Page 75. Tout en continuant à lire ce discours sur vos veines lactées, [2] je laisse de côté votre traité sur la circulation du sang, que j’examinerai plus loin, et passe sous silence vos expériences mécaniques sur le vide, [3] qui sont tout à fait hors de propos. [1] De votre page 75, de Wale [4] dit sagement : nous avons de même toujours estimé le brillant principe d’Érasistrate [5] énonçant que ce qui se passe dans notre corps a une explication mécanique, mais jugeons téméraire de porter un jugement sur ce que la divine sagesse a elle-même établi. Il faut poser en principe les mécanismes que nous font voir l’évidente raison et plus encore le bon sens. [2]
[Page 158 | LAT | IMG] J’en viens maintenant au mouvement du chyle, dont vous écrivez qu’il passe par les petits pores ouverts à travers la paroi intestinale, et se retire dans les veines lactées ; [6][7][8] la nature a tapissé sa couche profonde, dont la substance est très molle, d’un enduit vraiment admirable qui la rend ridée ou rugueuse. Tous les anatomistes admettent que la paroi des intestins est charnue, de manière à absorber la portion la plus ténue du chyle, et que si elle est rongée par l’acidité des humeurs qui s’écoulent à son contact, elle est capable de se réparer. On n’observe donc pas cet aspect ridé et spongieux dans les intestins, hormis sous la forme de quelque enduit ou incustation pituiteuse. [3][9]
Page 76. Vous ne prouvez point que le chyle n’est pas attiré quand vous dites que Si tu lies les veines lactées dans le mésentère ou dans la cavité thoracique, [10][11] leur turgescence, sous le blocage, du côté tourné vers les intestins, ruinera toute idée que le chyle y soit attiré. Cette expérience ne plaide pas en votre faveur, car vous ne dites pas que les veines lactées qui ont été ligaturées apparaissent vides du côté tourné vers le réservoir, [12] mais seulement gonflées du côté tourné vers les intestins. Il n’est pas vraisemblable que le réservoir membraneux attire le chyle et que le chyle soit ainsi propulsé dans les veines lactées, comme vous l’avez affirmé. [4][13] Vous en tirez argument pour éluder la comparaison avec les sangsues qui sucent le sang : [14] c’est ainsi, dit Galien, que les veines mésaraïques [15] attachées aux intestins en font à elle sortir le chyle ; [Page 159 | LAT | IMG] et ailleurs, il écrit qu’en utilisant ses branches comme des mains, la veine porte [16] attire le chyle. [5][17][18] Vous plaisantez en disant que les sangsues gonflent en élargissant leur poumon et envoient le sang dans leur estomac. [6] Les sangsues auraient donc des poumons ! et cela peut-il se faire sans succion ?
Non missura cutem nisi plena cruoris hirudo. [7][19]
Quand on les applique, les sangsues sont vides, mais se gonflent aussitôt en suçant. J’ai trouvé dans le livre des insectes d’Ulisse Aldrovandi, [20] que chez les sangsues, un canal unique et continu va de la bouche à la queue ; et l’Anglais Moffett, [21] dans son Théâtre des insectes, ne parle pas de leurs poumons. Vous avez eu la vue plus perçante qu’eux en leur trouvant un estomac. [8]
Page 77. [9] La contraction est le propre des intestins et des autres corps membraneux, leur dilatation est d’origine extérieure : sachez, vous qui devez encore apprendre, qu’aucun corps membraneux ne se contracte s’il ne possède une seconde membrane charnue, dont les fibres la rendent capable de se resserrer après qu’elle a été dilatée par l’action d’un organe voisin qui lui est extérieur. C’est ainsi qu’après une dilatation, l’estomac, [22] en raison de sa membrane charnue, comme les intestins ou, plus encore, la vessie [23] et l’utérus se contractent quand ils se sont vidés, à condition que leur dilatation n’ait pas été excessive, car si leurs fibres se sont rompues ou extrêmement distendues, [Page 160 | LAT | IMG] ces organes ne peuvent plus se contracter, ce qui débilite profondément leur fonction.
