Ce 24e d’août. Je vous mandai hier la mort du sieur des Fougerais [2] et de M. le président Viole. [1][3] Nous avons une autre mort fort étrange, c’est de M. Du Buisson, [4] contrôleur de la Maison de M. le duc d’Enghien, [5] qui a été assommé à coups de maillets par ses domestiques, dont il y en a trois prisonniers et qui ont déjà confessé le fait. [2] Cela est arrivé en Flandre, [6] on dit que c’est une chose surprenante de voir comment cet assassinat a été découvert, mais je ne m’en étonne pas car Dieu fait des miracles [7] à toute heure et à toute occasion, tant sur les méchants que sur les bons. Les nouvelles de Flandre portent que le roi [8] presse fort le siège de Lille [9] et que les Espagnols s’efforcent d’en empêcher la prise, qu’on la prendra pourtant dans peu de jours. Notre armée va grossir de plusieurs côtés, tant par les 6 000 hommes de l’armée navale que M. de Beaufort [10] a envoyée à Dunkerque [11] que par l’armée de M. le marquis de Créqui [12] qui était dans le Luxembourg, [13] comme aussi par quelques autres régiments qui viennent de Bourgogne et de Champagne ; si bien que voilà une grande crise qui s’apprête pour une semaine ou deux. Je serai ravi de voir ce qu’a écrit votre M. Bara [14] de la thériaque. [3][15] On ramène M. le Dauphin [16] de Compiègne [17] à Saint-Germain. [18] On dit qu’il se porte bien et qu’il n’a guère été malade. [18a] Il est un peu trop mélancolique, [19] je souhaiterais fort qu’il ressemblât au bon roi Henri iv, [20] son bisaïeul, et non pas au roi Louis xi, [21] qui était un homme d’esprit, mais dur, dangereux et même cruel : il n’avait pitié de personne et traitait fort rudement son peuple. Propter peccata populorum, Deus sinit regnare tyrannum. [4][22]
Ceux de Lille parlementent. Je prie Dieu que nous l’ayons bientôt et qu’elle nous demeure à jamais avec tout le reste des Pays-Bas. [23] Les Hollandais se défient de nous et ont notre voisinage pour bien suspect. Ils en ont écrit au roi d’Angleterre [24] qui a envoyé leur lettre à notre roi, qui aussitôt l’a envoyée à M. de Lionne [25] pour en faire ses reproches à l’ambassadeur de Hollande, M. de Beuningen. [5][26]
< Ce 30e d’août. > La capitulation est faite pour Lille, le roi y doit entrer dans < les > trois jours. [6] Le prince de Condé [27] est dans Douai [28] avec son fils malade. [29] Le roi veut donner des ordres à son armée, plus utiles qu’on n’a jamais fait ; et sachant qu’il mourait un grand nombre de soldats, même d’officiers, faute d’être bien secourus, il a envoyé quérir trois habiles chirurgiens de cette ville, les sieurs Tourbier, [30] Gayan, [31] et Biennaise, [32] gens très entendus en la guérison des plaies. [7] On dit qu’il y ira aussi quelque bon médecin pour gouverner cette barque médecinale, pour présider à l’hôpital de l’armée.
