La Bibliothèque nationale de France conserve trois lettres manuscrites écrites à Marin Mersenne, [1] dont la première parle de Jean Pecquet [2] et les deux autres sont de lui.
Lettre du R.P. François de La Nouë [3] « Au Révérend Père Mersenne, théologien aux Pères minimes à Paris », [de Rome,] le 25 mai [1647]. [1]
« Mon Révérend Père,Je reçois les vôtres par Monsieur Pecquet, [2][4][5] qui est un jeune homme bien accompli, à la vérité, et qui peut bien donner contentement à ses amis, étant d’un génie qui n’est pas commun. Je n’ai pu lire à loisir le livre de Apostatis du P. Théophile, [6] le peu que j’en ai vu me fait croire que ce n’est pas si grande chose, comme vous penseriez bien : en sommaire, il commence par l’exagération de ce crime, fait un dénombrement des plus insignes apostats, traite les causes qui portent d’ordinaire à l’apostasie l’une après l’autre, et donne des remèdes, tant pour s’en préserver que pour en guérir ceux qui y seraient tombés ; il y a vingt-neuf ou trente chapitres. [3] Son libraire lui a été si ingrat qu’il n’en a pu avoir que deux copies ; sans quoi il nous en eût donné une. Le P. Mopinot m’écrit n’avoir aucune nouvelle des Méditations de l’Idiota [7] que le P. Théophile lui faisait espérer par votre entremise, [4] et crois qu’il en a écrit au P. de Billy, correcteur à Grenoble ; du moins est-ce de là qu’elles doivent vous être envoyées, et de là même qu’on lui a écrit contre vous, ainsi que je vous ai mandé ci-devant. On tient qu’il y a nouvelles révoltes à Naples contre les Espagnols. Nous avons des gens en l’Abruzze qui ont été fort mal traités et sont retournés ici en chemise. Les Français sont par deçà la risée des Italiens et Espagnols, tant jusqu’à maintenant la conduite de nos affaires a été mauvaise. Je ne sais si pour l’avenir il y a plus grande chose à espérer mais quæ supra nos nihil ad nos. [5] Si vous n’avez pris 29 d’avril pour 19, il est hors d’apparence que je vous aie écrit de ce temps, mais bien du dit 19, puisqu’en Touraine ils ont eu leurs lettres de Rome dans le 14 jour ; aussi y a-t-il eu des courriers qui ont été de droiture [6] à Paris en 8 jours. Les chaleurs sont déjà fort aiguës et la sécheresse extrêmement grande en cette ville ; mais comme notre Père génénéral n’est en disposition de résister de long temps, il nous faut rester aussi bien que lui et prendre patience. Je suis in ætermum et ultra, [7]
Mon R.P.,
le tout vôtre,
François de La Nouë.
25 mai en hâte. » [1]
« Mon Révérend Père,
L’indisposition d’un de mes écoliers m’arrêtant ici, je ne puis avoir l’honneur de vous voir si tôt que je le souhaite, et de vous rendre compte de ce commencement de métaphysique que Monsieur Degaignes me fit le bien de me communiquer il y a quelques jours. [9] Je vous dirai seulement que ce que j’en ai vu me semble fort beau et bien raisonné, et je crois que la suite sera encore meilleure, vu que la plupart de ce que j’ai vu est une supposition pour ce qui se doit dire. Je ne suis pas pleinement convaincu de la preuve de sa première question, peut-être faute de l’entendre, parce qu’il me semble qu’elle conclut seulement que l’intellect peut agir sans que les sens y concourent immédiatement, mais non pas sans qu’ils y concourent médiatement ou immédiatement, ce qu’il fallait prouver. Je vous en dirai davantage quand j’aurai l’honneur de vous voir.
On m’a raconté ici pour une merveille une expérience qui s’est faite à Rome, touchant le vide, [8] en présence du Père recteur du Collège Romain, qui l’a fait imprimer, et qui est la même que vous avez faite chez vous avec bien moins de frais pour le son.
