Présentation par Micheline RUEL-KELLERMANN
Docteur en chirurgie dentaire et en psychopathologie clinique et psychanalyse
Membre titulaire de l’Académie nationale de chirurgie dentaire
Secrétaire générale de la Société française d'histoire de l’art dentaire (SFHAD)
micheline@ruel-k.net
Deuxième ouvrage en français entièrement consacré à l’odontologie, la Dissertation sur les dents précède d’un demi-siècle la première édition du Chirurgien dentiste (1728). Dans sa préface, Fauchard reconnaît Bernardin Martin comme l’un des deux seuls écrivains qui ont parlé des Dents. Le premier étant Urbain Hémard, il ajoute : Le second, qui était apothicaire de feuë S.A.S.M. le Prince, nous a donné une Dissertation sur les dents, imprimée à Paris chez Thierry en 1679. Formant un petit volume in-12, dans laquelle il explique la nature des dents, & traite de leurs maladies et de leur guérison avec assez de méthode ; mais un peu trop succinctement, & sans parler des opérations qui leur conviennent. En dépit de cette très moyenne appréciation, cet ouvrage certes moins érudit que se voulait celui de Urbain Hémard, lui a été néanmoins une source d’inspiration, et un guide providentiel.
De son vrai prénom, Bernardin, il est pré-nommé soit Benjamin par Weinberger, soit Barthélemy par Hoffmann-Axthelm, avec une date de naissance commune à ces deux auteurs (1604) et qui correspondrait plutôt à celle de son père.
Né le 8 janvier 1629, il est le fils de Samuel Martin, apothicaire de la Reine Marie de Médicis. Embrassant la profession paternelle, il entre en 1669 au service de la maison du Prince de Condé, en qualité de chimiste. Il y restera jusqu’à sa mort (date incertaine, 1682 pour ceux qui le font naître en 1604). Son fils lui succèdera, aux mêmes appointements.
Selon Carlos Gysel, il semble qu’il ait occupé également des fonctions de bibliothécaire et de secrétaire à l’hôtel de Condé et il ajoute qu’« il ne lui déplaisait pas de jouer au médecin. C’est à ce titre qu’il accompagna Gourville, l’homme d’affaires de Condé, au cours d’un voyage en Espagne ». Même s’il a séjourné à Montpellier, y aurait-il fait quelques études, il est loin d’être érudit, mais il fréquente nombre de médecins réputés. Il est familier de l’Académie de l’Abbé Bourdelot à qui la Dissertation est dédiée.
Son voyage en Espagne a dû lui donner l’occasion de connaître un des tout premiers ouvrages consacrés uniquement à l’Odontologie et inconnu en France, le Coloquio breve y compendioso de Francisco Martinez de 1557, ouvrage peu scientifique mais plein de bon sens et drôle de surcroît, car il met en scène les gens d’une place villageoise qui dialoguent avec Valerio (Martinez). Bernardin Martin, sans jamais le citer, lui emprunte parfois littéralement des concepts ou des conseils, et, par contre, néglige regrettablement ceux qui auraient été encore d’avant-garde plus d’un siècle plus tard, par exemple : l’affirmation que les dents ne s’accroissent pas tout au long de la vie.
On rappellera à cette occasion que Giuppesangelo Fonzi à la fin du XVIIIème siècle débarqua en Espagne d’un navire de guerre espagnol et découvrit, lui aussi, le Coloquio qui lui permit un début d’exercice sur les places publiques.
En dehors de la Dissertation sur les dents, il publie un Traité sur l’usage du lait (1684), réimprimé en 1706 et Voyages en 1699, une relation de ses divers voyages en Espagne, au Portugal, en Allemagne et aux Pay-Bas.
