Introduction par Esther Lardreau-Cotelle |
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Janvier 2008 |
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Des articles "céphalée" ou "cephalea", "céphalalgie", "migraine", "hémicrânie", "douleur de tête", "carébarie" (littéralement, "pesanteur de tête", "lourdeur de tête", figurent dans les grandes encyclopédies du dix-neuvième siècle numérisées sur Medica. Mais selon l'époque, les entrées sont séparées, ou au contraire confondues, et certains articles peuvent manquer : par exemple, le Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques (articles "céphalalgie" et "hémicrânie" ) comporte, en 1833, un article "hémicrânie", mais n'a pas d'entrée "migraine"; en revanche, en 1837, le Dictionnaire ou répertoire général des sciences médicales (articles "céphalée, céphalalgie" et "migraine" ) comporte une entrée "migraine", mais aucun article n'est consacré à l'hémicrânie. En 1876, le Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques (articles "céphalalgie, céphalée" et "migraine ou hémicrânie" ) n'a pas d'entrée "hémicrânie", mais l'article "migraine" est intitulé : "migraine ou hémicrânie". Alors qu'une place était réservée, au début du siècle, à la "douleur de tête", comme on voit dans l'Encyclopédie méthodique (articles "céphalalgie" , "hémicrânie" , "migraine" ) et "douleur de tête", la rubrique disparaît des autres encyclopédies. Il en va ainsi de la notion de "carébarie" qui devient obsolète.Migraine, hémicrânie, céphalée, céphalalgie, douleur de tête, maladie de tête, etc. : quantité de termes, entre lesquels il n'est pas évident de distinguer, renvoient à ce que la langue populaire désigne comme "mal de tête".
L'étymologie ne peut être, ici, de grand secours.Migraine et hémicrânie sont des altérations du latin médiéval : par l'intermédiaire du latin tardif hemicrania, ou mieux, de hemicranium, dont l'emploi semble plus courant, hemigranea, hemigrania, migranea, migrana, empruntent au grec hêmicranion et hêmicrania, eux-mêmes composés de hêmisus (demi), et de cranion (crâne). Ces termes désignent à la fois la moitié de la tête comme siège de la migraine (l’hémicrâne) et la douleur dans cette moitié de la tête : la maladie coïncide avec sa localisation anatomique. Il est assez fréquent, dans l'Antiquité grecque ou latine, qu'une maladie soit nommée par le lieu atteint, de sorte qu'une analyse des noms suffit à donner une définition de la maladie.
Mais, si d'un point de vue étymologique, migraine et hémicrânie sont strictement synonymes, leur usage ne l'est pas. Comme il en va de tout doublet, tout couple de mots issus du même étymon, l'usage s'est spécialisé. De formation populaire, migraine, apparu au douzième siècle avec le sens non médical de «dépit, ennui» (sens qui perdure jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle, à travers un verbe comme « migrainer » [1] : « donner la migraine, agacer fortement, lasser », attesté par exemple chez les Goncourt), suit une évolution phonétique normale, avec des modifications de sens assez considérables pendant deux siècles, tandis que hémicrânie, de formation savante, apparu vraisemblablement au seizième siècle (on en trouve occurrence chez Ambroise Paré), au moment de la relatinisation de la langue française, est emprunté directement au latin et au grec, avec des transformations mineures. Du fait de cette évolution phonétique, migraine est, d’une part, plus éloigné, par sa forme, de l’étymon, et présente, d’autre part, un écart plus important entre signifiant et signifié que ne présente hémicrânie.On ne saurait donc considérer ces deux termes comme exactement synonymes. Entre le seizième et le vingtième siècles, hémicrânie ne désigne que la douleur de tête unilatérale, alors qu’au contraire, libéré de l’étymologie, migraine en vient, dès la fin du dix-huitième siècle (chez Tissot, par exemple), mais essentiellement au cours du dix-neuvième siècle, à désigner des formes extraordinairement éloignées les unes des autres, des formes avec douleur bilatérale à des formes où la douleur fait totalement défaut.