Ils ont fait faire un tuyau de plomb de 36 pieds : à un bout, qui est celui destiné pour la cuvette, il y avait un robinet fort bien soudé ; à l’autre, une grosse bouteille de cuivre dont le col était soudé avec le tuyau de plomb ; et le fond était ouvert afin d’y passer une petite sonnette ou timbre qui avait son marteau dehors, à la façon de nos horloges ; ce timbre arrêté dans la bouteille par des machines faites exprès ; et le tout empli d’eau et le haut, ou fond de la bouteille, soudé. Le tuyau perpendiculaire, ils ont lâché le robinet et l’eau est descendue à 32 pieds environ, ce qu’ils ont reconnu par la hauteur que l’eau de la cuvette a acquise en la descente d’icelle du tube, selon le calcul qu’ils en avaient fait. Ensuite, ils ont approché un aimant de la bouteille de cuivre du côté du marteau ou battant et l’ont élevé par la force de l’aimant ; lequel, tiré tout d’un coup, laissa le marteau à son propre poids qui, tombant sur le timbre, le fit sonner d’un son aussi aigu qu’auparavant. De là, le Bon Père conclut que le tuyau n’est point vide. [10] Je ne sais par quelle conséquence Monsieur de Roberval fait ici des merveilles et réussit fort bien l’opération de sa vessie de carpe. [11][9][10] Il a grand nombre d’auditeurs.
Le P. Noël [11] a ajouté encore une feuille à son livre latin où il traite des éléments et de leurs mouvements ad locum et ad figuram : ce sont ses termes, que je vous expliquerai un de ces jours, parce que la pensée en est fort cachée. [12]
J’abuse de votre patience en vous mandant toutes ces choses que je crois que vous ne prendrez pas en mauvaise part. De
Mon Révérend Père,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Pecquet.
Je crois que Monsieur Degaignes vous aura renvoyé les papiers que vous me demandez, parce que je les lui ai rendus.
À Paris ce 5e mai 1648. »
« Mon Révérend Père,
Je serais ingrat de l’honneur que j’ai reçu de V.R. [14] si, étant arrivé ici, je ne l’y assurais de mon très humble service. Je me trouve heureux d’avoir rencontré Monseigneur l’évêque d’Agde [12] qui aime les curiosités et fait grand cas de la réputation de V.R. et m’a parlé de vos expériences du vide et de plusieurs autres choses, et particulièrement de la bonté de vos lunettes. Je vous laisse penser si je prenais plaisir à ce qu’il m’a dit, n’ayant rien de plus cher que ce qui vous touche. Il m’a donné charge de vous supplier de sa part de me mander chez qui à Florence vous avez eu les verres de vos lunettes, à qui on se peut adresser à Florence pour cela et qui est celui qui y travaille. [15] J’espère que V.R. ne me refusera point cette grâce en la considération d’un évêque qui vous estime. Je vous supplie, si vous me faites l’honneur de m’en écrire, d’envoyer vos lettres au R.P. Des Champsneufs [13] ou chez Monsieur Fouquet, [14] maître des requêtes, rue des Mauvais-Garçons. [16] Si vous avez quelque chose de nouveau, je vous supplie de m’en mander et de vous assurer qu’il ne se trouvera rien ici digne de vous que je n’aie l’honneur de vous en écrire, étant et désirant être toute ma vie,