La Dissertation
Le contenu de cet ouvrage de 112 pages et treize chapitres est annoncé dans l’Avertissement :
J’expliquerai dans ce Discours la nature des Dents, leur sensibilité & en quoi elles diffèrent des autres os. Ensuite je traiterai du temps & de la manière qu’elles naissent, de leur nombre et des noms qu’on leur a donnés ; des maladies qu’elles causent quand elles commencent à vouloir sortir & du moyen de prévenir ces accidents & ce qu’on peut faire pour faciliter leur venue. Je parlerai de leur chute dans l’enfance, de leur carie & de ce qu’il faut observer pour empêcher qu’elles ne deviennent difformes & mal rangées & combien elles sont nécessaires : ce qu’il faut pratiquer pour les bien conserver durant le cours de la vie & pour cela, je ferai un détail de leurs défauts & des Remèdes qui sont usités pour les réparer. & comme les dents ont une étroite liaison avec les Gencives, je dirai quelque chose de leur beauté & de leurs imperfections, des maux qui les fatiguent & de la manière d’y remédier.
I : De la nature des Dents. De ce qu’elles diffèrent des autres os et de leur sensibilité
Leur différence principale est la douleur : les dents ont un sentiment très considérable & sont susceptibles de douleur, bien souvent mortelles aux enfants & insupportables aux personnes âgées. Chacun le sait par sa propre expérience (p. 3).
Et aussi elles reviennent quand on les a perdues & renaissent plusieurs fois ; & croissent incessamment, & jusqu’à la fin de la vie du fait qu’elles s’usent en se froissant les unes contre les autres (p. 4-5).
Elles ne sont pas revêtues de périoste comme les autres os, (…) elles sont fichées dans les mâchoires comme des cloux, où elles sont si bien affermies par les nerfs, les membranes & les chairs des alvéoles & des gencives, qu’elles ne peuvent en être arrachées qu’avec effort. Ce sont les nerfs, veines et artères qui assurent la gomphose (p. 8).
II : Du temps & de la manière que les Dents naissent : de leur nombre, & des noms qu’on leur a donnez
L’éruption des dents temporaires : Elles viennent aux enfants en différens âges (…), aux uns à quatre mois, & aux autres à six, sept, huit, douze et quinze ; & ainsi indifféremment selon leur bonne ou mauvaise constitution (p. 11).
En terme populaire et joliment imagé, les alvéoles sont des enchâssures ou emboëtures (p 14).
Les incisives sont des couteaux (p. 14).
La canine inférieure est ainsi nommée, s’apparentant à celle du chien, alors que la supérieure est œillère (p. 13).
Distinction intéressante entre les petites et les grandes molaires permanentes, brisoires pour les premières et molaires pour les secondes, que le peuple appelle les enclumes, parce que les aliments s’applatissent dessus, & y sont moulus (p. 15).
Mais l’imprécision règne quand il s’agit de l’éruption des dents permanentes : Les dents de lait durent de six à dix ans et les molaires sont les dernières à venir (p. 14-15).
III : Des maladies des Dents lorsqu’elles naissent, & des moyens de les prévenir
La meilleure des préventions est, devançant Bunon, le bon choix de la nourrice ; aurait-il eu connaissance (jamais citée du moins) de la Recherche sur la Vraye Anathomie des dents dans laquelle Urbain Hémard renvoit au livre de Simon de Vallambert concernant les accidents de dentition.
Martin recommande de les prendre Jeunes & d’un tempérament robuste, brunes plutôt que blondes, d’une humeur douce & joyeuse, modeste & détachée de toutes passions, autant que faire se peut, d’un grand soin & d’un grand amour pour les enfants : & le lait doit avoir bonne consistance, c’est-à-dire, ni trop claire ni trop épais (…) Sans maris incommodes et peu raisonnables. On pourra même en prendre deux, si l’enfant est d’une grande vie & mal aisez à rassasier (p. 17).
En cas d’éruption difficile : Dés qu’on s’aperçoit que la dent a de la peine à troüer la membrane il n’y a nul danger d’y faire ouverture pour lui donner le jour & cela se doit faire avec une éguille d’or. Interdiction à toutes les nourrices de se servir de l’ongle, parce que les ongles étant un excrément, ils peuvent communiquer quelque venin à la gencive, (…) y causer un abcès ou un ulcère (p. 20-21).
