Note [9]
Jean ii Riolan ressassait ici la plupart des arguments qu’il avait développés en 1652 dans sa première Responsio, notamment dans sa 6e partie, Sur la circulation du sang. Cela est devenu à peu près inintelligible, mais atteste des contorsions que la découverte de William Harvey avait imposées à son esprit.
Il avait expliqué sa conception de la circulation sanguine, d’origine prétendument hippocratique, dans le chapitre iii, Circulatio sanguinis quodammodo cognita Aristotelis, eiusque sectatoribus, imo ante Aristotelem, Hippocrati, et aliis non fuit incognita [Comment Aristote et ses disciples ont connu la circulation du sang, et même comment, avant Aristote, Hippocrate et d’autres ne l’ont pas ignorée], de son Liber de Circulatione Sanguinis, page 556 : {a}
Nunc demonstrabo circulationem sanguinis probari posse ex variis Hippocratis locis. Ille sanguinem perpetuò moueri intra canales suos docet, lib. 4. de Diæta acutorum, corrupto sanguine, et nequeuntibus spiritibus naturales pertransire meatus, infrigidationes fiunt, quæ obstructionem et moram sanguini pariunt, atque ex eodem, libertatem meatuum procurat, ac restituit, in omnimoda venarum interceptione, venæ sectio. Idem, siue alius lib. de Corde, quatuor vasa Cordis, fontes et flumina corporis appellat, quibus rigatur vniuersum corpus : ergo sanguis est in perpetuo fluxu instar fluminis et fontis aquæ salientis, et licet duo vasa Cordis ad pulmones contendant, in iis tamen sanguis fluxum habet, dum recurrit in sinistrum Cordis ventriculum transeundo pulmones : Atque eleganter Hippocrates, duplicem circulationem sanguinis designauit, vnam quæ inter Cor et Pulmones : alteram quæ per vniversum corpus extenditur. Idem venas et arterias consimili nomine indigitat, quasi similem sanguinem continerent : et lib. de alimento, scribit, forinsecus alimentum ab extrema superficie, ad interiora peruenit, Confluxio vna, Conspiratio vna, Consentientia omia : et libro de Carnibus, Cor et venæ cauæ semper mouentur, et plurimum calidi in venis inest, et propterea spiritum Cor trahit ex omnibus in homine, calidum existens : et sub finem lib. de natura Ossium, Cor habenas habet corporis, laxante se, et constringente colorum mutationes facit. Sed apertius lib. de morbo Sacro. Venas turgere spiritibus, et consimiles arteriis sic describit ; In has venas etiam spiritus copiam inducimus, hæ enim nostri corporis respirationes sunt, aërem in seipsas trahentes, et reliquum corpus ac venulas deriuantes, refrigerantque, ac rursus demittunt, non enim possibile est spiritum stare, sed procedit sursum ac deorsum, si alicubi constiterit, ac interceptus fuerit, impotens redditur illa pars. Cuius rei signum hoc est, cùm desidenti, ac decumbenti venulæ compressæ fuerint, vt spiritus à vena non discurrat, statim torpor occupat, et de venis reliquis sic se habet. Deinde effluxus sanguinis arteriosi in carnes, qui proponitur ab Harueo, etiam ex Hippocrate probari potest, lib. 6. Epidemion. Carnes sunt attractrices ex ventre, et extrinsecus : et lib. i. de morbis, venæ magis trahunt quàm carnes, et cùm calefactæ fuerint, et exinanitæ magis attrahunt : Apud Hippocratem somniare de mari, humorum agitationem significat, et humores corporis mari comparantur, vnde voces quæ conueniunt fluctibus maris reciprocantis retinuit Hippocrates, quales sunt αμπωτις et πλημμυρις, accessus et recessus maris ad littus, quod explicauit Galenus, libello de Diæta Hippocratis : scire debet artifex, non solum in Oceano mari recessum et accessum fieri aquarum circa Lunæ transfigurationes, sed etiam in nostris corporibus quandam esse reciprocationem humorum, in quibus crescente Luna conuenit auxilia, quæ replent adhibere, decrescente autem detractione vti.[Je démontrerai maintenant que la circulation du sang peut être prouvée en se fondant sur divers passages d’Hippocrate. Au livre iv du Régime dans les maladies aiguës, il enseigne que le sang se déplace perpétuellement dans ses conduits, « Lorsque le sang est corrompu et que les esprits ne peuvent parcourir les voies naturelles, l’obstruction et le ralentissement du sang engendrent des refroidissements » ; et selon la même source, « Dans toutes les sortes d’interception du sang, la saignée libère les voies ». {b} Le même ou un autre auteur, dans le traité du Cœur, appelle les quatre vaisseaux du cœur « les sources et fleuves du corps, qui l’irriguent tout entier » ; le sang est donc en perpétuel écoulement comme l’eau jaillissant d’un fleuve et d’une source, et bien que deux vaisseaux du cœur gagnent les poumons et que du sang s’y écoule, il revient dans le ventricule gauche en traversant les poumons. {c} Hippocrate a donc élégamment décrit la double