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Clypeus
de Guillaume de Hénault,
alias Jean Pecquet (1655),
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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Clypeus de Guillaume de Hénault, alias Jean Pecquet (1655), 2e de cinq parties

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=1042

(Consulté le 28/03/2025)

 

[Pages 17‑18 | LAT | IMG] [1]

    Pour en venir à la remarquable vigueur du cœur, il est, plus clairement encore que la lumière du jour, le siège de la chaleur naturelle dont jouissent toutes les parties du corps, avec une très puissante capacité à l’y répandre : [2] il est la source et l’origine de cette chaleur, et c’est une vérité que l’expérience de la palpation suffit à établir.

    Puisque la sanguification est l’ébauche informe d’une sorte d’assimilation ou d’un mouvement tendant à l’assimilation de la chair (parce que la moindre altération du sang le transforme en chair), [3] je sais que doit exister une ressemblance étroite entre la formation du sang et la partie où a lieu cette coction, laquelle nécessite une proximité de tempérament et d’autres qualités (qu’on appelle secondaires), telles que la couleur ou l’odeur. [1][4] Je soutiens pourtant hardiment qu’il ne peut y avoir plus grande similitude de substances encore en mouvement que celle qui existe entre le cœur et le sang, comme cela saute aux yeux : de fait, la masse du cœur est essentiellement composée d’une substance charnue, qu’on appelle son parenchyme, [5] [Pages 19‑20 | LAT | IMG] c’est-à-dire d’un épanchement de sang ou de sang répandu, fibreux, solidifié, dur et rubicond. Le cœur est donc parfaitement apte à assurer la sanguification, [6] Il est certain que cette fonction peut être plus légitimement attribuée au cœur qu’à la rate, dont certains croient qu’elle possède assez de chaleur et exprime suffisamment de similitude avec le sang pour pouvoir le fabriquer. [2][7]

    Le chyle n’est pas opposé à la qualité naturelle du sang puisque nul n’ignore qu’il se l’approprie spontanément lors de sa toute première coction, et on reconnaît qu’il est ensuite transporté dans le cœur. Nous démontrons ensuite que le chyle y demeure à l’évidence pendant un certain temps, car il ne sort pas du ventricule droit [8] aussitôt qu’il y a pénétré : il n’en est éjecté que ce que la contraction cardiaque chasse d’un ventricule sans le vider entièrement ; on verrait au contraire qu’il y reste une quantité non négligeable de sang, que le cœur garde en son sein pour qu’elle s’y attarde et bénéficie d’une cuisson plus poussée ; de part et d’autre, la nature a disposé des oreillettes, qui sont comme les lieutenants des ventricules et forment des réservoirs où le sang va et vient jusqu’à ce qu’il soit parfait à tous égards. Si la portion chyleuse du sang n’est pas suffisamment modifiée dans la cavité droite du cœur, comme il peut être raisonnable de le penser, elle le sera ensuite complètement dans sa partie gauche, qui est beaucoup plus chaude et où elle séjourne aussi longtemps que dans le droit. Enfin, elle est à nouveau continuellement digérée lors de ses circulations itératives, et le mouvement rapide auquel elle est soumise [Pages 21‑22 | LAT | IMG] se trouve ainsi compensé par sa cadence élevée.

    Tel que nous l’imaginons, le passage du chyle dans le cœur est certes véloce et précipité, mais n’en permet pas moins sa transformation en sang. En raison de la faiblesse de l’agent naturel qui la provoque et de l’inertie de l’objet qui la subit, une action ne s’accomplit bien sûr pas sur l’instant ; mais exactement pour la même raison, il est certain et évident qu’elle s’exerce à très grande vitesse si sa cause efficiente est douée d’une puissance très élevée, et si la matière sur laquelle elle agit est aussi parfaitement disposée à la recevoir, car sa nature la rend directement apte à subir l’effet qui lui est appliqué. Or le cœur est un agent très puissant, et le chyle est parfaitement préparé à recevoir son action car sa nature est très proche de celle du sang, comme nous l’avons prouvé. Je conclus donc que le chyle doit être transformé en sang par le cœur, bien qu’il traverse très vite et précipitamment son ventricule. [3][9]

