le titre Institutions de médecine pratique ou par Bosquillon sous le titre Eléments de médecine pratique que le genre de la pratique se trouva in extremis illustré une dernière fois en France avant la Révolution, puisque l’ouvrage de Cullen, malgré son titre original évoquant une œuvre nosologique, renouait avec la structuration en petits chapitres abordant les aspects étiologiques, diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques des maladies (classées ici en fièvres, phlegmasies, exanthèmes, hémorragies, fluxions, maladies nerveuses, adynamies et affections spasmodiques, vésanies, gonflements généraux et maladies de peau).
Le genre des recueils de consilia, ou de consultations épistolaires, naquit à Bologne à la fin du XIIIe siècle, sur le modèle des recueils de conseils juridiques. Il se développa ensuite en Italie, alors que l’écriture des consilia eux-mêmes prenait un caractère plus érudit et universitaire, notamment à Padoue, comme en témoignent encore bien, au début du XVIe siècle, les consilia très savants de Giovanni Da Monte, recueillis par ses élèves et publiés en 1559 [12]. Le genre ne fut que tardivement adopté par les médecins français, puisqu’il fallut attendre 1582 et la publication posthume du recueil de Jean Fernel pour le voir illustré. Ce recueil, constitué de 70 consilia latins ordonnés a capite ad calcem par Guillaume de Plancy obtint un grand succès puisqu’il fut réédité à 16 reprises jusqu’en 1644. C’est en France, en revanche, que semble avoir été colligé et publié le premier recueil de cas, présentant des histoires complètes de maladies jusqu’à leur terminaison. Il s’agissait en l’occurrence de cas bibliographiques colligés dans les œuvres de Galien par Symphorien Champier (Claudii Galeni Pergameni historiales campi..., 1532). Dans les décennies suivantes, les recueils de cas qualifiés d’"histoires", de "curations" et enfin d’"observations", colligés dans les écrits des grands maîtres du passé et de plus en plus dans les archives des praticiens eux-mêmes, se multiplièrent [13]. Il doit être remarqué que le terme d’"observation" qui s’imposa finalement au XVIIe siècle, sur ses (presque) synonymes "histoire" (qui avait été utilisé par Champier) et "curation" (qui avait été utilisé par Cardan ou João Rodrigues dit Amatus Lusitanus) pour désigner le particulier – la narration (organisée) d’un cas de maladie – avait été d’abord utilisé pour désigner le général –comme commentaire ou synthèse d’observations particulières – notamment par Van Lom en 1560 (et par Sydenham, voir Infra). C’est probablement à la qualité et au succès de l’ouvrage de François Vallériole (Observationum medicinales…, première édition 1573 ), suivi de ceux de Van Foreest (Observationum et curationum medicinalium…, première édition 1587 ) – deux auteurs qui inscrivirent explicitement leurs écrits dans la tradition des Epidémies hippocratiques – que l’on doit cette évolution très importante des usages sémantiques. A peu près stabilisée au début du XVIIe siècle, la terminologie utilisée par les auteurs permet alors d’identifier sans difficulté deux sous-genres de recueils de particularia, celui des recueils de consilia devenus "consultations" avec le passage au français, et celui, devenu rapidement le plus important quantitativement, des recueils d’"observations" [14].Au XVIIe et au XVIIIe siècle, le sous-genre des recueils de consilia-consultations, épistolaires ou non, donnant des instantanés de l’état des malades, resta toujours peu fréquenté en France. Si l’on excepte les consilia de Baillou , datant des années 1570-90, édités en 1635 (près de 20 ans après la mort de leur auteur), il fallut attendre les années 1740-45 pour voir paraître les ouvrages rapportant les consultations également posthumes de Pierre Chirac et Jean-Baptiste Silva, de Louis-Jean Le Thieullier puis de divers médecins montpelliérains, et ensuite les années 1807-1810 pour voir publiées celles – encore une fois posthumes – de Paul-Joseph Barthez.
Le sous-genre des recueils d’observations – qui ne devinrent "cliniques" qu’en… 1867 – se développa au contraire de manière considérable, particulièrement au XVIIIe siècle où la croissance prit presque une forme exponentielle. Au sein de cette production hétérogène, voire hétéroclite, de collections de cas personnels ou repris dans des ouvrages ou collections antérieurement publiés (la pratique instaurée par Champier fut notamment reprise par Abraham Zacuto, puis par Fabry de Hilden), de cas sélectionnés pour leur rareté (voire leur merveilleux, comme chez Fabry de Hilden ou Schenck) ou pour leur caractère illustratif ou supporteur des théories des auteurs (comme chez Platter mentionné précédemment ou chez Lepois), ou (surtout) pour montrer l’habileté du praticien que les guérisons inespérées étaient supposées révéler (comme chez Cardan, dont la troisième partie de son Methodus medendi , intitulée De admirandis curationibus et predictionibus morborum, présentait une série de cas particulièrement valorisants pour l’auteur), quelques collections présentent un grand intérêt historiographique pour la précision des descriptions symptomatiques et les détails des prises en charge et des réactions qu’elles suscitèrent. En particulier, celles de Baillou (Epidemiorum et ephemeridum, 1640 ), de Rivière (Les observations de médecine, 1688 ), ou encore celle de De Le Boë (une série de 32 cas cliniques suivant le modèle hippocratique des Epidémies, avec une évolution jour par jour, colligés dans les années 1660, et donnée à la fin de ses Opera medica, 1681 ) sont remarquables.
Le genre littéraire des regimina sanitatis ou des régimes de vie avait connu, comme les deux précédents, un développement médiéval important [15]. Initialement écrits pour des destinataires particuliers, princiers ou aristocratiques, sur le modèle épistolaire personnalisé du Secret des secrets pseudo-Aristotélicien, les regimina prirent une autre forme au XIIIe siècle, plus générale et universitaire après l’inscription de l’enseignement de l’hygiène dans le curriculum des étudiants. Ils furent aussi dés lors structurés selon les six choses "non naturelles" ou "nécessaires" – l’air et l’environnement, l’alimentation et la boisson, la sexualité, les exercices et le repos, le sommeil et la veille et les passions de l’esprit (la joie, la tristesse, la peur et la colère) – six choses censées agir de manière synergique ou contradictoire sur le fonctionnement du corps et l’équilibre des humeurs [16]. Les regimina, qui donnaient les règles de choix des "entrées" (aliments et boissons), les règles de l’excrétion des "sorties" (urine, selles, sperme, etc.), les règles du contrôle de l’air et de l’environnement, les règles de l’exercice et du repos du corps et de l’esprit, les règles du sommeil et de la veille et enfin les règles de contrôle des émotions et des passions devinrent, à la fin du Moyen Age, de plus en plus précis et différenciés, considérant des catégories physiologiques ou contextuelles très diverses (âges, complexions, pays, saisons, voyages, etc.). Ils furent également de plus en plus fréquemment transcrits en langues vernaculaires, et destinés à un public lettré élargi, non sans connexion avec le genre de la vulgarisation médicale dont il sera question plus loin.Si le genre des régimes de vie traversa toute l’époque moderne – comme la doctrine des six choses non-naturelles qui en constituait le fondement théorique – il n’en prit pas moins des formes variées, souvent atrophiques, mais révélatrices de nouvelles attitudes de la médecine savante vis-à-vis de l’hygiène [17]. Contrairement à de nombreux domaines de la médecine, où le retour aux textes antiques, notamment grecs, s’accompagna d’un rejet des productions médiévales, l’hygiène ne fut pas, apparemment, agitée de grands soubresauts intellectuels au XVIe siècle. L’hygiène arabe puis salernitaine et "villeneuvienne" avaient en effet été développées dans la continuité de l’hygiène galénique et s’appuyaient toutes sur les "choses non naturelles" – même si Galien n’avait pas utilisé exactement ce terme dans son De sanitate tuenda. De fait, les seules discordances manifestées à la Renaissance virent des lecteurs de Celse, "l’Hippocrate latin" comme il était parfois surnommé [18], dont la fameuse sentence professée en tête du chapitre 1 du Livre 1 de son De re medica – sanus homo et qui bene valet et suae spontis est, nullis obligare se legibus debet : l’homme en bonne santé, qui est à la fois bien portant et maître de sa conduite, ne doit nullement s’astreindre à des règles – était en contradiction totale avec l’hygiène médiévale. Un ouvrage complet fut même consacré à ce livre par Joost Van Lom (Commentaria de Sanitate Tuenda in primum librum de Re medica Aurel. Cornelii Celsi, 1558 , réédité en 1724 et 1745) qui contribua certainement à populariser Celse et ses conceptions plus simples de l’hygiène, qui requéraient seulement la modération et la tempérance en toute chose et faisaient confiance pour le reste à la "nature".
