François LEGENT
Oto-rhino-laryngologiste
Université de
Nantes
mars 2012
L’Oto-Rhino-Laryngologie et la stomatologie ont des zones de confluences liées au flou des limites territoriales. Pour qui s’intéresse à l’histoire de l’ORL, celle de la stomatologie ne peut laisser indifférent. Cette spécialité de médecine bucco-dentaire revendiquant son appartenance médicale, a eu maille à partir avec les chirurgiens-dentistes dont les manifestations d’indépendance remontent au XIX siècle. L’histoire de la stomatologie se trouve ainsi intriquée avec celle de l’odontologie, l’une ne va pas sans l’autre.
Une ordonnance royale de 1768 a organisé la profession de chirurgien et notamment le collège de chirurgie de Paris. Cet édit distinguait des spécialistes ou "experts "tels que les dentistes, les oculistes, les renoueurs d’os, les lithotomistes. Après deux années chez un maître en chirurgie ou un expert de la même spécialité à Paris, ou trois années en province, ils devaient se faire recevoir au collège de chirurgie avec justification de stage. L’édit précisait les conditions des examens, théorique et pratique. "Il devait prêter serment entre les mains du premier chirurgien du roi. Il édictait aussi les pénalités encourues pour le cas où l’expert dentiste sortirait de sa spécialité ". Ne pouvait se prévaloir chirurgien-dentiste que les chirurgiens ayant suivi les études complètes (1) (2) (3).
En janvier 2011 un décret , précisé par un arrêté publié au JO du 14 avril 2011, créait le DESCO (Diplôme d‘Études Spécialisées de Chirurgie Orale) accessible aux internes en odontologie et aux internes en médecine. Après les épreuves classantes nationales pour l'accès au 3ème cycle des études médicales en 2011, les futurs internes trouvaient au choix dans la spécialité chirurgicale 12 villes offrant le DES de Chirurgie orale mais aucune offre aux internes de médecine pour le DES de stomatologie ; il avait donc disparu.
Entre ces deux dates, les études dentaires ont connu des soubresauts difficiles à comprendre sans connaissance de certaines clés.
L’apprentissage de l’art dentaire relève-t-il d’une école professionnelle
ou doit-il être considéré comme une spécialité médicale labellisée ?
Les spécialités étaient mal vues par les ténors encyclopédistes qui n’acceptaient pas d’être débordés par des confrères reconnus plus compétents.
Alors que c’est en France qu’on trouve dès le début du XIXe siècle le premier hôpital d’enfants, des hôpitaux spécialisés en dermatologie, en psychiatrie, un "bureau central" installé à l’Hôtel-Dieu pendant tout le XIXe siècle pour orienter les hospitalisations en fonction des maladies, et le premier établissement spécialisé pour les maladies d’oreille avec l’Institution des sourds-muets et Itard, la conception encyclopédiste des responsables médicaux a fait barrage aux tentatives d’organisation officielle d’enseignement des spécialités. Les premiers ORL devaient aller en Autriche ou en Allemagne pour parfaire leurs connaissances (4).
Le monde médical était hostile aux certificats obligatoires de spécialité qui risquaient de rogner le champ d’activité potentielle des docteurs en médecine générale.
Dès la parution des lois des années 1880 autorisant les syndicats professionnels, les médecins ont créé les leurs. En se regroupant dans la Confédération des syndicats médicaux de France en 1929, le syndicalisme médical devint un interlocuteur privilégié des instances officielles, notamment pour les réformes concernant les études médicales. Concernant les spécialités, cette CFSM était écartelée entre les spécialistes qui souhaitaient un diplôme reconnaissant leur compétence vis-à-vis de leur clientèle et les généralistes qui n’acceptaient pas la limitation de leur compétence, ce qu’auraient entraîné des diplômes obligatoires de spécialités. Le syndicat admettait la qualification sans la certification. Ce refus était considéré par la CMSF comme un préliminaire à toute discussion. Cette situation perdura jusqu’à la création des CES après la guerre.
Ces deux positions très fermes, encyclopédiste au XIXe siècle et anti-certification plus tard, expliquent les échecs successifs des projets concernant une spécialité dentaire médicale reconnue officiellement par les facultés de médecine pendant près d’un siècle et demi.
supprimait les corporations, les facultés de médecine et écoles de chirurgie,
déclarait pour tout citoyen la liberté de l’exercice des professions et métiers,
créait trois écoles de santé pour former les médecins, les chirurgiens officiers de santé dont la nation avait besoin pour ses armées, en fusionnant la médecine et la chirurgie.
Elle terminait le cycle révolutionnaire des bouleversements concernant la médecine en réorganisant l'ensemble de la profession : nul ne peut désormais exercer la médecine ou la chirurgie sans diplôme. Elle ne sera abolie qu’en 1892 par la deuxième grande loi d’organisation de la médecine.
Cette loi de ventôse an XI instaurait des écoles de médecine. La distinction était abolie entre médecins et chirurgiens, tout en distinguant le doctorat en médecine et le doctorat en chirurgie, distinction qui disparaîtra en 1892. La médecine comportait désormais deux niveaux :
celui des docteurs, issus des écoles de médecine dont le titre donnait le droit d'exercer la médecine et la chirurgie sur tout le territoire ;
celui des officiers de santé, pratiquant une médecine restreinte après des études plus brèves. Jusqu’en 1855, les officiers de santé étaient reçus par des jurys médicaux dans les départements. L’officier de santé ne pouvait exercer que dans les limites du département où il avait été reçu.
Le doctorat en médecine ou en chirurgie était obtenu après quatre années d'études, et une thèse en français ou en latin.
Cette loi de ventôse an XI a fait couler beaucoup d’encre au XIXe chez les dentistes. En effet, elle n’évoquait que les docteurs en médecine, les officiers de santé et les sages-femmes. Elle ignorait les différents "experts" de l’ancien régime : dentistes, et oculistes notamment. Plusieurs dentistes furent poursuivis par des confrères dentistes "diplômés médecins" devant des juridictions locales de police correctionnelle pour exercice de l’art dentaire sans diplôme, qui se sont portés partie civile, au prétexte que "si la loi de ventôse n’évoquait pas les dentistes, l’esprit de cette loi le sous-entendait". Devant la clémence de certains tribunaux, le procureur général fit appel devant la Cour de cassation.
En février 1827, la Cour de cassation , en reprenant la législation sur l’exercice chirurgical de l’ancien régime, décidait que la loi qui évoquait les chirurgiens "ancien régime" ne pouvait s’appliquer aux "experts-dentistes" qu’elle ignorait et rejetait le pourvoi du procureur général.
Dans les années suivantes, plusieurs jugements contradictoires encouragèrent des dentistes-médecins ou chirurgiens à poursuivre des personnes exerçant l’art dentaire sans diplôme, invoquant l’esprit de la loi de ventôse non respecté. Mais ils furent déboutés.
Dans une chronique des Annales d’hygiène publique et de médecine légale de 1846 intitulée De la profession de dentiste (2), l’auteur faisait remarquer que si la loi de ventôse n’évoquait ni les dentistes ni les oculistes, ce n’était pas par oubli mais "pour faire disparaître toutes les anomalies de l’ancienne législation, et de ramener l’art de guérir à une unité de pratique que réclamait l’intérêt de la santé publique". L’auteur terminait en écrivant "qu’on ne peut pas abandonner l’exercice de l’art du dentiste au premier ignorant qui voudra s’y livrer ; si on pense qu’il serait peut-être rigoureux d’exiger pour cette profession un diplôme de docteur ou d’officier de santé, on pourrait au moins demander des examens spéciaux, ainsi que le prescrivait l’ordonnance de 1768 ; cette question est de la plus haute importance ; il faut espérer qu’elle sera résolue par la nouvelle loi qu’on prépare sur l’exercice de la médecine". L’auteur mettait tous ses espoirs dans le projet Salvandy.