Lorsque le français dispose des deux termes concurrents, hémicrânie est systématiquement préféré à migraine jusqu'à une date historiquement situable, entre 1829 (Prosper Martin) et 1831 (Pierre-Adolphe Piorry) [2]. Après quoi, le choix du terme migraine s'impose : hémicrânie ne désigne plus, alors, qu'un symptôme. C'est que la migraine ne se réduit plus à sa définition anatomique, et qu'on tend, au contraire, à privilégier un ensemble de symptômes et de prodromes qui, jusque-là, avaient été, non pas négligés, mais considérés comme très secondaires par rapport à cette sensation matricielle qu'est la douleur.
Honoré Daumier. Le mal de tête
Lithographie parue dans Le Charivari, 23 avril 1833
© Brandeis University
Tout se passe comme si textes antiques et textes du dix-neuvième siècle parlaient bien des mêmes sensations, d'un même réel, non de la même maladie. De fait, la catégorie des « douleurs de tête » (dolores capitis) a disparu, alors qu’aux siècles précédents, figurant explicitement dans les nosographies, elle constituait un genre de maladie, dont la migraine était espèce. Etaient rangés parmi elles, migraine, vapeurs, folie, épilepsie, paralysie, catarrhe, mais encore, ophtalmie, otalgie, odontalgie, rhumatismes, selon les classements envisagés (voir, par exemple, Jean Fernel, La Pathologie, ou discours des maladies, en 1655 , ou Boissier de Sauvages, Nosologia methodica, en 1763 , - traduite en 1772 sous le titre de Nosologie méthodique -, ou Linné [3])
Les Vapeurs. - Album comique de pathologie pittoresque,
Recueil de vingt caricatures médicales, Paris : A. Tardieu, 1823.Rejet du concept de douleur
Les textes ici numérisés concernent principalement le dix-neuvième siècle, que signale un grand nombre de publications académiques sur la maladie migraineuse (thèses d'étudiants en médecine, monographies, articles de dictionnaire, de périodique, chapitres de manuel ou de cours), mais aussi des romans [4], vaudevilles [5], opérettes [6], lithographies [7], etc.Cette décision de numérisation n'est pas accidentelle. Certains textes, absents de la Bibliothèque Interuniversitaire de Médecine, ou pour lesquels existent toujours des ayant-droits, ne pouvaient faire l'objet d'une numérisation (aussi, certaines références importantes, pour l'histoire de la migraine, ne sont-elles pas consultables en ligne, bien qu'elles figurent dans les éléments bibliographiques).
Mais, par ailleurs, le corpus a été volontairement restreint, en partie, à la fin du dix-huitième siècle et au dix-neuvième siècle, dans la mesure où le concept de migraine se construit alors pleinement au cours de cette période. Ce serait un grossier anachronisme de penser que la "migraine" a existé "de tout temps" : un problème médical surgit à une époque déterminée, dans un lieu déterminé, en fonction d'un état de la médecine, et de celui des discours qu'elle rencontre (physiologie, pharmacologie, etc.), bien qu'il soit vraisemblable que les sensations migraineuses, le réel de la maladie, enveloppent quelque pérennité.Les maladies sont saisies dans des complexes culturels. Tel siècle, telle région, élisent volontiers une maladie comme représentative de leur histoire. Chaque époque, chaque pays, a « ses » maladies : il était courant, au dix-huitième siècle, que les Français appellent la vérole le « mal napolitain » ; de leur côté, les Anglais parlaient du « mal français ». Les Anglais ont eu le spleen. La France du dix-neuvième siècle a la « migraine » : « on peut dire que la France est la patrie de la migraine » [8]. Pour le dix-neuvième siècle français, qui sort de la Révolution, et de la Terreur, la migraine est problématique, et renvoie une grimace des fractures, sociales ou sexuelles : maladie des beaux esprits, maladie de la femme mal mariée, maladie de la bourgeoisie.
Il serait cependant erroné de croire que les Anciens ignoraient quelque chose comme la "douleur de tête". Il serait également erroné de penser que le dix-neuvième siècle n'a rien voulu savoir des siècles antérieurs.C'est, au contraire, un passage obligé dans les thèses médicales de ce siècle que de dresser un tableau des connaissances acquises au cours de l'Antiquité. Galien , le Pseudo-Galien , Arétée , Caelius Aurelianus , Alexandre de Tralles ne sont guère lus (les références sont souvent de seconde main), mais sont à l'envi répétés. Quant au corpus hippocratique, il n'est mentionné qu'à titre d'autorité, car si l'on y trouve des expressions comme "céphalagie", "douleur de tête", "douleurs autour de la tête", "pesanteur dans les tempes", "pesanteur de tête", rien ne ressemble à un tableau de maladie migraineuse – sauf un passage des Epidémies qui livre sans doute une description de migraine ophtalmique, non explicitement rapportée à la migraine.