En recourant à trois inductions, Le Noble [4][10] prouve que toute humeur doit s’arrêter dans la partie qui la digère : « Cette fonction du cœur devrait donc échapper à la loi commune, que la nature a inviolablement prescrite aux autres parties du corps pour accomplir leurs actions propres. Une telle assertion semble absurde si rien ne la fonde solidement, car alors, si le pylore retient si longtemps les aliments dans l’estomac, [11] n’est-ce pas pour que passe dans le chyle ce que leur substance contient de meilleur et de plus pur ? Et s’il est nécessaire que le sang et ses esprits [12] fort épurés et subtils, à partir desquels se forme directement la semence, s’attardent longtemps dans les canaux séminaux, n’est-ce pas pour que les testicules [Pages 23‑24 | LAT | IMG] leur communiquent leur vertu prolifique, puisque cette humeur, bien qu’elle soit fluide et diluée, doit disposer d’un temps suffisant pour s’écouler peu à peu en parcourant toute la longueur des vaisseaux déférents qui s’enchevêtrent en un labyrinthe de multiples lacis ? [13] Si enfin la merveilleuse providence de la nature, par singulier artifice, a construit un réseau admirable qui entoure la selle de l’os sphénoïde, [14] et y a ajouté les plexus choroïdes [15] qui sont dans les ventricules cérébraux, n’est-ce pas pour que le sang parfaitement élaboré, qui engendre les esprits animaux, [16] parcoure doucement d’innombrables sinuosités anfractueuses et y séjourne le temps de se préparer à recevoir le sceau de la faculté animale et à en acquérir les propriétés ? » Tout comme lui, nous voulons que l’humeur à digérer le soit dans l’organe qui la cuit, mais sans y mettre partout le même temps. Aristote [17] a formulé cette solide règle du ralentissement qui mesure l’effet de toute action par la vertu de son agent et la préparation de son sujet. Ainsi l’aliment séjourne-t-il fort longtemps dans l’estomac parce qu’il requiert une lente préparation, étant donné qu’il est solide et parfois difficile à dissoudre, mais fort éloigné de la substance du chyle, qui est égale, liquide et fibreuse. Le contraire est vrai pour le lait, les œufs, les jus, et autres mets légers et faciles à digérer. Ainsi doit-on philosopher sur le long trajet que parcourent les canaux déférents, qui s’enchevêtrent en un labyrinthe de multiples lacis, où s’écoulent [Pages 25‑26 | LAT | IMG] peu à peu un sang et des esprits qui sont fort épurés et subtils. La même réflexion vaut pour le sang parfaitement élaboré, qui parcourt doucement ailleurs d’innombrables anfractuosités sinueuses. Le fait est pourtant que ni le cerveau ni les testicules ne possèdent une chaleur aussi importante que celle du cœur, et qu’il y a plus étroite ressemblance entre le chyle et le sang qu’entre le sang artériel et l’esprit animal, ou entre le sang et les deux sortes de semences, masculine et féminine. Dans le cerveau, pour que l’esprit vital devienne animal, il a besoin qu’une matière étrangère, à savoir l’air, s’ajoute et mélange au sang. Pour la formation de la semence, le sang se comporte comme les esprits qui émanent des artères : il lui communique une idée du corps entier et la vertu plastique, avec aussi de l’air. [5] Le chyle, quant à lui, n’a besoin que d’une légère altération pour acquérir les caractères du sang. Même en supposant que le chyle s’échappe rapidement du cœur, Le Noble ne doit pas considérer absurde qu’un court espace de temps le transforme en sang puisqu’il y est soumis à l’action d’un organe très puissant. Ne pense-t-il pourtant pas que la durée requise pour parfaire toute action impose sûrement un repos long et prolongé de l’humeur qui la subit ? Si je ne me trompe, c’est ce qu’il entend démontrer en présentant l’exemple de la nourriture qui stagne dans l’estomac pendant toute la durée requise pour qu’elle se transforme en chyle, car il dit plus haut : « Pour qu’une telle transformation ait lieu, il est absolument nécessaire que le chyle soit retenu dans le cœur et y séjourne pendant le temps requis pour la rendre possible. » Il ajoute même plus bas : « < La sanguification […] se situe aussi dans les poumons, où la circulation mène le chyle, et où > il séjourne plus longtemps que dans le cœur, dont le mouvement continu l’expulse promptement, sans lui laisser le temps de s’y reposer. » [6] [Pages 27‑28 | LAT | IMG] Pourtant, en s’efforçant de mettre en avant l’induction du repos, il plaide plutôt pour celle du mouvement, comme on le voit quand il parle de la semence : « Puisque cette humeur, bien qu’elle soit fluide et diluée, doit disposer d’un temps suffisant pour s’écouler peu à peu en parcourant toute la longueur des vaisseaux déférents qui s’enchevêtrent en un labyrinthe de multiples lacis » ; disant ensuite, à propos de l’esprit animal, « pour que le sang parcoure doucement d’innombrables sinuosités anfractueuses. » Si cette induction exige, semble-t-il, un réel repos de l’humeur et son arrêt dans la partie qui la digère, elle renverse plutôt qu’elle ne renforce son opinion, et avantage celle de Pecquet, car son argument convainc qu’il n’est pas nécessaire que l’humeur se repose dans la partie qui la digère ; et plus loin, il attaque ce ralentissement. Tout comme nous faisons jaillir une étincelle en frappant deux cailloux l’un contre l’autre, et comme un fer rouge nous brûle la peau s’il la touche, si brièvement que ce soit, le perpétuellement mouvement du chyle n’empêche pas sa coction. La rétention et l’assimilation d’une humeur, comme est le chyle, ne consistent pas seulement en son arrêt effectif, mais aussi et plus souvent en un mouvement freiné et entravé, comme se font toutes les autres coctions. Il ne convient pas de soustraire l’action du cœur à la loi générale des inductions : si un repos effectif n’est pas requis pour les permettre, Le Noble a tort de tirer partout argument du fait que le chyle ne s’arrête pas dans le cœur, parce que son action est extrêmement puissante et que le chyle [Pages 29‑30 | LAT | IMG] y est retenu bien assez longtemps, étant parfaitement préparé et disposé à la subir pour se transformer en sang.