La popularité de ces conceptions, dont on trouve de nombreuses traces dans la littérature médicale des années 1570 à 1630, explique probablement le faible intérêt des auteurs médicaux de cette période pour une question qui ne paraissait plus mériter de longs discours. Hormis Ficin, dont le platonisme astral appliqué à l’hygiène eut une postérité très limitée, peu de grands auteurs de l’époque moderne fréquentèrent en effet le genre, qui semble avoir été abandonné aux profanes éclairés, comme Luigi Cornaro dont le Trattato de la vita sobria (1558) fut traduit en plusieurs langues (en français en 1647) et connut des dizaines d’éditions jusqu’à la fin du XVIIIe siècle [19]… ou aux imprimeurs qui rééditèrent le régime d’Arnaud de Villeneuve jusqu’en 1580 et celui dit de "l’école de Salerne" jusqu’en 1782 ! Ce dernier, ensemble composite de règles comportementales (en majorité alimentaires, avec discussion de nombreux produits) et de remèdes simples contre de petites maladies, rédigé au XIIe siècle sous la forme de petits chapitres versifiés et déjà commenté par Arnaud de Villeneuve, bénéficia même d’une vogue éditoriale sans précédent dans les années 1625-50 avec une édition philologique (latine) du médecin parisien René Moreau (1625, rééditée en 1673 ), une nouvelle traduction de Michel Le Long (1633, rééditée en 1637 , 1643, 1649 et 1660) et une version en vers burlesques de Martin (1650, rééditée en 1657, 1660, 1664 et 1680).Cette vogue éditoriale éclipsa presque les dernières œuvres françaises originales sinon novatrices de Nicolas Abraham de la Framboisière (Le gouvernement nécessaire a chacun pour vivre longuement en santé, 1600, réédité plusieurs fois dans ses Œuvres complètes ), d’André Du Laurens (Discours de la conservation de la veue, des maladies mélancholiques, des catarrhes et de la vieillesse, 1594, réédité en 1597 , 1600, 1606, 1608, 1615, 1620 et 1630) et découragea probablement toute création originale dans le domaine. Les ouvrages de Porchon (Les Règles de la santé, ou le Véritable régime de vivre que l’on doit observer dans la santé et dans la maladie…, 1684 et 1688) et de Pinsonnat (Régime de santé pour se procurer une longue vie et une vieillesse heureuse…, 1686 et 1690 ), qui présentent les règles de vie les plus traditionnelles sous la forme de propos aimables, d’anecdotes et d’historiettes témoignent en effet de la manière presque dilettante d’aborder l’hygiène par les médecins de la fin du grand siècle.
Le déclin intellectuel du genre des régimes de vie s’amplifia encore XVIIIe siècle, où la création française fut extrêmement faible, presque invisible même, au sein d’une production toujours dominée par les ouvrages de Cornaro et de son commentateur Lessius, de l’abbé Armand-Pierre Jacquin (De la Santé, ouvrage utile à tout le monde... au moins quatre éditions entre 1762 et 1771), du régime de l’Ecole de Salerne , encore plusieurs fois réédité, et de l’ouvrage de George Cheyne (Essai sur la santé et sur les moyens de prolonger la vie, traduit de l’anglais en 1725 et plusieurs fois réédité), qui était toujours structuré par les six choses (abordées dans l’ordre suivant : l’air, l’alimentation et la boisson, le sommeil et les veilles, l’exercice et le repos, les évacuations et les obstructions, les passions) mais ne comportait plus aucune allusion à la sexualité.
Avant l’essor d’une discipline pharmaceutique autonome à la fin du XVIIIe siècle, sur le modèle de la chirurgie, avec des professionnels spécialisés et un savoir propre, l’apothicairerie était sous tutelle intellectuelle sinon organisationnelle de la médecine universitaire, qui dispensait seule des enseignements de pharmacie [20]. Les médecins (et les chirurgiens), qui rédigeaient des ordonnances de préparations que l’on qualifie aujourd’hui de magistrales, se devaient par ailleurs d’avoir des connaissances approfondies sur la manière de préparer les médicaments. Ces connaissances étaient présentées dans des livres de recettes qualifiés d’"antidotaires" puis de "pharmacopées" au milieu du XVIe siècle. Ces ouvrages de référence, éminemment pratiques, étaient rédigés par des médecins ou des collèges de médecins, et avaient valeur normative pour les apothicaires qui devaient se conformer aux indications qu’elles renfermaient.La principale pharmacopée médiévale, l’antidotaire de Nicolas de Salerne (XIIe siècle), un ensemble de 140 recettes classées par ordre alphabétique avec les indications résumées de leur utilisation [21], fut imprimée dès 1471 et souvent rééditée dans les décennies suivantes avec divers commentaires (de Platearius, de Jean de Saint-Amand…) et surtout avec l’antidotaire du pseudo-Mesué (XIIe siècle) dit "Grabadin" qui présentait quant à lui les recettes par type de composition, donnée par voie interne puis externe (12 chapitres consacrés successivement aux électuaires, opiates, solutions, confections, loochs, sirops, décoctions, trochisques, pilules, poudres, emplâtres et huiles). Les Canons du même pseudo-Mesué, consacrés aux médecines évacuatives ou dissolvantes, complétaient parfois ces ouvrages composites qui furent imprimés jusque dans les années 1520 (ensuite seuls le Grabadin et les canons du pseudo-Mésué furent encore imprimés).
Le genre des pharmacopées ne tarda pas en effet à être illustré à l’époque moderne, et de nombreux médecins du XVIe siècle lui consacrèrent même des efforts importants, à commencer par le médecin de Ferrare Antonio Musa Brasavola, qui élabora une œuvre pharmaceutique considérable, publiée dès les années 1530 (De medicamentis tam simplicibus, quam compositis catharticis… ; et la série des Examen omnium catapotiorum, vel pilularum...; electuariorum, pulverum, et confectionum..., loch.., simplicium medicamentorum..., trochiscorum, vnguentorum, ceratorum, emplastrorum cataplasmatumque, et collyriorum, quorum apud Ferrarienses pharmacopolas usus est ) et Jacques Dubois qui commenta les Canons du pseudo-Mesué (Ioannis Mesuae Damasceni de re medica libri tres, 1561) mais fut surtout le premier à afficher le terme grec de pharmacopée pour désigner les connaissances nécessaires à la fois au médecin et à l’apothicaire (Pharmacopea, his, qui artem medicam, et pharmacopeam tractant exercentque, maxime necessarii 1548). Cet ouvrage, traduit en français en 1574 et plusieurs fois réédité jusqu’en 1625 , proposait une synthèse d’une grande clarté considérant à la fois l’ensemble des "simples" utilisables et leur préparation (racines, herbes, fleurs, semences, fruits, bois, écorces, sucs, liqueurs, résines, gommes, métalliques et terrestres et animaux), c’est-à-dire ce que l’on appelait la "matière médicale" et dont le De materia medica de Dioscoride représentait alors le modèle maintes fois édité et commenté depuis 1478, et l’ensemble des "composés" répartis en remèdes à usage interne (confits, sirops, élegmes (ou loochs), apozèmes, électuaires, pilules, trochisques, poudres) et remèdes à usage externe (huiles, onguents, cérats et emplâtres) [22]. L’ordre de présentation des composés adopté par Dubois, qui était assez peu différent de celui du Grabadin, fut repris par Laurent Joubert, dans sa Pharmacopée (1579, rééditée en 1581 et 1588 ) qui sépara toutefois les remèdes (composés) internes en "préparatifs" (sirops, conserves), "évacuatifs" (électuaires, pilules, élègmes) et "fortifiants" (opiates, poudres, tablettes, trochisques), puis par Brice Bauderon (dont la Pharmacopée de 1595 fut réédité de très nombreuses fois jusqu’en 1681). La persistance de cette catégorisation, très similaire à celle du Grabadin, reflète la longue influence du pseudo-Mesué à l’époque moderne, influence qui s’exerça aussi – par exemple – de manière très directe sur les Œuvres pharmaceutiques de François Ranchin (1624, rééditées en 1628 et 1637) qui étaient "dictées aux compagnons pharmaciens" et incluaient notamment "un docte commentaire sur les quatre théorèmes et canons de Mesue" dont le texte était présenté en latin, en français, puis commenté, ainsi qu’un "traité des simples médicaments purgatifs suivant Mesué".