La patente fut créée en France avec la loi de mars 1791 par l’assemblée constituante. Le but de la patente était alors de taxer un revenu présumé en fonction de l'outil de travail. En 1844, la loi réorganisait complètement cet impôt. Elle prévoyait avant son passage à la Chambre des députés l’exonération pour certaines professions, dont les médecins, chirurgiens, officiers de santé, sages-femmes, oculistes, dentistes, ce qui reconnaissait officiellement ces professions (5). Le député Jean-Baptiste Bouillaud, le médecin dont le nom reste attaché aux liens entre rhumatisme articulaire aigu et cardiopathie, fit ramener la liste aux médecins, officiers de santé, sages-femmes et vétérinaires. Les dentistes n’y figuraient plus. Bouillaud avait demandé que "l’article de loi fut conforme aux termes de la loi de l’an XI "qui ne mentionnait pas les dentistes. Il ne voulait pas ouvrir la boîte de Pandore des frontières entre les champs d’activité des médecins et ceux des auxiliaires médicaux. La patente créait de fait deux catégories de dentistes : d’une part les médecins-dentistes (docteurs ou officiers de santé) non patentés, d’autre part les dentistes patentés, non médecins mais reconnus. Cette distinction aura son importance lors de l’application de la loi de 1892. Quant aux dentistes non médecins et non patentés, ils regroupaient surtout les charlatans.
Le comte Narcisse-Achille de Salvandy, ministre de l’instruction publique, présenta début 1847 un projet de réforme d’ensemble de la profession médicale. Les discussions tournèrent surtout sur l’avenir de l’officier de santé (6). Fallait-il le maintenir? Dans son projet de février 1847, le ministre ne s’attardait guère sur les dentistes "que la loi peut maintenir avec de suffisantes précautions et de sages réserves". En mai 1847, le projet de loi prévoyait que "les aspirants au brevet de dentiste doivent avoir fait un stage délivré après quatre années chez un dentiste régulièrement établi ou de deux années d’études soit dans une école préparatoire soit dans une faculté. Deux années de stage comptent pour une année d’études. Dans tous les cas, ils devront subir deux examens spéciaux".
Le projet précisait aussi que "nul ne peut exercer la profession de dentiste s’il n’est docteur en médecine ou s’il ne justifie pas d’un brevet spécial délivré par une école ou une faculté". Les débats à la Chambre des pairs se prolongèrent au cours de l’année 1847. En janvier 1848, le ministre défendait son projet devant la chambre des députés. Mais la révolution de février 1848 envoya cette loi rejoindre le musée des occasions perdues, laissant se développer de nombreuses installations de dentistes en France.
La décision de la Cour de cassation de février 1827, en décidant que les dentistes n’appartiennent à aucune des trois professions de médecin, de chirurgien ou d’officier de santé, a contribué à encourager les "installations sauvages" d’individus s’autoproclamant dentistes. Le Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale de 1846 expliquait que, depuis cet arrêt de la cour de cassation, "il était loisible à chacun de se faire dentiste. Cet abus, qui avait été rare jusque là, a pris ces dernières années un grand développement. On comptait par douzaines, à Paris, les personnes qui, sans aucun titre médical, avaient ouvert des cabinets de dentistes où ils appelaient les clients à grand renfort d’annonces et de prospectus". Les abus étaient si notoires qu’en 1853 (7), le préfet de police de Paris était amené à adresser aux commissaires de police de Paris et aux maires des communes environnantes, une circulaire pour "s’opposer à ce que tout individu, prenant le titre d’opérateur dentiste, se livre à l’extraction des dents, fasse usage du chloroforme, et se livre à aucune pratique chirurgicale ou médicale. Si l’administration, en présence de la jurisprudence à cet égard, ne permet d’exiger la justification d’un diplôme d’officier de santé ou de docteur, elle peut interdire à ceux qui n’ont aucun diplôme, d’administrer des remèdes ou préparations dont l’emploi maladroitement appliqué, peut entraîner de graves accidents. Je citerai le chloroforme et l’éthérisation".
En 1871, Amédée Dechambre revenait dans la Gazette médicale sur l’aspect juridique de la profession de dentiste (8). Le directeur-fondateur de ce journal faisait remarquer que, "dans l’état actuel de la législation, un cabinet de dentiste peut être ouvert sans obligation de diplôme ; mais la pratique dentaire devrait être exclusivement manuelle ; s’abstenir de tout traitement médical, de toute opération chirurgicale. En dehors de ces limites, que reste-t-il ? Le nettoyage, le limage, la pose des dents, leur extraction peut-être, la construction d’appareils prothétiques...Seulement, entre les divers moyens à employer dans la pratique dentaire, ceux du domaine médical et ceux du domaine manuel, il y a souvent des connexités qui rendraient très mal aisé et fort incommode pour le patient le partage du terrain entre le médecin et l’expert". Dechambre terminait en écrivant qu’il fallait laisser au dentiste "toute l’étendue que comporte sa profession mais en le soumettant à des épreuves spéciales, ainsi qu’il a été fait pour les sages-femmes".
Cette situation de "non loi" ne pouvait laisser indifférents les médecins spécialisés dans l’art dentaire ou "médecins-dentistes". Aussi les plus dynamiques de ces médecins se regroupèrent pour poursuivre les dentistes non diplômés.
De quand dater cette spécialité médicale de l’art dentaire ? Le nom a été créé en 1868 par le docteur Edmond Andrieu, chirurgien-dentiste, médecin-dentiste de l'hospice des Enfants-assistés et de la Maternité avec son Traité complet de stomatologie (9). Il expliquait dans l'avant-propos pourquoi il avait créé le terme stomatologie. "Nous désignons sous le nom de stomatologie la partie de l’art médical qui comprend l’étude de la bouche et de ses maladies, et sous celui de stomatologiste le médecin qui se livre spécialement à cette étude", et qui, désormais, allait se substituer à celui de médecin-dentiste. En toute logique, on peut qualifier de "stomatologistes" les dentistes revendiquant leur attachement au corps médical, soit pour l’époque comme docteurs en médecine soit comme officiers de santé spécialisés dans l’art dentaire. On verra plus tard des médecins-dentistes revendiquer le doctorat dentaire comme Chactas Hulin de Paris lors de sa présidence de la Section dentaire du Conseil supérieur de l'Ordre des Médecins sous Vichy.
C’est un médecin-dentiste particulièrement actif, Joseph Audibran, qui créa en mai 1845 la Société de chirurgie dentaire de Paris avec une soixantaine de confrères dentistes "munis d’un diplôme", c’est-à-dire de docteur ou d’officier de santé. Le but officiel était la défense de ces dentistes diplômés et la poursuite en justice de "dentistes marrons" (selon l’expression d’Audibran) non diplômés, pour permettre à la profession de maintenir son honorabilité. Ils choisirent quatre dentistes exerçant à Paris, dont un étranger, pour les poursuivre devant le tribunal correctionnel pour préjudice porté aux dentistes diplômés, c’est-à-dire médecins (docteurs ou officiers de santé) en arguant qu’ils contrevenaient à la loi de ventôse an XI. Audibran reçut les encouragements du doyen Orfila et des grands chirurgiens de l’époque comme Roux et Velpeau (10). Pour Roux, "nul de devrait exercer l’art du dentiste s’il ne possède pas le titre de docteur, ou au moins celui d’officier de santé, et qu’en conséquence, les dentistes pourvus de ces diplômes font nécessairement partie du corps médical". Velpeau allait plus loin : "L’art du dentiste est une partie essentielle de la médecine....Pour exercer cet art, il est indispensable d’être médecin ou chirurgien".