Page 77. Je suis émerveillé par l’arrogante ignorance de ce jeune homme qui a examiné les entrailles de plus d’une centaine de chiens sans avoir jamais observé le mouvement péristaltique des intestins chez l’animal vivant. [24] Il est semblable à celui d’un très long ver qui rampe en s’enroulant sur lui-même, segment après segment, comme je l’ai écrit ailleurs et maintes fois démontré publiquement, chez les animaux vivants. Votre ignorance de ce fait rend suspectes les observations que vous avez recueillies sur eux. Écoutez pourtant le fort solide témoignage du très savant Harvey, qui a passé la plus belle partie de sa vie à méditer sur ses expériences anatomiques et à les rédiger, quand il écrit dans son Liber de generatione animalium, page 227 : En disséquant des animaux vivants, j’ai très souvent observé le mouvement des intestins, ils se tordent sur eux-mêmes en ondoyant, pour pousser le chyle et les excréments vers le bas, [25] comme vous feriez en les serrant dans un anneau très étroit ou en les comprimant à l’aide de vos doigts. Chez les femelles des animaux, il a très fréquemment observé que les cornes de la matrice se meuvent à la manière des vers de terre et, une fois l’utérus ouvert, il l’a vu onduler de lui-même à la manière d’une tortue, comme s’il s’agissait d’un animal dans l’animal, de manière semblable aux reptations du scrotum et des testicules qu’on voit chez les mâles. [Page 161 | LAT | IMG] J’ai connu des femmes qui ressentaient des palpitations utérines en dehors de tout espoir de grossesse. [10][26] Que répondrez-vous au témoignage d’un si éminent personnage, et oserez-vous le contredire ? Pecquet oublie avoir lui-même affirmé, page 73, que la bile très amère resserre et ride les parois des intestins, et qu’il a observé cela en incisant celle du duodénum [11][27][28] Pourquoi la bile qui s’écoule dans les intestins n’irritera-t-elle pas et ne mettra-t-elle pas en mouvement les parois des intestins pour propulser le chyle du haut vers le bas ? Ce jeune homme ignore pourtant la nécessité de ce mouvement dans les boyaux, dont les contorsions se transmettent à toutes les parties de l’abdomen et les incitent à accomplir leur devoir. [12] Il n’a donc jamais vu, quand une plaie de l’abdomen a ouvert le péritoine, avec quelle impétuosité les intestins se meuvent et en sortent, à tel point qu’il est très difficile de les en empêcher si vous n’y recourez pas à vos deux mains et à celles de l’assistant qui vous seconde. [13]
Page 78. Pour expliquer le mouvement du chyle dans les veines lactées, il lui assigne deux causes, la respiration, et la contraction des muscles de l’abdomen et du thorax, laquelle permet de satisfaire la nécessité de déféquer les excréments intestinaux, ou de vider la vessie et la vésicule biliaire. [14][29][30][31] Comment cela peut-il se faire chez les quadrupèdes, alors qu’ils ont la tête penchée vers le sol et que vos veines lactées s’étendent dessus les lombes et le dos, [Page 162 | LAT | IMG] fort éloignées de cette impulsion ? Sous l’effet de la contraction des muscles, les intestins pourraient-ils être arrachés de force vers le haut pour être capables de comprimer ces veines lactées ? Voilà qui est ridicule !