de Votre Révérence,
le très humble et très obéissant serviteur,
J. Pecquet.
D’Agde le 3e août 1648. » [17]
BnF ms NAF 6204, {a} pages 337‑338. {b}
Volontiers confondu avec son homonyme, le chef calviniste du xvie s., {c} François de La Nouë (Franciscus Lanovius, natif de Paris, dates inconnues), moine minime français, était correcteur général de son Ordre à Rome. Il est auteur d’au moins deux ouvrages érudits :
[Chronique générale de l’Ordre des minimes, où sont sommairement présentés : les actes accomplis par François de Paule {d} et les généraux qui lui ont succédé, les faveurs pontificales, les privilèges royaux, les actes des chapitres généraux, les origines des couvents, les principaux fondateurs et bienfaiteurs, les hommes qui se sont illustrés par leur sainteté, leur doctrine, leur éminence, et d’autres faits touchant au développement, accroissement et gloire du dit Ordre…] ; {e}
[Traité historique sur les saints chanceliers de France…]. {d}
Jean Pecquet a donc sûrement séjourné en Italie en 1647, mais il est difficile de situer ce voyage avec certitude dans son cursus médical. On ignore malheureusement quels savants il lui a été permis de rencontrer, notamment Johann Vesling, à Padoue (passage obligé pour tout médecin visitant l’Italie), qui aurait pu lui parler des fins vaisseaux blancs qu’il avait vus dans le thorax (v. note [39], Responsio ad Pecquetianos, 5e partie)…
Sans rapport avec Pecquet et en dépit de quelques obscurités, la suite de la lettre ne m’a pas semblé dénuée d’intérêt pour qui est curieux des affaires de l’époque.
Iudæ Posteri Apostatæ a Religiosis Ordinibus. Lucubratio R.P. Theophili Raynaudi ex Societat Iesu ; Qua primarii quique a cœtibus Apostatæ, Iudæ primicerio succenturiati describuntur ; et provecta gradatim ad summum iniquitatis fastigium atrocitas hujus secundæ proditionis Christi Domini, ex Scriptutarum et Patrum oraculis, demonstratur, adversus recens tentatam novo impietatis magisterio, complanationem viæ ad huiusmodi barathrum.
[Les Descendants de Judas, apostats des ordres religieux. Fruit des veilles du R.P. Theophilus Raynaudus de la Compagnie de Jésus, {a} qui décrit tous les principaux apostats des congrégations, succédant à Judas qui a été le tout premier, et démontre, d’après les prédications des Écritures et des Pères, l’atrocité de cette seconde trahison du Christ Notre Seigneur, qui s’est avancée pas à pas jusqu’au faîte de l’iniquité, contre la voie qui mène à ce genre de précipice, que la nouvelle domination de l’impiété {b} a récemment tenté d’aplanir]. {c}
- Théophile Raynaud (1587-1663), théologien hétérodoxe et prolifique écrivain jésuite (v. note Patin 8/71). Son vocabulaire latin particulier rend toujours hasardeuse la traduction de ses titres.
- La Réforme de Luther et Calvin.
- Rome, Bernardinus Tanus, 1648, in‑8o de 485 pages divisées en 32 chapitres.
Je ne suis pas parvenu à certifier le nom du P. Mopinot {a} qui avait écrit à François de La Nouë au sujet du livre de dévotion intitulé :
Idiota Sapiens ; antehac truncus, nunc integer. Ex M.S. Cod. Lugd. Theophilus Raynaudus ex Societate Iesu, magnam partem nunc primum edit, omnia recensuit, distinxitque, Autorem coniectavit, ad loca subobscura facem prætulit.[Idiota Sapiens, {b} précédemment incomplet et que voici entier, tiré d’un manuscrit lyonnais. Théophile Raynaud, de la Compagnie de Jésus, en publie maintenant la grande partie qui manquait, après l’avoir entièrement revu et classé, avoir conjecturé sur son auteur et éclairé les passages obscurs]. {c}
- Je remercie Marie-France Claerebout d’avoir déchiffré le patronyme de ce religieux lors de sa précieuse relecture de ce texte.
- « Le sage idiot » : Idiota était le nom de plume d’un écrivain mystique, que Raynaud a plus tard (v. infra notule {b}) identifié à Raymond Jordan, religieux du xive s. Son livre est aussi connu sous le titre d’Idiotæ Meditationes [Méditations d’Idiota] et a inspiré l’auteur de L’Imitation de Jésus-Christ (v. note Patin 35/242).
- Lyon, Vincent de Cœursilly, 1632, in‑8oen trois parties de 566, 17 et 69 pages.
Les lecteurs de Raynaud attendaient la parution de ses Raymundi Jordani Canonici regularis Sancti Augustini primum Uticensis in Gallia Præpositi : Deinde Abbatis Cellensis qui huc usque nomen prætulit Idiotæ Opera omnia… [Œuvres complètes de Raymond Jordan, chanoine régulier de Saint-Augustin, qui fut d’abord prévôt d’Uzès en France, puis abbé de Selles-sur-Cher, et qui a jusqu’ici porté le nom d’Idiota…] (Paris, Iacobus Quesnel, 1654, in‑4o de 608 pages).