Ce 31e d’août. Je vous mandai hier comment Lille s’était rendue au roi malgré les efforts des Espagnols. On parle ici de Te Deum [33] et de la magnificence dont on recevra le roi à son retour de la campagne. Après tant de villes prises, Dieu lui fasse la grâce de continuer ses victoires et enfin, de soulager son pauvre peuple de la campagne qui gémit si malheureusement. On va recommencer l’impression de l’histoire du cardinal de Richelieu, [34] faite par le R.P. Le Moine, [35] jésuite, sur les mémoires du dit cardinal qui lui ont été fournis par Mme d’Aiguillon, [36] nièce du dit cardinal. C’est le premier tome que l’on commence, il y en aura deux in‑fo. Dieu sait comment cette histoire sera plâtrée, tant de la part de l’écrivain, qui m’est fort suspect, que de celle du héros, qui véritablement a été un homme d’esprit grand et relevé, mais emporté et passionné au dernier point, de la fortune duquel la France se fût heureusement passée. Il y a apparence que cette histoire sera réfutée par celle que nous promet M. Mathieu de Mourgues, [37] sieur de Saint-Germain, qui commence à la naissance du roi Louis xiii [38] jusqu’à sa mort. Ce M. de Saint-Germain ne veut point que son histoire soit imprimée de son vivant, mais seulement tôt après sa mort, et m’a dit qu’il l’a mise entre les mains de gens qui ne lui manqueront point. Notez qu’il est âgé de 84 ans. Je ne souhaite point sa mort et j’en serais bien fâché, mais je voudrais bien avoir vu cette histoire, de laquelle je lui ai ouï dire de très belles particularités et d’étranges vérités, tant aux dépens du cardinal de Richelieu que pour la défense de la reine mère. [8][39] Nous avons ici un honnête homme qui travaille à un autre ouvrage fort différent, c’est la vie du bon Érasme [40] qui a été un grand et excellent personnage, qui mourut à Bâle [41] l’an 1536, le 12e de juillet. Il a eu le malheur de ne pas plaire aux moines, [42] mais cela lui est si commun avec tant d’honnêtes gens que je ne conseille à personne de s’en affliger. Id cinerem aut manes credis curare sepultos ? [9][43] Je ne serais point marri de voir tout cela avant que de mourir, mais quelqu’un dira que dans ces livres d’histoires il y aura bien des faussetés ; peut-être que oui, mais on répondra avec Sénèque : [44] Quis unquam ab Historico fidem exegit ? Hoc habet vitium misera mortalitas, ut veris falsa multa interdum misceantur. [10] Tertullien [45][46] a nommé en deux endroits Corneille Tacite [47] mendaciorum loquacissimum ; [11] hélas, que dirait-il aujourd’hui de tant d’historiens qui ont écrit en France depuis tantôt cent ans ?
On a mis prisonnier un gentilhomme qui faisait des demi-écus d’or faux. Il y a bien des gens en France qui font de la fausse monnaie [48] en diverses façons. Le roi est attendu le 6e de ce mois à Saint-Germain. [12][49] On a aujourd’hui chanté le Te Deum pour la prise de Lille en grande cérémonie. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 2d de septembre 1667.
Bulderen, nos cccclix et cccclx (tome iii, pages 255‑259) ; Reveillé-Parise, nos dcclvii et dcclviii (tome iii, pages 661‑664). J’ai préféré réunir ces deux lettres à André Falconet étant donné leur brièveté, la proximité de leurs dates (26 août et 2 septembre) et la continuité de leur contenu.
Lettre perdue, mais si la transcription est fidèle, cela fait trois lettres de dates très proches à André Falconet : 19, 23 et 26 août.
Cette sombre affaire eut des suites (Olivier Le Fèvre d’Ormesson, Journal, tome ii, page 526, annéee 1667) :
« Au mois de novembre, il fut rendu sentence, aux Requêtes de l’Hôtel, entre M. le Prince et le nommé Marie, cessionnaire de Du Buisson, {a} en opposition d’une sentence par défaut obtenue par M. Marie. M. Foucault, procureur du roi, ayant parlé avec préparation et soutenu que, suivant le code, {b} il fallait débouter M. le Prince, nous trouvâmes cette sentence si mal obtenue et si injuste que nous reçûmes l’opposition, et mon avis fut suivi de déclarer la procédure nulle pour justifier notre sentence. Ce jugement fit éclat. M. Pussort {c} l’ayant su, dit qu’il fallait brûler le code et l’abandonner, nonobstant qu’on lui fît connaître la nécessité de recevoir les oppositions. Cette affaire était le sujet de la conversation, ensemble tous les inconvénients qui se trouvaient dans l’exécution de cette nouvelle ordonnance. »
- Représentant légal du défunt Du Buisson.