Page 79. Cherchant donc un autre moteur perpétuel de cette impulsion dans la respiration, il pense que le mouvement de gonflement et d’affaissement des poumons fait progresser le chyle dans les veines lactées, tout en disant que l’enveloppe des poumons est résistante et imperméable, comme il l’a constaté en soufflant de l’air dans les poumons, et que les chirurgiens se trompent affreusement quand ils pensent que l’air qui sort d’une plaie thoracique est capable d’éteindre une bougie. [15][32] Il ajoute le témoignage de Riolan, qui a pourtant écrit le contraire dans le chapitre sur le poumon de son Anthropographie, auquel je renvoie le lecteur pour ma réponse sur cet article. [16][33][34]
Je ferai remarquer en passant que Harvey, à la page 5 de son livre sur la reproduction des animaux, plaide en faveur de mon opinion, quand il écrit que la tunique externe des poumons est perforée, ce qui permet à l’air de s’écouler en tous sens hors des poumons dans la cavité thoracique et de pénétrer dans les parties sous-jacentes ; que chez les oiseaux, les terminaisons de la trachée-artère traversent les poumons pour descendre dans l’abdomen, et que chez le dindon et même chez le coq et la poule, il a trouvé qu’un stylet enfoncé dans la trachée passe des poumons dans les cavités de l’abdomen, comme il l’a clairement constaté quand il les a ouvertes ; [Page 163 | LAT | IMG] et que l’air qu’on injecte dans leurs poumons à l’aide d’un soufflet entre, non sans impétuosité, dans les cavités inférieures. [17]
Page 80. Dans la respiration, les poumons se dilatent en même temps qu’ils compriment le diaphragme et le foie vers le bas. Ce dernier, en agissant à la manière d’un pilon dont le poids s’ébranle à intervalles réguliers, pousse le chyle à traverser le pylore pour passer de l’estomac dans les intestins, tout en le poussant dans les lactifères. [18][35] Il ne précise pas dans quel temps de la respiration les poumons se distendent et le diaphragme s’abaisse. De plus, chez l’homme, le foie n’est en contact qu’avec le côlon, ou plutôt le surmonte, et ne comprime aucune autre partie des intestins ; [19][36] les veines lactées sont éparpillées dans toute la masse des intestins, mais le grêle occupe le bas-ventre, autour de son centre, encerclé par le côlon qui, repoussé et incurvé à la périphérie, lui forme comme une arche ou un enclos. La position des intestins étant inversée chez les bêtes, comment le poids du foie pourrait-il exercer son effet de piston sur leurs intestins ? [20]
Vous ajoutez que l’estomac et les intestins peuvent aussi aider ce mouvement compressif ; [21] mais je ne vois pas comment ils peuvent faire cela car, chez les bêtes dont la tête est tournée vers le sol, ces parties sont penchées vers le bas, et ce même si elles se couchent sur le flanc, position dans laquelle elles ne peuvent demeurer longtemps. Ensuite, auprès du canal et [Page 164 | LAT | IMG] du trajet des veines lactées, en profondeur, devant le dos et les lombes, il n’y a aucun muscle extenseur ou fléchisseur, et les piliers fibreux du diaphragme sont immobiles et ne s’allongent pas. Donc, le chyle des veines lactées soit s’écoule et monte spontanément au-dessus du cœur, puisque rien ne peut le pousser, soit est attiré par le cœur, ce qui est impossible, puis qu’il y est attaché par des canaux distincts (des dits lactifères). [22]
Page 81. Il met en avant des notions ridicules sur le mouvement du diaphragme, qu’il affirme avoir soigneusement observé chez les animaux vivants. Il divise le diaphragme en deux parties égales, dont l’une regarde le cartilage xiphoïde et l’autre, le rachis dorsal. Quand les parties postérieures du diaphragme s’abaissent au cours de l’inspiration, ses parties antérieures se soulèvent presque au même moment, sous l’effet d’une violente poussée. Au cours de l’expiration, l’avant du diaphragme s’abaisse en suivant le sternum, et son arrière s’élève en même temps que le foie et l’estomac qui sont au-dessous de lui. [23] Je me demande comment, au cours de l’inspiration, les poumons, qui sont alors en suspension avec, au-dessous d’eux, le foie et la saillie de l’estomac, compriment les parties inférieures, car si les parties antérieures du diaphragme montent, le foie en fait autant et ne peut plus exercer sa fonction de piston, liée à son poids et à son bondissement ; et plus encore, lors de l’expiration, [Page 165 | LAT | IMG] quand ces mêmes parties descendent, comment cette compression pourrait-elle propulser le chyle dans les veines lactées ? Ajoutez à cela que la partie médiane et basse du diaphragme ne peut s’élever lors de l’expiration, à cause des piliers charnus [24] immobiles qui l’empêchent de monter. En outre, si ce jeune homme savait que la conformation du diaphragme est différente chez l’homme et chez les bêtes, il n’aurait pas dit qu’il est transversalement divisé en deux parties, que son centre se meut différemment ; et ce qui est vrai chez les bêtes n’impose pas qu’il en aille de même chez l’homme : la circonférence du péricarde est chez lui attachée au centre fibreux du diaphragme et le médiastin repose sur toute sa surface, depuis le cartilage xiphoïde jusqu’au dos, ce qui empêche les divers mouvements qu’il prétend exister lors des deux temps de la respiration. J’ajoute que le muscle diaphragmatique constitue un tout uniforme : étant donné les parties charnues et fibreuses qui s’unissent pour le former depuis sa périphérie charnue jusqu’à son centre fibreux, ses mouvements ne peuvent être différents en divers endroits au même instant, que ce soit lors de l’expiration ou de l’inspiration.