L’avocat d’un des dentistes poursuivis avançait que la plainte était liée à la jalousie du succès en clientèle de son client, et que la loi de ventose an XI ne s’appliquait qu’aux vrais chirurgiens et non aux chirurgiens-dentistes. Comme preuves, un autre avocat mit les rieurs de son côté en expliquant : "Les grands et vrais chirurgiens ont toujours dédaigné d’arracher les dents. Adressez-vous à M. Velpeau, à M. Malgaigne, et présentez votre mâchoire, et vous verrez comment vous serez reçus".
A en croire Audibran, les poursuites judiciaires contre ces dentistes non diplômés qui entachaient l’honorabilité de la profession eurent d’heureux résultats. Condamnés en première instance pour exercice sans diplôme, ces dentistes "se disposèrent presque tous à étudier, afin d’acquérir les connaissances nécessaires pour pouvoir se faire examiner et obtenir le diplôme qui pouvait seul les autoriser à continuer d’exercer la profession de dentiste. C’est là ce que désirait le corps des dentistes poursuivants."
Mais les jugements en appel condamnaient aussi les dentistes non diplômés. Un seul alla jusqu’à la cour suprême, un étranger d’origine néerlandaise, Benjamin Cohen, qui avait adopté le pseudonyme anglicisant de William Rogers pour se faire passer pour un praticien londonien alors qu’il n’avait aucun diplôme. Installé à Paris en 1836, il revendiquait l’invention d’amalgame en platine, de dentiers "osanaures "en ivoire d’hippopotame "maintenus par la seule action de la pression atmosphérique", et n’hésitait pas à recourir à la presse pour se faire une publicité par des articles dithyrambiques ou l'emploi d’hommes sandwich alors appelés "laquais-affiche".
La Cour de cassation confirma de nouveau en 1846 la position prise par son arrêt de 1827 en relaxant Rogers. La déception d’Audibran fut immense. On peut lire dans son livre sur la Fondation de la Société de chirurgie dentaire de Paris, un chapitre intitulé Effets déplorables produits par les deux arrêts rendus par la cour de cassation, relativement à la profession de dentiste : "Depuis le premier arrêt, on remarquait parmi les nouveaux dentistes des femmes galantes, des individus ayant fait auparavant toutes sortes de métiers, et même des condamnés pour escroquerie. Maintenant, après le second arrêt récemment rendu, il faut s’attendre à voir s’y introduire des filles publiques et peut-être des forçats libérés, car désormais tous les gens réprouvés peuvent trouver un refuge dans l’exercice de la profession de dentiste... Et ne peut-on pas avec raison s’écrier : Intriguants de toutes les nations ! Anglais surtout, si habiles en charlatanisme ! Accourez à Paris, venez y prendre le titre de Dentiste, et si vous êtes poursuivis comme exerçant sans diplôme cette profession, soyez certains de l’impunité, car la cour suprême vous y autorise !!!"
Dans son livre sur la Fondation de la Société de chirurgie dentaire de Paris, Audibran reprend l’historique de ce combat, poursuivi après pendant les années 1860 par Andrieu auprès des différents ministères, des corps législatifs et du sénat. Dans une pétition de 1877, Andrieu allait même jusqu’à demander le doctorat obligatoire pour exercer l’art dentaire.
En février 1888 était créée la Société de stomatologie de Paris. Pour en faire partie, il fallait être pourvu d’un diplôme de médecin français ou d’un diplôme étranger reconnu équivalent par la Société.
La tutelle de la Faculté de médecine paraissait très pesante à certains dentistes. La loi sur la liberté de l'enseignement supérieur de juillet 1875 allait permettre d’ouvrir des "écoles dentaires libres", à l’occasion de la création d’un syndicat de dentistes favorisée par l'Union nationale des chambres syndicales du commerce et de l'industrie. Cette UNCI a été créée en 1860 pour défendre les intérêts des artisans et commerçants patentés, notamment contre la fraude, défendre les brevets, régler les conflits à l’intérieur des divers métiers. En 1878, le président de l’UNCI a pensé qu'il serait utile de créer un "syndicat de l'Art dentaire" compte tenu de la présence au sein de l’Union nationale de 94 adhérents exerçant la profession de dentiste. Au début de 1879 fut constitué un premier "comité de l’Art dentaire" de 15 membres (représentant toutes les catégories d'une profession très hétérogène : médecins, officiers de santé, dentistes patentés, mécaniciens) pour représenter la Chambre syndicale de l'Art dentaire qui venait ainsi d'être fondée (11). Le Dr Andrieu, élu président, posa d'emblée le problème de la réglementation de l'art dentaire ce qui déclencha immédiatement une dissidence car certains membres étaient farouchement opposés à une quelconque règlementation et voulaient la liberté d’exercice. C’est de cette époque que date l’opposition de deux conceptions de l’apprentissage de l’art dentaire, branche de la médecine ou école professionnelle, avec très rapidement création de deux syndicats :
la Société syndicale odontologique, pro-médecin, avec à sa tête Edmond Andrieu,
le Cercle des dentistes de Paris.
Pour la Société syndicale odontologique, alors majoritaire, la mise en place d'une réglementation constituait le projet prioritaire des réformes ; l'art dentaire étant considéré comme une branche de la médecine, la formation du dentiste devait être sanctionnée par le diplôme de docteur en médecine. La création d'une école dentaire serait envisagée en second lieu. Elle dépendrait de la faculté de médecine et serait financée et gérée par l'État.
Pour le Cercle des dentistes de Paris, avec à sa tête Emmanuel Lecaudey et Charles Godon, l'objectif essentiel résidait dans l'établissement d'une école professionnelle libre, où la tutelle de l'État était totalement exclue. Le diplôme dispensé serait de : "Chirurgien-dentiste de l'École professionnelle dentaire de Paris ". Dès décembre 1879, ce Cercle des dentistes de Paris présentait son projet de fondation d'une École professionnelle de chirurgie et de prothèse dentaire à Paris ainsi que d'une clinique en "hôpital dentaire adjointe à l'École " et lançait une souscription nationale permanente auprès des dentistes, du monde médical et du public.
Ainsi furent crées en France les deux première écoles dentaires parisiennes privées:
l'école et l'hôpital dentaires libres de Paris en 1880 (installés d’abord rue Richer, et ultérieurement rue de Latour d’Auvergne, pour devenir la future faculté Montrouge)
l'école dentaire de France constituée au sein de l'Institut odontotechnique de France en 1884 (situés d’abord rue de l’Abbaye puis rue Garancière).
La création de ces deux écoles allait amener la transformation complète de la profession dentaire en France. Elle réveilla l’administration universitaire.
En mai 1880, les services du ministre de l’Instruction publique, Jules Ferry, demandaient au doyen de la faculté de médecine de Paris "s’il fallait exiger de tout dentiste qu’il ait acquis par des examens, au moins par ceux d’officier de santé, le droit d’exercer la médecine et s’il y avait lieu d’imposer aux futurs dentistes un stage professionnel qui aurait pour conséquence un examen de validation de stage. "
Une commission fut constituée de trois professeurs et deux chirurgiens, dont Le Fort qui était très impliqué dans l’enseignement de la Faculté. Ce futur professeur de clinique chirurgicale comprenait l’importance de la spécialisation (12). La "commission Le Fort" étudia le dossier et conclut que l’art dentaire nécessitait deux à trois ans de stage chez un praticien. Si on exige d’eux le diplôme de docteur en médecine, ce que certains représentants des dentistes réclamaient, "on leur donne une sorte de supériorité sur les médecins ordinaires". Si on exige le diplôme d’officier de santé, on va augmenter le nombre de ces médecins alors qu’il faut aller progressivement vers leur disparition. On peut aussi créer des "écoles libres qui délivrent des brevets de chirurgien-dentiste après deux ans d’études comme il en existe une à Paris depuis deux ans". En fait, la commission rejetait tout diplôme médical obligatoire pour les dentistes, et proposait la création d’un diplôme de dentiste. La commission ne pouvait admettre un diplôme privé à côté d’un titre officiel. Elle proposa un "diplôme spécial de dentiste" après deux années de cours dans une faculté ou école de médecine, avec un stage dans un service de chirurgie, et deux années de stage dans une école d’odontologie ou chez un dentiste.