Malgré cette tradition universitaire, malgré les choix de traduction que font Littré et Daremberg dans leurs entreprises pour rendre accessibles les Anciens, ce que l'Antiquité décrit sous les noms grecs d'hêmicrania, hétérocrania (Arétée), et sous les noms latins d'hemicrania, hemicranium, correspond-il à ce que le dix-neuvième siècle a appelé "migraine"? Cela n'est guère évident. Alors que l'Encyclopédie, que les premières encyclopédies du dix-neuvième siècle, conservent des définitions dans lesquelles le concept de douleur demeure central, la fin du premier quart du dix-neuvième siècle change radicalement de perspective.Des traditions parallèles, art vétérinaire et astronomie, ont, au reste, mis en avant, depuis un certain nombre d'années, des phénomènes oculaires "étranges", - hémiopsie [9], phosphènes [10], etc. -, suivis de céphalalgie, que la tradition médicale, depuis Hippocrate, avait envisagés comme relevant d'une maladie à part (la scotodynie [11]). Il devient désormais impensable, à la médecine, que ces phénomènes soient séparables de la migraine.
L'un des premiers textes médicaux à envisager l'aura ophtalmique, cet ensemble de symptômes ophtalmiques qui généralement arrivent au moment où commence le mal de tête migraineux, ou qui le précèdent immédiatement, est celui de Fothergill, passé inaperçu jusqu'à ce que Hubert Airy en 1870, puis Liveing , en 1873, le relisent.Mais le mémoire fondateur, et par son impact, et par sa décision, est celui de Piorry, qui invente le concept de migraine ophtalmique [12] (voir aussi Jules Pelletan de Kinkelin ) : parmi les états de sensations dont un patient est susceptible de faire expérience, les symptômes ophtalmiques (et notamment, le scotome scintillant [13]), proches du vertige (Mémoire sur le vertige ; voir aussi l'article de Ménière ), ou les défaillances de la parole, ne sont pas moins décisives que la douleur qui assurément le point. En dehors du volume de Liveing et de l'article de Hubert Airy déjà cités, le travail de Piorry est continué par trois thèses de médecine d'importance, celle de Dianoux qui fait le point des connaissances en 1875, celle de Robiolis , en 1884, témoignage sur l'hypothèse de l'ophtalmologue Nicati (lequel avait envisagé des "migraines" pour chaque organe de la sensibilité spéciale (migraines ophtalmique, auditive, olfactive, gustative), celle de Fink , en 1891 qui dresse un tableau des connaissances sur la migraine hystérique; et par trois articles décisifs de Galezowski , de Féré , et de Babinski .
Représentation de scotomes. - Hubert Airy,
"On a distinct form of transient hemiopsia",
Philosophical transactions of the Royal
Society of London , février 1870, p. 247-264.
L'ancienne définition de la "migraine" apparaît dès lors mal formée : non seulement, l'histoire de la médecine a mis en avant des hémicrânies qui n'étaient pas des migraines, mais il semble qu'il puisse y avoir des migraines présentant d'autres types de symptômes que la douleur (Labarraque , par exemple). Quantité de symptômes ne sont, d'ailleurs, pas localisés au niveau du "crâne" : mains, bras, langue, peuvent être affectés de fourmillements.Il s'agira, cependant, moins de remplacer l'ancienne définition par une autre, toute aussi nominale, que de lui substituer des descriptions cliniques.