De fait, il fallut attendre 1676 et la publication la Pharmacopée royale galénique et chimique de Moyse Charas pour qu’une rupture formelle dans la structuration, comme dans le contenu des pharmacopées intervînt [23]. Dans cet ouvrage (réédité en 1682, 1691 et 1753, mis en latin en 1684), l’"apothicaire du Jardin du Roi" protégé par l’archiatre Antoine d’Aquin, devenu ensuite "médecin-chimiste du Roi d’Angleterre", rompit tous les codes des pharmacopées antérieures (jusqu’au titre, inédit mais qui n’est pas sans évoquer La royalle chymie, titre de la traduction française de la Basilica chymica d’Oswald Croll en 1624 ) pour réunir d’une part la "pharmacie des anciens qui est appelée Galénique" et d’autre part la "pharmacie chymique des modernes" qui venait de remporter des succès décisifs [24] et entrait dans sa phase d’assimilation. Après une première partie présentant les divers modes de préparation des remèdes, beaucoup plus nombreux que chez Dubois, Charas présentait, dans le tome 1, les "préparations galéniques" internes (infusions et décoctions, juleps et apozèmes, émulsions, potions et bols, masticatoires, injections, clystères et suppositoires, vins et vinaigres, robs, confections, gelées, conserves, sirops, miels, loochs, tablettes, poudres, opiates et électuaires, trochisques, pilules) puis externes (huiles, baumes, onguents et cérats, emplâtres, cataplasmes, fomentations et bains, épithèmes, écussons, parfums, frontaux, lotions et collyres), puis dans le tome 2, les "préparations chimiques" des végétaux (distillations, teintures, élixirs, extraits, sels), des animaux (crâne, sang et urine humaine, vipère, corne de cerf, crapaud, etc.) et enfin des minéraux et des métaux (pierres, corail, perle, eaux fortes, alun, vitriol, soufre, arsenic, or, argent, fer, mercure, antimoine, etc.) avant de conclure par une collection de "remèdes particuliers tirés de plusieurs auteurs célèbres" (de d’Aquin, surtout). La Pharmacopée universelle du chimiste cartésien Nicolas Lémery [25], publiée en 1697 (rééditée en 1716, 1729, 1734, 1738 et 1764 ), accompagnée du Dictionnaire ou traité universel des drogues simples , ouvrage dépendant de la ″Pharmacopée universelle″ (1698, réédité en 1714, 1727, 1733, 1759) paracheva la synthèse "œcuménique" engagée par Charas et consacra la fusion des deux traditions dans un ensemble unique en deux parties : la Pharmacopée, dont la structuration en trois parties (préparation des matières, compositions internes, compositions externes) permit d’intégrer les matières et les remèdes issus de la chimie dans les catégories traditionnelles, à l’exemple d’un "vin émétique" antimonial, d’une poudre diatartar au tartre vitriolique, d’un trochisque au plomb, d’une pilule au mercure ou d’un emplâtre magnétique ou de sang humain ; et le Dictionnaire, qui présentait sur le même plan toutes les matières végétales, animales, minérales et métalliques et faisait suivre l’aloès par l’antimoine et le crâne humain par le crocus (tout en renouant par ailleurs avec l’ordre alphabétique qui n’avait plus été utilisé depuis l’antidotaire de Nicolas).
Si l’on définit un genre littéraire à l’exemple des quatre formes précédemment considérées – par une série d’ouvrages présentant une ressemblance de titre, de structuration et de contenu, et traitant d’une ou plusieurs composantes de la pratique (diagnostic, pronostic, traitement, prévention) – il faut admettre qu’aucun genre autre que celui des Thérapeutiques ne se développa dans le champ de la pratique médicale pendant l’époque moderne. Mais si la production littéraire médicale de ce champ ne prit pas d’autre forme nouvelle du XVIe au XVIIIe siècle, elle n’en fut pas moins active dans le domaine de la sémiologie, du diagnostic et du pronostic, où se développèrent les ferments d’approches originales qui n’aboutirent à la formation d’un genre, en France, qu’au XIXe siècle (il apparut un peu plus tôt dans le monde germanique). La production littéraire fut aussi active aux marges du champ de la pratique médicale : d’une part, à la frontière de la pratique avec la théorie où doivent être situées certaines œuvres transgressives de Fernel, de Van Lom ou de Sydenham, qui ne furent pas immédiatement suivies de l’émergence d’un genre littéraire – celui de la "pathologie" ne se développa qu’au XIXe siècle, bien après celui de la "nosologie" qui s’épanouit fugacement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ; et d’autre part dans le champ de la vulgarisation médicale où des médecins, transgresseurs à leur manière – ici, des codes de leur profession – concoururent à créer de nouvelles formes littéraires de vulgarisation, comme la "médecine des pauvres", la "médecine charitable" ou la "médecine domestique".
Pour la sémiologie, le diagnostic et le pronostic, le genre-type de la sémiologie médicale ne se constitua en France que dans les premières décennies du XIXe siècle, après la publication des ouvrages de Broussonnet (en 1797) et surtout de Double (en 1811) et de Landré-Beauvais (en 1813). Il est d’ailleurs possible que la Révolution ait retardé d’une ou deux décennies l’épanouissement d’un genre attesté en Allemagne dès la fin des années 1750. Sans entrer dans les détails de l’histoire – difficile et peu fréquentée – du diagnostic et de la sémiologie médicale, on rappellera néanmoins schématiquement que la conceptualisation (actuelle) du diagnostic comme la reconnaissance de la (ou les) maladie(s) affectant le malade se développa dans le sillage de la conceptualisation ontologique de la maladie, considérant les maladies comme des entités indépendantes du malade, qui (re)devint prépondérante en Europe à la fin du XVIIe siècle [26]. Jusque là avait prévalu une conception principalement dynamique de la maladie, dite aussi idiosyncratique, ne considérant pas la maladie en tant que telle, mais la maladie chez le malade, et attachant une grande importance à l’analyse de la rupture d’équilibre ayant déterminé les troubles, avec la considération de l’état pathologique (présent) des sujets, de leur état d’équilibre (antérieur), et des causes ayant concouru à cette rupture. Pour le médecin, il fallait connaître plutôt que reconnaître (diagnostiquer) la maladie, grâce à une évaluation multidimensionnelle visant à établir "ce qui n’allait pas" mais aussi à déterminer comment l’équilibre pouvait être rétabli, habituellement par une action sur les contraires des causes ayant conduit à l’état pathologique. Cette analyse multi-dimensionelle ou multi-axiale des malades nécessitait le recours à des raisonnements et à des sémiologies spécifiques, qui furent l’objet de discussions au XVIe siècle.Un intérêt nouveau pour la sémiologie médicale se manifesta en effet au XVIe siècle. Parmi diverses raisons évoquées [27], la relecture humaniste de plusieurs textes galéniques fut vraisemblablement déterminante. Les quatre traités de la Différence des maladies, Causes des maladies, Différence des symptômes, et Causes des symptômes, celui Des lieux affectés ainsi que le Methodus medendi et la Méthode thérapeutique à Glaucon révélèrent en effet des conceptions galéniques du diagnostic beaucoup plus complexes – certains historiens ont même dit contradictoires – que celle qui était véhiculée par la vulgate de l’Ars medica [28], qui constituait le principal héritage médiéval en la matière [29]. Au milieu du XVIe siècle, des auteurs comme Argentorio en Italie, Dubois, Fernel et Rondelet en France relevèrent le défi posé par la non-congruence des textes galéniques (entre eux, mais aussi avec ceux d’Arétée de Cappadoce et de Celse qui avaient été "redécouverts") et ouvrirent la voie à de nouvelles approches du diagnostic et de la sémiologie, parfois dans le cadre d’une réflexion plus large sur la notion de "pathologie" elle-même (pour Argentorio et surtout pour Fernel, comme on le reverra plus loin). Si ces nouvelles approches étaient probablement plus consistantes que celle de Galien, elles ne convergeaient pourtant pas suffisamment pour créer les conditions d’une normalisation théorique minimale nécessaire, à notre avis, à l’émergence de genres littéraires : pour la sémiologie, le diagnostic et le pronostic, il y eut bien des œuvres mais pas encore de genre à l’époque moderne.