« ce qui nous dépasse est sans intérêt pour nous » : adage socratique gréco-latin qu’Érasme a commenté (no 569), pour dire qu’il faut savoir respecter les secrets de la nature (et de la politique des princes).
V. la fin de la note Patin 24/150, pour la révolte de Naples, menée par le pêcheur Masaniello en 1647, contre la vice-royauté espagnole.
Directement et promptement.
« pour l’éternité et au delà ».
En mai 1648, Jean Pecquet ne suivait probablement plus les cours de la Faculté de médecine de Paris et semblait devoir assurer sa subsistance en étant précepteur ou répétiteur de plus jeunes que lui (v. note [9], épître dédicatoire de la Nova Dissertatio). Marin Mersenne avait dû lui confier celui qui se nommait Degaignes ; il pouvait étudier la théologie et la philosophie à la Sorbonne et préparer sa première tentative (thèse de bachelier).
Pecquet devait soigner un autre de ses écoliers, mais je ne comprends pas en quoi cela l’empêchait d’aller rendre visite à Mersenne au couvent des minimes.
Je ne suis pas parvenu à identifier le livre qui a relaté cette expérience sur le vide, menée au Collège jésuite de Rome : une sonnette enfermée et fixée dans une bouteille de cuivre hermétiquement close, qui avait été vidée de l’eau qui la remplissait, pouvait tinter quand on actionnait son marteau à l’aide d’un aimant ; cela visait à prouver que le vide complet n’existe pas, dans la mesure où il était censé empêcher la transmission de l’influx magnétique (ce qui est faux).
Expérience i, chapitre viii de la Dissertatio anatomica : v. ses notes [9]‑[14].
Le R.P. Étienne Noël (Stephanus Natalis, 1581-1659) était entré dans la Compagnie de Jésus en 1599 et enseignait dans plusieurs de ses collèges, dont celui de Clermont à Paris, où Jean Pecquet a étudié et ainsi pu faire sa connaissance. Féru de sciences, il a participé aux débats sur le vide (v. note [22], Dissertatio anatomica, chapitre viii), dont il a longtemps nié l’existence, tout particulièrement dans Le Plein du vide, ou le corps, dont le vide apparent des expériences nouvelles, est rempli. Trouvé par d’autres expériences, confirmé par les mêmes, et démontré par raisons physiques (Paris, Jean du Bray, 1648, in‑8o de 67 pages), qui lui valut une querelle avec Blaise Pascal.
Un autre livre du R.P. Noël, dont parlait ici Pecquet, était sa Physica vetus et nova [Physique ancienne et nouvelle] (Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1648, in‑8o de 265 pages), consacré au mouvement des corps solides ou fluides, en particulier ad locum et ad figuram, « d’un lieu à un autre et d’une forme à une autre ».
BnF ms NAF 6205, page 157, recueil intitulé « Second tome des lettres des princes écrites au R.P. Marin Mersenne ».
Votre Révérence.
Il s’agissait plus probablement de verres pour une paire de besicles que pour une lunette astronomique.
La Bibliothèque de la Compagnie de Jésus de Carlos Sommervogel (Bruxelles et Paris, 1891) consacre un long article (Bibliographie, tome ii, colonnes 1060‑1063) au R.P. Pierre Des Champsneufs (Nantes 1602-Paris 1675), enseignant et littérateur jésuite qui appartenait à l’entourage intime de Nicolas Fouquet (Paris 1615-Pignerol 1680). Le frère cadet de François n’en était encore qu’au début de sa fulgurante carrière : alors maître des requêtes, il allait devenir procureur général du Parlement de Paris en décembre 1650 (v. note Patin 7/252).
La rue des Mauvais-Garçons existe toujours dans le Marais (ive arrondissement de Paris).
Marin Mersenne ne répondit probablement pas à cette lettre car il mourut le 1er septembre suivant.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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