Il nie encore que dans le thorax et l’abdomen, les muscles qu’on appelle respiratoires [Page 166 | LAT | IMG] contribuent en quelque manière à cette action, et ce d’après l’expérience qu’il a acquise sur les animaux vivants. Il écrit pourtant page 78 que la contraction des muscles dans le thorax et l’abdomen, et leur violente poussée compriment fortement les viscères, et chassent le chyle des intestins dans les veines lactées,
Quo teneam nodo, mutantem Protea
vultus. [25][37][38]
Pages 83 et 84, quant aux multiples absurdités qu’il énonce quand il explique les voies par lesquelles le chyle, pur comme impur, est transporté au cœur,
Spectatum admissi risum teneatis
amici ? [26]
Il n’est pas rare que des aliments sortent de l’estomac avant d’avoir été complètement digérés, puisqu’il s’en précipite jusqu’à l’anus ou à la vessie, lesquels ne peuvent migrer de l’estomac dans la vessie autrement qu’en passant par les veines lactées. Et ne m’objecte pas que ces surplus s’empressent de partir par derrière dans la rate en empruntant le vas breve, [39] pour ensuite se rassembler dans le foie, puis monter vers le cœur, être poussés dans les artères et se jeter enfin dans les reins par les artères émulgentes : [40] Il estime donc plutôt que ces liquides s’écoulent de l’estomac par le pylore, puis sortent des intestins en empruntant les lactifères pour être poussés dans le réservoir du chyle qu’il a découvert sous le mésentère. Une partie emprunte ensuite la voie thoracique du chyle pour gagner le cœur, qui est l’officine du sang, [41][42] une autre partie se sépare du chyle [Page 167 | LAT | IMG] et se rend dans les reins : soit en passant par le tronc des artères émulgentes qui adhère fermement au réservoir du chyle, lequel, à cet endroit et peut-être pour cette raison, est perméable de dehors en dedans, et convient à la filtration du sérum comme au travers d’une trémie ; [43][44] soit, si tu préfères, en passant par les capsules atrabilaires, qui sont là tout près, ou par le péritoine qui, en raison de la proximité avec les parties, n’a pas pour moindre fonction de débarrasser ses replis des liquides qui s’y accumulent. [27] À mes yeux, il ne se présente certainement aucune voie plus commode pour tamiser les substances qui s’écoulent très souvent de l’estomac sans y avoir été digérées, ni même s’être imprégnées de sa chaleur. Ce jeune homme nous a débité autant de mots que d’erreurs, tout aussi intolérables qu’indignes d’un débutant en anatomie. Je m’en vais brièvement les faire voir, et montrer les autres voies qui s’offrent à l’évidence pour éliminer le vin et les eaux minérales. [45] Ainsi donc, un chyle impur, non cuit et qui n’a pas même absorbé de chaleur, c’est-à-dire cru et non digéré, monterait vers le cœur par les veines lactées, traverserait les poumons avant d’être emporté dans l’aorte ; mais cela pourrait-il se faire sans corrompre le cœur, ni nuire gravement aux poumons et au sang artériel ? Si, selon vous, les déchets des chairs modifiées, en tombant