- Code Louis (v. note [1], lettre 28) dont l’ordonnance pour la procédure civile avait été promulguée en avril 1667.
- Henri Pussort, oncle maternel de Jean-Baptiste Colbert, était conseiller d’État et membre du Conseil des finances ; il travaillait alors à la réformation de la justice et à l’abrégement des procès (v. note [7], lettre 685).
Les Abus de la Thériaque et de la Confection d’hyacinthe… par Pierre Bara (Lyon, 1667, 3e des 5 références citées dans la note [5], lettre 679).
« À cause des péchés des peuples, Dieu a permis que règne un tyran » (Job, v. note [10], lettre 629).
V. note [2], lettre 918, pour la probable « varicelle » du dauphin.
Coenraad van Beuningen (1622-1693), diplomate hollandais, fut alors l’artisan de l’alliance de l’Angleterre et des Provinces-Unies contre la France, ce qui permit de mettre fin à la guerre de Dévolution.
Louis xiv assiégeait Lille depuis le 9 août (v. note [4], lettre 919) ; la ville capitula le 26 août.
Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 519) :
« Le mardi 30 août, les nouvelles arrivèrent de la prise de Lille ; que le roi était entré le dimanche matin, les assiégés ayant été étonnés de voir que la contrescarpe et la demi-lune avaient été emportées brusquement. Il est vrai qu’il y avait eu beaucoup d’officiers et soldats du régiment des gardes tués et blessés. Cette prise donne beaucoup de joie comme d’une place très importante. »
La célébrité de ces trois chirurgiens est attestée par les substantielles traces biographiques qu’ils ont laissées.
Peronæus, Senatus Chir. Reg. D. Chir. Regis Primarii Legatus, Præpositus perpetuus, et Regiorum exercituum primus Consultor. In Artis suæ Theoria et Praxi æque claruit. Vix alius in Societatis concessibus interrogationes suas tanto nitore et ordine candidatis proposuit, et tam consulte singulorum captui accommodavit. Societatis institutorum acerrimus vindex, ejus splendorem a veteri disciplina rite servata pendere semper asseruit, et ipsius jura ubique tutatus, nullo usquam nec favoris nec utilitatis impulsu ab iis decessit.Summo Societatis munere tam laute intus exacto, non minus tanti viri intelligentia, honos, integritas, et publici commodi studium foris nituere. In Regiorum exercituum hospitiis primi Consultoris Chirurgi titulo decoratus, vix credi potest quanta alacritate et constantia, in Bataviæ, Belgii, et Burgundiæ atrocibus præliis et cruentis obsidionibus, totum Chirurgici laboris imperium sustinuerit, quibus blanditiis gravissimis cruciatibus oppressos leniverit, quo denique nisu ægrorum crescente nuleron non per se modo, verum et per Chirurgos sibi adjunctos, cunctis indistincte, et quo celerius fieri potest, prodesse studuerit.
Ludovico Magno, Castrorum hospitia invisere non dedignanti, præstantis hominis dignitas mire placuit, et de sauciatorum statu scis citatus, sensatis responsinibus totam Regis captavit existimationem.
Induciis Europæ datis, non modo urbem, verum et totam Galliam nominis sui fulgore implevit ; et ad interitum usque omnis generis infirmorum saluti consulentem se præbuit. A Sociis deploratus obiit, octogenario major anno 5. Septemb. anni 1686.
[Natif de Péronne, {a} conseiller chirurgien du roi, adjoint de M. le premier chirurgien du roi, intendant permanent et premier consultant des armées royales. {b} Il a pareillement brillé dans la théorie et dans la pratique de son art. Il fut presque sans égal en sa Compagnie pour interroger les étudiants avec clarté et méthode, et s’adapter habilement à la capacité de chacun. Défenseur très ardent des institutions de la Corporation, il s’est toujours attaché à honorer sa splendeur en observant strictement l’antique discipline ; il a partout veillé sur ses droits et ne s’en est jamais écarté, même mû par quelque promesse de faveur ou d’intérêt.