Jacques Dubois fut (encore) le premier, en 1539, à tenter une synthèse accessible de la sémiologie galénique. Dans son Methodus sex librorum Galeni in differentiis et causis morborum et symptomatum in tabellas sex ordine… suivi du De signis omnibus medicis hoc est, salubribus, insalubribus, et neutris, commentarius omnino necessarius medico futuro (réédité en 1548 et 1561), il construisit, à destination des étudiants, des "tables de divisions" (sous forme d’arbres de Porphyre) présentant toutes les "différences" (sortes) de maladies et de leurs causes, ainsi que des différences et causes des symptômes, à partir des traités De differentiis et causis morborum et symptomatum, puis des tables de tous les signes de santé, d’état neutre et de maladie, à partir cette fois des traités de l’Ars medica (principalement), des Tempéraments, des Lieux affectés, du Pouls et du Commentaire au Pronostic hippocratique. Il est à noter que Dubois ne donna qu’une place très restreinte au traité des Lieux affectés et ne mentionna pas la méthode localisatrice des troubles énoncée au chapitre 5 du Livre 1, contrairement à Argentorio (dans son De morbis de 1558, popularisé en France par Le Thielleux [Methodus dignoscendorum morborum, primum quidem tradita ab Argenterio, deinceps autem exemplis multis ex veteribus medicis et recentioribus desumptis adducta, 1581 ]) et surtout à Fernel (Pathologia, 1554 ) qui donnèrent à cette méthode un rôle essentiel pour la connaissance de la maladie touchant le malade.La clarté et la simplicité relative de la présentation fernelienne [30] assura vraisemblablement sa popularité en France, où elle fut reprise par beaucoup d’auteurs de la seconde moitié du XVIe et du début du XVIIe siècle, comme Jacques Aubert (sG meiW tikH sive Ratio dignoscendarum sedium male affectarum et affectuum praeter naturam 1587, réédité en 1596) ou Nicolas Abraham de La Framboisière ("Pour discerner les maladies", Loi I des Loix de medecine de 1608, réédité de multiples fois dans les Œuvres ). Elle contribua probablement aussi à éclipser les approches de Dubois, d’Argentorio/Le Thielleux, de Rondelet dont le De dignoscendis morbis associé à la Methodus curandorum omnium morborum corporis humani… (1573) proposait une intéressante méthode "facile omnes morbos cognoscendos optimo ordine descripta" recourant également aux arbres de Porphyre [31], ou encore de Du Port (De Signis morborum libri quatuor 1584, rédigé en vers, avec des gloses de bas de page à destination probable des étudiants). Si l’on excepte le très galénique Simiotice, sive de signis medicis tractatus de Thomas Feyens (1663, réédité en1664) [32], la production des XVIIe et XVIIIe siècles en matière de sémiologie, de diagnostic et de pronostic fut extrêmement réduite, et principalement consacrée à la question des crises et à l’étude du pouls et des urines [33]. Pour ces trois sujets qui faisaient l’objet de littératures spécifiques depuis l’Antiquité, sur lesquelles on n’insistera pas longuement ici [34], la production de l’époque moderne ne comporta aucune œuvre vraiment importante, hormis peut-être la Dissertation sur les urines de Thomas Willis (1670, pour la traduction française 1683) qui incorporait les nouveautés de l’analyse chimique des sels obtenus après évaporation et distillation de l’urine, et les Recherches sur le pouls, par rapport aux crises de Théophile de Bordeu (1756, réédité en 1768 et 1779).
Malgré le grand succès de la Medicina et les nombreuses éditions séparées, latines et françaises, de ses composantes au XVIIe siècle (la physiologie, la pathologie, la thérapeutique), la séparation de la pathologie et de la thérapeutique opérée par Fernel ne fut pas suivie de l’émergence d’un genre littéraire symétrique de celui des "thérapeutiques" qui se développa, comme on l’a vu, à la fin du XVIe siècle, et il fallut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour voir fleurir les "pathologies médicales". Les dynamiques propres des savoirs étiologique, physiopathologique et sémiologique d’une part et des savoirs thérapeutiques d’autre part, sous-tendus par les intérêts différentiels des médecins – et des sociétés dans lesquelles ils vivaient – pour ces parties de la médecine, dont Fernel avait peut-être eu l’intuition, ne plaidaient évidemment pas en faveur du développement rapide du genre des "pathologies". En regroupant l’étiologie et la sémiologie qui étaient séparées dans les catégorisations traditionnelles, pour créer la "pathologie" ou "discours des maladies", considérant "leurs genres et […] differences, leurs causes et par quels signes on les peut discerner", au cœur de la partie théorique de la médecine, Fernel fut aussi probablement trop novateur – ou plutôt trop transgresseur – pour faire rapidement école, même s’il renouait avec une tradition qui avait déjà été illustrée dans l’Antiquité par Arétée de Cappadoce [35]. La prégnance de la conception dynamique de la maladie s’opposait encore trop fortement au développement d’une science des maladies fondée sur les espèces et leur distinction [36]. De fait, très rares furent les auteurs à suivre Fernel dans son usage du terme pathologie avant le XVIIIe siècle comme le fit Jean Riolan (père) qui définit la pathologie comme la "science des choses contre nature" et structura ses Universae medicae compendia (1598, réédité en 1606, 1610, 1618, 1626 et 1638) en trois livres de physiologie, d’hygiène et de pathologie.L’œuvre principale de Joost Van Lom (Lommius), Medicinalium observationum libri tres, quibus notae morborum omnium et quae de his possint haberi praesagia judiciaque roponuntur (1560, réédité plus de 30 fois –la plupart au XVIIIe siècle– et traduit en français en 1712 sous le titre Tableau des maladies où l’on découvre leurs signes et leurs événemens , réédité en 1716, 1759, 1760, 1762, 1765 et 1792) était encore plus transgressive que celle de Fernel [37]. Elle comprenait une première partie consacrée à la "reconnaissance" (Van Lom utilisa le verbe "animadvertere") des maladies générales (essentiellement les fièvres), une deuxième consacrée à la reconnaissance des maladies spécifiques des parties du corps (classées de la tête au pied, puis par processus pathologique : inflammation, gangrène, érysipèle, etc.), et une troisième aux signes pronostiques. Van Lom, qui considérait que l’identification du genre de la maladie était le préalable nécessaire à sa prise en charge correcte [38], n’aborda pas les aspects thérapeutiques mais aussi très peu (à la différence de Fernel) les aspects étiologiques des maladies, ce qui rendait son ouvrage très atypique [39], comme d’ailleurs l’usage de l’expression "medicinalium observationum" dans le titre. Ce n’est certainement pas le fait du hasard si un titre très similaire, Observationes medicae, fut choisi par Sydenham plus d’un siècle plus tard pour un ouvrage tout aussi atypique et transgressif, mais revendiquant cette fois ouvertement une conception ontologique des maladies, dont il voulait donner l’"histoire" à l’exemple des botanistes [40]. Sydenham, qui fondait avec cet ouvrage les bases de la nosologie médicale (comme le mentionna explicitement Boissier de Sauvages dans le titre de son œuvre : Nosologia methodica, sistens morborum classes, genera et species juxta Sydenhami mentem et botanicorum ordinem ), insista sur l’importance de celle-ci pour la pratique médicale, et relia à nouveau étroitement science (des maladies) et pratique.