Pour adoucir et amollir la gencive, aux remèdes classiques dont la moëlle de Lièvre, ou les pattes de Taupes pendûes au col de l’enfant, Martin a plus d’estime pour l’extrait qui se fait avec des racines de Chiendent. Mais, concernant d’autres maladies, il en laisse la conduite à Messieurs les Médecins qui doivent avoir là-dessus plus de lumière que moy (p. 22).
IV : Pourquoi les Enfans naissent sans avoir des Dents, & pourquoi elles n’ont point de racines
Si les enfans naissaient avec leurs Dents, elles leur seraient inutiles, & un surcroît d’incommodité aux nourrices qui les allaitent . De plus ces petites dents viennent sans racines pour faciliter leur chute et ainsi faire place à celles qui leur doivent succéder, lesquelles, trouvant les alvéoles occupées de racines sortiraient tortües ; et enfin, il serait dangereux de les tirer, à cause du peu de force & de solidité de la mâchoire à cet âge (p. 24-26). Mais honnête et perplexe à la fois, Martin ajoute : Cependant il n’est pas sans exemple d’avoir veu des gens avoir leurs premières Dents avec leurs racines, lesquelles ne sont point tombées pour faire place aux autres ; & lors que les grosses Dents des enfans sont long-temps à tomber, il s’en rencontre avec de petites racines (p. 26). On retrouve ici les propos presque littéraux de Martinez.
V : De la chute des Dents dans l’enfance : de leur carrie ; & de ce qu’il faut observer pour éviter leur difformité
L’abcès, la fluxion, le phlegmon (p. 33), l’épulis et la parulie sont cliniquement confondus. Les gargarismes en viennent très souvent à bout.
Le terme de chancre est polyvalent : abcès, pus, corruption, tartre.
Il fait preuve d’un sens de l’interception des malpositions en déclarant que les dents lactéales monoradiculées doivent souvent être ôtées pour permettre une éruption bien droite des permanentes ; et ajoute que les molaires donnent moins de soucis (remarque reprise par Fauchard qui se gardera bien de le citer) : il n’en est pas de même des grosses Dents, parce qu’estant plus larges, & ayant plus d’assiette que les autres, celles qui viennent à les pousser les eslèvent par le milieu, ce qui fait qu’elles sortent droites (p. 31).
Entrevoit-il la mélanodontie et son traitement? : Il se fait aussi à l’extrémité des incisives (temporaires) de petites tâches noires qu’il faut ôter avec un fer aigu, dont la pointe est à peu près comme celle d’une lancette (p. 35-36).
Il ne faut pas non plus hésiter à les oster lorsqu’elles sont ébranlées. Mais comme les enfant ne souffrent pas aisément qu’on y touche, il faut en les couchant attacher un fil à la Dent qui veut tomber, sous prétexte de quelque chose, & lors qu’ils sont endormis l’on tire le fil, & de cette manière, vous avez cette Dent sans peine, & même quelques uns ne s’en éveillent pas (p. 37) ; à la condition de ne pas arracher la dent (permanente) tortüe pour laisser celle (temporaire) qui est droite & qui semble la mieux placée (p. 37).
Le redressement se fera peu à peu avec les doigts dans l’ordre des autres (p. 38).
La relativité de l’efficacité des remèdes est clairement posée : Je diray qu’il y a divers remèdes qui sont communs en tous temps ; & qu’il y en a aussi qui pourraient servir dans certaines occasions, qui seraient nuisibles ailleurs, bien qu’ils paraissent estre utiles pour la mesme infirmité, & cela vient de la diversité des âges & des tempéramens. Car ceux qui conviennent à la jeunesse sont bien souvent de nul effet dans un âge plus avancé (… ) & c’est ce qui fait qu’un mesme remède ne soulage & ne guérit pas un mesme mal (p. 40).
VI : De la grande utilité des Dents ; & à quelles fins elles nous ont été données
Pour briser, diviser et amollir les alimens grossiers, afin que l’estomach les digère, & les cuise avec plus de facilité (p. 42).
Pour bien articuler les mots, (…) les Écclésiastiques & les Religieux qui se sont destinés à prêcher, ont beaucoup plus de soin de leurs Dents que d’autres particuliers (p. 45-46).