La "réforme Le Fort" prévoyait que "les docteurs en médecine et les officiers de santé qui désireront pouvoir joindre à leur titre celui de dentiste, ne seront astreints qu’aux deux années de stage spécial, et n’auront à subir d’autre examen que l’épreuve pratique". Elle traduisait la pensée de la commission que le médecin, malgré le caractère général d’exercice, ne pouvait pas pratiquer l’art dentaire sans avoir eu une formation spéciale. Elle rejetait le terme de "chirurgien dentiste" afin de marquer l’interdiction de pratiquer des opérations chirurgicales.
Ce projet de réforme, paru dans la Gazette Hebdomadaire de médecine et de chirurgie en septembre 1881, était présenté par Amédée Dechambre personnage alors très influent. Il critiquait l’obligation faite aux médecins d’avoir une formation spéciale. "On comprendra difficilement qu’un docteur qui peut faire l’ablation des deux mâchoires n’ait pas le droit de soigner les dents. Le rapport fait remarquer que la technique de l’art dentaire n’est pas enseignée dans les Facultés et Écoles médicales. Qu’est-ce qui n’est pas enseigné de l’art dentaire? Est-ce la partie chirurgicale? On a tort : les maladies de la bouche appartiennent au programme des professeurs de chirurgie. Est-ce la partie manuelle, la prothèse ? En fait, de nombreux médecins de campagne sont appelés à donner des soins dentaires. C’est donc à l’ensemble des praticiens qu’il faut apprendre à soigner les dents..." Dechambre se montrait à l’égal d’un fort courant encyclopédiste et en fait hostile aux spécialités. Le projet Le Fort fut adopté par la faculté de médecine de Paris en juin 1882. Et pourtant, elle battait en brèche le caractère universel du diplôme de docteur en médecine et remettait en cause l’exercice des spécialités médicales, à commencer par la chirurgie. Ce fut la seule fois où la Faculté de médecine de Paris fut appelée à donner son avis sur la formation dentaire.
Émile Magitot s’insurgea contre ce projet et réclamait pour pouvoir obtenir la qualification de dentiste, d’avoir au préalable obtenu devant une faculté de médecine ou une école secondaire le droit d’exercer la médecine (13). Ce médecin, fils de dentiste, membre de la Société de chirurgie de Paris et de l’Académie de médecine, s’intéressa très tôt à la pathologie et à la chirurgie bucco-dentaire. Il insistait avec force sur l’état catastrophique de l’exercice de l’art dentaire en France, tant dans le privé que dans les hôpitaux. Il joua un rôle important dans la défense de la stomatologie.
Après le projet gouvernemental déposé devant les Chambres, un autre projet émanant de l'initiative parlementaire fut présenté trois ans plus tard. Ces deux projets, fusionnés en 1889, soumis à la Chambre et au Sénat en 1890, ont été à l’origine de la loi promulguée le 30 novembre 1892.
Elle est parfois appelée loi Brouardel, doyen de la faculté de médecine, son rapporteur devant les instances législatives. Après la loi de ventôse an XI, ce fut la deuxième grande loi sur l’organisation de la médecine en France. Elle supprimait l’officiat de santé et règlementait l’exercice de la médecine, de la profession de dentiste et de la profession de sage-femme. Elle créait le diplôme de chirurgien-dentiste (1).
Art. 2. - Nul ne peut exercer la profession de dentiste, s'il n'est muni d'un diplôme de docteur en médecine ou de chirurgien-dentiste. Le diplôme de chirurgien-dentiste sera délivré à la suite d'examens subis devant un établissement d'enseignement supérieur médical de l'État.
A la différence des médecins, les dentistes n’avaient pas l’obligation d’être bacheliers (il fallut attendre un décret de janvier 1909 pour rendre obligatoire le brevet et faire passer le nombre d’années d’études de 3 à 5 ans). Ils devaient dans ce cas passer un examen d’entrée à l’école. Au titre de dentiste qui avait été conservé par les députés a été substitué celui de chirurgien-dentiste à la demande du sénat. Il ne fallait pas marquer d’infériorité par rapport à certains confrères étrangers, notamment américains qui avaient pour titre "surgeon-dentist". Ils retrouvaient ainsi un titre perdu avec l’ordonnance 1768. A titre transitoire, les officiers de santé reçus antérieurement auront le droit d'exercer la médecine et l'art dentaire sur tout le territoire de la République.
Cette loi précisait que "Les dentistes seront soumis à toutes les obligations imposées par la loi aux docteurs en médecine. Un règlement, délibéré en Conseil supérieur de l'instruction publique, déterminera les conditions dans lesquelles un dentiste, qui bénéficie des dispositions transitoires, pourra obtenir le diplôme de chirurgien-dentiste. Le droit d'exercer l'art dentaire est maintenu à tout dentiste justifiant qu'il est inscrit au rôle des patentes au 1er janvier 1892".
Ainsi, tous les dentistes qui avaient pris patente avant la parution de cette loi purent continuer à exercer sans passer d’examen. Quant aux "dentistes non patentés" qui n’avaient pu bénéficier des mesures transitoires, ils vont s’établir "mécaniciens-dentistes".
Les deux Ecoles Dentaires fondées antérieurement furent reconnues d'utilité publique et considérées par l'Etat comme Écoles préparatoires où les élèves font un stage de trois ans, avant leurs examens devant la Faculté qui leur confère le titre de Chirurgien-Dentiste, permettant aux impétrants de mettre sur leur carte de visite, après leur nom : chirurgien-dentiste de la faculté de médecine de Paris.
Après la loi qui fixait le domaine du chirurgien-dentiste, des décrets complémentaires, notamment en juillet 1893 et décembre 1894, déterminèrent les conditions d’inscription dans les écoles, celles des examens, précisèrent la situation légale des écoles dentaires qui eurent la délégation de l’enseignement. Le décret du 25 juillet 1893 indiquait : "Les études en vue du diplôme de chirurgien-dentiste ont une durée de trois ans. Pour la première inscription, les aspirants doivent produire le baccalauréat ou le certificat d'études primaires".
Dès lors, la faculté de médecine contrôlait les études des chirurgiens-dentistes et la délivrance des diplômes. La nouvelle loi permettait à tout docteur en médecine d’ouvrir un cabinet dentaire, sans aucun contrôle de compétence.