Quant au genre littéraire des "nosologies" qui se développa après la double publication en 1763 des Genera morborum de Linné et de la Nosologia methodica de Boissier de Sauvages (dont une version française remaniée parut en 1772 ), suivie de celle de William Cullen (Apparatus ad nosologiam methodicam, 1775) et de Pinel (Nosographie philosophique, 1797), il se prolongea jusqu’au milieu du XIXe siècle [41] où il fut progressivement remplacé par des "pathologies" au contenu très similaire (présentant en effet le signes, le diagnostic et pronostic des maladies, les indications thérapeutiques schématiques –elles figuraient déjà dans la nosologie de Boissier de Sauvages, et aussi des considérations étiologiques et physiopathologiques– qui étaient présentes dans celle de Pinel).
Des livres de vulgarisation médicale avaient été écrits dès l’Antiquité, où un auteur comme Celse, qui n’était pas médecin, avait rédigé son De re medica au Ier siècle pour un large public et dans la perspective de donner aux lecteurs la possibilité de se soigner eux-mêmes. Au Moyen Age, outre les régimes de vie déjà mentionnés, beaucoup de livres manuscrits comportant des recettes contre des maux courants avaient également circulé [42]. L’imprimerie permit toutefois une diffusion beaucoup plus importante de la littérature de vulgarisation médicale, qui devint accessible à des couches lettrées de la population de plus en plus larges avec le temps.Pendant l’époque moderne, de nombreux médecins contribuèrent au développement et au renouvellement de cette littérature. La vulgarisation pouvait en effet être considérée comme une activité prolongeant la pratique, relevant de la charité ou simplement de l’utilité à son prochain, surtout quand il s’agissait de prescriptions relativement standardisées comme les régimes de vie ou les traitements de petites maladies, qui étaient d’ailleurs souvent prises en charge dans le cercle familial ou communautaire sans recourir aux professionnels. D’autres médecins eurent une attitude plus réservée, ou même franchement négative vis-à-vis de la divulgation d’un savoir professionnel (qu’il fallait défendre) et du risque de mauvaise utilisation de ce savoir, qui pouvait être préjudiciable à la santé [43].
En matière de vulgarisation aussi, c’est d’abord le vieux fonds médiéval qui a recirculé grâce à l’imprimerie, et cela jusqu’à la fin du XVIe siècle, voire même au début du XVIIe siècle, et des ouvrages vieux cette fois-ci de plus de trois siècles comme le Trésor des Pauvres dans ses différentes versions, attribuées à Arnaud de Villeneuve et à Petrus Hispanus (devenu le pape Jean XXI) furent alors largement diffusés. Ces ouvrages contenaient essentiellement des collections de recettes (remèdes divers et préparations de vins, liqueurs, baumes, etc.) pour les principales maladies et disgrâces (comme la calvitie) qui étaient ordonnées a capite ad calcem mais dont les signes et l’évolution étaient habituellement peu ou pas détaillées (à la différence des Practicae). Quelques notions succinctes de physiologie (les quatre humeurs, les tempéraments, les six choses non naturelles) et des indications diététiques sommaires introduisaient habituellement ces ouvrages, dont certains pouvaient traiter aussi de sujets non médicaux.Au milieu du XVIe siècle, des œuvres nouvelles rajeunirent un peu, sans la transformer vraiment, la littérature de vulgarisation. Les "best-sellers" des médecins parisiens Charles Estienne et Jean Liebault, l’Agriculture et maison rustique (de 1564, réédité de nombreuses fois jusqu’en 1689) et le Thresor universel des pauvres et des riches ou Recueil de remèdes faciles, pour toute sorte de maladies qui surviennent au corps humain, depuis la plante des pieds, jusqu’au sommet de la teste, tant intérieures qu’extérieures (de 1577, réédité jusqu’en 1651) sont tout à fait exemplaires de la continuité des titres et du contenu de ces ouvrages de vulgarisation qui furent caractérisés, pendant toute l’époque moderne – et encore au XIXe siècle – par de longues collections de recettes pour des maux et infirmités toujours peu ou pas décrites et ordonnés a capite ad calcem, éventuellement précédées de développements physiologiques et diététiques sommaires, et associées à d’autres sujets, principalement agricoles ou vétérinaires, et surtout par de nombreuses rééditions s’étalant sur des décennies avant l’inclusion pour certains titres dans la bibliothèque bleue. Au sein de cette production de masse souvent indiscernable de celle produite au même moment par les profanes éclairés (comme Madame Fouquet, Dom Nicolas Alexandre…) [44], on peut néanmoins distinguer les œuvres de quelques personnalités médicales qui firent date par leur succès, et dont certaines influencèrent durablement la production postérieure – en l’occurrence surtout le titre qui représenta probablement le caractère le plus variable de cette littérature.
C’est d’abord le cas du Médecin Charitable du médecin parisien Philibert Guybert en 1623, suivi de l’Apothicaire charitable en 1625 , publiés dans un contexte de conflit entre les médecins et les apothicaires parisiens et qui incitaient le public à se passer des apothicaires. Les œuvres de Guybert connurent près de 60 éditions jusqu’en 1678 (et des traductions latine et anglaise [45]) et lancèrent la vogue des œuvres dites "charitables" qui furent ensuite illustrées par des auteurs très divers, de la très dévote Marie de Maupeou, mère du surintendant Fouquet (Les remèdes charitables…, 1678, réédités jusqu’au milieu du XIXe siècle !) au médecin protestant Constant de Rebecque (auteur d’un Médecin…, Apothicaire…, Chirurgien françois charitable… parus en 1683).C’est aussi le cas Traité des maladies les plus fréquentes de Jean-Adrien Helvetius (1703, rééditées de nombreuses fois jusqu’en 1786); de La médecine…, la chirurgie…, la pharmacie des pauvres du très janséniste médecin parisien Philippe Hecquet (publiées en 1740 et rééditées jusqu’en 1839) qui reprit pour une des dernières fois l’ancienne terminologie mentionnant "les pauvres" dans le titre de son ouvrage ; et enfin les deux immenses succès que furent l’Avis au peuple sur sa santé ou traité des maladies les plus fréquentes de Samuel-Auguste Tissot (1761, dix-huit éditions jusqu’en 1797 et qui fut utilisé comme manuel à l’école pendant la Révolution ; il fut suivi en 1767 d’un Avis aux gens de lettres et personnes sédentaires sur leur santé, comportant essentiellement des mesures hygiéniques); et la Médecine domestique en 5 volumes (!) de William Buchan (1769, traduit en français en 1775 et réédité de multiples fois jusqu’en 1875) [46] au contenu hygiénique beaucoup plus détaillé et qui fut très souvent imité au XIXe siècle.