dans les veines, peuvent corrompre la masse du sang, [28] que ne provoquerait pas de telles immondices chyleuses dans ces viscères ? La voie qu’il s’imagine est absurde : Peut-être ce chyle [Page 168 | LAT | IMG] impur est-il transféré dans les artères émulgentes et de là dans la vessie. Comment se fait-il donc que vous n’ayez pas débusqué cette anastomose au cours de vos expériences sur les animaux vivants ? Il conçoit une autre voie encore plus absurde : Les capsules atrabilaires adjacentes peuvent recueillir cette humeur impure puis l’envoyer dans les reins et de là dans la vessie. J’ai démontré ailleurs, dans mon Anthropographie, la fausseté des idées qu’on se fait de ces capsules atrabilaires. [29][46] Sa troisième voie est parfaitement absurde : Le chyle impur peut passer dans le péritoine qui, en raison de sa proximité avec les parties, n’a pas pour moindre fonction de débarrasser ses replis des liquides qui s’y accumulent ; mais comment entrera-t-il dans la vessie, à moins qu’elle ne soit érodée ou que ne s’y loge un abcès, ou qu’il n’y pénètre en traversant sa paroi, à la manière dont Asclépiade et Lactance on jadis cru que l’urine y parvenait ? [30][47][48][49] Ce savant anatomiste ne pense pas que d’autres voies plus convenables puissent être mises en évidence. Si vous voulez connaître les voies capables d’éliminer les eaux minérales et le vin qui ont été bus en trop grande abondance, je citerai Aristote, que vous imaginez être l’auteur de votre ridicule opinion, mais que vous n’avez même jamais lu : la rate est placée à côté de l’estomac pour en puiser les humidités superflues ; les animaux qui n’ont pas de rate ne boivent que très peu ou pas du tout, et n’ont pas non plus de vessie. Convenez qu’existe alors une intelligence entre les poumons, la rate et la vessie ; [31][50] et c’est ainsi que la rate suce les eaux minérales et [Page 169 | LAT | IMG] le vin à l’aide des veines qui sont éparpillées sur le bord gauche de l’estomac, puis qu’ils sont emportés dans les artères émulgentes, en passant par l’artère splénique qui est particulière à la rate. Cette voie est authentique et très courte, Sylvius l’a désignée comme étant celle qui permet à l’urine de purger la rate. [32][51]
Ridicule aussi est la voie que vous décrivez en disant que ces liquides s’écoulent de l’estomac par le pylore, puis sortent des intestins en empruntant les lactifères pour être poussés dans le réservoir du chyle que vous avez découvert sous le mésentère. Une partie emprunte ensuite la voie thoracique du chyle pour gagner le cœur, qui est l’officine du sang, et se rendre dans les reins. Ainsi le vin et les eaux minérales, emportés par vos veines lactées, passeront-ils à travers le cœur et les poumons ; mais comment ces organes seront-ils à l’abri des méfaits que peuvent provoquer le vin bu sans retenue ou vingt verres d’eau minérale ? Conring a montré l’existence de cette voie, mais maladroitement, [33][52] et vos veines lactées la démontrent plus maladroitement encore.
