Jean ii Riolan a résumé en dix points, avec une extrême clarté, ses idées fausses sur la veine porte dans son Encheiridium anatomicum et pathologicum [Manuel anatomique et pathologique], {a} livre ii, chapitre xxi, pages 114‑115. François Sauvin en a donné cette fidèle traduction (livre second, chapitre xxii, pages 171‑173) : {b}
« Des choses que l’on doit remarquer dans la veine Porte.
Il faut prendre garde à plusieurs choses qui appartiennent à cette veine.
- Elle compose la première région du corps, avec les parties qu’elle nourrit et qu’elle arrose de son sang. {c}
- Elle contient un sang particulier et différent de l’autre, en ce qu’il n’a point de mouvement circulaire {d} comme celui de la veine cave, quoiqu’il puisse entrer dedans les branches de l’artère cœliaque.
- Elle ne conduit que le sang, et non pas le chyle, puisque nous avons trouvé des veines lactées {e} qui le portent au foie ; ce qui n’empêche toutefois qu’outre le sang qu’elle contient, elle ne reçoive les impuretés du foie et de la rate, {f} et les transporte dans le pancréas, dans le mésentère et dans les boyaux.
Elle peut aussi, en cas de nécessité, à savoir lorsque les veines lactées sont bouchées, faire cet office.
- Cette veine n’a aucune communication dedans le foie avec les racines de la veine cave, {g} ce qui est cause que chacune des deux veines a son sang particulier : la veine porte l’a beaucoup plus épais et moins épuré, à cause qu’il ne doit servir qu’à nourrir les parties de la première région ; la veine cave, au contraire, l’a beaucoup plus épuré et plus subtil, agité d’un mouvement circulaire, perpétuel et nourrissant les parties de la seconde et troisième région. {h}
- Le tronc de la veine porte, qui a sa racine dans le foie, y est beaucoup plus grand que celui de la veine cave, ce qui fait douter si elle a son origine du foie.
- Comme elle contient, en un corps qui est malade, une grande quantité d’impuretés, l’on peut douter avec raison s’il est à propos de saigner beaucoup en ce cas, par crainte que le sang impur de la veine porte ne vienne à remplir les grandes veines dédiées à la circulation, comme étant vidées par les fréquentes saignées et, par conséquent, que toute la masse du sang se corrompe par le mélange de ces ordures.
- Est-ce qu’après deux ou trois saignées du bras, le sang qui est dans cette veine se peut vider plus facilement en ouvrant les veines hémorroïdales ou la saphène de l’un des deux pieds ? {i}
- Toutes les ordures du bas-ventre sont dans les conduits de cette veine, et principalement dedans ceux qui vont au mésentère et à la rate : ce qui fait que les maladies qui arrivent des obstructions de la rate et du mésentère sont si rebelles et de si longue durée.
- On ne trouve en cette veine aucune valvule comme il y en a dans les branches de la veine cave. {j}
- Cette veine porte a beaucoup de voies, par lesquelles elle se décharge quand elle est trop pleine : soit qu’elle chasse une partie de son sang par les hémorroïdes ; soit qu’elle en envoie une partie dedans la grande artère, par le moyen du rameau cœliaque ; soit qu’elle fasse naître un vomissement de sang contre nature, comme il arrive souvent aux personnes qui sont fort replètes. » {k}
- Paris, 1648 et Leyde 1649, seule édition (v. note Patin 25/150) que Jean Pecquet pouvait avoir lue en 1651 et a déjà citée dans la note [8], Experimenta nova anatomica, chapitre i.
- Paris, 1661, v. note Patin 37/514 : pour plus de clarté, j’y ai simplement numéroté les dix paragraphes et modernisé par endroits la syntaxe.
- La veine porte, née du foie, était censée irriguer (et non drainer) les viscères intrapéritonéaux. Riolan parlait ici de la première région de l’abdomen (et non du corps, qui aurait été la tête) : l’épigastre ; les deux autres étant le nombril et le bas-ventre (hypogastre). En anatomie moderne, cela correspond à peu près aux étages sus- et sous-mésocoliques, et au pelvis.
- V. notes Patin 18/192 et [4], lettre de Riolan à la Compagnie des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, pour sa conception de la circulation sanguine, fidèle à celle de Galien mais contraire à celle de William Harvey. Pour Riolan, le système porte était un compartiment veineux isolé de la circulation générale (artério-veineuse) : le sang s’y déplaçait en vase clos, allant alternativement du foie vers les viscères et inversement, au rythme des repas.
- Ce « nous » n’est heureusement pas fidèle à l’original latin : il interprète abusivement sa forme passive inventis et introductis venis lacteis [les veines lactées qui ont été découvertes et admises]. Riolan reconnaissait la découverte de Caspare Aselli et ne se l’est jamais appropriée.
- La principale impureté libérée par la rate était l’imaginaire atrabile.
- Passage auquel Pecquet se référait, sans le citer mot pour mot : intra hepar nullam aut exiguam habeat communionem per radices suas cum radicibus venæ cavæ.
- À nouveau, les veines nourrissent mais ne drainent pas les parties du corps.
- V. notes Patin 11/253 pour les veines hémorroïdales, et [2], Historia anatomica, chapitre xiii, pour la saignée de la saphène.
- C’est à peu près le seul constat exact de Riolan, mais il l’interprétait comme une marque du mouvement centrifuge du sang porte (du foie vers les autres organes sus-mésocoliques).
- Telle était la forteresse branlante à laquelle s’attaquait Pecquet. Il n’est pas parvenu à convaincre Riolan, qui n’a rien changé à ses dix articles dans la dernière édition (posthume) de son Manuel (Paris, 1658, v. note Patin 37/514), pages 118‑119.
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