En conclusion, on peut d’abord affirmer que le concept de genre littéraire peut être fructueusement appliqué à la production médicale pratique imprimée de l’époque moderne : les genres rendent bien compte de la standardisation de certains aspects de cette production, ainsi que de ses variations, et permettent d’identifier à leurs marges à la fois les œuvres transgressives –dont certaines furent à l’origine de nouveaux genres– et les domaines sans genre constitué, c’est-à-dire sans convergence minimale de la production. Malgré une certaine inertie explicable par la stabilité de la pratique médicale et de ses composantes, et par les besoins de formation des étudiants et des futurs praticiens qui n’ont pas connu d’évolutions importantes au cours de la période moderne, de nouveaux genres sont néanmoins apparus, et des genres constitués se sont significativement transformés.Le genre de la "pratique médicale" a fait preuve d’une grande résistance. Malgré la scission et l’autonomisation d’un genre exclusivement thérapeutique – à la suite des lectures du Methodus medendi de Galien par les médecins de la Renaissance – et une éclipse de plus d’un siècle, le genre de la pratique était à nouveau illustré à la fin de la période (et le resta ensuite) – avec des modifications de forme finalement mineures, comme l’abandon de l’ordre a capite ad calcem au profit de catégorisations reflétant le savoir nosologique du moment. Le genre des recueils de particularia, initialement constitués de conseils ou consultations épistolaires se développa de manière très importante à l’époque moderne, notamment grâce aux recueils d’histoires ou de cas, qualifiés d’"observations" dès la fin du XVIe siècle. Il fut, comme le genre des pratiques, illustré par de nombreuses personnalités médicales de la période. Les pharmacopées, qui intégrèrent les remèdes chimiques au début du XVIIIe siècle après quelques décennies un peu agitées, et les régimes de vie traversèrent quant à eux la période sans transformation formelle importante. Malgré le désintérêt croissant de l’élite médicale vis-à-vis des régimes de vie, la résistance de ce genre à l’époque moderne apparaît comme très significative. La persistance d’un consensus minimal sur la théorie des six choses non naturelles pendant toute la période permit en effet la survie du genre, quoique maigrement alimenté par des personnalités de second plan. La situation inverse fut observée pour la sémiologie où aucun genre n’apparut, probablement en raison de l’absence de prééminence, à l’issue de la Renaissance médicale, d’une seule conceptualisation du diagnostic. Celle-ci ne pouvait alors être que galénique (ou principalement galénique) et les adaptations qui en furent faites (par Dubois, Argentorio ou Fernel) ne furent pas suffisamment convergentes pour créer les conditions de l’émergence d’un genre, alors que se popularisait par ailleurs la conceptualisation ontologique de la maladie. C’est le triomphe de cette conceptualisation au décours du XVIIIe siècle qui permit au siècle suivant le développement d’un genre des sémiologies, puis d’un genre des pathologies après l’épuisement rapide du genre des nosologies (et l’assimilation de l’anatomie pathologique). Davantage encore en marge de la pratique médicale stricto sensu, le genre de la vulgarisation a connu quant à lui un essor sans équivalent, tout en présentant le paradoxe d’allier une grande inertie de contenu et de structuration et une grande volatilité des titres. C’est d’ailleurs au sein du genre de la vulgarisation médicale que se produisirent des phénomènes de constitution de variétés très proches de ceux observés habituellement en littérature : des "œuvres phares" à grand succès suscitèrent un engouement immédiat et de nombreuses imitations – ici de titre – de qualité très variable.
Cette étude a aussi permis de constater une nouvelle fois l’influence des œuvres de Fernel, tant pour ses consilia – genre traditionnel – que pour ses œuvres transgressives (Pathologie et Thérapeutique), de Jacques Dubois – beaucoup plus "galéniste" que Fernel – et aussi de Rondelet, de Joubert, de Valleriole, de Lommius, de Rivière, et évidemment de Sydenham. Elle a encore permis de rappeler quels "best sellers" furent le régime de Salerne, la Pathologie, la Thérapeutique et les consilia de Fernel, la Pharmacopée de Lemery et le Tableau des maladies de Van Lom. Cette étude des genres littéraires a enfin permis de confirmer à nouveau l’importance de la période 1530-1550 qui marqua le début de la Renaissance médicale en France, et qui conduisit à un renouvellement important des œuvres dans presque tous les genres de la pratique dès les années 1570-1580. Les décennies qui suivirent furent certes moins animées, mais pourtant pas figées, avec la persistance d’une création française, peut-être d’ailleurs davantage montpelliéraine que parisienne, et aussi la pénétration après leur traduction rapide des œuvres des médecins hollandais, anglais puis allemands (plus qu’italiens au XVIIe et XVIIIe siècles) dans le domaine de la pratique.L’auteur remercie Danielle Jacquart pour ses commentaires et suggestions sur ce texte.
1 Après une période où le "tout structurel" l’avait un peu éclipsé, le concept de genre littéraire est actuellement réhabilité dans les études littéraires. 2 Des dernières années du XIXe à celles du XXe siècle, schématiquement de Brunetière à Schaeffer, en passant par Jolles, Jauss, Genette et Todorov, les approches méthodologiques des genres et formes littéraires ont été nombreuses et diverses. Pour une synthèse aisément accessible, voir Antoine Compagnon, http://www.fabula.org/compagnon/genre.php 3 Sur la pensée médicale pendant cette période, voir M.D. Grmek. (dir.) Histoire de la pensée médicale en Occident. 2. De la Renaissance aux Lumières. Paris, Seuil, 1997. 4 La question des genres littéraires a également préoccupé des générations de bibliothécaires, confrontés au classement des livres. L’indexation des ouvrages relevant des "sciences médicales" de la BNF, réalisée à la fin de la décennie 1850, reflète une importante réflexion sur la question des genres médicaux comme on le constatera tout au long de cette étude. 5 Sur cette démarcation et les débats qui ont suivi, voir notamment N. Palmieri "La théorie de la médecine des Alexandrins aux Arabes", in D. Jacquart (dir.), Les voies de la science grecque, Genève, Droz, 1997, p. 33-133, et D. Jacquart, La médecine médiévale dans le cadre parisien, XIVe-XVe siècle. Paris, Fayard, 1998, p 416-32. 6 Voir notamment D. Jacquart "La scolastique médicale", In M.D. Grmek (dir.) Histoire de la pensée médicale en Occident. 1. Antiquité et Moyen Age. Paris, Seuil, 1995, p. 202 sq. 7 L’histoire compliquée de ce texte posthume issu des leçons de pratique de Jean Duret sur les textes d’Houiller données aux écoliers parisiens, a été retracée par I.M. Lonie, "The "Paris Hippocratics": teaching and research in Paris in the second half of the sixteenth century", In A. Wear, R. French, I.M. Lonie (Eds.), The medical Renaissance of the Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 155-174. 8 Sur l’influence du Methodo medendi de Galien, voir J. Bylebyl, "Teaching methodus medendi in the Renaissance", In F. Kudlien, R.J. Durling (Ed), Galen’s method of healing, Leiden, Bryll, 1991 et A. Wear, "Explorations in Renaissance writings on the practice of medecine", In A. Wear, R. French, I.M. Lonie (Eds.), The medical Renaissance…, p. 118-145. 9 Cette contestation du genre de la Pratique au XVIe siècle s’est traduite par des flottements dans les catégorisations des bibliothécaires de la Bibliothèque Impériale : si les éditions imprimées des practicae médiévales ont toutes été classées en TD29, et les "pratiques" des auteurs postérieurs au XVIe siècle généralement regroupées sous la cote TD30, les ouvrages s’affichant comme "methodus medendi" dont certains n’étaient pas différentiables des practicae en termes de contenu se sont retrouvées en partie en TD30, mais aussi en TD4, TE6 et TE17… 10 L’ouvrage comportait en effet 1472 aphorismes ou sentences qui structuraient l’ouvrage en autant de paragraphes. Boerhaave affectionnait tout particulièrement la forme aphoristique, qu’il avait aussi utilisée dans ses célèbres Institutiones medicae in usus annuae exercitationis domesticos de 1710 (traduites en français en 1740) qui comportaient 1260 sentences. 11 La Médecine pratique de Sydenham avec des notes, "traduit de l’anglais" par Jault (1774) reprend en fait les Observationes medica publiées à Londres en 1676, dont le contenu (discuté plus loin) ne correspond en rien au titre donné par Jault et son éditeur. 