Certains dentistes, apôtres de la liberté d’enseignement, s’insurgèrent contre cette loi, comme Charles Godon. Ce dentiste un des plus ardents défenseurs de cette liberté pour les écoles dentaires, professeur à l‘École Dentaire de Paris, édita une plaquette dès 1893 intitulée "L’exercice de la profession de dentiste doit-il rester libre en France ?". En fait, cette loi de 1892 avait été considérée par Brouardel comme devant être complétée ultérieurement. Jean-Marie Rédier la trouvait "précipitée". Son flou permettait de la contourner comme le raconta le Rapport sur le programme professionnel des mécaniciens dentistes, publié par le syndicat des mécaniciens dentistes édité en 1922 (14). "Durant une période de 1892 à 1911 où trois années seulement de préparation étaient demandées à des étudiants, munis d'un certificat d'études secondaires et où on avait la prétention de leur apprendre, d'une part la prothèse dentaire, la chirurgie dentaire et, de plus, des études, ou plutôt des données générales, sur l'anatomie, la pathologie, la physiologie...Une concurrence directe s'ensuivit, à l'encontre des docteurs dentistes, appelés stomatologistes, qui, spécialisés dans l'art dentaire, avancèrent que le diplôme de chirurgien-dentiste accordait trop, en rapport des études si peu étendues, ou plutôt dans un délai si court pour être profitables. Quantité d'étudiants se prédestinant aux études de la médecine, de la pharmacie et même de l'enseignement, en profitent pour passer, avec armes et bagages, dans les écoles dentaires, si accueillantes et si bienveillantes aux ratés du bachot".
Si tous les dentistes qui avaient pris patente avant la parution de cette loi pouvaient continuer à exercer sans passer d’examen, la loi avait toutefois apporté une restriction à leur exercice. "Ces dentistes n'auront le droit de pratiquer l'anesthésie qu'avec l'assistance d'un docteur ou d'un officier de santé."
Cette loi de 1892 ne pouvait satisfaire les dentistes qui se trouvaient concurrencés par des officiers de santé sans aucune obligation de formation adaptée ou par ceux qui voulaient garder la liberté d’organiser librement la profession. Elle constituait une bombe à retardement qui explosa en 1968. De plus, si la loi de 1892 reprenait l’idée du rapport Le Fort de 1881 de création d’un diplôme de dentiste, elle supprimait toute notion d’obligation de formation spéciale pour les médecins.
Certains dentistes finirent par admettre cette nouvelle loi, comme Charles Godon qui l’avait vigoureusement combattue. Il changea de comportement en quelques années, allant même jusqu’à passer une thèse de médecine en 1900 sur l’Évolution de l’art dentaire (15). Il y racontait l’histoire de l’École dentaire de Paris créée en1880, dont il était devenu le directeur. Pour lui, la loi de 1892 était la Charte du chirurgien-dentiste; il admettait cette loi puisque c’est la loi, Dura lex, sed lex écrivait-il. C’était la main tendue aux médecins-dentistes. En 1900, à côté de l’École dentaire de Paris et de l‘École Odontotechnique, on dénombrait en France trois autres écoles dentaires ouvertes au cours des années 90, l’École dentaire pratique à Paris en 1892 créée par un dissident de l’École Dentaire de Paris, une école à Bordeaux en 1895 et à Lyon en 1898. Ce fut le début de l’âge d’or de la stomatologie.
Certains médecins-dentistes ne pouvaient accepter cette loi de 1892 car ils se voyaient concurrencés par des dentistes formés en trois années, avec pour tout bagage le certificat d’études. De plus, la contrepartie de cette loi était de refuser l’officialisation d’un enseignement de stomatologie par la faculté. Ils durent créer leur propre enseignement payant mais non obligatoire, perdant la chance de voir une double formation officielle médicale et dentaire pour certains spécialistes.
La loi reconnaissait aux docteurs en médecine le droit d'exercice de la dentisterie sans aucune formation et aucun contrôle préalable. Certains en profitèrent ; ils se faisaient volontiers appeler "docteur-dentiste". D’autres s'intitulèrent stomatologistes suivant l’idée d’Andrieu. Ils se retrouvaient au sein de la Société de stomatologie de Paris créée en 1888, à l’initiative d’Émile Magitot. "L’objet officiel de cette société est l’étude scientifique des maladies de la bouche, de l’appareil dentaire et de leurs annexes". Les fondateurs de la Société de stomatologie "placent au-dessus de toute contestation que la stomatologie fait partie intégrante de la médecine, et quelle exige, pour être exercée avec autorité, une instruction scientifique aussi variée et aussi complète que les autres spécialités médicales. Or, l’exercice de la médecine en France n’étant pas libre, ils invoquent l’application du droit commun, c’est-à-dire la pratique de la stomatologie par les médecins".
En 1894, Magitot lançait la Revue de stomatologie dont le premier rédacteur en chef fut Ludger Cruet. En 1897, le doyen Paul Camille Brouardel obtenait du ministère de l’Instruction publique, une mission d'étude sur le fonctionnement des écoles dentaires à l'étranger pour un jeune médecin, Paul Gires, l’année suivant sa soutenance de thèse sur un sujet de stomatologie. Après un séjour de plus de deux années aux USA d’où il revint avec un diplôme universitaire de dentiste, Gires fit un rapport publié en 1900 et prit plus tard des responsabilités dans la spécialité;
En 1909 les stomatologistes ouvraient à Paris, dans un appartement de la rue Dauphine, une école appelée École française de stomatologie, dirigée d’abord par Ludger Cruet, puis par Paul Gires à partir de 1920.
En 1920, la Faculté de médecine de Paris créait un poste de "chargé de cours" de stomatologie. L’enseignement des stomatologistes parisiens était bien structuré alors que la formation de certains dentistes était contestée.
En province, la faculté libre de médecine de Lille, nouvellement créée, recrutait dès 1877 Jean-Marie Rédier pour assurer l’enseignement de la pathologie externe et de la stomatologie. Ce médecin militaire, qui avait dû interrompre sa préparation au concours d’agrégation du Val de Grâce pour raisons de santé, s’intéressait à la stomatologie. Il organisa un cours et une clinique des maladies de la bouche et des dents, et donna plusieurs publications dans ce domaine dont un précis de stomatologie.
Pour les dentistes : "La situation des stomatologistes était prépondérante malgré leur faiblesse numérique. La possession du doctorat ne les soumet pas, comme c'est le cas pour les chirurgiens-dentistes, à des limites thérapeutiques strictes. Les services hospitaliers deviennent leur domaine exclusif, le service aux Armées ne confie les soins et la prothèse qu'aux stomatologistes" (16).
Mais la situation des mécaniciens vis-à-vis du diplôme de dentiste allait mettre le feu aux poudres et envenimer les rapports avec les chirurgiens-dentistes.
Certains mécaniciens-dentistes avaient pu bénéficier de facilités pour obtenir le diplôme d’officier de santé, au milieu du XIXe siècle, leur donnant accès au titre de médecin-dentiste. Le Rapport sur le programme professionnel des mécaniciens dentistes, publié par le syndicat des mécaniciens dentistes de 1922 est particulièrement éloquent sur la situation des différentes catégories de professionnels dentaires (14).
Dès la parution de la loi de 1892, les dentistes "qui n'ont pu bénéficier de la patente de 1892, vont chercher à s'établir à façon et c'est seulement vers cette époque, que nous voyons se créer des laboratoires de prothèse à façon". C’est ainsi qu’un ancien bijoutier, "ingénieux et d'une grande puissance de travail va monter une maison où il ne tardera pas à employer une trentaine d'ouvriers mécaniciens-dentistes, à Paris. A partir de ce moment, cette autre profession semble prendre corps et n'aura plus à faire directement à la clientèle du public ; les prothésistes semblent perdre de plus en plus contact, à la grande satisfaction du Syndicat des Chirurgiens-dentistes qui, de son côté, mène une campagne violente contre ceux qui enfreignent la loi sur l'art dentaire et comme cette loi ne stipule pas nettement et en détail les conditions de la prothèse, on englobe dans un intérêt particulier, l'une et l'autre".