circulation du sang : l’une se fait entre le cœur et les poumons, et l’autre intéresse la totalité du corps. Ledit auteur donne le même nom aux veines et aux artères, comme si elles contenaient un sang identique ; et au livre de l’Aliment, il écrit « La nourriture va de dehors et de l’extrême superficie jusqu’aux parties les plus intimes ; confluence unique, conspiration unique, tout en sympathie » ; {d} et au livre des Chairs, « Le cœur et les veines caves se meuvent continuellement, et ces veines contiennent le plus de chaleur ; voilà la raison pour laquelle le cœur, qui est la partie la plus chaude dans l’homme, attire l’esprit » ; {e} et aussi à la fin du livre sur la Nature des os, « Le cœur tient les rênes du corps, provoquant des changements de sa coloration selon qu’il les resserre ou les relâche. » {f} Plus ouvertement, dans le livre de la Maladie sacrée, il décrit ainsi les veines qui se gonflent d’esprit, comme font les artères : nous introduisons aussi une abondance d’esprit dans ces veines car quand notre corps respire, elles attirent l’air à elles, puis elles se dispersent dans le reste du corps, le rafraîchissent et reviennent à leur point de départ ; il est en effet impossible à l’esprit de rester immobile, il se déplace vers le haut et vers le bas, et s’il en est empêché et s’arrête dans une partie du corps, il la rend incapable de se mouvoir. En atteste le fait que, puisque les veines sont comprimées quand on s’assoit et se couche, l’esprit ne sort plus de la veine et survient alors un engourdissement, et telle est la condition des veines et du reste. {g} La sortie du sang artériel dans les chairs, que propose Harvey, peut même être démontrée par Hippocrate au livre vi des Épidémies, « Les chairs attirent et du ventre et du dehors », {h} et au livre i des Maladies, « Les veines attirent plus que les chairs », {i} et quand elles se sont échauffées et vidées, elles attirent encore plus. Pour Hippocrate, rêver de la mer signifie que les humeurs du corps sont agitées, et il les compare à la mer en employant des mots qui conviennent aux marées, comme ampôtis et plêmuris, la montée des flots vers le rivage et leur descente, comme l’a expliqué Galien dans son petit livre sur le Régime : {j} « L’homme de l’art doit savoir que la montée et la descente des eaux selon les changements de la lune ne se font pas seulement dans la mer océane, mais aussi dans nos corps où existe un mouvement alterné des humeurs, aidé par la croissance de la lune qui les fait monter, comme sa décroissance les fait descendre. »] {k}
- Opera anatomica vetera et nova, Paris, 1649, v. note [4], Responsio ad Pecquetianos, 2e partie.
- Dans Littré Hip, ce traité n’est pas divisé en livres, ce passage correspond au § 5 de son Appendice, vol. 2, page 407
- Dans son Argument de ce court traité (volume 9, pages 76‑79), Émile Littré ne l’attribue pas claire ment à Hippocrate : « L’auteur est un anatomiste qui a examiné attentivement le cœur. » Riolan empruntait sa citation au § 7, page 85, sur les orifices artériels des deux ventricules : « Ce sont là les sources de la nature humaine, les fleuves du corps qui en arrosent l’ensemble, qui y portent la vie ; et quand ils sont desséchés, l’homme est mort. » La petite circulation cardio-pulmonaire est loin d’être aussi clairement décrite que ce qu’en disait Riolan (qui lui-même ne l’admettait pas).
- Littré Hip, volume 9, page 107, § 22‑23.
- Émile Littré a remplacé « esprit » (spiritum dans Riolan) par « air » (πνευμα, pneuma, dans Hippocrate), volume 8, page 593, § 6.
- Abrégé du texte de Littré Hip, sur les artères et les veines pulmonaires qui lient le cœur aux poumons, volume 9, page 197, § 19.
- Riolan généralisait hardiment l’explication veineuse de l’épilepsie qui est dans les § 7 et 4 de ce livre (Littré Hip, volume 6, pages 373‑375) et page 369).
- Loc. cit., 6e section, § 1, Littré Hip, volume 5, page 323.
- Loc. cit., § 20, sur les tumeurs, Littré Hip, volume 6, page 179.
- Galien, traité sur le Régime dans les maladies aiguës selon la sentence d’Hippocrate, volume 19, page 189. Je n’ai pas trouvé où Hippocrate a interprété le fait de rêver de la mer.
- Torturé par la jalousie, Riolan pensait qu’Harvey n’avait rien inventé. Ce texte ne prouve pas du tout qu’Hippocrate avait compris et expliqué la circulation du sang, mais démontre qu’on peut lui faire dire à peu près n’importe quoi en picorant dans les œuvres qu’on lui a attribuées et dans les commentaires que Galien en a donnés.
V. aussi, sur le même sujet, la note [4] de la lettre de Riolan à la Compagnie des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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