12 Sur l’histoire des consilia médiévaux, voir J. Agrimi, C. Crisciani, Les consilia médicaux, Turnhout, Brepols, 1994. 13 Plusieurs déterminants de ce phénomène, qui a frappé les historiens de la médecine, ont été évoqués, incluant notamment l’attrait de la Renaissance pour le rare et le merveilleux, la redécouverte du modèle hippocratique des Epidémies (imprimées pour la première fois en 1515), le renouveau de l’empirisme et ou plus largement une évolution épistémologique donnant davantage d’importance aux sens et à l’observation dans la connaissance. Sur cette question très importante, voir notamment N.G. Siraisi, The clock and the mirror: Girolamo Cardano and Renaissance medicine, Princeton, Princeton University Press, 1997 et G. Pomata, "Praxis historialis : the uses of historia in early modern medicine" In G. Pomata, N.G. Siraisi (dir.), Historia : empiricism and erudition in early modern Europe, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 105-46. 14 Comme pour le genre des pratiques, cette évolution du genre des recueils de cas s’est traduite par des hésitations et des flottements dans les catégorisations des bibliothécaires de la Bibliothèque Impériale : alors que les recueils de consilia puis de consultations ont été pour la plupart classés en TD34, les premiers recueils de cas (Amatus, Valleriole) ont été classés en TD5. Ensuite, les deux catégories ont accueilli indifféremment l’un et l’autre type d’ouvrage. 15 La référence principale sur ce sujet est M. Nicoud, Aux origines d’une médecine préventive : les traités de diététique en Italie et en France (XIIIe-XVe siècles), Bibliothèque des Écoles françaises d'Athènes et de Rome, Rome, École française de Rome, 2007. 16 Sur la doctrine des six choses, élaborée par la médecine alexandrine et développée par la médecine arabe, voir N.G. Siraisi, Medieval and early Renaissance medicine, p. 101, M. Nicoud, Aux origines d’une médecine préventive… et N. Palmieri, "La théorie de la médecine des Alexandrins aux Arabes…", op. cit. 17 Les bibliothécaires de la Bibliothèque Impériale chargés de l’indexation des ouvrages de diététique et des régimes de vie optèrent curieusement pour un classement chronologique : la cote TC8 comprend essentiellement des titres postérieurs à 1772, TC9 comprend les ouvrages antiques de Galien (De sanitate tuenda), de Celse et de Plutarque, TC10 comprend les ouvrages médiévaux (notamment de l’Ecole de Salerne et d’Arnaud de Villeneuve), TC11 les ouvrages de l’époque moderne et du XIXe siècle… 18 Sur Celse, auteur latin du Ier siècle, sa "redécouverte" et sa fortune à l’époque moderne, voir notamment Pedro Conde Parrado, Hipócrates latino : el De medicina de Cornelio Celso en el Renacimiento, Valladolid, Secretariado de Publicaciones de la Universidad de Valladolid, 2003. 19 L’ouvrage de Cornaro a bénéficié en 1991 d’une édition moderne en français (avec les Conseils pour vivre longtemps de Leys ou Lessius, 1613 qui lui fut souvent associé au XVIIe et XVIIIe siècle) avec une introduction de G. Vigarello. 20 La séparation effective des apothicaires d’avec les épiciers –et le monde marchand– n’a été réalisée qu’en 1777 à Paris et les premières écoles de pharmacie, ancêtres des facultés de pharmacie, n’ont été crées qu’en 1803. Sur la mise en place des contrôles des apothicaires par les médecins à l’époque médiévale, voir D. Jacquart, La médecine médiévale… , op. cit., p. 303 sq, et sur les premières étapes de l’autonomisation, voir B. Dehillerin, J.P.Goubert, "A la conquête du monopole pharmaceutique: le collège de pharmacie de Paris (1777-1796)" In J.P. Goubert (Ed.), La médicalisation de la société française, 1770-1830. Historical reflections press, Waterloo (Ontario), 1982, p 237 sq. 21 De nombreux manuscrits de l’"antidotaire de Nicolas" avaient circulé au Moyen Age dont certains présentaient des traductions (souvent partielles) en français. L’historien de la pharmacie Paul Dorveaux a édité deux d’entre eux (P. Dorveaux, L’antidotaire Nicolas, deux traductions françaises de l’Antidotarium Nicolai, Paris, H. Welter, 1896), accessibles sur le site Internet de la BIU Santé. 22 Le plan de la pharmacopée de Jacques Dubois (simples et leur préparation, puis composés à usage interne puis externe) fut régulièrement repris ensuite, notamment dans Les ordonnances sur la préparation des médicaments tant simples que composes qui formait le cinquième tome des Œuvres de Nicolas Abraham de La Framboisière. 23 Les bibliothécaires de la Bibliothèque Impériale chargés de l’indexation ont tenté de séparer les pharmacopées médiévales (TE2) de celles des siècles modernes (TE146-7) et ces dernières des matières médicales (TE138-9) et des pharmacopées "chimiques" (TE131). Devenues ensuite mixtes, "galéniques" et "chimiques", les pharmacopées furent le plus souvent classées en TE146 mais certaines le furent en TE131 et d’autres en TE147. De même la cote TE147 a accueilli de nombreux ouvrages qui abordaient à la fois, comme celui de Jacques Dubois, la préparation des simples et les composés. 24 Rappelons que l’utilisation de l’"émétique" (tartrate d’antimoine) chez Louis XIV, probablement atteint de typhus pendant la campagne de Flandres en 1658, précipita la victoire des "chimistes" dans la "guerre de l’antimoine" qui faisait rage depuis près d’un siècle. L’antimoine fut en effet inscrit parmi la liste des purgatifs autorisés par la Faculté en 1666. 25 Nicolas Lémery (1645-1715) était, comme Charas, apothicaire et protestant avant de prendre ses grades de médecin et de se convertir au catholicisme. Sur Lémery, voir surtout l’Éloge de M. Lemery de Fontenelle (1715). 26 Ce fut d’ailleurs davantage un retour de la conceptualisation ontologique qu’un développement de novo. Sur ce point, lire les analyses de Mirko Grmek, notamment dans le Volume 2 de l’Histoire de la pensée médicale, op. cit., p. 157 sq. 27 Sur ce sujet, voir I. Maclean, Logic, signs and nature in the Renaissance, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 279 sq. Les confrontations répétées avec la peste, ainsi qu’avec de nouvelles maladies infectieuses contagieuses (la syphilis, la suette, la coqueluche, etc.) eurent certainement un rôle dans le renouveau des conceptions ontologiques de la maladie et –corrélativement dans l’intérêt accru pour la sémiologie médicale et le diagnostic. 28 L’Ars medica (ou Tegni) comprenait plusieurs chapitres consacrés aux signes de santé, de maladie et d’état neutre. Sur les discussions alexandrines tardives et médiévales de ces catégories galéniques, voir N. Palmieri, op. cit., p 122 sq. 29 En particulier, grâce à sa présence dans l’Articella. L’Articella fut encore largement diffusé dans les premières décennies du XVIe siècle puisque la dernière édition date de 1534. Sur l’Articella et son contenu (l’Ars medica de Galien, le traité hippocratique du Pronostic, le De pulsibus de Philarete et le De urinis de Theophile) , voir les Articella Studies: Texts and Interpretations in Medieval and Renaissance Medical Teaching, no. 2. Cambridge : Cambridge Wellcome Unit for the History of Medicine, and CSIC Barcelona, Department of History of Science, 1998. Sur le diagnostic galénique, voir L. Garcia-Ballester, "Galen as a clinician: his methods in diagnosis" In L. Garcia-Ballester (ed.), Galen and Galenism. Theory and medical practice from Antiquity to the European Renaissance. Ashgate, Aldershot, 2002, p. 1636-71. 30 Le "diagnostic fernelien" comportait deux temps : le premier consistait à "rechercher l’endroit où était le mal", en suivant une méthode très proche de celle énoncée au chapitre 5 du Livre 1 des Lieux affectés, et le second à "reconnaître la maladie et la cause contenante d’icelle". Les signes qui servaient à la recherche du lieu affecté étaient tirés des "excréments", de la recherche de la "fonction lésée", de la propriété et de la situation de la douleur et des "accidents propres" et servaient aussi au second temps pour caractériser la maladie et la cause (J. Fernel, La pathologie ou discours des maladies (édition française), Paris, 1655, p. 110 sq.). 31 C’est le précepte de bien diviser les sortes de maladies de la Méthode thérapeutique à Glaucon qui semble avoir inspiré à Rondelet une méthode qui lui permettait d’identifier l’"espèce" à partir de "genres" de maladies par étapes successives de division de Porphyre. Rondelet appliqua cette méthode à l’identification des espèces de douleurs (différenciées selon leur localisation), des tumeurs, des hémorragies, des évacuations purulentes, bilieuses, pituiteuses (divisées selon leur saveur, couleur et lieu), de membranes, d’animaux (vers, fœtus), des espèces de sueurs, de rétentions (de selles, d’urines, de règles), puis à l’identification de l’intempérie en cause pour les affections générales (les fièvres, les fluxions froides) et des espèces de blessures, ulcères, fractures, affections de naissance et troubles cutanés. 