Si vous n’aviez pas résolument nié que des veines lactées quittent le réservoir pour gagner le tronc de la veine cave [53] aux alentours des reins, l’évacuation du chyle corrompu eût été aisément assurée par les reins, provoquant l’apparition d’un sédiment lacté dans les urines pendant quelques jours ou mois. Vous auriez alors justement déclaré qu’il ne s’agissait ni de pus, ni de pituite [Page 170 | LAT | IMG] corrompue ou puriforme (dans la mesure où il n’y aurait pas ni jamais eu de douleur dans les reins, ni d’émission préalable d’urines sanglantes), mais qu’il s’agissait de la fraction du chyle qui s’était écoulé dans la veine cave en passant par les veines lactées, comme l’ont observé plusieurs anatomistes plus méticuleux et clairvoyants que vous ; ou alors de cet épais surnageant blanchâtre qu’on voit à la surface du sang recueilli dans un récipient et que certains tiennent pour être une humeur pituiteuse corrompue (qu’Aristote appelle la fraction crue et non digérée du sang), dont vous auriez dit et montré que c’était du chyle impur passé dans la veine cave. [34][54][55]
Page 85. Voici qui est admirable : Une fois l’animal mort, aucun lactifère ne subsiste dans le mésentère et le thorax, et on ne voit plus aucune trace du réservoir, devant les vertèbres lombaires. Cela plaide pour l’ineptie de vos veines lactées, car d’autres persistent pendant un ou deux jours après la mort, comme on l’observe chez les pendus. [35]
Page 86. Finalement, il se glorifie d’avoir arraché au foie la gloire de l’hématose, qu’il a injustement usurpée pendant tant de siècles, et de lui avoir attribué une autre fonction : outre celle, qui lui est transmise par le mouvement respiratoire, d’écraser, à la manière d’un pilon, les parties de l’abdomen qui sont placées au-dessous de lui, le foie procure sa chaleur à l’énorme afflux de sang, qu’il reçoit par la veine porte, provenant de l’élixation [56] des aliments par l’estomac ; [Page 171 | LAT | IMG] il filtre ce sang grâce à son parenchyme particulier et, de la même manière que les reins le purgent de son sérum et que la rate corrige son acidité, le foie le libère de la bile qui y est mélangée. [36] Au livre iv des Maladies, Hippocrate note que les enfants donnent au foie le nom de cœur : [37][57] à en juger sur la fonction du foie que vous lui inventez, c’est donc fort puérilement que vous appelez cœur le foie. J’ai démontré plus haut la fausseté du pilon hépatique, qui ne peut en aucune façon comprimer les intestins pour les aider à chasser le chyle dans les veines lactées. [18][19][20] Si le foie refoule le sang vers l’estomac, c’est du sang veineux qui se répandra par la veine porte, contre la doctrine de la circulation harvéenne qui énonce doctement que seules les artères distribuent le sang alimentaire, les veines ne servant qu’à le faire revenir au cœur. [38] Si le foie ne fait que procurer sa propre chaleur à l’élixation des aliments dans l’estomac, elle sera refroidie dans le flanc gauche en raison de la proximité de la rate qui extrait l’acidité du sang. Si le parenchyme hépatique filtre la bile, ce sera uniquement celle du sang que la veine porte reçoit de l’artère cœliaque, parce que tout le sang à filtrer ne passe pas par elle. [39][58] Il est selon vous déraisonnable de penser que la bile est un excrément de la seconde coction et qu’aucun autre organe que le foie n’est capable de l’en séparer : [40][59] ceux qui pensent ainsi sont donc à votre avis des insensés.
