Texte
Jean ii Riolan
Première Responsio (1652) aux
Experimenta nova anatomica
de Jean Pecquet (1651).
2. Critique des chapitres i‑v
des Experimenta nova anatomica  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean ii Riolan, Première Responsio (1652) aux Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet (1651). 2. Critique des chapitres i-v des Experimenta nova anatomica

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=1001

(Consulté le 27/03/2025)

 

[Page 145 | LAT | IMG] [1]

Page 2. Ainsi commence-t-il son opuscule : Aselli [2] a le premier découvert ces veines, [3] il a mis au jour les authentiques veines lactées, un point c’est tout, ce n’est pas un fait à dédaigner, bien qu’il ne soit pas d’une importance considérable. Harvey[4] de Wale, [5] Vesling, [6] Conring, [7] Bartholin [8] et Riolan en ont fait mention. Sans vouloir offenser de si grands personnages, je dirais qu’ils se sont tous trompés en croyant que le chyle est emporté dans le foie [9] par trois ou quatre rameaux, qui pourtant ne l’atteignent en aucune manière. Aucun de ces auteurs n’a particulièrement tenté de rechercher les cachettes des veines lactées dans le thorax[1][10]

On doit hautement louer les inventeurs des arts, dit Aristote[11] et il est facile d’ajouter à leurs découvertes : si Thimothée n’avait pas créé la musique, Phrynis n’y aurait pas excellé. [2][12] Aselli a le premier découvert ces veines, ce qui lui vaut [Page 146 | LAT | IMG] d’être glorifié par les anatomistes expérimentés. Ce jeune homme, qui n’a pas encore dépassé les premières années de l’âge adulte[3] juge mesquinement et grossièrement que le chyle emprunte des voies autres que les veines mésaraïques, et il dédaigne et tourne en dérision les autres anatomistes, qu’il prétend aveugles. Ceux qui ont approuvé son opinion erronée connaîtront le sort des brebis bêlantes : celles qui suivent la première tomberont tête première dans le fossé. [4] Il cite même Riolan, bien qu’il n’ait encore pas donné d’avis sur cette affaire ; mais après qu’il aura réexaminé l’utilité médicale de ces lactifères, il déclarera à nouveau sereinement ce qu’il pense de ceux qu’on vient de trouver. [5][13]

Page 3. Vient ensuite la description de la découverte : Un certain réservoir membraneux, [14] dont la taille égale, du moins chez les bêtes, l’intervalle qui est compris entre les psoas, devant les vertèbres lombaires, reçoit la liqueur que recueillent les lactifères éparpillés dans le mésentère, c’est-à-dire le chyle, et le répand dans ceux qui, tapis dans le thorax et formant un conduit ininterrompu, le font progresser jusqu’au tronc de la veine cave supérieure. [15] Il se mêle intimement au sang à l’entour des veines jugulaires externes, pour être détourné dans le ventricule droit du cœur[16] Il remarque ensuite que le chyle devra se précipiter dans le gouffre du cœur car les valvules des jugulaires l’empêchent entièrement et sans peine d’y [Page 147 | LAT | IMG] monter. Il ne dit ni les dimensions ni la capacité de ce réservoir, bien que les veines lactées soient innombrables car elles parcourent la totalité des intestins, dont la longueur égale sept fois la hauteur du corps. [17] En outre, la plus grande partie des intestins occupant le ventre et même le bas-ventre, comment toutes les veines lactées peuvent-elles confluer dans ce réservoir situé entre les deux reins, et pourquoi est-il placé à cet endroit ? Comment aussi d’innombrables veines lactées peuvent-elles se résoudre en deux veinules qui font monter le chyle jusqu’aux subclavières ? [18] Étant toute proche, la veine cave inférieure [19] lui offrait une voie plus courte et plus commode. Si le mésentère devenait entièrement squirreux, [20] ce cheminement du chyle serait bloqué et il faudrait mourir ; [21] mais contre une telle catastrophe le foie, le pancréas, [22] la rate [23] reçoivent des veines directement issues de l’estomac qui aspirent le chyle et l’apportent au foie, [24] et quelques-uns ont estimé qu’elles y dérivent sa partie la plus subtile avant qu’il ne parvienne aux intestins et aux veines mésaraïques. Il a omis de mentionner ces voies.

Si les veines lactées, qui sont innombrables, confluaient dans ce réceptacle particulier et y déversaient le chyle, il devrait s’en écouler vers les veines subclavières aussi rapidement [Page 148 | LAT | IMG] qu’il y a afflué. Néanmoins, après la mort de l’animal, [25] bien que les veines lactées demeurent apparentes, il ne subsiste aucune trace de cette cavité recevant le chyle, ni des deux autres canaux qui le conduisent aux subclavières. Ensuite, si cette confluence d’innombrables veines dans cette cavité y apporte un copieux volume de chyle, il faut que son transfert vers les subclavières soit également copieux. [6] Il doit donc exister une proportion entre les veines lactées qui alimentent ce réservoir en chyle et les deux canaux qui l’évacuent vers les subclavières, mais aussi entre ces deux chylifères thoraciques et le sang qui jaillit du cœur en grande abondance. Comment toutefois les deux petits lactifères qui sortent de cette cavité peuvent-ils avoir un débit égal à celui de toutes les veines chylifères réunies, puis faire monter, à vitesse et volume suffisants, une telle abondance de chyle jusqu’aux les subclavières, et enfin procurer au cœur la matière suffisante à la production du sang, alors que le sang ne ralentit pas dans le cœur ? Cela paraît impossible. Je me demande en outre comment cette lacune exiguë peut se distendre pour recevoir suffisamment de chyle, alors qu’elle est placée sous le mésentère et doit supporter tout le poids des intestins, particulièrement en position couchée sur le dos, quand on sait que dans un corps obèse, les membranes adipeuses des reins sont écrasées et étouffées par la graisse éparse [Page 149 | LAT | IMG] comme par celle du mésentère. [7] Il n’explique pas comment le chyle se rue dans le gouffre du cœur et s’il s’attarde dans l’oreillette droite. Ce nom de gouffre semble signifier que le cœur engloutit le chyle par sa vaste ouverture. Notre admirable anatomiste ignore que les jugulaires externes sont dépourvues de valvules, [26] et comment le sang pourrait-il se précipiter dans ces veines éloignées, alors que les jugulaires internes sont là tout près. [8][27] Ajoutez à cela son impéritie quand, chez les bêtes, il appelle subclavières les deux branches de division de la veine cave supérieure, qu’on nomme plus justement axillaires, parce que ces animaux n’ont pas de clavicules : pourtant il leur en attribue, page 9, lignes 21 et 22, et page 10, ligne 16[9]