Ce grand homme a méticuleusement rempli la plus haute charge de la Compagnie et la fit resplendir tant en son propre sein, par son intelligence, sa dignité et son intégrité, qu’à l’extérieur, par l’attention qu’il a portée au bien public. Il a été honoré du titre de premier chirurgien consultant des hôpitaux militaires royaux, et ce fut avec une ardeur et une constance à peine croyables qu’il en dirigea toutes les opérations lors des cruelles batailles et des sanglants sièges de Hollande, de Flandres et de Bourgogne, soulageant de ses soins ceux qui étaient accablés des tourments les plus gaves, et s’appliquant lui-même, avec tous ses adjoints, à secourir un nombre sans cesse croissant de patients, sans considération de rang ni de camp, et avec toute la célérité possible.
La distinction de cet homme a fait l’admiratiob de Louis xiv, qui ne dédaignait jamais d’inspecter ses infirmeries de campagne. Là, il s’est acquis toute l’estime du roi par les réponses sensées qu’il lui faisait chaque fois qu’il l’appelait pour connaître l’état des blessés.
Au cours des trêves dont a joui l’Europe, l’éclat de son renom a empli Paris, mais aussi la France tout entière. Jusqu’à la fin de sa vie, il s’est consacré à soigner toutes sortes de malades. Il mourut, regretté de ses compagnons, le 5 septembre 1686, âgé de plus de 80 ans]. {c}
- V. note [18], lettre 55.
- Le fait que Tourbier ne figure pas dans la Liste des chirurgiens de Paris mène à penser qu’il n’était pas chirurgien de Saint-Côme (v. note [22], lettre 6), mais simple barbier chirurgien (v. note [6] de la même lettre).
- L’indigence du texte latin et telle que sa traduction est impossible sans quelques acrobaties grammaticales.
« Né à Clermont-en-Beauvaisis, {a} ancien prévôt de l’Académie royale des sciences, prima en France sur tous les anatomistes de son temps. Il avait fait un grand nombre de démonstrations anatomiques et chirurgicales dans les écoles publiques et, travaillant en particulier avec le célèbre Pecquet, {b} il ne contribua pas peu à la découverte que fit ce fameux médecin du réservoir du chyle et du canal thoracique. {c} Il mourut à Maastricht faisant la fonction de chirurgien consultant des armées du roi le 19 octobre de l’année 1678. {d} Il laissa son fils aîné docteur en médecine en la Faculté de Paris, {e} qui fut depui médecin du roi par quartier, et de Mgr le duc du Maine. » {f}
- V. note [10], lettre 106.
- V. note [15], lettre 280.
- V. note [23], lettre 152.
- Ami de Guy Patin, Gayan demeurait rue Saint-Jacques ; en 1664, il avait hébergé et instruit Georg Horst, fils de Johann Daniel, venu étudier la médecine à Paris (v. note [2], lettre latine 310).
- Louis Gayant, reçu docteur régent en décembre 1670 (Baron).
- V. note [2], lettre 979.
