Ce passage est l’un des plus cruciaux de notre édition car Thomas Bartholin y envisage et rejette explicitement la spécialisation du chyle dans l’absorption et la distribution des graisses {a} que Claude Bernard a prouvée être la juste explication de son existence. {b}
Le Discorso anatomico nel quale si contiene una nuova opinione circa la generatione, et uso della Pinguedine, con altri principij Hippocratici… [Discours anatomique contenant une opinion nouvelle sur la production et l’utilité de la graisse, avec d’autres préceptes hippocratiques…] {c} de Cecilio Folli {d} a discrètement mais astucieusement enrichi le débat sur les lactifères avec des arguments originaux qui ont semé la graine de sa solution, en sombrant pourtant dans un regrettable oubli.
En se fondant sur de multiples citations du corpus hippocratique, Folli établit d’abord la diversité des substances qui constituent la matière vivante, {e} à laquelle correspond celle des aliments. {f} Il en déduit que la graisse, notamment celle qui compose la moelle osseuse, n’est pas un tissu inerte, mais vivant. Écrivant avant la description des voies du chyle par Jean Pecquet, Folli propose enfin que les lactifères servent à absorber la partie grasse des aliments (pages [D3] ro‑vo) :
Il latte adunque ò humor latteo, di cui la prima mentione ch’io habbia veduta fare fù dall’Aselio, che lo fece vedere nei bruti, et da me anche in vn cadavere humano, è stato publicamente dimonstrato, è la parte più bianca, et ontuosa del cibo, che per vasi proprij al Pancrea vien transportato.
Che nel corpo humano, come negli animali ancora sia quest’humor latteo, e continuamente da cibi si generi, e per vasi proprij passi al pancreas ; chi non è cieco, e se ne voglia chiarire (osseruando quanto in proposito delle vene lattee s’è scritto) non lo potrà negare, e Hippocrate nel libro de Alimento diceua. Lac, et sanguinis {g} alimenti sunt redundantia. Circuitus ad multa consoni sunt ad fœtus, eiusque alimentum rursus autem sursum repit in lac, et in alimentum, et ad infantem. Viuificantur animalia, viuificantur non animalia, viuificantur partes animalium. Naturæ omnium nullo doctore vsæ sunt. Da che si caua, ch’essendo il sangue, e il latte redondanza d’alimento, e essendo l’vno distinto dall’altro, e facendo gli accennati circuiti alle mamme, all’infante, e alle parti del corpo, ciò segua à fine di nutrirli ; onde essendo, come hò detto, dal sangue distinto, non s’hà da dire, che l’vno dell’altro si faccia.
[La première mention que j’ai vue du lait, et donc de l’humeur lactée, a été faite par Aselli, qui l’a montrée chez les bêtes. Je l’ai moi aussi démontrée publiquement sur un cadavre humain. C’est la partie la plus blanche et onctueuse de la nourriture, que des vaisseaux particuliers transportent vers le pancréas.
Cette humeur lactée est toujours présente dans le corps humain comme dans celui des bêtes, où il s’engendre continuellement de la nourriture, et passe dans le pancréas par des vaisseaux particuliers. Qui n’est pas aveugle et veut y voir clair (en observant ce qui a été écrit sur les veines lactées) ne pourra nier ce qu’Hippocrate a dit dans le livre de l’Aliment : « Le lait et le sang sont les surplus de la nourriture. Les périodes concordent généralement pour le fœtus car, en montant, son aliment se transforme lentement en lait puis de nouveau en aliment ; il en va de même chez l’enfant. Ce qui a vie donne vie, ce qui n’a pas vie prend vie, ce qui est partie des animaux gagne vie. Les natures n’ont absolument aucun maître qui les instruise. » {h} On en déduit que le sang et le lait sont les surplus de la nourriture, mais que l’un est distinct de l’autre ; ils parcourent les circuits susdits chez la mère, chez l’enfant et dans les parties du corps, en vue de les alimenter continuellement. Étant donné, je le répète, qu’ils sont distincts, il est vain de dire que l’un provient de l’autre]. {i}
- V. note [3], Historia anatomica, chapitre iv.
- En 1855, v. note [10] de la Brève histoire du chyle.
- Venise, dal Giuliani, 1644, in‑4o de 6 feuilles.
- V. note [3‑2], Experimenta nova anatomica, chapitre vi.
- Des Chairs, chapitre 3, sur la genèse des êtres vivants (Littré Hip, volume 8, page 587) :
« Tout cela roulant ensemble, quand la confusion s’y mit, la terre retint beaucoup de chaud çà et là, ici de grands amas, là de moindres, ailleurs de très petits, mais en très grand nombre. Avec le temps, le chaud séchant la terre, ce qui en avait été retenu produisit des putréfactions tout autour, comme des membranes. Avec une chaleur longtemps prolongée, tout ce qui, né de la putréfaction de la terre, se trouva gras et privé presque d’humidité, fut bientôt consumé et transformé en os. Mais tout ce qui se trouva glutineux et tenant du froid, n’ayant pu sans doute être consumé par la chaleur ni passer à l’humide, prit une forme différente de tout le reste et devint nerf solide, car ces choses n’avaient pas beaucoup du froid. Au contraire, les veines en avaient beaucoup et, de ce froid, tout ce qui, à la circonférence, était le plus glutineux, rôti par le chaud, devint membrane : mais la partie froide, vaincue par le chaud, fut dissoute et se transforma en liquide. »
- Chapitre 13 du même traité, ibid. page 601 :
« L’aliment, arrivé à chaque partie, y produit la forme de cette partie telle qu’elle était ; car chaque chose, arrosée par l’aliment, s’accroît, le chaud, le froid, le glutineux, le gras, le doux, l’amer, les os ; tout en un mot ce qui est dans le corps de l’homme. »
- Sic pour sanguis (emploi du cas génitif au lieu du nominatif).
- § 36‑39, Littré Hip, volume 9, pages 111‑113, dans une traduction légèrement différente (mais dont le sens demeure en partie obscur).
- Folli écartait donc l’idée que le sang soit le produit du chyle lacté.
À l’avant-dernière page de son livre, Folli convient être en désaccord avec Thomas Bartholin, qui a tenu et maintenu, en 1651 (comme dans sa présente lettre), l’idée que la graisse est un corps inerte dérivé du sang (Anatomia, chapitre xiii, De Pinguenide, pages 17‑23), dont un extrait figure dans la note [17], première Responsio de Jean ii Riolan, 5e partie.
La physiologie moderne a établi que les graisses du chyle (chylomicrons) sont indispensables et concourent directement (sans avoir été transformées par le foie) à la synthèse des cellules sanguines par la moelle osseuse et à celle du lait par les glandes mammaires : v. notule {f}, note Patin 5/1402.
J. in Packoucke (1821) me semble n’avoir pas prisé ce livre à sa juste valeur : « Hypothèse sans fondement, mais que l’auteur a la bonne foi de donner pour telle. » |