    Il en appelle alors à l’autorité de Galien : [7][18] « Une autre preuve vient des très soigneuses observations de Galien, qui l’ont mené à dire qu’une multitude de veinules gagne le foie et le farcit, [19] en sorte que le chyle séjourne longtemps dans ces veines, avant qu’il n’en sorte et pénètre dans le parenchyme hépatique pour que sa chaleur puisse le cuire, comme fermente le vin nouveau, et le transformer pour engendrer un sang louable. Néanmoins, au cours de cette ébullition, un sédiment se forme à partir des excréments chyleux, lequel est féculent et épais, d’où surnage, comme une écume, une partie ténue et légère qui flotte à la surface du sang. C’est ainsi qu’est produit et préparé le sang qui sera ensuite conduit au cœur pour y acquérir son ultime perfection : par rayonnement et impression, ses passages réitérés dans les ventricules (car la circulation permanente l’y mène encore et encore) [20] lui confèrent sa faculté vitale. » À cette solide autorité, nous répondons que si Galien avait découvert les canaux pecquétiens, il n’aurait pas attribué la sanguification au foie, [21] mais l’aurait confiée au cœur.

Le Noble avance un autre argument pour démolir le pouvoir du cœur : « La sanguification est difficilement attribuable au cœur, organe que la nature n’a pas doté de capacités aussi diverses », comme [Page 31 | LAT | IMG] si un organe ne pouvait accomplir des actions diverses ; le cerveau n’en est pas moins investi d’un nombre largement plus élevé de charges plus remarquables que celles du cœur : perception des sens, mémoire, jugement, sentiments, mouvement et production des esprits animaux. Sans que j’aie à parler des multiples fonctions qu’assurent d’autres parties et en me fiant à l’autorité de Galien, n’énumère-t-il pas lui-même, parmi celles du foie, la digestion, l’expulsion de l’humeur excrémentielle et sa séparation de l’humeur ténue ? Et je pourrais continuer d’argumenter de la sorte. Le foie n’est pas l’officine du sang car Galien montre parfaitement qu’il est voué à d’autres fonctions, sans reconnaître que la nature a donné à ce même organe la capacité d’en accomplir une grande diversité ; mais au moins convient-il que le cœur a celle de produire le sang artériel et les esprits vitaux. [8]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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