Pour la décoration de la bouche, (…) elles donnent des grâces qui ne peuvent s’exprimer, & les femmes en scavent tirer des avantages que les gens qui sont du bon goust ne mesestiment pas (p. 47).
VII : De la beauté & bonté des Dents : de leurs espèces, & difformités
Pour avoir les Dents belles, & afin qu’elles puissent durer, il faut que le nombre en soit complet, qu’elles soient bien arrangées, petites (non toutefois menues), droites, égales & séparées (…). Elles doivent être blanches comme la neige, & d’un émail semblable à celuy de la perle ; bien liées et emboëttées dans leurs alvéoles ; point trop longues ; mais assez pour couvrir la langue & qu’il n’en paraisse que la pointe quand on parle (…) ny qu’elles se rencontrent pointe sur pointe ; parce qu’elles se gâteraient les unes contre les autres par le trop de mouvement qu’elles se donneraient (p. 54). Carlos Gysel note que le terme émail est employé six ans avant l’anglais Allen (The operator for the teeth, York, 1685).
VIII : De la manière que l’on peut conserver les Dents ; et le régime que l’on doit y tenir
Choux, poireaux, cyboules, ail etc…, laitages, fromages, confitures,dragées, sucreries, chair de pourceau, poisson salé et choses grasses, pour la plupart, rendent l’haleine fort mauvaise et doivent être consommés avec modération : il est avantageux d’être sobre pour estre satisfait de soy-même (p. 57). Suivre l’exemple de sobriété de nos paysans & laboureurs qui ne mangent que du pain & du lard & n’ont que rarement la bouche mauvaise & leurs dents donnent de l’envie à ceux qui en font cas (p. 62).
L’usage du fard est très pernicieux aux Dents, parce que le sublimé & l’arsenic font ordinairement une partie de ces compositions ; et si elles [ les femmes] en scavaient les conséquences fâcheuses, elles s’abstiendraient à jamais d’en user (p. 60-61).
Pour bien conserver les dents, il faut les tenir nettes & empêcher que l’ordure ne s’amasse autour. Pour cela il faut avoir soin de se laver la bouche tous les matins avec de l’eau fraîche & les nettoyer avec un linge fin et non de grosse toile, (…) sa rudesse usant l’émail de la Dent, qui est ce beau lustre lequel en fait un des principaux ornements (p. 61-62).
Enfin, crottes de chat sauvage ou urine dont les sels sont ennemis de la corruption & de la pourriture,(…) et blanchissent les dents ne doivent pas être utilisés fréquemment (p. 66-67). Suivent des recettes d’oppiate ou de liqueur astringente à laquelle on pourra ajouter un peu d’eau-de-vie.
IX : De la durée des Dents
Le recours à l’artifice est déconseillé : l’on ne peut se faire mettre une Dent Postiche, qu’il ne faille nécessairement l’attacher à deux naturelles. La coutume est de se servir d’un fil d’or, qu’il faut serrer avec des pincettes, et d’une manière qu’on ne peut éviter d’ébranler les deux auxquelles vous l’attachez sans le préjudice que vous faites à la gencive ; & au lieu d’une que vous aviez perdue, il se trouve que ruinant celles qui lui servent d’appuy, vous en perdez trois (p. 81-82). La conclusion est claire : il est plus avantageux de nous contenter de ce qui nous reste, et ne forcer jamais la nature, si nous voulons en jouir longtemps (p. 84).
X : Des maladies, & des accidents qui paraissent dans la seconde Dentition, & des remèdes qu’on y doit apporter
Après traitement des cathares & fluxions par les purgations, ventouses ou autres gargarismes détersifs, il ne reste souvent plus que l’avulsion pour soulager définitivement la douleur. Pour éviter de prendre la bonne pour la mauvaise, il faut avoir un fer qui ait le bout fait d’une teste d’épingle, mais plus large, & en toucher les Dents qu’on soupçonne et les nettoyer faisant oster autant que faire se peut toute la pourriture qui s’y trouve. Enfin préférer le pélican au davier pour une dent beaucoup cassée : le Polican l’assujettit mieux que le Davier qui la peut rompre sans la tirer entièrement (p. 87-91).