Page 87. Il affirme que Cette bile qui se sépare [Page 172 | LAT | IMG] dans le foie n’est pas un excrément de la seconde coction, mais est engendrée dans le sang, par la perpétuelle ardeur qu’entretient le cœur et qui réchauffe le sang, lequel se transformerait entièrement en bile si elle n’était par purgée par cet émonctoire du foie. Pour prouver cela, je produis l’exemple du sang maternel qui se débarrasse de sa bile en se rendant au foie, laquelle est recueillie dans la vésicule placée sous le foie. [41][60] Ce jeune homme ignore toutefois que rien n’est digéré et purifié jusqu’à ne plus contenir aucune souillure, qu’une nouvelle coction éliminera : ainsi le sang de la mère est-il très souvent impur, parce qu’elle se nourrit mal, et pour qu’il convienne au fœtus, son foie doit-il le modifier une nouvelle fois et le purger de sa bile. Si le sang se forme dans le cœur à partir du chyle, c’est là qu’aura lieu sa seconde coction qui devra intéresser la bile, en tant qu’excrément de la sanguification : vous extravaguez donc quand vous niez que la bile est un excrément de la seconde coction. Peut-être direz-vous que la bile est engendrée par cette perpétuelle ardeur qu’entretient le cœur et qui réchauffe le sang, lequel se transformerait entièrement en bile si elle n’était par purgée par cet émonctoire du foie ; mais vous tenez ainsi la chaleur du cœur pour brûlante, [61] comme naturellement dotée d’une qualité incendiaire, alors que tout le monde la considère comme douce et bienveillante, hormis quand elle s’embrase sous l’effet des fièvres [62] et d’autres causes externes. Que répondrez-vous à Aristote, livre i, chapitre xvii de l’Histoire [Page 173 | LAT | IMG] des animaux, disant qu’« ordinairement et dans presque tous les animaux, le foie est sans fiel », et donc que le foie n’est pas destiné à purger la bile du sang, puisqu’alors cette fonction devrait se rencontrer dans le foie de tous les animaux ? [42][63][64]
Page 88. Quand il ajoute que la sagacité de la nature fait que, dans le mouvement circulaire du sang, sa masse tout entière finit par avoir pénétré dans les mêmes refuges à divers moments de son parcours, il semble prévoir mon objection sur le sang artériel cœliaque [39] qui est envoyé dans la veine porte, ce qui fait que tout le sang n’est pas filtré par le foie. Néanmoins, avoue-t-il ingénument, je ne vois pas comment cela est possible sans que la totalité du sang ne passe par l’artère cœliaque [43] S’il en était ainsi, le sang n’irait pas jusqu’au bout des pieds, mais serait entièrement dérivé dans la cœliaque, qui naît obliquement de l’aorte avant l’émergence des rénales, les iliaques seraient exsangues et aucun sang ne refluerait des parties inférieures vers les supérieures : quel anatomiste a jamais conçu telle monstruosité contre le bon sens ? [44]
Page 88. Il se demande Pourquoi la bile n’est pas emportée avec le sérum qui est puisé par les reins. [65] J’avoue, dit-il, que la cause d’une si grande merveille m’échappe ; puis il se réfugie aussitôt dans le fait que le sérum, la bile et le sang ont une configuration différente, ce qui module leur pouvoir de pénétration, et fait que la forme de la bile [Page 174 | LAT | IMG] ne correspond pas à celle des méats rénaux et ne peut donc pas les traverser. La sèche échappe aux mains des pêcheurs en répandant son encre, mais il est ridicule de chercher des formes aux solutions liquides, comme de leur en attribuer ou imaginer. [45][66]
Page 91. Il établit qu’il y a trois sortes de bile dans le sang : celle qui est diluée dans le sérum est éliminée par les urines ; les deux autres se voient dans le foie, dont l’une, plus subtile, se répand dans la vésicule, et l’autre, plus épaisse, s’écoule par le méat hépatique ; ces deux dernières passent dans les intestins, dont elles excitent la membrane interne, en agissant à la manière d’un clystère naturel, [67] puis sont éliminées, mêlées aux excréments. [46] La bile produite et recueillie dans le foie s’écoule ainsi dans les intestins, et peut donc imprégner et corrompre le chyle qui est incapable de s’en débarrasser une fois entré dans les veines lactées. Nous voyons très souvent les matières fécales et les urines présenter la couleur du safran : ne s’agit-il pas de chyle fort authentique ? La bile peut de cette façon corrompre le chyle qui, transmis au cœur même et aux poumons, gâtera remarquablement l’ensemble du sang, mais aussi le cerveau, puisque le cœur lui envoie son sang et ses esprits par les carotides. [68][69] Comment la rate peut-elle se nourrir d’acidité ou de suc cru ? [47] Il en irait donc pareillement du sang artériel comme de la bile, et le sang du cœur serait rempli et [Page 175 | LAT | IMG] sali par de multiples impuretés qui s’éparpilleraient dans tout le corps avant qu’il n’arrive dans l’artère cœliaque afin qu’il en soit purgé par le foie.
Dans le traité de ce jeune homme, je découvre assurément des rêveries qui font éclater son ignorance de la médecine et de l’anatomie.