La grande question concernait le droit à la prise d’empreinte par les mécaniciens-dentistes et la pose des prothèses, ce qui mettait en fureur les chirurgiens-dentistes. "Une série de procès a lieu dans toute la France. Malheureusement la plupart des poursuivis se sont laissés aller à pratiquer les extractions et même des soins et des condamnations sont prononcées, laissant dans l'esprit du public, et même dans celui des juges, une confusion dans l'exercice illégal de la prothèse dentaire. Pourtant, un procès assez retentissant a lieu, en 1907, qui va remettre entièrement la question. Ce qu'il y a de plus curieux, c'est le témoignage de la part des plus grandes sommités du monde médical et dentaire venir déclarer que la prise d'empreinte n'offre aucun danger, pratiquée par un mécanicien habile et avec quelques années de métier. C'est le son de cloche des stomatologistes. D'autre part, la partie civile, en la personne du Syndicat des Chirurgiens-dentistes, demande la condamnation pure et simple. Après une brillante plaidoirie de Me Ducos de la Haille, la Cour condamne le délinquant, non sur la prise d'empreinte, mais sur le diagnostic établi par lui, et par conséquent, d'avoir outrepassé son droit sur l'exercice légal de la médecine. De ce jour, c'est une rivalité sans nom que se sont déclarés docteurs-stomatologistes et chirurgiens-dentistes".
Nombre de mécaniciens-dentistes bénéficièrent des mesures transitoires pour passer les examens de chirurgien-dentiste. "En 1910, on s'inquiète tout de même du manque d'expérience et surtout du peu d’instruction relevé sur tous ces nouveaux promus, instruction acquise à force de cours du soir, ou dont le passage à certaines écoles de préparation universitaire, ne leur laissait qu'un bagage très élémentaire de connaissances générales. Des suspicions même, coururent sur quantité d’examens passés par fraude. Bref, les stomatologistes avaient la partie belle pour ironiser les chirurgiens-dentistes, diplômés à 19 et 20 ans. A la suite des plaintes et par raison sociale, ceux-ci demandèrent l'exigibilité du certificat d'études primaires supérieures et cinq années d'études dentaires dont deux ans de stage au début et spécialement réservés à la prothèse dentaire. Pendant ce temps, les laboratoires à façon avaient augmenté dans une énorme proportion et le régime de trois ans pour les étudiants était cause, pour une grande part, de leur manque de pratique, ce qui exigeait que leurs travaux fussent faits par les mécaniciens-dentistes aux compétences professionnelles reconnues. On comptait dans cette dernière fournée plus de neuf cents inscriptions d'élèves dans les écoles. Si cela ne devait pas faire l'affaire du public, du moins, faisait-elle celles des écoles".
En 1933, la Confédération Française des Syndicats Médicaux (CFSM) discutait d’un projet de loi sur les auxiliaires médicaux, dont les mécaniciens-dentistes, qui prévoyait que ceux-ci pourraient exercer leur art (prise d'empreinte ; essayage et pose d'appareils de prothèse dentaire) sans ordonnance médicale toutes les fois qu’une intervention médico-chirurgicale n'est pas nécessaire. Ce projet fut retiré devant des oppositions à la Chambre des députés. Pour la CFSM, "le droit pour les mécaniciens-dentistes de prise d'empreinte, essayage et pose d'appareils de prothèse dentaire, était un empiétement manifeste sur la profession de dentiste et un recul sur ce qui se passe actuellement, au point de vue légal" (17).
La loi de 1892 ne donnait pas satisfaction, ni aux dentistes, ni aux stomatologistes. Son flou avait permis des abus concernant la formation de certains dentistes. Pour Brouardel, cette loi de 1892 n’avait qu’un caractère provisoire concernant les dentistes. Une révision s’imposait. En 1930, un projet de loi des sénateurs François Milan et Alphonse Rio proposait d’imposer le diplôme de médecin pour avoir le droit d’exercer l’art dentaire. Ce projet supprimait le diplôme de chirurgien-dentiste ce que certains dentistes déploraient. D’autres en espéraient pouvoir obtenir rétroactivement le titre de docteur. L’avis de la CFSM fut d’abord sollicité. A la demande du représentant du syndicat des stomatologistes, le Dr Herpin, la CFSM accepta la plus grande partie du projet mais rejeta les mesures transitoires qui envisageaient de permettre aux dentistes d’obtenir le grade de docteur en médecine selon un règlement à déterminer par le Conseil supérieur de l’Instruction publique. Mais les syndicats médicaux s’opposaient à l'accès au doctorat en médecine pour les chirurgiens-dentistes (18).
Pour Alexandre Herpin, "il y a une considération qui prime tout, c'est le fait de faire entrer dans le cadre médical une spécialité qui produit actuellement 500 praticiens par an. Il n'y a aucune raison pour que cette spécialité continue à évoluer parmi les empiriques, parce que nous sommes bien obligés de considérer que ce sont des empiriques qui l'exercent actuellement" (19). D’autre part, le représentant des stomatologistes attirait l’attention sur le fait que les dentistes allaient demander l’obligation du baccalauréat pour s’inscrire dans une école dentaire ; "cela nous ramènerait peut-être au doctorat dentaire. "
Le gouvernement demanda son à l’Académie nationale de médecine (ANM) son avis sur le projet des sénateurs, notamment l'article 2 qui précisait : "Nul ne peut exercer la profession de dentiste s'il n'est muni d'un diplôme de docteur en médecine". Le diplôme de chirurgien-dentiste se trouvait supprimé. Pour l'ANM, "les problèmes de la pathologie buccale exigent actuellement des connaissances médicales étendues, anatomo-pathologiques, bactériologiques, etc. Ces problèmes peuvent nécessiter, d'autre part, de véritables interventions chirurgicales ; aussi ne sauraient-ils rester plus longtemps en dehors du cadre de la pathologie médicale ou chirurgicale. Par ailleurs, les questions d'ordre technique ou manuel, qui ont, dans l'art dentaire, une réelle importance, paraissent pouvoir être résolus, au même titre que pour d'autre spécialités médicales, comme la radiologie." Après une longue discussion au cours de l’année 1931, il était proposé de ne pas modifier ce projet d'article 2. Mais il ne fallait pas léser les chirurgiens-dentistes déjà diplômés ou en formation. À titre transitoire, l'ANM proposait que "ces chirurgiens-dentistes pourraient obtenir le titre honorifique de docteur après avoir soutenu une thèse dans des conditions d'un règlement délibéré en Conseil supérieur de l'Instruction publique." Pour un des membres de l’ANM : "le reproche le plus grave qu’on doive faire à la loi Milan-Rio, c’est qu’elle ne fait aucune mention des études complémentaires qu’il y aurait lieu d’imposer aux docteurs en médecine voulant se spécialiser dans l’art dentaire". Imposer officiellement une formation odontologique après le doctorat aurait été une reconnaissance implicite des spécialités médicales, ce qui n’était pas encore dans l’air du temps (20). Une des conséquences des discussions de l’ANM a été l’obligation du baccalauréat pour l’admission dans les écoles dentaires pour la rentrée de 1935 (décret 19 juillet 1932). Mais cette discussion incita le gouvernent à retirer ce projet de loi.