Chez des médecins aussi différents que Trousseau ou Liveing, le départ ne se trouve plus dans une définition théorique, mais dans la pratique, que ce soit a) la pratique hospitalière ou b) la pratique de laboratoire (l'expérimentation).a) Il est remarquable que nombre de cas, rapportés dans la littérature médicale, appartiennent à la population hospitalière ou asilaire [14]. Des rapprochements peuvent ainsi être effectués entre des patients qui ne relèvent pas des mêmes groupes nosographiques [15]. L'histoire familiale du patient (son hérédité), son histoire individuelle, l'efficacité d'une thérapeutique anti-migraineuse sont déterminantes pour le diagnostic : des phénomènes très hétérogènes à ceux que la migraine, d'habitude, présente ne sont pas a priori exclus, s'ils s'inscrivent dans une histoire migraineuse, et s'ils sont traités par des anti-migraineux. Il se pourrait, dès lors, qu'entre des maladies aussi éloignées en apparence, que la goutte et la migraine (Trousseau, Chaumier , Soula ), que l'épilepsie et la migraine (Liveing, tous les textes de Féré ici présentés, Gowers), ou que l'hystérie et la migraine (Babinski, Fink), une famille se dessine : transformations, ou similitudes. Place est faite à des formes marginales, irrégulières, formes minimales et atténuées de la maladie qui, sans les commémoratifs - l'histoire du patient et l'histoire familiale -, seraient méconnaissables : bâillement, crise de mutisme, démangeaisons, congestion de la face, éblouissement, formation d'images lumineuses sur la rétine, sont susceptibles d'un diagnostic de migraine.
b) Une autre modification décisive par rapport aux siècles précédents est le recours à l'expérimentation en laboratoire. Dès les travaux d'Auzias-Turenne, en 1846 [16] et 1849 , un modèle vasculaire mécaniste voit le jour, rejetant et la doctrine de la sympathie [17], et la conception finaliste de la causalité sur laquelle elle était fondée. A partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, les théories "vasomotrices" proprement dites (Du Bois-Reymond , Möllendorff , Eulenburg , Jaccoud [18], Latham ) reposent sur le développement récent de la physiologie, et sur une découverte expérimentale majeure, qu’on attribue à la fois à Claude Bernard et à Brown-Séquard : des nerfs vasomoteurs régulent le flux sanguin des artères. La section, ou au contraire l'excitation du nerf sympathique sont réalisables en laboratoire, sur animal. Due à une excitation du sympathique, la vasoconstriction, ou diminution du calibre des vaisseaux par contraction de sa musculature, produit une anémie locale (pâleur, diminution de la température, etc.). Due à une paralysie du sympathique, la vasodilatation ou augmentation du calibre des vaisseaux par relâchement de sa musculature, provoque une hyperémie (rougeur, augmentation locale de la température, etc.). De là, pourraient exister :Non seulement les différents symptômes doivent se constater empiriquement en faveur de l'un ou l'autre modèles, mais encore des appareils doivent pouvoir mesurer l'état de vascularisation d'une partie du corps humain : c'est ainsi qu'à la suite de Romain Vigouroux, en 1879, Eulenburg envisage la mesure de la résistance du corps migraineux au courant, et s'efforce de montrer que celle-ci augmente avec le défaut de vascularisation.
- soit deux modèles contradictoires de la migraine (Du Bois-Reymond, Möllendorff);
- soit deux types de migraine, les migraines par vasoconstriction (dites populairement "migraines blanches", ou savamment "migraines sympathico-toniques"), et les migraines par vasodilatation ("migraines rouges", ou "migraines neuroparalytiques") (Eulenburg);
- soit enfin, deux moments dans une crise de migraine, une phase initiale de vasoconstriction, suivie d'une phase de vasodilatation (Latham, Jaccoud).
Ce changement de perspective n'empêche pas de reconnaître des formes de migraine où la douleur joue un rôle central. Une forme extrêmement rare est ainsi isolée : la migraine ophtalmoplégique [19] (autrement connue sous les noms de «maladie de Möbius », ou de «syndrome de Charcot-Möbius»), migraine avec paralysie de certains muscles de l’œil (du grec, ophtalmos : œil, et plêgê : coup). Si ce n’est pas Charcot qui la décrit pour la première fois (en 1860, Gubler donne une description d'une paralysie du tronc du nerf oculomoteur, précédée de migraines, mais il n'est pas évident de la considérer comme une véritable "migraine ophtalmoplégique"), c’est lui qui, en 1890, lui donne le nom sous lequel elle est, depuis lors, désignée.