De votre propre aveu, il est étonnant que, une fois l’animal mort, ces veines et leur réservoir aient entièrement disparu sans laisser aucune trace visible[10]

Il continue, à la page 4 du chapitre ii, puis dans les chapitres iii et iv, de raconter, à la louange du vigoureux Jaloux, [28] l’histoire complète de sa bonne étoile, c’est-à-dire pour se faire lui-même valoir, comme Suffenus en sa propre faveur et comme Astydamas à la gloire de son propre ouvrage. [11][29][30][31][32] Moi pourtant, en noble Jaloux, conservateur et défenseur de l’ancienne doctrine, je blâmerai poliment vos sornettes sur l’utilité de ces veines lactées.

Je ne suis pas sans connaître non plus (et vous en procure la référence) ce que Galien a écrit des nouvelles inventions, [Page 150 | LAT | IMG] qu’il conseille de ne pas taire, mais de divulguer, au chapitre ix De la difficulté à respirer : Il est juste et bienvenu, afin de récompenser ceux qui ont fini par découvrir quelque chose de bienfaisant pour la vie, de ne pas taire leurs inventions et de ne pas les tenir cachées aux hommes, mais de faire connaître le raisonnement et la méthode qu’ils ont employés pour les mettre au jour ; car c’est là ce qui leur vaut l’honneur de notre admiration[12][33] Toutefois, quand est découvert quelque chose qui peut induire un grand changement en quelque métier solidement établi de longue date, comme est la médecine, il faut longtemps et profondément examiner et peser l’utilité de cette nouveauté ; il convient aussi de recueillir les avis de doctes et sages praticiens, aguerris à la pratique de l’art, afin de ne rien trancher imprudemment et à la légère, qui puisse être à la fois ridicule et dangereux pour la santé ; mais c’est ce à quoi vous vous exposez en vous prononçant sur l’utilité de votre trouvaille. Wirsung a écrit de Padoue [34] à Riolan pour solliciter son avis sur le canal pancréatique qu’il avait mis au jour ; [13][35] comme a fait Harvey qui, après avoir médité pendant 24 années sur la question, n’a pas encore osé exposer les utilités de sa circulation du sang (pour la pratique de la médecine), parce que, dit-il, il faut établir ce qui existe avant d’examiner pourquoi cela existe. [14][36][37]

[Page 151 | LAT | IMG] Page 13. Jusqu’à présent, l’opinion, contraire à la vérité, a été que le chyle progressait du mésentère jusque dans le parenchyme du foie, viscère auquel on attribuait la prérogative de fabriquer le sang destiné au reste du corps, parce qu’on voit que le chyle n’est détourné ni vers le foie, ni vers la veine porte, ni vers la veine cave, à proximité des artères rénales[15][38] Aselli, le premier à avoir trouvé les veines lactées, s’est donc trompé, et il rêvait quand il décrivait et dessinait en couleurs les quatre branches ou canaux lactés qui gagnent le foie. [16] De Wale voyait trouble quand, outre ces canaux, il en a observé d’autres qui se rendent dans le pancréas et dans la veine cave, et les autres auteurs qui l’ont confirmé n’y ont pas vu plus clair.[17] Peut-être les avez-vous vus, mais détruits afin de rendre votre découverte plus admirable aux yeux de ceux qui vous regardaient disséquer. Pourquoi ne vous servirais-je pas ce propos d’Avicenne : « Si toi et moi ne voyons pas ceci ou cela, est-ce une preuve de son inexistence ? » [18][39] Vous ne pouvez approuver ce qu’a dit Bartholin, chapitre iii de son opuscule sur les veines : « Seule l’ignorance de leur tronc commun tient les savantes gens en suspens, et la question serait résolue si quelqu’un démontrait qu’il aboutit dans le foie. » [19][40] Et s’il a mis en doute le cheminement des veines lactées et leur aboutissement dans le foie, il a changé d’avis dans la dernière édition de son Anatomia, en les y ajoutant et décrivant, par écrit et à l’aide de gravures. [20][41] Pour ma part, je soutiens que, par la grande prévoyance de la nature, [Page 152 | LAT | IMG] ces quatre canaux ne se réunissent pas en un tronc, de crainte qu’un chyle impur ne puisse aisément l’obstruer et que la distribution du chyle, qui est nécessaire à la vie, ne s’en trouve interrompue : si un ou deux d’entre eux se bouchent, les autres demeurent perméables et continuent d’assurer le passage du chyle. En revanche, si vos deux veines lactées thoraciques se trouvent obstruées, c’en est fini de la vie car le chyle ne parvient plus au cœur ; et je ne vois pas comment ils pourraient se rouvrir alors, quand la force d’un médicament liquide ne peut les atteindre en s’élevant jusqu’à eux. [21][42]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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