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Chirurgica spagyrica
Tolosae : apud Petrum Bosc. 1626
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Bernard Joly pour le projet ANR Philomed Professeur émérite de philosophie et d'histoire des sciences UMR 8163 "Savoirs, textes, langage" (CNRS, université de Lille 3)bernard.joly@univ-lille3.fr 20/10/2011 Pierre Jean Fabre (1588-1658) est sans doute l’un des alchimistes français les plus prolixes du XVIIe siècle. Originaire de Castelnaudary, il obtint son doctorat de médecine à Montpellier en 1614, non sans mal puisqu’une première version de ses thèses fut refusée pour cause de paracelsisme et d’empirisme, avec injonction de suivre la doctrine d’Hippocrate et de Galien. De retour dans sa ville natale, il y exerça cependant la médecine selon les principes spagyriques, c'est-à-dire alchimiques, inspirés de l’œuvre de Paracelse. Ses premiers ouvrages rendent compte de cette activité médicale et justifient, théoriquement aussi bien que pratiquement, cette volonté d’offrir à la médecine des bases plus sûres que celles de la tradition galénique en la fondant sur l’alchimie, qui n’était rien d’autre que la chimie de l’époque. C’est ainsi qu’après avoir publié le Palladium spagyricum (Toulouse, 1624), énergique défense des théories alchimiques, il fait paraître la Chirurgica spagyrica (Toulouse, 1626), suivie d’un traité de pharmacologie chimique, le Myrothecium spagyricum, publié avec un recueil de ses guérisons les plus spectaculaires, Insignes curationes (Toulouse, 1627), et enfin un Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques (Toulouse, 1629). Il complètera cette série par un ouvrage sur les cures thermales, l’Hydrographum spagyricum (Toulouse, 1639). Par la suite, son œuvre s’oriente vers une défense argumentée de la « philosophie chimique », qu’il considère comme étant la seule et véritable philosophie naturelle. Il confère ainsi à l’alchimie une dimension universelle, en faisant la clé qui permet de décrypter aussi bien les mystères de la religion (Alchymista christianus, Toulouse, 1632) que les allégories de la mythologie antique (Hercules piochymicus, Toulouse, 1634). Après la publication d’un ouvrage de synthèse en français, l’Abrégé des secrets chymiques (Paris, 1636), puis d’un « Rempart de l’alchimie » (Propugnaculum alchymiae adversus quosdam misochymicos, Toulouse, 1645), son œuvre culmine avec la publication d’un vaste ouvrage encyclopédique, Panchymici, seu, Anatomia totius Universi Opus (Toulouse, 1646), qui eut à l’époque un certain succès puisqu’il fut réédité à Francfort en 1651 et qu’il faisait partie des lectures alchimiques de Newton. La doctrine de Fabre est récapitulée et complétée dans le Manuscriptum ad Fridericum rédigé en 1653 mais qui ne fut publié qu’en 1692 dans les Miscelanea curiosa de Nuremberg.
La Chirurgica spagyrica, in quo de morbis cutanei omnibus spagyrice & methodice agitatur, & curatio eorum cita, tuta & jucunda tractatur, publiée chez Pierre Bosc à Toulouse en 1626, fut rééditée à Strasbourg en 1632 puis Toulouse en 1638. Une traduction française manuscrite de Pierre Mallet, datée de 1649, ne fut jamais imprimée ; par contre, une traduction allemande fut publiée à Schneeberg en 1758. L’ouvrage, qui fait 184 pages, est divisé en cinq sections traitant successivement des tumeurs (14 chapitres), des blessures (14 chapitres), des ulcères (18 chapitres), des luxations (cinq chapitres) et des fractures (trois chapitres).
Dans la préface de l’ouvrage, Fabre affirme la supériorité de la chirurgie sur les autres parties de la médecine en raison de son enracinement dans l’empiricité : elle ne traite que des parties visibles et palpables du corps et ne requiert aucune conjecture sur les affections internes. Ce qui ne l’empêche pas d’être à la fois théorique et pratique : elle se pratique en effet en se fondant sur une doctrine du fonctionnement du corps humain, l’objectif de Fabre étant précisément de montrer la supériorité de la conception spagyrique de l’homme par rapport à la doctrine galénique des quatre humeurs. La spagyrie enseigne en effet à soigner les affections externes par l’emploi d’un baume semblable au baume naturel qui donne vie au corps humain. Elle propose donc une conception globale de la vie et de la position de l’homme dans l’univers, microcosme dans un macrocosme où tout se joue selon des rapports de sympathies et d’antipathies.
Fabre emprunte sans doute cette doctrine du baume naturel à Petrus Severinus, médecin danois dont l’Idea medicinae philosophicae de 1571 contribua largement à la diffusion des idées de Paracelse parmi les médecins. Ce baume, que Fabre appelle aussi « esprit universel du monde » ou encore quintessence, est la substance incorruptible venue du ciel, envoyée par les astres vers la Terre où elle se spécifie selon les trois règnes de la nature (animal, végétal et minéral). Elle se conduit alors comme une semence produisant ses effets par l’action des trois principes qu’elle contient : Mercure, Soufre et Sel.
Les tumeurs et les ulcères résultent d’une corruption de ce baume au contact des vils éléments matériels qui constituent les corps, lorsque se développent des déséquilibres entre les trois principes chimiques. On les soigne donc en fabriquant divers baumes adaptés au type de déséquilibre constaté. Quant aux blessures, luxations et fractures, elles interrompent le flux balsamique dont dépend la bonne santé du corps, engendrant ainsi une perte des énergies vitales et des phénomènes d’inflammation. Le médecin spagyrique ne renoncera bien sûr pas aux gestes traditionnels de la chirurgie, pour épancher les saignements ou réduire les fractures, mais il faudra surtout qu’il enduise les plaies de baumes spécifiques qui rétabliront la circulation balsamique et feront obstacle à la corruption des chairs.
On le voit, l’image de l’homme que sous-tendent les développements de Fabre dépasse le schéma simpliste de l’homme-alambic. Les fonctions corporelles ne sont jamais chez lui réduites à des processus de distillation ou de coction, elles s’inscrivent dans un schéma beaucoup plus général, qui est celui du fonctionnement d’un univers dont toute la substance et toutes les opérations relèvent de la chimie.
Eléments bibliographiques
Allen Debus, The chemical philosophy. Paracelsian science and medicine in the sixteenth and seventeenth centuries, 2 vol., New-York, Science History Publication, 1977.
Hiro Hirai, Le concept de semence dans les théories de la matière à la Renaissance de Marsile Ficin à Pierre Gassendi, Turnhout, Brepols, 2005, en particulier le chapitre 9, « Pierre Séverin ».
Bernard Joly, La rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, avec le texte latin, la traduction et le commentaire du Manuscriptum ad Fridericum de Pierre-Jean Fabre, Paris, Vrin, 1992.
Bernard Joly, « Profession médicale et savoir alchimique : luttes et enjeux du Moyen Âge au XVIIe siècle », Spirale, Revue de recherches en Education, n° 13, 1994, pp. 17-42,http://spirale-edu-revue.fr/IMG/pdf/2_JOLY_SPI13_Fr.pdf
Bernard Joly, « Les liaisons chimiques entre patients et médecins au XVIIe siècle », dans Claire Crignon-De Oliveira et Marie Gaille (éd.), Qu'est-ce qu'un bon patient? Qu'est-ce qu'un bon médecin? Réflexions critiques, analyses en contexte et perspectives historiques, Paris, Editions Seli Arslan, 2010, pp. 220-233.