Au terme du dix-neuvième siècle, il n'y a plus sens à parler de la migraine, comme si celle-ci représentait une unité nosologique. Elle ne constitue pas une maladie. C'est une entité plurielle, divisée en syndromes distincts : migraine vulgaire, migraine ophtalmique, migraine ophtalmoplégique. A bien des égards, cette classification constitue une condition de possibilité de la conception contemporaine de la migraine.D'autres textes, publiés dans la première moitié du vingtième siècle notamment, sont également décisifs. L'hypothèse vasculaire est renouvelée par les travaux de Wolff et de ses collègues [20]. Quant à l'hypothèse neurologique [21], elle est considérablement enrichie par une série d'articles de Lashley [22], de Leão [23], et de Milner [24].
Thérapeutiques
On imagine volontiers que les thérapies antérieures à notre époque n'offrent aucune cohérence : mélange de procédures mal pensées, plus proches d'une vague pensée "magique" que de la pensée rationnelle.Cette opinion résiste mal à la lecture. Les médications sont, en effet, homogènes aux théories qui leur sont contemporaines, bien que, ici ou là, quelque décalage puisse être empiriquement constaté.
On ne saurait résumer, en quelques lignes, la richesse des thérapies antérieures au dix-neuvième siècle, celles-ci variant selon les Ecoles, et selon le type de douleur de tête. Elles mettent généralement en œuvre, en traitement de fond [25], un régime, une hygiène : gymnastique, bains, promenades, voyages, jeux de l'esprit et du corps [26], doivent permettre d'éviter chagrins, ennuis, colères, soucis, d'une part, excès de sensations d'autre part. Le régime alimentaire doit faciliter la digestion, et éviter la pléthore, une des causes essentielles d'hémicrânie.On peut ensuite reconnaître quelques types de médications reposant sur des principes différents. 1°) Les « céphaliques » (eau de verveine, ambre gris, camphre, eau d'orange, etc.), dont l’usage disparaîtra, sont spécifiques aux "maladies de tête", sans être propres à l'hémicrânie. Ce sont des remèdes qui agissent de manière occulte sur le cerveau, les nerfs, et leurs maladies, accroissant entendement et mémoire, guérissant épilepsie, manie, paralysie, douleurs, imbécillité, etc. 2°) Autres spécifiques, les « anodins » (fleurs de bouillon blanc, de sureau, coquelicot, tilleul, etc.) visent à anesthésier la douleur. 3°) Certaines thérapies ont pour fonction, au contraire, soit d’exciter une douleur nouvelle et plus forte en un autre lieu, soit de produire une stimulation d’un autre genre qui fasse diversion. C’est le cas du moxa, de l’ustion, des vésicatoires (excitant des vessies sur la peau) qui, créant un second point artificiel d'irritation, contrebalancent un point douloureux. Le cautère réveille la sensibilité. Ainsi de la technique des frictions, comme remarque Roselyne Rey [27]. 4°) Dans le cadre des théories humorales, purgations ou émétiques, saignées, artériotomies, ventouses ou sangsues, sternutatoires, ont pour fonction d'évacuer les humeurs. Certaines substances sont également employées dans les douleurs de tête pour leurs propriétés complémentaires : ainsi de l'ellébore, qui agit à la fois comme purgatif violent, et comme narcotique. 5°) On choisit parfois de faire mûrir ou suppurer le mal : c'est un des rôles des onguents et des emplâtres.
A partir du dix-huitième siècle, d'autres médications apparaissent, tandis que certaines n'ont plus lieu (comme l'ustion, l'artériotomie, la trépanation, les céphaliques) : le quinquina qui était employé dans les fièvres commence à être utilisé dans le traitement des hémicrânies intermittentes. On a recours, de plus en plus, à l'électricité, et au magnétisme animal : bain électrique, étincelles, commotions électriques par l'entremise de la bouteille de Leyde, aimant. On utilise massivement éther et opium.Au dix-neuvième siècle, les spécifiques (céphaliques et anodins donc) ont disparu. La critique violente de la polypharmacie (pharmacie fondée sur la prescription massive de substances médicamenteuses) est à peu près contemporaine de la critique des concepts de "maladie de tête" et de "douleur de tête". Selon les modèles théoriques de la migraine, la thérapie diffère.
