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Histoire générale des insectes. Où l'on expose clairement la manière lente & presqu'insensible de l'accroissement de leurs membres, & ou l'on découvre évidemment l'erreur où l'on tombe d'ordinaire au sujet de leur prétendue transformation. Par Jean Swammerdam Docteur en médecine. Avec des figures
A Utrecht : chez Guillaume de Walcheren. 1682
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Raphaële Andrault pour le projet ANR Philomed post-doctorante à l’université Paris VIIIraphaele.andrault@ens-lyon.fr 03/01/2012 Bien que par son titre, sa méthode et ses objets l’Histoire générale des insectes de Swammerdam appartienne de plein droit à l’entomologie, elle fut perçue par ses contemporains comme une étape décisive dans la compréhension de la génération et de la croissance de tous les vivants, hommes inclus : on l’a depuis assimilée à l’un des livres fondateurs de ce que l’on appelle la théorie « préformationniste » de la génération – c’est-à-dire l’idée que la génération des vivants serait réductible au déploiement ou à la croissance d’organismes déjà entièrement préformés dans la semence de leurs géniteurs. Ainsi, les observations entomologiques de Swammerdam, avec les travaux de Malpighi et de Leeuwenhoek, auraient persuadé Leibniz qu’il n’y a « ni génération entièrement nouvelle de l’animal », ni « mort entière prise à la rigueur métaphysique », mais seulement des développements et enveloppements d’animaux déjà formés : la génération serait la simple manifestation sensible de la croissance d’un animal préexistant (Leibniz, « Système nouveau de la nature et de la communication des substances », Journal des Sçavans, 27 juin 1695, p. 298). En réalité l’Histoire générale des insectes ne se prononce pas sur la nature de la génération : ni dans cet ouvrage, ni dans le Miraculum naturae sive uteri muliebris fabrica (1672), Swammerdam ne prétend démontrer que tous les êtres vivants sont entièrement préformés dès l’origine. Comment alors comprendre l’histoire de sa réception ? Si l’ouvrage de Swammerdam a bénéficié de tels échos, c’est surtout parce que le naturaliste y dément formellement un aspect central de la théorie de la génération défendue par Harvey et partagée par un grand nombre de ses contemporains : l’idée que certains êtres, d’une noblesse moindre, pourraient s’engendrer par hasard, par génération spontanée, et subir des métamorphoses. L’Histoire des insectes maintient en effet que les prétendues « métamorphoses » des insectes sont en réalité, pour l’observateur qui examine jour après jour leurs transformations, des modifications et accroissements progressifs et continus. De la chenille au papillon, par exemple, il n’y a pour Swammerdam pas seulement persistance de la même espèce, mais également du même animal.
Swammerdam (1637, Amsterdam-1680, Amsterdam) fut étudiant à la faculté de médecine de Leyde, avant de poursuivre pendant deux ans ses observations anatomiques, microscopiques et entomologiques en France, où il fut notamment membre de l’académie scientifique de Melchisédec Thévenot (1663-1665). De retour en Hollande, après la publication de son ouvrage sur les organes reproducteurs de la femme (Miraculum naturae, 1672) et d’une étude sur l’éphémère (Ephemeri vita, 1675), il délaissa en partie ses recherches scientifiques et laissa à sa mort un grand nombre de manuscrits non publiés. C’est Boerhaave qui, en 1737, les publia dans une édition bilingue néerlandais-latin sous le titre Biblia naturae – Bybel der Natuure.