La loi de 1892, comme le projet de loi Milan et Rio, creusait un fossé entre les dentistes et les stomatologistes. Mais certains stomatologistes n’étaient pas satisfaits de cette situation. Le CFSM, regroupement de syndicats médicaux, avait été fondé en 1929 à l’occasion de la création des assurances sociales qui allaient modifier la vie des médecins. Le président fondateur en était le Doyen Balthazard qui écrivait dans le premier numéro de la revue de la CSMF, le Médecin français : "Le syndicalisme représente actuellement la puissance la plus considérable pour assurer le triomphe des revendications médicales ". Le président du syndicat des stomatologistes, le Dr Marcel Béliard, stomatologiste des hôpitaux de Paris, intervint en mars 1933 devant la commission enseignement de la CFSM qui étudiait l’épineux sujet des certificats de spécialités (21). Le secrétaire de la CFSM faisait la déclaration liminaire suivante : "Le Diplôme d'Etat de docteur en médecine conserve à tous ceux qui le possèdent le droit absolu et incontestable d'exercer l'intégralité de l'art médical conformément à la loi du 30 novembre 1892 sur l'Exercice de la Médecine. "Cette déclaration liminaire fixait bien le champ des discussions. La CFSM était écartelée entre les spécialistes qui souhaitaient être reconnus comme tels, ne serait-ce que vis-à-vis de leur clientèle, et les généralistes qui refusaient des certificats de spécialités obligatoires qui auraient restreint leur champ d’activité. Béliard insistait sur le "caractère obligatoire que devait revêtir le certificat de spécialité bucco-dentaire par égard à l'intérêt des malades et en raison d’un protocole d’accord conclu avec les Odontologistes, en présence du Ministre de l'Education nationale, en vue de réaliser l'unité de la profession dentaire."
Mais la Commission n’accepta que le Certificat non obligatoire comportant seulement "qualification" du spécialiste et lui donnant exclusivement le droit de porter le titre spécialiste breveté. "La demande de qualification devra être faite aux Facultés de médecine ou Écoles de plein exercice, qui ne pourront se prononcer qu'après avis de la Confédération certifiant la qualité de spécialiste".
Quelques semaines plus tard, le conseil d’Administration de la CFSM revenait sur ce sujet brûlant des spécialités. Le représentant des chirurgiens était le seul, avec le stomatologiste, à défendre le certificat obligatoire. Le représentant des stomatologistes déclara vouloir essayer de convaincre le conseil d’administration de créer un certificat de spécialité obligatoire pour sanctionner les études stomatologiques et buccodentaires.
Il rappela le protocole (dit protocole de Monzie, ministre de l’Éducation nationale) signé début mars entre les stomatologistes et les chirurgiens-dentistes pour réaliser l’unité de la profession avec intégration de l’art dentaire dans le cadre des études de médecine mais sous la condition de l’obtention d’un certificat d’état garantissant les capacités techniques du futur spécialiste. C’était la condition sine qua non de l’accord.
Le représentant de la stomatologie demanda avec insistance la création d’un tel certificat pour sa spécialité, "différente de toutes les autres ", et implorait littéralement le soutien du conseil d’administration de la CSMF. "Est-ce que d'autres spécialistes que nous ont à lutter contre la menace de développement d'une corporation organisée, doublant leur spécialité, la submergeant par le nombre et dont les membres sont susceptibles de rechercher une évolution autonome, en dehors du cadre médical ? Ne sont-ce pas là des contingences dont il y a lieu de tenir le plus grand compte, pour ce qu'elles touchent notre Spécialité exclusivement, et méritent des mesures d'exception ? Dès lors, le principe accepté, pourquoi refuserait-on aux praticiens de l'art dentaire de réaliser leur unité, quand leurs représentants qualifiés ont signé, tous ensemble, un accord général pour atteindre ce but, témoignant ainsi d'une bonne volonté exceptionnelle. Notre spécialité ne doit pas être le refuge des incapacités ou des déchéances physiques. Elle vaut mieux que cela! Faut-il vous dire, Messieurs, la pénible situation qui est aujourd'hui réservée à la profession dentaire, exercée d'une part par des chirurgiens-dentistes dont beaucoup sont sans culture secondaire, sans connaissances générales, sans connaissances médicales, et d'autre part par des médecins dont un grand nombre n'ont pas consenti l'effort d'acquérir les connaissances techniques indispensables, à l'exercice correct de notre spécialité ! De ces Confrères si nombreux qui ne comptent à aucun Syndicat.
Une réforme s'offre à vous, Messieurs, pour soustraire la profession dentaire à l'anarchie qui la déchire. Je vous supplie d'observer l'intérêt qu'il y a pour nous tous à sa réalisation. Faute de favoriser l'ascension du chirurgien-dentiste, faute d'étudier le problème posé devant vous dans un large esprit d'indépendance, la réforme prévue sera peut-être ajournée pour toujours... Alors les Odontologistes, repoussés par les médecins qui n'auront distingué ni leur bonne volonté, ni leurs sacrifices, reprendront leur liberté d'action. Ils se rejetteront à la poursuite de l'autonomie de l'art dentaire pour rechercher un doctorat en chirurgie dentaire dont nous avons évité la menace et dont le risque deviendrait plus grand que jamais. Ainsi la notion d'un danger hypothétique conduirait vers une solution redoutable : la création d'un doctorat spécial. Or, où s'arrêterait le législateur dans cette voie vers le morcellement du diplôme que nous avons toujours défendu et que nous voulons un et indivisible, comme la médecine elle-même?
Pour conclure, je vous demande, Messieurs, d'admettre qu'une mesure d'exception puisse être retenue, posant le principe d'un Certificat d'Etat obligatoire, complétant le Doctorat en médecine, pour le seul exercice de là spécialité bucco-dentaire".
Pourriez-vous méconnaître que cette solution est un peu inespérée et feriez-vous bon marché de notre doctrine en méprisant une acquisition dont nous devrions nous réjouir confraternellement, tous ensemble. Mais alors à quoi auraient servi les efforts des médecins-stomatologistes, efforts poursuivis sans relâche depuis quarante ans ?
La supplique du représentant des Stomatologistes ne fut pas entendue. Le conseil d’administration de la CFSM fit le communiqué suivant : "Le conseil d’administration de la Confédération des syndicats médicaux français, s'appuyant sur les votes antérieurs tant de la Fédération nationale que de l'Union des Syndicats médicaux de France, se déclare à nouveau résolument opposé à tout démembrement du diplôme de Doctorat en médecine sous forme de Certificat d’État de spécialités".
Cette position devait ulcérer d’autant plus le représentant des stomatologistes que le "ministre de l‘Éducation nationale lui avait dit vouloir entreprendre une réforme des études médicales (en chantier depuis plusieurs années), d’accord avec le syndicat et s’appuyer sur les propositions du syndicat. Il serait inadmissible de refuser une telle offre aussi amicale qu’inhabituelle" (22). Il rappelait "l'action tenace des chirurgiens-dentistes en vue d'obtenir une modification à la loi".
Cette occasion unique de réunir les chirurgiens-dentistes et les stomatologistes pour constituer une spécialité bucco-dentaire médicale avait été refusée par le principal syndicat médical.
La position de la CFSM ne permettant pas la mise en application du "protocole de Monzie" de 1933 créant une fusion des professions dentaires qui avaient trouvé un terrain d’entente, un autre projet était de nouveau mis en chantier et aboutit après deux années de discussions entre les syndicats respectifs à un accord en septembre 1936, discuté à la CFSM en décembre. Le projet de loi imposait le doctorat en médecine aux futurs dentistes. Pour le secrétaire de la CFSM, "ce sera un débouché pour 7 à 8 000 médecins. Ceci est fort important". Depuis plusieurs années, la CFSM attirait l’attention sur le "pléthore médicale" et menait une "campagne destiné à réfréner l'engouement excessif qui pousse les jeunes générations, insuffisamment renseignées, vers la carrière médicale ", incitant certains de ses représentants à aller porter le message dans les lycées (23). Comme l’exposait Béliard, le projet tendait "à mettre aux mains des seuls Docteurs en Médecine l'exercice de l'Art dentaire que les Chirurgiens-Dentistes détiennent en majeure partie aujourd'hui, par un singulier privilège qui leur vient de la loi de 1892, laquelle leur permet de disputer aux médecins la prophylaxie et le traitement des maladies d'une importante région du corps humain." Un protocole d’accord était signé entre les deux confédérations médicale et dentaire. Pour la période transitoire, il était prévu que les "chirurgiens-dentistes et dentistes conservent les droits qu'ils tiennent de la loi du 30 novembre 1892, de la loi du 26 juillet 1935 ... Ils pourront remplacer l’appellation chirurgiens-dentistes par celle de docteur-dentiste figurant sans disjonction à la suite immédiate du nom patronymique." (24)
Le projet était approuvé par l’assemblée générale de la CFSM en décembre. Ce fut la dernière tentative d’élaboration d’un projet commun des chirurgiens-dentistes et des stomatologistes pour harmoniser la profession dentaire.