Au cours de la seconde moitié du dix-neuvième siècle se développe le traitement par les courants galvanique et faradique [voir illustrations], courants qui s'appliquent dans les deux formes de migraine, mais dont l'action est fort différente. Dans la méthode polarisée de Brenner, une des électrodes de la pile galvanique est placée au niveau de la partie cervicale du sympathique, une autre électrode est mise dans la main. Dans la migraine sympathico-tonique, c’est l’anode qui est appliquée sur le sympathique, et la chaîne de la pile, composée de 10 à 15 éléments, est brusquement fermée : l’anode, pôle positif, produit un effet sédatif. Dans la migraine angioparalytique, c’est la cathode qui est mise sur le sympathique, et la chaîne n’est pas fermée brusquement, mais au contraire, tour à tour ouverte et fermée; parfois, en inversant le sens du courant, l’excitation est plus violente. La cathode, pôle négatif, augmente l’excitabilité. La méthode monopolaire, dite du professeur Chauveau, est également pratiquée : on place la cathode ou électrode active (qui est l’électrode la plus petite) sur le sympathique, et l’électrode indifférente (dite ainsi, à cause de la faible intensité du courant à son niveau), plus large, se situe à la nuque. La durée de la séance quotidienne est très courte : 45 secondes environ, et la densité électrique faible.
- 1°) L'analogie avec l'épilepsie fait utiliser le bromure de potassium [28]. C'est en 1867 qu'un médecin militaire, Barudel [29] en fit, pour la première fois usage dans le traitement de la migraine, tandis qu'une dizaine d'années plus tôt, Charles Locock l'avait employé dans des cas d'hystéro-épilepsie; en 1858-1859, Wilks et Radcliffe l'avaient appliqué au domaine de l'épilepsie. Charcot systématise son emploi à la migraine : c'est un traitement empirique et analogique, dit-il, mais dont la pratique est heureuse.
- 2°) Contre la migraine hystérique, le bromure est, en revanche, inefficace, et on lui substitue une thérapie par hypnose.
- 3°) En tant que manifestation de la goutte ou des rhumatismes, on use des médications qui ont fait leur preuve contre ces maladies : colchique, bicarbonate de soude, cure thermale [30] [31], salicylés , pyrazolés .
- 4°) Contre les formes vasculaires de migraine enfin, on emploie tantôt des vasoconstricteurs, tantôt des vasodilatateurs, selon le type de migraine; dans les formes angio-paralytiques, avec vasodilatation, on emploie l'ergot de seigle; dans les formes sympathico-toniques, avec vasoconstriction, le nitrite d'amyle ou le chloral (hydrate de chloral) sont préférés.
Courant alternatif obtenu par induction, à l'aide d'un champ magnétique variable (bobines de Ruhmkorff ou de Clarke), le courant faradique, lui, produit des contractions musculaires rythmées discontinues (la fin d'une onde est séparée du début de la suivante par un intervalle important) qui augmentent la circulation sanguine, et diminuent l'inflammation du muscle.
Antérieurement à 1870, de petits appareils portatifs ont vu le jour, qui permettaient de transporter chez les malades une pile d'une puissance suffisante , et autorisaient le traitement de crise.
Faradisation Galvanisation Appareil mixte Appareil électromagnétique,
pour faradisation.
Fabriqué par Ch. Chardin à Paris, 1872.
© Collection privée, ASPADAppareil électromagnétique à courant continu,
pour galvanisation.
Fabriqué par Ch. Chardin à Paris, ca.1875.
© Collection privée, ASPADAppareil électromagnétique mixte
pour galvanisation et faradisation.
Fabriqué par Ch. Chardin à Paris, ca. 1890.
© Collection privée, ASPADPlus généralement, l'histoire de la pharmacie, à la fin du dix-neuvième siècle, connaît une seconde transformation : des conditionnements ont fait leur apparition qui impliquent un rapport nouveau des migraineux aux médecins et aux pharmaciens. Désormais, les médecins eux-mêmes conseillent aux malades de garder sur eux poudres et cachets, tout en constatant qu'ils délèguent ainsi une partie de leur pouvoir. Alors que jusqu'en 1867, la publicité médicale, en France, était interdite, par crainte du charlatanisme, la situation de quasi monopole de Bayer, l'arrivée de produits de synthèse issus de la recherche allemande (antipyrine, notamment), font que la migraine devient un objet commercial de dimension internationale.
Eléments bibliographiques
On ne trouvera ici que quelques indications.Sources primaires
Sources secondaires
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