32 Feyens, professeur à Louvain, présentait en effet les signes de santé, d’état neutre, et de maladie (séparés en diagnostiques et pronostiques) et de crise, puis les signes en rapport avec les choses naturelles, non naturelles, et contre nature (notamment grâce à l’étude des fonctions et des excréments) et enfin les signes propres de l’atteinte des parties (répartis selon les cinq sens que l’atteinte pouvait toucher). 33 La catégorisation retenue par les bibliothécaires de la Bibliothèque Impériale reflète l’existence de ces littératures spécifiques : les catégories TD15, TD16 et TD19 ont été essentiellement alimentées par les traités consacrés aux urines, au pouls et aux crises (respectivement 16, 17 et 15 titres imprimés en France avant 1789), tandis que la catégorie TD13 l’a été par les traités sémiologiques et diagnostiques tout-venant (10 titres). La catégorie TD21 a accueilli les éditions du traité du Pronostic d’Hippocrate et de ses commentateurs, notamment Galien (40 titres) et la TD22 les autres traités consacrés au pronostic (11 titres). 34 Sur la notion de crise, et la littérature associée, voir J. Pigeaud, La crise, Nantes, Editions Cécile Defaut, 2006. 35 Fernel reprenait aussi, à sa manière, le projet d’Avicenne de développer, au sein de la médecine théorique, une science des maladies. Un extrait de la préface de la Medicina mérite d’être cité : "C’est pourquoy [le médecin] est du tout occupé en ces deux choses, de conserver la santé du corps et d’en chasser la maladie, et il peut plainement faire ces deux choses s’il ne cognoist auparavant combien il y a de genres et de differences, leurs causes et par quels signes on les peut discerner ; c’est pourquoy on disposera ainsi par ordre les cinq parties de toute la Medecine. Premierement sera celle appellée physiologice, c’est à dire la physiologie ou discours de la nature humaine, qui explique entierement la nature de l’homme sain, toutes ses facultés et ses fonctions ; en second lieu, la pathologice, c’est à dire la pathologie, ou discours des maladies, qui enseigne les maladies et affections qui outre nature peuvent survenir à l’homme et quelles en sont en les causes et les signes ; en troisieme lieu, la prognostice qui traitte des signes des maladies par lesquelles les medecins prevoyent les choses futures, le cours des maladies et quelle en sera l’issüe ; en quatriesme lieu l’ygiene, c’est à dire le regime de vivre, qui conserve par un bon regime de vivre la santé du corps entiere et parfaite […] et en cinquiesme lieu, la therapeutice, c’est à dire la therapeutique, qui chasse la maladie du corps. […] Et partant la Medecine est composée des cinq parties, dont les trois premieres sont occupées dans la contemplation et la simple cognoissance des choses qu’elles considerent et les deux dernieres consistent entierement dans l’action, employant tout leur office pour conserver la santé ou pour chasser les maladies ; d’où vient que quelques-uns ont reduit ces cinq parties à deux, à la theorie et à la practique" (Préface de la Medicina, traduction Charles de Saint-Germain, 1655). Sur les catégorisations et divisions alexandrines et médiévales des parties de la médecine, séparant toutes l’étiologie et la sémiotique, voir N. Palmieri (op. cit., p. 42 sq.) qui souligna néanmoins la "précarité du statut théorique de la sémiologie". En 1541, Leonhart Fuchs (Methodus seu ratio compendaria…) qui s’appuyait notamment sur Galien, avait aussi présenté une division des parties de la médecine en cinq catégories, mais celles-ci étaient la physiologie, l’hygiène, l’étiologie, la sémiotique et la thérapeutique. 36 Par exemple Rondelet rappelait, dans son De dignoscendis morbis, qu’une maladie n’était pas seulement une "espèce" mais devait être caractérisée selon sa force, son "temps", sa localisation et diverses "propriétés particulières" : "Morbus alius est non in specie, sed in magnitudine, vehementia, paruitate ac remissione, aut in magis aut minus periclitando. Ob hoc non solum in curandis morbis contrarietatem remediorum invenire oportet, sed et justam quantitatem, quae a morbi magnitudine, tempore, loco et consuetudine indicatur. Quemadmodum enim non sufficit communem phlegmones curationem, ex morbi essentia cognovisse, sed ex varietate partium, insita facultate et sensu […] sic ad perfectam morbi cognitionem necessaria est morbi cujusque particularis proprietas, ut ea cognita justam quantitatem et conferentis remediis speciem inveniamus, quod non solum contrarium esse debet, sed est parti affectae accomodatum, secundum indicationes particulares". G. Rondelet, De dignoscendis morbis In Methodus curandorum omnium morborum corporis humani…, p. 637 (édition de 1575). 37 Sur cette oeuvre, voir J. Duffin, "Jodocus Lomnius’s little golden book and the history of diagnostic semiology". J Hist Med Allied Sci. 2006; 61: 249-87. 38 "Videtur profecto ea meditatio potissimum, cum ad aegri salutem, rectamque curationem, tum ad medici fidem atque dignitatem spectare. Primum enim, quia novisse morbum proximus est ad sanitatem gradus, nemo sane hanc aut praesagire, aut reddere afflictis recte potest qui non animadvertere genus aegritudinis quod sit, non ejus eventum omnem praenunciare, certis indiciis norit". Medicinalium observationum…, Lettre aux sénateurs de Bruxelles. 39 J. Duffin a proposé de le considérer comme le premier traité moderne de sémiologie. Tout en acceptant son analyse, nous avons préféré le discuter avec les traités de pathologie et de nosologie, pour sa parenté de forme avec les premières nosologies, mais surtout pour sa date de publication (1560) et son caractère transgressif, qui imposaient un rapprochement avec la Pathologie de Fernel. 40 Une citation de la Préface de cet ouvrage éclaire la démarche de Sydenham : "Il faut réduire toutes les maladies à des especes précises et déterminées, avec le même soin et la même exactitude que les botanistes ont fait dans leur Traités sur les plantes. Car il se trouve des maladies qui, étant du même genre et de même nom, et outre cela, semblables en quelques symptomes, sont néanmoins d’une nature bien différente, et demandent aussi un traitement différent." Observationes medica, Londres, 1676 (Traduction Jault : Médecine pratique de Sydenham, Paris, 1774). 41 Le caractère systématique (et non synoptique ou divisif) des ordonnancements ou classements des maladies souhaité par Boissier de Sauvages et mis en œuvre par la plupart des auteurs de nosologies au XIXe siècle, confère d’ailleurs à ce genre le statut d’observatoire privilégié pour l’analyse des théories médicales (et des modes) de la période. 42 D. Jacquart, "Hippocrate en français. Le Livre des Amphorismes de Martin de Saint-Gilles (1362-1363)". In D. Jacquart (Dir.), Les voies de la science grecque, op. cit., p. 241-319; et D. Jacquart, La médecine médiévale dans le cadre parisien, XIVe-XVe siècles, op. cit. 43 Laurent Joubert, qui fonda le genre littéraire des "Erreurs populaires" considérait en effet les "médecins [ayant] trop divulgué" comme responsables d’une partie de ces erreurs. Sur ce sujet, voir J. Coste, La littérature des erreurs populaires, une ethnographie médicale à l’époque moderne, Paris, Champion, 2002. 44 La littérature de vulgarisation (d’origine médicale ou profane) était en revanche facilement différentiable de littérature des "secrets", qui fut d’ailleurs très peu fréquentée par les médecins français. Les bibliothécaires de la Bibliothèque Impériale ont principalement classé cette littérature de vulgarisation sous la cote TE17, qui regroupe la majorité des ouvrages d’origine médicale (avec quelques titres plus académiques comme les traductions et commentaires des livres de thérapeutique de Galien, le traité Morborum internorum prope omnium curatio… de Dubois…), et la TE18 qui regroupe aussi quelques livres de secrets (Fioravanti, Digby, etc.) et les productions profanes de Mme Fouquet, de Francois Salerne, etc. 45 Pour ces éditions, voir P. Albou, Histoire des "Œuvres charitables" de Philbert Guybert, Saint-Amond-Montrond, P. Albou, 1997. 46 C.E. Rosenberg a recensé, dans le monde anglo-saxon uniquement, 142 éditions en un siècle du Domestic Medicine de Buchan. C.E. Rosenberg, "Medical text and social context: explaining William Buchan’s", Bulletin of the history of medicine 1983 ; 57: 22-42.