Contribution fondatrice au développement de l’entomologie à l’âge classique, l’Histoire générale des insectes,traduite du néerlandais à partir de l’édition originale de 1669, se présente comme le récit de dissections et d’observations microscopiques des modifications subies par les insectes au cours de leur développement. On découvre par exemple que les ailes du papillon sont déjà formées au stade de la nymphe. De même, dans le têtard, on voit les membres de la grenouille commencer de croître sous la peau. À la fin de l’ouvrage figurent d’abord plusieurs tableaux qui mettent en regard les différentes étapes de transformation des insectes, eux-mêmes classés en plusieurs « ordres », selon la nature et la temporalité des changements qu’ils subissent depuis leur génération. On trouve également des planches, figurant par exemple « le rejeton de l’œillet après qu’il a déjà pris la forme d’un bouton, qui contient la fleur même imparfaite et pliée ensemble : ce qui convient assez bien avec la manière dont les nymphes [ …] renferment l’animal même ».Le livre multiplie donc les analogies différenciées entre végétaux, insectes et animaux à sang froid. Cette thèse de l’uniformité de la nature est d’ailleurs parfaitement assumée dans l’ouvrage : bien que nous soyons aveuglés par la diversité des espèces autant que par l’apparente soudaineté de certaines transformations animales, les observations patientes et attentives démontrent autant l’unité de la création, partout soumise aux mêmes lois, que la continuité masquée de tous les changements, qui ne s’effectuent jamais soudainement – c’est-à-dire, pour Swammerdam, « miraculeusement ». Admettre comme le fait Harvey que les insectes subissent de véritables métamorphoses, voire qu’ils sont engendrés à partir de la putréfaction d’une matière inerte, équivaudrait à « changer l’ordre immuable et constant de la nature dans quelque événement casuel » (Histoire générale des insectes, p. 3). Swammerdam insiste donc sur l’uniformité des voies par lesquelles tous les vivants – i.e. hommes inclus – sont produits, naissent et se développent.
Il faut retenir deux conséquences décisives. En premier lieu, la place de l’homme dans la nature est modifiée au profit d’une conception qui encourage à élucider la génération humaine par le biais de l’anatomie comparée. En second lieu, en reconduisant les transformations les plus frappantes des animaux à une croissance insensible, Swammerdam infirme de fait tout ce qui, chez Harvey, pouvait apparaître comme une reprise des scolastiques : l’appel à des vertus formatives, ou forces plastiques, la mention de l’information d’une matière informe préexistante, l’opposition entre deux domaines de la nature, l’un où les modifications ont lieu « par hasard », et l’autre où elles suivent le cours nécessaire de l’épigenèse. Cela explique notamment la considérable fortune de l’ouvrage, qui, tout en s’accordant avec le programme expérimental tel qu’il était alors défini dans les académies scientifiques, ne laisse pas de subvertir le cadre cartésien : Swammerdam, qui s’en tient aux observations, refuse en effet de s’engager dans une explication épigénétique de la génération ou de la croissance à la manière de Descartes, par arrangement mécanique de corpuscules (voir Descartes, La description du corps humain).
Éléments de bibliographie :
Howard B. Adelman, Marcello Malpighi and the Evolution of Embryology, Ithaca, Cornell University Press, 1966
Peter Bowler, « Preformation and Pre-Existence in the Seventeenth Century », dans Journal of the History of Biology, 1971, vol. 4, n° 2, pp. 221-244
Edward Ruestow, The microscope in the Dutch Republic, the Shaping of Discovery, Cambridge, Cambridge University Press, 1996
Abraham Schierbeek, Jan Swammerdam, His Life and Work, Amsterdam, Swets & Zeitlinger, 1967
Jan Swammerdam, Tractatus physico-anatomico-medicus de respiratione usque pulmonum, Leiden, 1667.
Jan Swammerdam, Historia insectorum generalis, ofte Algemeene Verhandeling van de bloedloose dierkens, Amsterdamer, M. Van Dreunen, 1669
Jan Swammerdam, Miraculum naturae, sive uteri muliebris fabrica, Lugduni Batavorum, apud S. Matthaei, 1672
Jan Swammerdam, Biblia naturae - Bybel der Natuure, van Hermann Boerhaave, de Latynsche overzetting heeft bezorg Hieronimus David Gaubius, Leyden, 1737-1738