Le limage est désavantageux ; il ne peut qu’ébranler les dents. Les couper avec des ciseaux inventés par nos Modernes : cette manière me semble plus louable que les autres (p. 91-92).
Le nettoyage des dents est nécessaire , pour éviter la corruption des gencives causée par le chancre & l’ordure qui s’y amasse qui la ronge et la détruit. Ce chancre (tartre) est de trois couleurs : noire, citron, jaune brun (p. 95-96).
La corruption est incurable quand elle est parvenue jusques à la veine & au nerf et source de fluxions (p. 100). Est préconisée la cautérisation du nerf par la pierre infernale ou par quelqu’autre moyen (…) car après cela il n’est plus sensible, & le froid et le chaud sont alors indifférents (p. 102). Et de conclure ce chapitre en reconnaissant que le plus sûr expédient lorsqu’une dent est gâtée est de la faire arracher (p. 104).
XI : Qu’il n’est pas toujours à propos de se faire tirer les Dents quand on y sent de la douleur. Et de certaines erreurs populaires sur cette matière
Un rheumatisme qui occupe une partie de la teste, faisant une fluxion, cause cette douleur ; & lorsqu’elle est passée, elle laisse les Dents aussi saines que si elles n’avaient jamais souffert . L’origine en serait l’abondance et la malignité des humeurs, qui doit alors être traitée par un médecin (p. 106-107).
Martin déclare un oubli dans le chapitre précédent à savoir que souvent elles se gâtent pour être trop pressées les unes des autres (p. 107).
Dénonçant la croyance de certains qui pensent qu’il faut laisser le chancre autour de la Dent, comme un appuy qui la soutient, il recommande à nouveau de se servir d’un fer bien affilé pour l’oster quand il est pierreux et endurcy (p. 109-111).
XII : De la troisième dentition
Les dents de sagesse percent depuis l’âge de vingt ans jusques à vingt-cinq & trente (…). Mais le temps n’est pas si déterminé pour fixer le nombre des Dents, qu’il n’en perce à tout âge. (p. 112) Exemple donné d’un illustre médecin, qui en a percé une à la soixante & dixième année de son âge avec beaucoup de douleurs (p. 112-113).
XIII : Des gencives & de leurs accidens
Les causes intérieures viennent d’une intempérie & d’une mauvaise habitude du corps, qui produit des fluxions et des catharres (p. 118). Il est profitable d’observer un régime deseichant, qui consume ces humiditéz superflues, de modérer la quantité des alimens, & faire un exercice capable de donner lieu à la transpiration (p. 121).
Les causes extérieures sont celles qui viennent par des chutes ou par des coups qui bien souvent sont si considérables que venant à ébranler toutes les Dents et les mâchoires . Et pour y remédier en est décrite minutieusement la thérapeutique orthodontico-chirurgicale au moyen de petites lamines de plomb battues, les plus minces & les plus déliées que faire se pourra (p. 123-126). Cette technique sera reprise cinquante ans plus tard par Fauchard qui n’en souffle mot et s’en prétendra l’inventeur.
Pour les causes dues au chancre qui s’y attache, des petites bandes de tissus diversement imbibés seront appliquées la nuit sur les gencives (p. 128-129).
XIII bis : Des perfections & difformités de gencives
Démangeaison, abcez, ulcères, flux de sang inflammation, puanteur, ne détruisent pas moins leur beauté . Mais le paroulis ou l’époulis sont, à mon sens, les plus considérables, excepté le scorbut (p. 130). Si la superfluité de chair (paroulis) est fort grosse, il faut la serrer avec un fil ciré à l’extrémité d’enbas (…) moins fâcheuse que l’opération du coûteau ; parce qu’elle évite une émoragie & le feu qu’on est nécessité d’y appliquer (p. 131).