« né au bourg de Ranuoy en Champagne, près de Mézières, {a} chirurgien du roi en sa Cour de Parlement, se distingua entre les plus habiles chirurgiens de son temps. Il entreprenait avec une sage intrépidité les opérations de son art les plus difficiles, et remit en usage la suture des tendons, que la timide nonchalance de ses prédécesseurs avait abolie depuis plus de trois siècles, et la fit avec succès toutes les fois qu’il la jugea praticable.Ayant été mandé par le roi pour dire son avis sur un mal terrible dont la reine Anne d’Autriche, mère de Sa Majesté, était attaquée, il fit connaître à ce monarque et à toute sa cour que le mal de la reine était incurable et que l’espérance d’une guérison radicale qu’en donnait une foule de charlatans était vaine, illusoire et purement fondée sur leur ignorance ou sur l’envie de se produire sur un théâtre éminent ; et fit vite voir par de solides raisons, et par l’autorité d’Hippocrate et des plus célèbres praticiens de tous les temps que l’usage des remèdes palliatifs était l’unique refuge pour modérer les douleurs qui travaillaient cette grande princesse et pour éloigner pendant un peu de temps le funeste événement de ce mal indomptable. {b}
Il entreprit aussi la cure du Seigneur de Harlay, pour lors archevêque de Rouen et depuis de Paris, à qui son médecin avait ouvert l’artère en s’ingérant de le saigner en l’absence de son chirurgien ordinaire ; {c} et ce traitement, auquel deux chirurgiens de réputation travaillaient depuis plus d’un mois sans rien avancer, eut entre ses mains un succès si favorable qu’outre l’honneur que lui fit cette guérison, l’illustre prélat, reconnaissant qu’il devait l’usage de son bras à cet habile opérateur, récompensa le mérite d’un tel service par une somme considérable, qui lui fut délivrée dans le temps même, et par une pension de 800 livres qui lui fut exactement payée jusqu’à son décès.
Il suivit aussi le roi en deux de ses campagnes et ce grand prince, qui a toujours su connaître le vrai mérite, l’honora de son estime et le regarda comme un des plus utiles sujets qu’il eût dans son royaume. […]
Enfin, l’utilité publique et l’honneur de sa profession fxant toutes ses vues dans les derniers temps de sa vie, on peut dire qu’il rétablit ou plutôt fonda de nouveau les instructions publiques de sa Compagnie, lesquelles, n’étant plus soutenues que par un fonds des plus modiques, étaient prêtes à périr s’il n’avait laissé un fonds de six cents livres de rente annuelle pour deux démonstrateurs, l’un d’anatomie et l’autre de chirurgie ; au moyen de quoi, il s’en < est > formé et se formera à l’avenir une source intarissable d’excellents sujets qui se sont déjà répandus et qui continueront à se répandre dans toute la France, et même dans l’étendue de l’Europe, jusqu’à la postérité la plus éloignée. Il mourut âgé de 80 ans le 22 juin de l’année 1682 et fut inhumé dans l’église de Saint-Paul. {d} Il laissa un fils unique, trésorier de France à Amiens. »
- Aujourd’hui Charleville-Mézières, dans les Ardennes, mais je n’ai pas localisé Ranuoy.
- Les lettres de 1664-1666 ont évoqué en maints endroits le cancer du sein d’Anne d’Autriche et les vains traitements que lui opposèrent médecins et empiriques
- V. notes [25], lettre 420, pour François ii Harlay de Champvallon, et [3], lettre 974, pour l’accident de saignée qui faillit l’emporter.
- V. note [7], lettre 55.
À la fin de ce paragraphe se fait la jonction entre les deux lettres que j’ai soudées, respectivement datées du 26 août et du 2 septembre.
Marie de Médicis, mère de Louis xiii, était farouche ennemie de Richelieu (qui l’en fit bien pâtir) ; v. notes [9], lettre 900, pour la nouvelle histoire de la vie de Richelieu, commandée par sa nièce, la duchesse d’Aiguillon, à Pierre Le Moine, et [4], lettre 100, pour celle de Mathieu de Mourgues, qui sont toutes deux restées inédites.
« Croyez-vous qu’en aient cure les cendres ou les mânes des disparus ? » (Virgile, Énéide, chant iv, vers 34). Je n’ai pas trouvé de Vie d’Érasme, latine ou française, imprimée à cette époque ; au nom de Rome, jésuites et dominicains se sont acharnés contre les écrits de ce très grand humaniste, peu farouche envers les idées de la Réforme (v. note [5], lettre 308, pour ce qu’en a écrit le R.P. Théophile Raynaud).
