au très distingué M. Jean Pecquet
docteur en médecine et très diligent anatomiste. [1][1][2]
Très distingué Monsieur,Rien ne m’a jamais été plus cher que la pure vérité et on tire gloire de tout tenter sous ses auspices ; puisqu’elle m’a stimulé de ses justes incitations, je ne puis passer aujourd’hui sous silence ce que j’ai vu et touché, et que la très illustre Université de Montpellier tout entière a comme moi admiré et applaudi en son plus grand amphithéâtre anatomique. [2][3][4][5] Il est absolument vrai que cela y a provoqué un sérieux tumulte quand vous avez proclamé que le cœur est le siège unique de la sanguification [6] en prenant pour fidèles témoins les lactifères [7] que vous avez si intelligemment mis au jour, et en affirmant qu’ils y transportent le chyle en passant par les veines subclavières ; [8][9] mais enfin, après que la force de la démonstration les eut convaincus et que les protestations se furent apaisées, ils ont été contraints de rendre les armes et de recommander votre nom à l’immortalité. Avez-vous jugé cette vérité tout à fait digne d’être confirmée par un raisonnement solidement argumenté et par une recherche plus approfondie ? Que oui ! et je ne dirai pas avec quelle force d’âme, durant votre disputation triduane (quand vous avez postulé au doctorat), [3][10][11] [Page 248 | LAT | IMG] vous avez si justement combattu pour la susdite sanguification et pour la circulation du sang, car je pense que tout le monde le sait. Je ne dirai pas non plus que, grâce à votre incroyable dextérité, vous avez fait la claire démonstration des vaisseaux lymphatiques [12] et de ce canal de Wirsung [13] qui échappe presque entièrement au regard, tant à Montpellier qu’à Paris, et en présence des plus éminents médecins, des plus habiles chirurgiens et de personnages très désireux de les voir, puisque cela s’est fait récemment et lors de la susdite assemblée dont j’ai partout chanté les louanges. Je me contenterai pourtant de dire, en juge parfaitement impartial, que rien n’est plus puissant que la vérité pour persuader, pour lutter et pour emporter la victoire, et que, confiant en elle, vous avez glorieusement et heureusement atteint le but que vous désiriez ; et en ami de la vérité, je me suis glorifié de la proclamer. J’en aurais dit plus, très distingué Monsieur, car la matière ne me manque pas, mais j’aurais vivement craint de nuire à votre très savant livre, car la vérité en jaillit plus clairement que de ce que je pourrai dire, et c’est pourquoi je vous propose de taire ce qu’il contient de plus beau. Puis-je ainsi vous avoir prouvé que nul ne me surpasse en la sincère amitié que j’ai pour vous ! Vale et aimez-moi. De Paris, le 1er juin 1654.
Mathieu Chastelain était alors âgé de 24 ans, soit huit ans plus jeune que Jean Pecquet. Ils avaient obtenu ensemble leurs degrés de médecine à Montpellier (v. infra note [3]), et Louis Dulieu a sûrement eu raison de les dire amis (page 959).
La courte lettre de Chastelain a beaucoup plus d’intérêt biographique que scientifique.
Mathieu Chastelain avait dû assister à la dissection des voies du chyle que Jean Pecquet avait pratiquée à Montpellier en grande cérémonie le 3 janvier 1652, que Jean-Nicolas Binninger a relatée et dont Jean ii Riolan a jugé le résultat calamiteux : v. note [11], 2e partie de sa seconde Responsio.
V. note Patin 1/139 pour un résumé du cursus qui menait, ordinairement en moins d’un an, un bachelier au doctorat en médecine de l’Université de Montpellier. La disputation triduane (disputatio triduana) couronnait la licence et donnait accès au doctorat (laurea apollinaris, « laurier d’Apollon ») : elle consistait en quatre thèses dites cardinales que le postulant argumentait le matin et le soir pendant trois jours consécutifs ; elles n’étaient hélas pas obligatoirement imprimées.
Arrivé à Montpellier à la fin de 1650, Jean Pecquet y a obtenu son baccalauréat de médecine le 12 juillet 1651, sa licence dix jours plus tard, et son doctorat le 23 mars 1652, dates qui sont très proches de celles de Mathieu Chastelain, licence le 26 janvier et doctorat le 22 mars 1652 (Dulieu).
Page 247, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.
Viro Clariss. ioanni pecqveto
Doctori Medico anatomico
diligentissimo,
mathevs chatelain
Doctor Medicus Monspeliensis.
Cvm mihi (Vir Clarissime) nihil unquam
ipsa charius fuerit veritate, cujus sub
auspiciis omnia tentare gloriosum est ;
Legitimis ipsius hodiernâ die stimulis
concitatus silentio præterire non pos-
sum quæ vidi, quæ tetigi et quæ tota mecum cele-
berrima Monspeliensi Academia in theatro anatomi-
co maximo cum applausu demirata est. Quamvis gra-
ves in ipsa tumultus fuisse concitatos verissimum sit,
dum unica sanguificationis sedes prædicabatur cor,
dumque venas lacteas à te subtilissimè repertas, et
chylum in ipsum cor per subclavias venas deferentes,
fideles tantæ veritatis testes esse, similissimè sustine-
bas. Sed tandem ipsa victi veritate, pacatóque prorsus
tumultu, manus dare coacti sunt tuúmque nomen
imortalitati commendare. Quam profectò verita-
tem acutissimis rationum momentis et ipsa indigita-
tione {a} confirmare dignatus es ? Non dicam quanto
animi robore in examinibus et in triduana disputa-
tione (dum apollinarem lauream ambiebas) prædi-
- Sic pour : indagatione.
Page 248, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.
ctam sanguificationem et circulationem verissimè
propugnasti, cum illud omnibus notum existimem.
Non dicam te vasa lymphatica et canalem Virsungi,
oculorum obtutus ferè effugientem incredibili tuæ
manus dexteritate non solùm Monspelij, sed et Pari-
siis coram præstantissimis Medicis, peritissimis Chy-
rurgis, et curiosissimis viris perspicuè demonstrasse,
cum illud recens sit et ab prædicto illustrissimo cœtu
sicut à me ubique decantatum. Sed dicam tantum
tanquam æquissimus Iudex, nihil esse potentius ve-
ritate ad suadendum, ad propugnandum, ad vincen-
dum. Qua fretus fœlicem optatúmque finem es ho-
norificè assequutus. Cujus ego veritatis amicus eam
proclamare gloriatus sum. Plura dicerem, Vir Cla-
rissime, cum ipsa sufficienter suppeditet materia, ni-
si tuo eruditissimo Libro injuriam facere pertime-
scerem, cum clarius ex ipso quàm ex meo eloquio
pronuntiata veritas elucescat, quam ob causam meum
tibi majora silentium pollicetur. Cum hæc ipse po-
suerim veritate et amicitia nemini secundus. Vale
et fave. Parisijs Kal. Iunij, anno 1654.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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