D’autres sujets plus préoccupants allaient chasser ce projet d’autant plus facilement que la période de guerre allait inaugurer la "descente aux enfers" de la stomatologie.
La loi du 17 novembre 1941 organisait l'exercice de la profession dentaire (J.O. du 6 décembre 1941) et créait auprès du Conseil supérieur de l'Ordre des Médecins, une Section dentaire du Conseil supérieur de l'Ordre, et auprès de chaque Conseil départemental de l'Ordre des Médecins, une Section dentaire du Conseil de l'Ordre.
Elle nommait le Dr Chactas Hulin de Paris, docteur en médecine, chirurgien-dentiste, président de la Section dentaire du Conseil supérieur de l'Ordre des Médecins. Parmi les membres, on retrouvait le docteur Béliard, stomatologiste des Hôpitaux de Paris.
La commémoration du cinquantenaire de la création du titre de chirurgien-dentiste célébrée à Paris lors de la séance solennelle du 28 novembre 1942, a été marquée par un discours retentissant de Hulin. Il prônait une nouvelle législation basée sur l’indépendance de la profession dentaire avec création d’un doctorat en Chirurgie dentaire délivré par une Faculté dentaire. Les intentions étaient clairement exprimées. Elles pourront se réaliser après mai 1968.
En attendant, la stomatologie s’organisait à Paris qui accueillait Michel Dechaume en 1927. Ancien interne et aide d'anatomie de Lyon, il venait d'être admissible à l’agrégation de chirurgie. Il commença une brillante carrière hospitalo-universitaire en passant le diplôme de l’École de stomatologie de Paris en 1928. Reçu au concours de stomatologie des Hôpitaux de Paris en 1929, il occupa le poste de chargé de cours en 1941 avant d'être le premier professeur de clinique stomatologique parisien en 1946.
En province, la faculté de médecine de Bordeaux fondait une chaire de stomatologie en 1932, la première en France. Des chaires de clinique stomatologique furent aussi créées à Paris, Lille, Lyon, Nancy et Nantes en 1946.
A Paris, l’École Française de Stomatologie était rattachée à la Faculté de Médecine de Paris en 1944. Le titulaire de la chaire n’avait qu’une consultation de stomatologie à la Pitié baptisée "clinique de stomatologie". Il obtint avec difficultés la construction d’une véritable "clinique" appelée Institut de stomatologie, pour la formation pratique des stomatologistes avec une hospitalisation, dont le début des travaux commença en 1960.
Le Certificat d’études spéciales (CES) de Stomatologie était créé en 1949. Le sérieux de la formation tant théorique que pratique en deux années, était reconnu pour donner des odontologistes réputés. Les internes n’en n’étaient pas dispensés alors que les internes des autres disciplines bénéficiaient d’équivalence (excepté aussi pour la radiologie et l’anesthésie).
En 1953, la Société de Stomatologie de Paris créée en 1888, devenue en 1953 Société Française de Stomatologie, franchissait une nouvelle étape en devenant Société Française de Stomatologie et Chirurgie Maxillo-Faciale.
Les dentistes ne restent pas inactifs. L’enseignement dentaire s’intègre à l’enseignement officiel avec la création des Écoles Nationales de Chirurgie Dentaire (ENCD) en 1965, avec un enseignement public financé. Les établissements de statut privé ou municipal et les instituts des facultés de médecine qui préparent au diplôme de chirurgien-dentiste peuvent être érigés en ENCD. Dès lors, des conventions vont pouvoir lier ces écoles avec les Centres Hospitaliers Régionaux pour transformer les "cliniques dentaires" en services de consultations et de soins dentaires. Ces écoles nationales vont rapidement disparaître avec la création des facultés de chirurgie dentaire après 1968. Cette année 1968 sera cataloguée d’emblématique par les chirurgiens-dentistes car le dispositif de formation va intégrer les universités, au même titre que les facultés de médecine.
Cette période voit la dégradation des rapports entre stomatologistes et dentistes avec la création des UER d’odontologie, devenues UFR puis facultés dentaires.
L’odontologie se libère de la tutelle de la stomatologie. Dans les CHU avec facultés dentaires, les centres de soins dentaires sont confiés aux dentistes de la faculté dentaire. On note une désertification progressive des dentistes des services de stomatologie qui contribuaient à la formation des internes stomatologistes. Le diplôme d’état de docteur en chirurgie dentaire se substitue au diplôme d’état de chirurgien-dentiste à compter de la l’année universitaire 1972-1973.
Les premières thèses dites d’exercice sont soutenues en 1973 pour tous les étudiants achevant leur 5e année. De très nombreux chirurgiens-dentistes diplômés antérieurement souhaiteront devenir "docteur" et prépareront leur thèse et la soutiendront en revenant à la faculté. La liberté non limitative de prescription accordée aux chirurgiens-dentistes en 1972 amènera la faculté à renforcer les enseignements de pharmacologie et de thérapeutique.
La réforme des études médicales de 1984 fait disparaître le Certificat d’études spéciales (CES) de Stomatologie. Les spécialités chirurgicales (dont la Stomatologie) doivent passer par "l’internat qualifiant "avec le Diplôme d’études spécialisées (DES) de Stomatologie.
De leur côté, les odontologistes obtiennent en 1989 la création d’un Diplôme d’Etudes Supérieures de Chirurgie Buccale (DESCB) non qualifiant (arrêté du 2 Août 1989).
A la même époque, peut-être par réaction, les stomatologistes obtiennent en 1988, en plus du DES de stomatologie, un Diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC) de Chirurgie maxillo-faciale et Stomatologie passant par le DES de chirurgie générale. Au dire de responsables de la spécialité, c’est "la voie d’excellence" de la stomatologie. Cette voie sera privilégiée par les générations successives d’internes, même si la durée des études est plus longue (6 ans contre 4 ans), à un point tel que le recrutement du DES a inexorablement décliné (le dernier étudiant titulaire du DES de stomatologie, à Paris, l’a été en 2003). Il en a été de même dans les autres facultés. En s’élevant dans la voie chirurgicale, la spécialité s’éloignait de la base dentaire sur laquelle elle reposait, même si "l’art dentaire" a fait place officiellement en 2009 à la médecine bucco-dentaire avec la norme iso 1942:2009 proposée par l’Association dentaire française (ADF) et publiée en décembre 2009.
Cette histoire amène une première réflexion. Les défenseurs de la stomatologie qu’on peut dater de la création de la Société de chirurgie dentaire de Parisiens en mai 1845 pour un art dentaire de qualité, se sont battus pendant un siècle et demi pour obtenir une médicalisation de l’art dentaire. Les successeurs tout aussi imprégnés d’une médecine dentaire d’excellence, se sont trouvés confrontés à des dentistes de niveau très variable. A plusieurs reprises, les projets de modus vivendi acceptable, si ce n’est de fusion entre les deux professions, se sont trouvés enrayés par des obstacles de tous genres, allant de la révolution de 1848 qui ne permit pas la promulgation de la loi Salvandy, au blocage de la CFSM dans les années 1930.
La récente création du DESCO est le premier trait d’union entre les deux conceptions de l’enseignement de la médecine buccodentaire tant souhaité par certains depuis plus d’un siècle.
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