« “ Qui jamais a exigé la fidélité de l’historien ? ” {a} La misérable condition de mortel a ce défaut que beaucoup de faux s’y mêle parfois aux vrai. » {b}
- Sénèque le Jeune, v. note [8], lettre 669.
- Quelques auteurs, tous postérieurs aux première éditions des Lettres de Guy Patin, attribuent la seconde phrase à Sénèque, mais je ne l’ai pas trouvée dans ses œuvres. J’en conclus qu’elle est de Patin (en m’épongeant le front de la sueur que cette recherche m’a coûtée) : les écrivains qui l’ont empruntée sans en vérifier la source se sont ridiculisés en mêlant à leur tour le faux au vrai, mais ont fait honneur à la bonne plume latine de Patin, et il en rougirait de plaisir.
Tertullien, Apologétique, chapitre xvi :
Nam, ut et quidam, somniastis caput asininum esse Deum nostrum. Hanc Cornelius Tacitus suspicionem eiusmodi inseruit. Is enim in quinta Historiarum suarum bellum Iudaicum exorsus ab origine gentis etiam de ipsa tam origine quam de nomine et religione gentis quæ voluit argumentatus, Iudæos refert Ægypto expeditos sive, ut putavit, extorres vastis Arabiæ, in locis aquarum egentissimis cum siti macerarentur, onagris, qui forte de pastu potum petituri æstimabantur, indicibus fontibus usos ob eam gratiam consimilis bestiæ superficiem consecrasse. Atque ita inde præsumptum opinor nos quoque, ut Iudaicæ religionis propinquos, eidem simulacro initiari. At enim idem Cornelius Tacitus, sane ille mendaciorum loquacissimus, in eadem Historia refert Gnæum Pompeium, cum Hierusalem cepisset proptereaque templum adisset speculandis Iudaicæ religionis arcanis, nullum illic repperisse simulacrum. {a}« Quelques-uns de vous ont rêvé que notre Dieu était une tête d’âne. Tacite est l’auteur de cette ridicule invention. Dans le cinquième livre de son histoire, où il parle de la guerre des Juifs, il remonte à l’origine de ce peuple. Après avoir dit sur leur origine, sur leur nom et leur religion tout ce qu’il lui plaît d’imaginer, il raconte que les Juifs, libres du joug de l’Égypte, ou, comme il le pense, chassés de ce pays, et traversant les vastes et arides déserts de l’Arabie, étaient près de mourir de soif lorsqu’ils aperçurent des ânes sauvages qui allaient boire, et qui leur découvrirent une source. Il ajoute que, par reconnaissance, ils consacrèrent une statue représentant un âne. De là on a conclu, j’imagine, que les Chrétiens, rapprochés par leur religion du culte judaïque, adoraient la même idole. {b} Cependant ce même historien, si fertile en mensonges, {c} rapporte dans la même histoire que Pompée, après s’être rendu maître de Jérusalem, entra dans le temple pour y surprendre ce qu’il y avait de plus secret dans la religion des Juifs, et qu’il n’y trouva aucun simulacre. » {d}
- La traduction qui suit est cette d’Antoine-Eugène de Genoude (1852).
- Résumé fidèle des chapitres iii et iv du livre v des Histoires de Tacite.
- Dans une traduction plus littérale du passage cité par Guy Patin : « Corneille Tacite, qui est vraiment le plus bavard des menteurs ».
- Les simulacres sont des idole à adorer (dont les Romains étaient fort friands).
Tertullien présente un peu différemment les mêmes arguments et porte le même coup de griffe contre Tacite dans le chapitre xi, livre i Aux Nations.
Ayant quitté Arras le 4 septembre, le roi et la reine arrivèrent à Saint-Germain-en-Laye le 7 septembre (Levantal).