L’époulis est une aposthème qui se fait sur les gencives & sur les racines des Dents corrompues que la nature veut pousser dehors (…) En maturité, il ne faut différer de l’ouvrir (p. 131-132).
Quant à ce mal détestable, le scorbut ne les [ gencives] détruit pas seulement, mais il consume les autres parties du corps quand il s’est acquis un certain point de malignité (p. 133). Ses remèdes ne lui sont pas inconnus, pour les avoir pratiquez plusieurs fois sous les plus fameux & habiles Médecins de ce Royaume (p. 136).
Martin termine en décrivant la beauté & la perfection des gencives. Elles doivent être vermeilles comme la rose ny trop larges ny trop enflées, mais assez étendues pour couvrir les racines des Dents ; et les moins spongieuses qui sont fermes & solides sont les plus estimables, & c’est de cette manière qu’on doit les souhaiter (p. 136).
Pour Carlos Gysel « c’est un ouvrage de vulgarisation, sans mérites particuliers ».
Il doit néanmoins retenir l’attention par sa situation charnière entre deux époques séparées de presque deux cents ans. D’abord un espagnol totalement méconnu en France, astucieux clinicien, auteur d’un Colloque destiné à initier, en les divertissant, aussi bien les gens de la rue que des barbiers qui ne recevaient aucun enseignement et un Fauchard qui, génial compilateur a su prendre et développer scientifiquement le meilleur de Hémard et de Martin.
Martin, sans formation médicale ou chirurgicale avérée, a fait un ouvrage pourrait-on dire de salon en mixant littéralement des passages entiers de Francisco Martinez avec des connaissances prises au contact des plus fameux médecins de son temps. Il est fort probable qu’en dehors de Martinez, Martin ignore le Libellus de Dentibus d’Eustache (1563) et ne connaît apparemment pas l’adaptation très personnelle qu’en a faite son prédécesseur chirurgien rouergat, Urbain Hémard, Recherche sur la vraye anatomie des dents (1581).
En tant que manuel d’hygiène s’adressant aux gens du monde, les conseils basiques proches du Coloquio restent très utiles. Et faut-il le souligner, cette Dissertation servira de modèle à bien d’autres auteurs qui s’adressant au public, tout en divulguant quelques notions dentaires, défendront chacun les vertus de leurs opiats ou autres élixirs pour mieux les vendre.
Enfin sa méfiance à l’égard des soins dentaires qu’il semble n’avoir guère pratiqués n’a d’égal que leur précarité tant technique qu’instrumentale d’alors.
Carlos GYSEL. « Bernardin MARTIN et sa Dissertation sur les dents (1679-1979) », Actualités odonto-stomatologiques, n° 129, 1980, p. 59-71. Walter HOFFMANN- AXTHELM. History of Dentistry, Quintessence Publishing Co., Inc. 1981, Chicago, Berlin, Rio de Janeiro and Tokyo. Francisco MARTINEZ. Coloquio breve y compendioso sobre la materia de la denta dura y maravillosa obra la boca edition fac-similé. KRK ediciones, 2001, Oviedo. Micheline RUEL-KELLERMANN. « Francisco Martinez, de Castrillo de Onielo. Un précurseur méconnu de l’Odontologie (v.1525-10 septembre 1585) », Bulletin de l’Académie nationale de chirurgie dentaire, 2005, 48, p. 93-103. Micheline RUEL-KELLERMANN. « Colloque court et condensé sur la denture et l’œuvre merveilleuse de la bouche… Œuvre originale du prêtre Francisco MARTINEZ,(v.1525-1585) dentiste à la cour de Philippe II d’Espagne », Actes Congrès SFHAD, Reims 2005. Javier SANZ. Historia General de la odontologia Espanola, Masson, S. A. Barcelona, 1998, p. 62-76. Javier SANZ. « Francisco Martinez de Castrillo (ca.1525-1585) », Maxillaris, octobre 2000, p. 49-50. Simon de Vallambert. De la manière de nourrir et gouverner les enfans des leur naissance, Poitiers, 1565. Bernhard Wolf WEINBERGER. History of Dentistry, The C. V. Mosby Company, 1948, St Louis